EXAMEN EN DÉLÉGATION
La délégation s'est réunie le mercredi 13 juin 2001 pour l'examen du présent rapport.
M. Hubert Haenel :
Ce rapport constitue une remarquable démonstration en faveur d'une deuxième chambre européenne. Il ne s'agit pas de transposer, au niveau européen, le modèle bicaméral français car, comme vous l'avez souligné, il existe des raisons spécifiques qui militent en faveur d'une deuxième chambre au sein des institutions européennes, qui dépassent la problématique du bicaméralisme au niveau national.
Votre travail constitue une contribution extrêmement utile au débat national sur l'avenir de l'Union européenne ; et il mérite également d'être porté au niveau européen, dans le cadre de la COSAC notamment.
M. Lucien Lanier :
Je suis entièrement d'accord avec les propos de Daniel Hoeffel. Le thème de la deuxième chambre constitue l'un des sujets de réflexion majeurs pour l'avenir de l'Europe.
Je partage sa vision sur ce que pourrait être la deuxième chambre. En particulier, je pense qu'il a évité deux écueils : le fédéralisme régional et la création d'une assemblée pléthorique, faisant double emploi avec le Parlement européen.
A l'inverse, une deuxième chambre composée de représentants des parlements nationaux présente plusieurs avantages, dont celui de réconcilier les grands et les petits États. Je trouve aussi que l'idée d'une simplification des différents organes européens est excellente. Je pense en particulier à la COSAC, organe qui a certes son intérêt, mais qui n'a aucun pouvoir de décision et n'est pas investie de missions précises, ce qui fait que ses débats ne peuvent avoir de véritable impact.
Je suis donc d'accord avec vos propositions, mais il serait peut-être souhaitable de définir plus précisément les relations de cette deuxième chambre avec le Parlement européen tel qu'il existe actuellement.
Je pense aussi qu'une deuxième chambre pourrait être une instance de réflexion très utile en vue d'une future Constitution européenne.
M. James Bordas :
J'ai beaucoup apprécié l'exposé de notre collègue. D'autant plus, qu'étant moi-même membre de la délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'Union de l'Europe Occidentale (UEO), je voudrais insister sur le lien entre ce thème et le débat actuel sur l'avenir de l'UEO. La semaine prochaine, nous allons, en effet, discuter de cette question et du budget de cette organisation. Ce même débat existe également au sein des assemblées du Conseil de l'Europe et de l'Organisation sur la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). On voit que chaque assemblée interparlementaire a tendance à défendre son existence et ses compétences et qu'une simplification n'est pas chose facile.
Je souscris pleinement à l'idée d'une deuxième chambre. Ma seule inquiétude réside dans la difficulté de concilier le mandat parlementaire avec le rôle de délégué français au sein d'organismes parlementaires internationaux. Ces difficultés, très matérielles, entraînent souvent une faible présence des représentants français et un émiettement des positions françaises. Elles ne permettent pas à la France de bien défendre ses intérêts au sein de ces instances internationales. Il faut donc aborder de front ces problèmes. Pour ma part, je suis favorable à la suppression de l'assemblée parlementaire de l'UEO, dans le cas où la deuxième chambre serait créée.
M. Maurice Blin :
Votre démonstration, très convaincante, m'amène à vous poser trois questions.
Vous vous prononcez pour une représentation égalitaire entre États. C'est l'exemple des États-Unis où le Montana, avec 1,3 million d'habitants, a autant de sénateurs que la Californie, qui compte plus de 40 millions d'habitants. Transposé au niveau européen, ce modèle entraînerait une représentation égale du Luxembourg (450 000 habitants) et de l'Allemagne (82 millions d'habitants). Or, on peut constater que la disparité est plus forte.
La deuxième objection à l'idée d'une représentation égalitaire entre États réside dans le risque d'une coalition de petits États, qui pourrait constituer une force d'obstruction. Certains pourraient mettre en avant l'exemple du Sénat américain, mais on oublie trop souvent qu'aux États-Unis, le pouvoir du Sénat est contrebalancé par la Chambre des représentants et, surtout, par le président. Or, il n'existe pas de président élu au suffrage universel direct au sein de l'Union européenne.
En matière de compétences, je voudrais savoir ce que vous envisagez en matière budgétaire. Je déplore, en effet, la situation actuelle où les dépenses sont votées par le Parlement européen, alors que les recettes le sont par les Parlements nationaux. Ne serait-il pas souhaitable que la deuxième chambre ait un droit de regard sur le budget de l'Union européenne ?
M. Aymeri de Montesquiou :
Notre collègue Daniel Hoeffel a su naviguer entre les écueils. Je rejoindrai, par ailleurs, les observations formulées par notre collègue Maurice Blin. Je crois, en effet, que le président constitue l'un des piliers essentiels de la démocratie américaine. Je voudrais également faire observer qu'à partir du moment où il y aurait une représentation égalitaire des États au sein de la deuxième chambre, il faudrait également assurer une meilleure représentativité démographique des députés européens, et aller vers une procédure électorale uniforme au niveau européen. La question de la composition de la Commission pourrait se trouver dédramatisée par la création d'une seconde Chambre égalitaire. La formule d'un commissaire par Etat membre me paraît contraire à la finalité que doit poursuivre la Commission. Il faut trouver un équilibre qui rassure tous les Etats, de manière qu'une évolution soit possible, ultérieurement, sur la composition de la Commission.
M. Jacques Oudin :
Je m'interroge sur l'utilité d'entrer dans le détail des attributions de la deuxième chambre. Cela risque, en effet, de susciter des discussions sans fin. Ne serait-il pas préférable de s'en tenir au principe d'une deuxième chambre, en renvoyant les modalités à plus tard ?
De plus, la problématique de la deuxième chambre est indissociable d'autres questions liées au débat sur la Constitution de l'Union européenne, puisqu'il existe un équilibre au sein du système communautaire entre la représentation des États, d'une part, la représentation des peuples, d'autre part.
Je partage également l'idée de Maurice Blin sur les compétences budgétaires, et la nécessité d'une compétence en matière de contrôle du principe de subsidiarité.
M. Hubert Haenel :
Avant de donner la parole à Daniel Hoeffel pour qu'il réponde à vos interrogations, je voudrais souligner que le rôle des parlements nationaux constitue l'un des quatre thèmes retenus pour la prochaine conférence intergouvernementale. La création d'une deuxième chambre fait donc pleinement partie du débat sur l'avenir de l'Union.
M. Daniel Hoeffel :
Je voudrais vous remercier pour vos contributions à ce débat, qui reste ouvert.
Je voudrais également dire un mot sur l'intitulé. Le terme de « Sénat européen » pourrait très bien s'appliquer à la deuxième chambre. D'autres dénominations sont possible comme « Chambre des parlements », « Chambre des États », « Congrès » ou « Conseil des États ». La notion de « deuxième chambre » présente l'avantage d'être neutre à l'égard de ces possibilités. Il est important de souligner aussi que cette problématique est spécifique à l'Union européenne et qu'elle doit être distinguée du débat sur le bicaméralisme, tel qu'il existe au niveau national.
Notre collègue Lucien Lanier a souligné la nécessité de clarifier les relations entre le Parlement européen et la future deuxième chambre. Je partage son point de vue. Une fois que la création de la deuxième chambre sera acquise, ses rapports avec le Parlement européen devront être définis avec précision. Il ne s'agit en aucun cas d'instaurer un bicamérisme tel que nous le connaissons à l'échelon national. Il faut en effet que les membres de la deuxième Chambre européenne restent des parlementaires nationaux avant tout.
Je remercie notre collègue James Bordas d'avoir perçu mon souci de simplifier les organes existants. Je partage également son opinion sur la difficulté de concilier le mandat de parlementaire national et celui de membre des délégations françaises aux assemblées parlementaires européennes. Je ne citerai qu'un seul exemple. L'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe se réunira prochainement, alors qu'au même moment aura lieu au Sénat le débat sur la ratification du traité de Nice. Où sera, ce jour là, notre devoir d'être présents ? Au Sénat d'où nous tirons notre légitimité ou au sein du Conseil de l'Europe où il est important que la France fasse entendre sa voix ? D'où ma proposition, selon laquelle la deuxième chambre se réunirait six fois par an, en début de semaine, pour une journée et demie, afin de ne pas interférer avec le travail parlementaire.
A propos de la remarque de notre collègue Maurice Blin, je me demande si la réaction actuelle des petits pays ne constitue pas plutôt une attitude défensive née de la crainte d'un « directoire des grands ». Dès lors que l'on mettra en place une représentation égalitaire des États au sein de la deuxième chambre, je crois que les petits pays se sentiront rassurés.
Je pense, par ailleurs, qu'au stade actuel, il ne serait pas souhaitable de conférer des compétences budgétaires précises à la deuxième chambre. En effet, dès lors que le conseil des ministres vote sur le budget, un équilibre existe déjà avec le Parlement européen. En revanche, il m'apparaît tout à fait possible et souhaitable de prévoir, dans le cadre des débats généraux sur l'Union organisés au sein de la deuxième chambre, un débat d'orientation budgétaire.
Je partage les observations d'Aymeri de Montesquiou sur la nécessité d'une modification du mode d'élection des députés européens. Je me souviens que, en 1979 et en 1984, les grandes figures politiques nationales siégeaient encore au Parlement européen, alors qu'aujourd'hui, si elles conduisent encore les listes électorales, elles ne cherchent généralement pas à s'impliquer dans les travaux de cette assemblée. Il faut donc trouver un moyen d'harmoniser le mode d'élection des députés européens au sein de l'Union. A cet égard, le système le plus mauvais est celui des listes nationales qui ne permet pas d'établir un lien entre l'élu et les citoyens.
Je suis également d'accord avec lui lorsqu'il considère que la représentation égalitaire des États au sein de la deuxième chambre entraînerait des conditions plus propices pour envisager de revenir un jour, dans un climat dédramatisé, sur l'idée d'un commissaire par État membre, dans le cadre d'un équilibre global acceptable par tous.
Je partage, enfin, l'idée de Jacques Oudin selon laquelle les modalités de la deuxième chambre doivent faire l'objet d'un débat au niveau européen. Je considère, néanmoins, qu'il est nécessaire d'esquisser quelques grandes orientations, en particulier à propos de ses compétences, afin de déterminer à quoi servirait cette deuxième chambre et d'éviter que celle-ci ne devienne un « parlement européen bis ».
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A l'issue du débat, la délégation a approuvé à l'unanimité ce rapport.
Au moment où l'Union européenne va connaître la plus grande mutation de son histoire avec l'élargissement, plusieurs dirigeants des Etats membres ont suggéré la création d'une deuxième Chambre européenne afin de mieux assurer la démocratie dans l'Union et de mieux associer les Etats à la construction européenne.
Dans ce rapport, la délégation du Sénat propose qu'une deuxième Chambre composée de parlementaires nationaux, dans laquelle chaque Etat membre serait représenté par le même nombre de parlementaires, joue un rôle essentiel dans l'application du principe de subsidiarité et assure une fonction de contrôle en matière de défense européenne et de politique étrangère commune ainsi que pour les questions de justice et d'affaires intérieures, c'est-à-dire dans les domaines où l'intergouvernemental domine et où, de ce fait, le Parlement européen ne peut jouer pleinement le rôle de contrôleur.