Audition de M. Jean-Marc BOURNIGAL,
Attaché agricole à
l'Ambassade de France à
Rome
(4 avril 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Merci d'avoir
répondu à notre convocation. Vous êtes auditionné ce
matin comme attaché agricole à l'ambassade de France à
Rome, mais principalement compte tenu des postes que vous avez occupés.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Bournigal.
M. le Président -
Dans votre cursus, des passages indiquent que
vous avez été adjoint d'attachés agricoles au poste
d'expansion économique de l'ambassade de France à Londres entre
1988 et 1990 et que, par ailleurs, vous avez également été
chargé de missions au ministère de l'Agriculture, en particulier
auprès de M. Philippe Vasseur. Vous avez obligatoirement au cours de vos
différentes missions, été au courant des problèmes
qui nous intéressent tout particulièrement. Peut-être
pouvez-vous nous dire dans un premier temps votre sentiment sur cette affaire
et ensuite nous vous poserons les questions que nous souhaitons vous poser.
M. Jean-Marc Bournigal -
Je vais replacer mon cursus depuis les
années 1988. J'ai commencé ma carrière dans le cadre du
service national au Pôle d'Expansion de Londres où j'étais
chargé du suivi des problèmes vétérinaires.
Je suis vétérinaire inspecteur en chef et j'ai été
nommé à la Direction Générale de l'Alimentation en
1990 où j'ai commencé par m'occuper plus particulièrement
des programmes d'assurance qualité dans l'agro-alimentaire et les
aspects environnementaux, puis j'ai été responsable d'un bureau
chargé de la tutelle de l'industrie agro-alimentaire dans les secteurs
de la charcuterie et salaisons, de la volaille et de l'alimentation animale, de
la restauration collective et, ensuite, conseiller du Directeur
Général de l'Alimentation chargé des relations avec le
cabinet.
En 1995, j'ai été nommé conseiller technique au cabinet de
M. Philippe Vasseur où j'étais en charge des dossiers relatifs
à l'Aménagement rural, au Développement rural, à
l'Environnement et à tous les aspects sanitaires. J'ai été
chef de la mission de coordination sanitaire internationale où j'ai
été chargé des négociations internationales en
matière sanitaire, du suivi des importations et du suivi du
Comité Vétérinaire permanent à Bruxelles. Je suis
depuis 1989 attaché agricole à l'ambassade de France à
Rome.
Depuis le début de ma carrière, j'ai rencontré l'ESB
à différentes reprises dans les postes successifs que j'ai
occupés. Dès 1988-1989 (mon premier poste en Grande-Bretagne)
c'était l'apparition d'une nouvelle maladie animale dans les
années 1987, avec les premières mesures qui ont été
prises par les Britanniques à partir de 1988 et une succession de
mesures, aussi bien au niveau britannique qu'au niveau communautaire qui se
sont enchaînées régulièrement sur maintenant plus de
10 ans.
Je crois que, globalement, deux phases sont apparues dans ce dossier. La
première : apparition d'une nouvelle maladie animale et les mesures
de lutte mises en place au niveau britannique et communautaire avec
différents épisodes de prises de mesures unilatérales par
certains Etats membres.
Il était question d'une nouvelle maladie animale où, sans que
l'aspect transmission à l'homme n'ait été
complètement écarté des réflexions, dans tous les
cas, il n'était pas au coeur des décisions de cette phase.
La deuxième phase date de mars 1996 où le ministre de la
Santé britannique a fait une déclaration devant le Parlement dans
laquelle les autorités anglaises mettaient officiellement en avant un
risque potentiel de transmission de la maladie à l'homme et, à
partir de ce moment-là, les événements se sont
accélérés, probablement peut-être à
l'initiative de la France dans un premier temps car dès l'annonce de M.
Stephen Dorrell devant le Parlement britannique, la France a mis en place un
embargo sur les produits britanniques suivi d'une certaine
accélération liée à une mobilisation plus
importante de la communauté scientifique qui, pendant de nombreuses
années, a été tenue à l'écart des
réflexions techniques et des connaissances par leurs collègues
britanniques. Quand la communauté scientifique française et celle
des autres pays européens ont commencé à avoir
accès à toute une série de données, il est devenu
possible de lever les doutes et prendre des mesures de précaution alors
qu'avant 1996 des études et des recherches étaient menées
en Grande-Bretagne, dont la transmission aux collègues des autres pays
européens était véritablement très limitée.
D'après ma connaissance personnelle, quand j'étais en 1988-1989
en Grande-Bretagne, le rôle d'une ambassade était de suivre ce qui
se passe dans le pays d'implantation et d'informer régulièrement
les autorités parisiennes des décisions prises en
Grande-Bretagne. L'ambassade a tenu son rôle pendant cette
période.
Il est vrai que la situation pouvait paraître (surtout a posteriori) peu
claire, mais il est vrai qu'il s'agissait d'une nouvelle maladie animale. Nous
avons recherché la source. Les publications n'étaient pas d'une
grande clarté de même que les mesures prises par les Britanniques.
Nous envoyions des informations régulières en France sans qu'une
analyse globale puisse être faite dans des instances de réflexions
périphériques car, au fur et à mesure que les
données sortaient, les Britanniques donnaient des bribes d'information
et prenaient des mesures.
M. le Président -
Confirmez-vous que l'ambassade a envoyé
en France les informations que l'on pouvait connaître à
l'époque ? Sous quelle forme étaient-elles transmises ?
M. Jean-Marc Bournigal -
Les formes habituelles de transmission :
les télégrammes diplomatiques.
M. le Président -
Que l'on peut retrouver à l'ambassade.
M. Jean-Marc Bournigal -
A l'ambassade ou au Quai d'Orsay.
M. Paul Blanc -
Cela transitait-il par le Quai d'Orsay ?
M. Jean-Marc Bournigal -
Les télégrammes diplomatiques
sont signés systématiquement par l'ambassadeur.
M. Paul Blanc -
Il n'y a pas de transmission directement au
ministère de l'Agriculture ou de la Santé.
M. Jean-Marc Bournigal -
En général, non.
M. le Président -
Normalement, le Quai d'Orsay retransmet ensuite
aux différents ministères concernés.
M. Jean-Marc Bournigal -
Oui.
Ensuite, la deuxième phase de ma carrière pendant laquelle j'ai
eu à connaître l'ensemble de ce dossier a plutôt
commencé en mars 1996, car plusieurs mesures ont été
prises entre début 1990 et mars 1996 pour lesquelles je n'étais
pas directement concerné. Quand en 1996, nous avons recommencé
à prendre ce dossier lié aux déclarations du
ministère britannique, des mesures étaient en place aussi bien au
niveau communautaire qu'au niveau français :
Les interdictions d'utilisation des farines pour l'alimentation ont
été mises en place en 1990 pour les bovins en France et, en 1994,
ont été étendues à l'ensemble des ruminants.
Un réseau d'épidémio-surveillance existant depuis 1990 en
France, avait permis de détecter quelques cas.
Les mesures d'éradication dès la découverte d'un cas,
à savoir l'abattage de l'animal et du troupeau, étaient en place.
Les échanges avec les Britanniques étaient limités depuis
le début les années 1990 aux animaux de moins de 6 mois et l'on
ne pouvait recevoir sur le territoire français que de la viande
désossée des animaux de plus de 30 mois.
C'était la situation en 1996.
La déclaration du ministère Britannique publique, devant le
Parlement et la presse nous a énormément inquiétés
car elle n'avait pas été préparée, et ses
collègues des autres pays n'avaient pas été
prévenus préalablement, ce qui n'est pas une pratique habituelle.
Nous l'avons su le matin avant la communication. Ensuite, nous avons
tenté désespérément d'avoir des informations
complémentaires de la part des Britanniques. J'ai essayé d'avoir
mon homologue au ministère de l'Agriculture. En désespoir de
cause M. Vasseur et M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat
à la Santé, avaient fait de même.
C'est dans ce climat d'inquiétude où nous ignorions ce qui
sous-tendait la décision britannique, dans laquelle il n'entrait pas de
communication scientifique, que l'on mettait en avant un risque. En l'absence
de toute possibilité de clarification, il a été
décidé au niveau du Premier ministre, de bloquer totalement la
Grande-Bretagne et nous avons mis en place un embargo qui a été
généralisé au niveau communautaire quelques jours plus
tard.
Dès cette décision, tout le reste de la gestion de la crise s'est
opérée en appliquant un principe relativement simple : le
principe de précaution, qui est véritablement devenu à la
mode, à partir de cette date et que nous avons tenté d'appliquer
pendant toute la phase suivante.
Egalement, un principe de transparence car cette nouvelle annonce avait
fortement inquiété les consommateurs, ce qui se traduisait sur le
niveau de la consommation de l'ensemble de ces produits et la situation
était catastrophique.
A partir de ce moment, nous avons regardé quels étaient les
niveaux de connaissance que l'on pouvait avoir en France sur cet aspect
particulier de la transmission de la maladie à l'homme et des
modalités de transmission. Nous nous sommes alors aperçus que nos
scientifiques, globalement, disposaient d'assez peu d'informations et,
qu'ensuite, nous n'avions pas de structure ad hoc pour répondre au
Gouvernement de façon continue, d'où la création le 17
avril du Comité Dormont, l'idée étant de rassembler dans
une seule instance la totalité des données scientifiques capables
d'apporter un éclairage médical vétérinaire ou
universitaire sur cette problématique avec un triple objectif :
- Faire un inventaire des connaissances disponibles et notamment essayer
d'avoir des contacts avec leurs homologues Britanniques pour voir quel
était l'état des connaissances.
- Répondre ou accompagner le Gouvernement dans les différentes
décisions qu'il était amené à prendre, ce qui s'est
traduit par une série de questions qui ont été
posées par l'ensemble des administrations concernées pendant des
années à l'ensemble de la filière, sur les comportements
non seulement sur les aspects alimentaires, mais sur tous les aspects
sanitaires.
- Bâtir un cadre pour créer un programme de recherche digne de ce
nom au niveau français, de façon à fédérer
les différentes équipes françaises et à les mettre
sur les pistes des recherches impérativement nécessaires.
Toute la difficulté de la crise était, pendant très
longtemps et encore aujourd'hui, que nous avions à gérer des
doutes. Le principe de précaution est une disposition très
difficile à manier car nous gérons de l'incertitude, et prendre
les décisions en gérant de l'incertitude et communiquer s'est
révélé un exercice extrêmement difficile à
mener pendant les mois qui ont suivi.
A partir de ce moment, une fois ce Comité créé, une
première question a été très rapidement
posée et les réponses se sont enchaînées. Les
premières actions en direct sont venues plus tôt, car les 3 et 4
avril une première réunion a eu lieu au niveau de l'OMS sur l'ESB
à partir de laquelle le Gouvernement avait pris la décision de
retirer de la consommation humaine et animale les premiers matériaux
à risques spécifiés des animaux nés avant juillet
1991 qui étaient la moelle épinière, le cerveau, les yeux,
la rate, le thymus et l'intestin ; c'était la première
préconisation donnée par l'OMS, qui indiquait que dans les pays
connaissant des cas d'ESB, il convenait de prendre des mesures
particulières pour que les tissus susceptibles d'être
contaminés soient retirés de la consommation.
Dès ce moment et dès la création du Comité, le
ministère de l'Agriculture, mais également tous les autres
ministères, ont systématiquement, sur la base de chacun des avis
scientifiques tant au niveau de l'OMS que du Comité sur les
encéphalopathies spongiformes sub-aiguës transmissibles
présidé par M. Dormont, suivi à la lettre les mesures
préconisées par les comités scientifiques. A posteriori,
l'on peut trouver apocalyptique d'ajouter le cerveau, l'oeil et la rate puis
d'enlever un morceau.
Il faut être honnête, les avis scientifiques, tout au long de ces
périodes, ont été assez variables. L'appréciation
générale du risque de cette maladie au fur et à mesure de
l'évolution de la connaissance a amené des modifications
successives de la réglementation, qui ont été quelque peu
difficiles à expliquer à la population mais, dans tous les cas,
les mesures de précaution ont été prises
systématiquement.
S'agissant des difficultés de gestion, puisque c'est peut-être ce
qui vous intéresse, outre la difficulté de mise en place des
mesures, notamment celles concernant le retrait des cadavres et des saisies
d'abattoir de la fabrication de farines pour l'alimentation qui ont
été extrêmement importantes à gérer puisqu'il
y avait des farines un peu partout, le temps de réussir à
déterminer les problèmes de stockage, d'incinération et de
destruction avec la totalité des avis scientifiques pour trouver dans
quelle industrie, pour assurer la protection des travailleurs, l'inactivation
effective de l'agent et la mise en oeuvre de l'utilisation des
incinérateurs comme les cimenteries, ont été
pénibles à gérer pour tout le monde.
Cela a abouti également à une modification de la loi de 1975 sur
l'équarrissage avec la création d'un service public.
C'était une difficulté de mise en oeuvre liée à
l'ampleur du système qu'il a fallu modifier, aux quantités,
à la répartition sur le territoire, ce qui peut expliquer les
difficultés que nous avons eues.
Les difficultés plus graves se situent dans les rapports que nous avons
pu avoir avec nos partenaires Etat membres et la Commission.
Il est vrai que la France a pris les premières mesures dès le 4
et le 5 avril, suite à la réunion de l'OMS et, au fur et à
mesure que le Comité Dormont prenait des mesures,
systématiquement, elles ont été transmises à la
Commission Européenne.
La création d'un comité multidisciplinaire avait
été demandée par la France et par le Premier ministre au
Président Santerre qui a répondu à cette attente, mais
force est de constater que les avis scientifiques sur lesquels la France avait
pris des mesures n'ont pas permis pendant de nombreuses années à
la Commission d'obtenir une harmonisation communautaire en la matière.
Ceci a amené la France non seulement à prendre des mesures sur
son propre territoire mais à les étendre aux échanges
intérieurs à partir du mois de septembre 1996 pour limiter
l'importation des MRS et des aliments en contenant, de façon à
assurer une cohérence de la mise en place des mesures qui avaient
été prises au niveau français.
Je crois que c'est la principale difficulté rencontrée sur ce
dossier, qui n'était pas forcément liée à la
mauvaise volonté de la Commission qui, dès l'été
1996, avait fait des propositions qui allaient dans le sens des mesures prises
en France. C'est surtout la division de l'Europe entre le clan des pays
comportant des cas d'ESB et le clan des pays non atteints qui a joué.
Il est vrai que les avis scientifiques pouvaient toujours être lus
à double sens, puisqu'à chaque fois on disait qu'il convenait de
prendre des mesures pour les pays ayant des cas d'ESB ou dont le risque
était avéré. Les autres pays n`ayant pas de cas d'ESB ont
toujours considéré que le risque n'était pas
avéré. Rétroactivement au vu du nombre de cas en
Allemagne, en Espagne et en Italie, nous pouvons en sourire.
La grande difficulté a été là, et le levier a
commencé à basculer à partir du moment ment où le
nombre de pays avec des cas d'ESB est devenu plus important que le nombre de
pays sans cas d'ESB. Nous avons finalement abouti à des mesures de
retrait de MRS au niveau communautaire qui sont entrées en application
en septembre 2000.
C'était la grande difficulté de la gestion de ce dossier outre
celles d'ordre pratique, de mise en oeuvre de ses mesures qui ont
été extrêmement lourdes.
M. le Rapporteur -
S'agissant de votre période britannique, vous
avez dit que, d'après vous, l'ambassade avait « fait son travail
» et transmis les informations qu'elle avait recueillies ou que vous lui
aviez fournies en la matière. Avez-vous l'impression avec le recul, que
les autorités britanniques ont fait preuve de rigueur ou de
désinvolture dans l'approche du phénomène et, dans un
deuxième temps, rigueur ou désinvolture dans la transmission de
l'information ?
M. Jean-Marc Bournigal -
A la fin des années 80, l'organisation
générale de l'Administration de contrôle en Grande-Bretagne
était extrêmement faible. On sortait de la fin de la
révision structurelle de l'Etat Britannique sur la période de Mme
Thatcher et, en matière vétérinaire, la totalité
des contrôles était passée dans les mains des communes qui
avaient des employés locaux en la matière. Il n'existait plus
véritablement de services d'Etat.
M. le Rapporteur -
Le garde champêtre faisait office de ?
M. Jean-Marc Bournigal -
Il n'y avait plus de services d'Etat en tant
que tels ; les communes, les municipalités possédant un
abattoir, embauchaient elles-mêmes le vétérinaire. Il
existait néanmoins un vétérinaire dûment
patenté conformément au droit communautaire en vigueur.
M. le Rapporteur -
Sans aucune centralisation ni cohérence ?
M. Jean-Marc Bournigal -
Les obligations de communication sont
prévues dans les textes communautaires avec un minimum de flux de
remontée d'informations, de façon que chaque pays puisse informer
la Communauté qui établit des rapports annuels. Il n'y avait pas
de structure d'Etat dans le sens où l'Etat était responsable des
négociations communautaires et les autorités locales
géraient la mise en place des mesures, ce qui ne rendait pas pratique la
vision que l'on pouvait avoir de la réalité sur le terrain. Nous
n'avions pas d'interlocuteurs avec une vision très horizontale de tout
ce qui passait.
En matière d'ESB, quand la maladie a été
identifiée, pendant un certain temps, la communication officielle
britannique a toujours été minimaliste : « C'est une
nouvelle maladie animale, une encéphalopathie existant
déjà chez les moutons et dans toutes les espèces, y
compris chez l'homme. Cela n'a rien d'extraordinaire ». Il a fallu
regarder l'augmentation de la courbe ; au fur et à mesure que les
cas augmentaient, l'inquiétude a grandi et les discours ont
changé.
Dans un premier temps, c'était présenté comme étant
une encéphalopathie banale puisqu'elle existait dans toutes les
espèces de mammifères de façon étendue.
La communication vis-à-vis de l'étranger en la matière a
toujours été très faible, car la Grande-Bretagne a
dû en faire état à l'O.I.E. (qui est véritablement,
dans le monde vétérinaire, la référence pour le
suivi de tout ce qui concerne les maladies animales) en 1988-1989 en
présentant cette maladie comme étant une encéphalopathie...
Quand les scientifiques ont commencé à isoler potentiellement
l'origine car, compte tenu de l'augmentation du nombre de cas, ils sont
arrivés à se demander pourquoi ils avait une explosion de cas
à ce niveau, l'épidémiologie a rapidement
démontré que nous étions face à une «
anadémie », une contamination de source alimentaire. Les
premières théories sont apparues ; « Soit c'est la
tremblante qui est passée sur le bovin ou, plus probablement, une
maladie préexistant chez les bovins et qui a été
recyclée dans l'espèce à travers l'alimentation animale
».
La présentation initiale qui avait plutôt pour but de calmer les
foules, était fondée sur le fait qu'il s'agissait d'une maladie
animale sans problème particulier vis-à-vis de l'homme et ils
mettaient en avant la comparaison avec la tremblante non transmissible à
l'homme. Concernant la communication des décisions prises, la tradition
britannique est de procéder à communications très simples.
Ils sortent des petits communiqués de presse indiquant que telle
réglementation sera mise en place, sans de publicité ni lettre
d'avertissement particulières.
M. le Rapporteur -
Sur votre période française de 1995
à 1997, sous le ministère de M. Vasseur, vous avez pris la
décision de déterminer un embargo en 1996. Quels ont
été les éléments déclenchants la
réaction de la Commission Européenne ? Cela a-t-il
été facile à gérer ?
M. Jean-Marc Bournigal -
Nous étions dans un contexte où
depuis les années 90 la Commission Européenne avait
édicté toute une série de textes, aussi bien pour limiter
les exportations d'animaux vivants que de produits ; avaient
également été mis en place des systèmes de
traitement des farines de 1994 avec la norme de 133 degrés,
20 minutes, 3 bars.
Le facteur déclenchant résidait dans la manière quelque
peu impromptue dont le Gouvernement britannique a décidé de
communiquer en la matière, sans avertir personne, sans communication
technique préalable. Quand nous avons demandé à nos
scientifiques s'ils étaient au courant d'éléments
particuliers, ils n'en savaient pas plus que nous. Aucune réponse de la
part des Britanniques et du monde scientifique, du côté
français, quelque peu perplexe à l'égard de ce qui pouvait
sous-tendre la communication du Gouvernement britannique en la matière.
Nous l'avons annoncé ainsi à l'époque : « Nous
bloquons tout , nous attendons de voir ce qui se passe et nous verrons ensuite
». C'était dans cet esprit, alors que nous étions
très inquiets, que nous avons pris l'assurance de voir comment
réagissait la presse britannique à la communication faite au
Parlement par le Gouvernement britannique. Nous nous sommes aperçus, le
lendemain matin, en téléphonant dans quelques salles de presse
que cela ferait la Une de tous les journaux en Grande-Bretagne. Cela allait
« souffler très fort » le lendemain, sans que nous soyons
capables du côté français de répondre quoi que ce
soit à nos consommateurs globalement puisque, de toutes les
manières, nous ne savions rien.
Le facteur déclenchant était inconnu. Nous savions que nous
allions devoir répondre à une série d'interrogations et
nous n'avions pas d'éléments ni pour dire que c'était vrai
ni pour dire que c'était faux, mais c'était inquiétant.
La meilleure solution était de dire : « Nous fermons tout,
nous attendons de voir ce que diront les Britanniques et sur quelle base ils
ont pris cela et qu'ils s'expliquent » et le lendemain nous avons
été capables de répondre qu'effectivement la France
décidait d'un embargo .
La réaction de la Commission : toute mesure unilatérale
d'une ampleur aussi importante est rarement bien reçue. Compte tenu du
fait que la Commission n'avait pas beaucoup plus d'éléments que
la France en la matière, le débat a tourné relativement
court. Le lendemain, cela a soufflé extrêmement fort sur tous les
pays européens, d'autres pays ont suivi la France et la Commission de
même.
M. le Rapporteur -
Durant votre période italienne, avez-vous pu
recueillir des informations sur les quantités de farines
importées par le Gouvernement italien et les entreprises italiennes, et
savez-vous à quelle date les autorités italiennes ont pris des
mesures pour les retraits des matériaux à risques, l'interdiction
des farines pour les ruminants et les tests de dépistage ? Un
décalage s'est-il produit par rapport à la position
française ?
M. Jean-Marc Bournigal -
Indéniablement. S'agit-il des
importations de farines des années 80 ?
M. le Rapporteur -
Surtout après.
M. Jean-Marc Bournigal -
Traditionnellement, l'Italie n'est pas un grand
importateur de farines. Les quantités doivent être relativement
faibles. Il est possible de retrouver ces données, chaque pays ayant
remis un rapport dans le cadre de l'évaluation des risques conduite au
niveau communautaire. Sur la base du rapport italien, l'Italie se retrouvait
dans une catégorie à risques, similaire à celle de la
France.
L'exposition aux risques, en la matière, bien que probablement un peu
plus faible en termes quantitatifs en raison de la proportion de leur
système d'élevage et leur spécificité, est
similaire. En matière de prise de décisions, l'Italie s'est
calée sur les décisions communautaires. Les interdictions
d'utilisation des farines pour l'alimentation des ruminants ont
été prises en 1994, en même temps que la décision
communautaire, et les retraits des matériaux à risques ont
été imposés le jour de l'entrée en vigueur du texte
à savoir en septembre 2000. Avant cette période, il n'existait
aucune mesure spécifique en la matière.
Le réseau d'épidémio-surveillance a été mis
en oeuvre depuis de nombreuses années mais, au regard des chiffres, nous
nous apercevons que le réseau n'a jamais permis de détecter de
cas d'ESB depuis la mise en place des tests au 1er janvier de cette
année ; sur 60 000 tests réalisés à ce jour
par les autorités italiennes, 11 cas ont été
découverts, toujours grâce aux tests. Le réseau
d'épidémio-surveillance n'a jamais fait remonter un seul cas en
la matière.
L'Italie est un grand importateur d'animaux : nous expédions un
million de bovins par an sur l'Italie (comme sur l'Espagne, l'Allemagne et la
Pologne). Il ne s'agit pas uniquement des farines.
Le niveau de risques a été jugé par les experts
communautaires comme étant similaire à celui de la France pour
les échanges de farines et d'animaux, extrêmement importants
depuis toujours.
M. le Rapporteur -
Avez-vous le sentiment que les autorités
italiennes réfléchissent à une réorientation de la
politique agricole commune ou a-t-elle pris des distances ?
M. Jean-Marc Bournigal -
Il est difficile de présenter la
situation sous cette forme, car le Gouvernement en place en Italie est en
période pré-électorale. Les chambres sont dissoutes et les
élections se passeront en mai. La particularité du Gouvernement
italien est d'avoir un ministre de l'Agriculture qui se trouve être le
n° 2 des Verts et milite, depuis son arrivée à ce poste,
pour une certaine réorientation de l'agriculture en faveur des produits
typiques et biologiques. Aujourd'hui, l'Italie fait partie des pays qui
demandent une réorientation de la politique agricole commune rapide et
immédiate.
Il faut attendre un peu. Lors des négociations de l'agenda 2000, un
groupe de pays s'était ligué (la Suède, l'Angleterre, le
Danemark et l'Italie) et avait réussi à bloquer les
négociations malgré des intérêts divergents.
Ce groupe s'est maintenu par la suite, s'est élargi l'année
dernière au premier semestre (il a été
dénommé le Groupe de Capri) avec l'arrivée des Pays-Bas.
Il se réunira une fois avec l'Allemagne. Ce Groupe est le plus
véhément, actuellement, dans les débats sur la
réorientation de la politique agricole commune.
M. le Président -
Nous vous remercions.
Votre carrière est tout à fait intéressante par rapport
à l'ESB, car vous l'avez vécu à différents niveaux
et vous avez bien retracé la qualité de ce qui s'est passé
tel que vous l'avez vu et ressenti.
Merci beaucoup.