Audition de M. Laurent SPANGHERO
Président de la
Confédération des entreprises bétail et viande
(CEBV)
(13 décembre 2000)
M.
Gérard Dériot, Président
- Monsieur Spanghero, vous
êtes président de la Confédération des entreprises
bétail et viande (CEBV). Vous êtes auditionné dans le cadre
de la commission d'enquête du Sénat sur les farines animales.
Cette audition se fait sous serment. C'est pourquoi je vais être
obligé de vous lire le texte rituel. Puis, je vous demanderai de bien
vouloir jurer que vous direz toute la vérité, rien que la
vérité.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Spanghero.
M. le Président
- Je vais dans un premier temps vous demander de
parler du problème tel que vous le vivez. Ensuite, nous passerons la
parole aux sénateurs afin qu'ils puissent vous poser des questions.
M. Laurent Spanghero
- J'ai eu l'honneur de rencontrer Monsieur le
Premier ministre hier pour lui exposer les difficultés que rencontre la
filière. Je peux laisser à votre disposition quelques documents
que je lui ai remis.
Les transformateurs et les abatteurs se trouvent au milieu de la filière
bovine. Nous vivons une période que nous avions jamais vécu
jusqu'alors. Je travaille dans ce secteur depuis trente ans. J'emploie 600
personnes. Aujourd'hui, nous enregistrons des baisses d'activité qui
vont jusqu'à 70 %. Il est presque difficile d'imaginer avoir des
baisses aussi brutales. Je pense que la période du 4, 5 et 6 novembre
2000 a été fatale pour la filière avec plusieurs
étapes. La première fut la décision des maires de retirer
la viande bovine des cantines. Cet événement fut
extrêmement important. La deuxième étape dut
peut-être l'émission diffusée sur M6. Ce programme fut en
effet catastrophique d'autant plus que cette émission contenait beaucoup
de contrevérités. Une troisième phase serait
peut-être encore quelques paroles malheureuses déclarées
par Madame le ministre de la Santé qui a affirmé qu'il y aurait
quelques dizaines de morts. Tous ces éléments se sont
additionnés et ont renforcé le sentiment de méfiance des
consommateurs.
Il faut reconnaître qu'aujourd'hui les consommateurs n'ont plus confiance
dans la viande. Au moins une personne sur deux est aujourd'hui très
préoccupée par la qualité de la viande. Nombreux sont ceux
qui ne souhaitent pas consommer de boeuf tant que la situation reste ce qu'elle
est aujourd'hui. Je pense que nous aurons beaucoup de difficultés
à retrouver les volumes que nous avons connus auparavant. Nous aurons
des difficultés à revenir à 80 ou 85 % de ce que nous
avons connu antérieurement. Aujourd'hui, nous ne trouvons pas dans une
crise de surproduction. Nous sommes dans une crise de consommation. La perte de
la consommation est au minimum de 20 % sur les huit derniers mois. Ces
pertes sont, bien entendu, dramatiques pour la filière.
Je souhaite vous rappeler que la filière viande représente 100
milliards de francs de chiffre d'affaires. Elle emploie 65 000 personnes. Si
nous perdons 20 % de chiffre d'affaires, nous risquons de nous
séparer de 20 % de notre personnel. L'aménagement du
territoire est également en cause. Les 350 ou 400 entreprises qui
représentent ce secteur sont réparties sur l'ensemble du
territoire. Il y a 350 abattoirs et 1 400 marchands de bestiaux sans compter
les éleveurs. Aujourd'hui, les acteurs de la filière les plus
touchés ne sont pas paradoxalement les éleveurs puisque tant que
ces derniers n'ont pas vendu ils ne savent quelle est l'ampleur de leurs
pertes. En ce qui nous concerne, depuis le début de la crise, nous
savons ce que nous perdons. Un de mes collègues perd entre 8 et 9
millions de francs par semaine. En ce qui me concerne, je perds entre 500 000
et 600 000 francs par semaine. Cette crise dure depuis sept semaines. Nous ne
pouvons pas continuer ainsi.
J'ai donc expliqué au Premier ministre ces propos. Ce dernier n'avait
peut-être pas appréhendé aussi largement l'ampleur de cette
crise. Aujourd'hui, cette crise n'est plus seulement française. La
France, à cet égard, semble avoir joué le rôle d'un
pyromane puisque aujourd'hui cette crise s'est étendue à
l'ensemble de l'Europe. Les baisses de consommation enregistrées en
Italie ou en Espagne sont encore plus importantes que ce qu'elles ne sont en
France. Nous avons quasiment perdu définitivement le marché grec
alors qu'il s'agit d'un important marché.
Nous sommes extrêmement pessimistes. Nous savons qu'il va y avoir des
solutions de stockage public et de la destruction de viande. Hier, Bruxelles a
décidé de l'élimination de 500 000 tonnes de viande de la
communauté. C'est donc un énorme gâchis.
Par ailleurs, le principe de précaution mis en place a, à
certains égards, été poussé trop loin, selon moi.
La France est le seul pays en Europe à avoir supprimé les ris de
veau. Il paraît anodin de se focaliser sur ce seul morceau. C'est un
produit noble qui fait partie de notre gastronomie. En supprimant les ris de
veau, nous avons dévalorisé tout ce qui touche à la viande
de veau. Les pertes sont aujourd'hui de 300 à 400 francs par animal. Or
nous avons 1,9 million de veau en France. Sur un seul lot d'élevage de
cinq mois, il en coûte 250 millions à la filière. Qui va
payer cette somme ? Personne ne peut me répondre. C'est un
énorme gâchis pour la seule raison que l'AFSSA a
décidé d'appliquer le principe de précaution sachant que
nous n'avons jamais trouvé de prion dans le ris de veau.
J'essaie en tant que président de la Confédération de
plaider la cause de notre profession auprès des autorités
publiques. Le ris de veau est quelque chose qui me tient à coeur.
Personnellement, je suis producteur de 20 000 veaux par an. Le retrait des ris
va me coûter entre 5 et 6 millions de francs pour une année
pleine. Dans ces conditions, comment voulez-vous qu'une entreprise puisse
supporter une telle perte ?
Nous savons, depuis 1988, qu'il y avait des problèmes avec les farines.
Au mois de juillet 1989, le ministre de l'Agriculture, Henri Nallet, avait
tenté une première fois d'interdire les farines animales en
provenance d'Angleterre. Il n'y était pas parvenu mais il avait
néanmoins réussi à obtenir des dérogations. Les
faines animales qui provenaient d'Angleterre en 1989 étaient uniquement
autorisées pour l'alimentation des volailles et des porcs.
Néanmoins, nous ne sommes pas certains de ce qu'ont fait ensuite les
fabricants de farines.
En 1990, est appliquée l'interdiction totale des farines animales pour
l'alimentation des bovins. A la date du 1er janvier 1993, naît le
marché unique, c'est-à-dire la liberté de circulation des
biens et des personnes. Les farines animales sont donc rentrées en
France par des voies détournées. La Belgique a joué, dans
cette affaire, le rôle d'une plaque tournante. C'est par
conséquent entre 1993 et 1995 que l'on retrouve les animaux les plus
infectés dans nos élevages. Avec certains de mes
collègues, nous pensions qu'il ne faudrait pas introduire les animaux
nés entre 1993 et 1995 dans la chaîne alimentaire. Dès le
1er janvier 2001, les animaux seront testés.
Au mois de mars 1996, lors de la première crise de la vache folle et de
l'embargo, la fédération a porté plainte contre les
fabricants d'aliments. Nous avons été entendu le 7
décembre 2000, soit quatre ans et demi après ! On nous dit que,
compte tenu du surcroît de travail, il n'était pas possible de
traiter le dossier plus rapidement. Il est inconcevable que la procédure
ait été aussi longue.
A l'époque, je reste persuadé que cette catastrophe aurait pu
être évité avec un peu plus de précaution.
Aujourd'hui, a contrario, nous sommes peut-être allés trop loin
dans le principe de précaution. En 1992 sachant qu'ils avaient une
épidémie, les Anglais ont décidé de ne plus mettre
sur le marché des viandes avec os. Ils ont alors désossé
la viande chez eux. Ainsi, les importateurs de viande anglaise, dont je faisais
partie, étaient dans l'obligation à partir de 1992 de n'importer
que des viandes désossées qui ne convenaient pas à notre
activité. A partir de ce moment-là, nous avons
décidé d'arrêter d'acheter de la viande anglaise. C'est ce
qu'ont fait également les Allemands. Aucun embargo n'a été
établi entre l'Allemagne et l'Angleterre. Il y a eu un arrêt
d'achat de facto qui équivalait à un embargo mais qui
n'était pas officiel.
Les étapes de la crise sont essentielles. La déclaration d'Henri
Nallet date de 1989. En 1992, les Anglais interdisent d'acheter de la viande
avec os. En 1993, est lancé le Marché Unique. Toutes ces dates et
événements concordent avec ce qui se passe aujourd'hui. Les
farines animales sont manifestement en cause. Des malfaçons ont
été faites dans la filière de production de farines. Les
éleveurs et les transformateurs sont victimes de cette affaire.
M. le Rapporteur
- Au sein de votre entreprise, les dernières
mesures sanitaires imposées par les pouvoirs publics vous ont-elles
posé des problèmes techniques ? Par ailleurs, que
pouvez-vous nous dire sur l'utilisation de graisse dans la fabrication de
viande hachée ?
M. Laurent Spanghero
- Le retrait des matériaux à risque a
été fait de façon sérieuse. Certes, la situation
est certainement beaucoup plus compliquée dans un petit abattoir que
dans un abattoir moyen ou grand. Les très gros abattoirs en France
traitent 50 à 60 000 tonnes. Les abattoirs moyens traitent des volumes
de 10 à 15 000 tonnes. Moins de 200 abattoirs font mois de 5 000 tonnes.
Les petits abattoirs peuvent parfois poser problème dans la mesure
où les contrôles vétérinaires ne peuvent être
faits de façon aussi assidue qu'ils ne le sont dans les abattoirs
moyens. Dans certains abattoirs, les vétérinaires sont
vacataires. Ceci pose également le problème des abattoirs
dérogataires. C'est le cas de 30 ou 40 abattoirs en France. Ces derniers
ne sont pas aux normes sanitaires mais bénéficient d'une
dérogation avant de pouvoir se soumettre aux normes en vigueur. De
façon générale, je pense que les matériaux à
risque ont été bien appréhendés. En revanche, dans
les autres pays européens, la situation est différente. Les
matériaux à risque n'y sont interdits que depuis quelques
semaines. En Espagne, les contrôles ne sont pas effectués de
façon aussi rigoureuse qu'en France.
Le steak haché est aujourd'hui mis au pilori. M6 en a d'ailleurs fait
son cheval de bataille. Il faut absolument faire la différence entre le
steak haché et les préparations à base de viande
hachée. Le steak haché pur boeuf est un produit fait à
partir de muscles. La graisse qu'il contient est entièrement naturelle.
Les mélanges, quant à eux, sont faits à partir de muscles
plus ou moins gras ce qui permet d'obtenir des teneur en matières
grasses différentes. En revanche, il n'y a aucun ajout de graisses
autres dans les steaks hachés consommés frais.
Concernant les préparations à base de viande dans lesquelles nous
pouvons incorporer des matières d'origine végétale, la
législation n'était pas suffisamment rigoureuse. Je ne dis pas
que les produits qui entraient dans la composition de ces préparations
n'étaient pas propres à la consommation. En revanche, je souhaite
que nous soyons davantage rigoureux de telle sorte que les produits soient bien
mieux identifiés. Dans les préparations hachés à
base de viande, nous devons savoir quels sont les ingrédients qui
entrent dans la composition en dehors de la viande de boeuf.
M. le Rapporteur
- Concernant la préparation de steak
haché, nous avons entendu parler, à une certaine époque,
de la fabrication par extraction mécanique. Quel était le
pourcentage éventuel de steak hachés fabriqués suivant ce
procédé ?
M. Laurent Spanghero
- Il s'agit de viande séparé
mécaniquement (VSM). Ce procédé était
utilisé à l'époque beaucoup plus fréquemment pour
la volaille que pour le bovin. A partir d'os et de carcasses obtenus
après désossage, il s'agissait de mettre les carcasses dans un
appareil qui extrayait les protéines de viande. Nous obtenions ainsi une
viande très fine. Cette viande séparé mécaniquement
était ensuite incorporée dans les steaks hachés
surgelés. En effet, elle ne pouvait être introduite dans les
produits frais. Il est possible que quelques fabricants aient émis 5
à 10 % de ces VSM dans les steaks hachés. Cette pratique est
aujourd'hui interdite.
M. le Rapporteur
- De quand date cette interdiction ?
M. Laurent Spanghero
- Je pense que la décision a
été prise dans les années 1990 ou 1992. Néanmoins,
je ne peux vous affirmer la date exacte. Aujourd'hui, deux groupes de travail
réfléchissent sur le steak haché. Nous souhaitons
davantage de clarté dans la fabrication du steak haché puisque
c'est un produit noble. En effet, c'est un produit valorisant pour l'ensemble
de la carcasse dans la mesure où peu de personnes consomment de la
viande à bouillir ou de la viande à braiser. Le steak
haché valorise ainsi ce type de morceaux. Nous avons cassé
l'image du steak haché. Il a été dit qu'on avait
trouvé des esquilles d'os dans le steak hache alors que c'est totalement
faux.
M. le Rapporteur -
Quelle proposition feriez-vous en matière de
traçabilité sur le steak haché ?
M. Laurent Spanghero
- Selon moi, il faut tout d'abord identifier
l'origine du produit et savoir de quel animal il provient. Je crois que le
Premier ministre va encore préciser, ce soir, comment nous allons
renforcer l'étiquetage. Il s'agit de préciser la
catégorie, l'origine, peut-être même le type racial. Il faut
surtout que le steak haché ne soit fait qu'à partir du muscle. Il
n'est pas possible d'incorporer dans un produit frais autre chose que de la
viande de boeuf. La seule autorisation est le droit d'y incorporer 1 % de
sel. La plupart des fabricants ne se servent pas de cette autorisation. Dans
tous les cas, nous devons respecter un cahier des charges très
précis mais transparent afin que tout le monde sache ce que nous devons
respecter.
Le steak haché a également été mal
considéré car les Anglais ont des habitudes que les
Français n'ont pas. Les Anglais incorporaient de la cervelle de boeuf
dans le steak haché. Cette cervelle a été le vecteur de la
maladie en Angleterre. Jamais nous n'avons fait de tels mélanges en
France. En revanche il est autorisé de mettre certains abats notamment
du coeur de boeuf qui est un muscle dans la composition du steak. Il
nécessaire de le dire. Nous sommes en faveur d'une plus grande
transparence et clarté dans la traçabilité du steak
haché.
M. le Président
- En France, nous n'avons jamais rajouté
d'abats de type cervelle dans le steak haché. Le confirmez-vous ?
M. Laurent Spanghero
- En France, cela ne s'est jamais fait. Cette
méthode de préparation relève d'une tradition culinaire
britannique.
M. le Président
- Dans les hamburgers, aucun rajout n'est
opéré non plus.
M. Laurent Spanghero
- Non, M. le Président. Dans le hamburger,
les fabricants sont uniquement autorisés à ajouter des
protéines d'origine végétale et quelques abats comme le
coeur de boeuf. Je crois néanmoins qu'il faut bannir ces pratiques
aujourd'hui afin que notre système soit davantage transparent. Moins il
entrera d'ingrédients dans la composition d'un produit, plus il sera
facile d'établir sa traçabilité. Je demande donc à
ce que seule la viande de boeuf pur muscle entre dans la composition du steak
haché.
M. Gérard César
- Quel est votre point de vue pour
relancer la consommation ? Vous avez fait un état des lieux de la
situation passée. Aujourd'hui, pour redonner confiance aux
consommateurs, que faut-il faire ?
Par rapport aux contrôles qui deviendront obligatoires à partir du
1er janvier 2001, disposons-nous en France des moyens pour exécuter et
suivre ces contrôles avec toute l'efficacité requise ?
En outre, comment envisagez-vous la modification des appels d'offre sachant
que, pour les grandes collectivités, il est nécessaire de faire
des appels d'offres européens qui n'apportent pas la garantie de la
traçabilité des produits ?
M. Laurent Spanghero
- J'estime que la consommation ne peut que remonter
car nous aurions grand peine à descendre plus bas. Hier, le Premier
ministre nous a demandé notre opinion sur les tests. J'ai répondu
qu'il s'agissait du dernier joker dont nous disposions et qu'il fallait
s'empresser de l'utiliser. Il peut être utilisé comme un
élément servant à restaurer la confiance du consommateur.
Je regrette que les médias aient mal traduit le commentaire
formulé par l'AFSSA hier. Ces médias ont affirmé qu'une
fois de plus nous avions eu des animaux malades dans la chaîne
alimentaire alors que c'est faux. Or le professeur Brugère-Picoux ainsi
que d'autres spécialistes ont affirmé que le muscle
n'était pas atteint. Par ailleurs, les tests sont un
élément supplémentaire. C'est la raison pour laquelle nous
souhaitons que les contrôles soient accélérés.
De plus, nous devons absolument lever la suspicion sur le steak haché.
C'est un élément capital. Il faut donc fournir des efforts
importants, établir un cahier des charges draconien et communiquer afin
de réellement relancer la confiance. Le steak haché est
consommé par les enfants, par les vieillards et par des malades.
La troisième chose est que nous devons améliorer la
qualité de nos produits. Nous ne pouvons pas obtenir de la bonne viande
avec de vieux animaux. La bonne viande ne provient pas nécessairement
d'un animal très jeune. Une viande est meilleure lorsqu'elle vient d'un
animal de quatre ou cinq ans bien maturé. Nous devons revenir aux
règles de base et aux fondamentaux de notre métier. Nous devons
proposer à nos consommateurs des viandes de qualité. Il faut que
les consommateurs retrouvent le plaisir de manger de la viande de boeuf.
A partir de ces trois éléments, il me semble que nous pourrons
regagner la confiance des consommateurs. La traçabilité n'est pas
suffisante pour le consommateur. Ce dernier veut savoir un certain nombre de
choses. Il ne cherche pas à savoir si l'animal a été
élevé par Monsieur Dupont ou Monsieur Dubois. En revanche, il
souhaite savoir ce qu'elle a consommé, connaître son origine ainsi
que d'autres éléments clairs et pratiques que le consommateur
puisse comprendre facilement. Il serait alors nécessaire de simplifier
la carte de l'animal et de l'expurger de tous ces numéros de
référence d'abattoirs qui ne servent à rien. Il faut
uniquement que le consommateur puisse identifier le produit.
Concernant les appels d'offre des collectivités, je serai assez
sévère. Les collectivités ont amené la
filière à proposer des viandes qui sont indignes de notre pays.
Tout ce qui était le moins bon dans la filière viande partait en
direction des hôpitaux et des écoles. Cette situation n'est pas
acceptable. Pourquoi sommes-nous arrivés à cette situation
déplorable ? C'est parce qu'on nous demandait des viandes toujours
moins chères. Je l'ai dit aux maires. Il est nécessaire
d'être sérieux. Nous ne pouvons pas offrir une viande de
qualité à un prix très bas. Il est
préférable de donner moins de viande par semaine mais de donner
de bons produits. Il faut reconnaître que c'était les animaux les
moins bien engraissés qui étaient donnés aux vieillards,
aux malades, aux enfants et aux militaires.
Par conséquent, nous devrions peut-être préciser dans le
cahier des charges que les viandes doivent venir de la région. Elles
doivent être de telle qualité.
Enfin, ,je souhaite rappeler que dans une viande de qualité, il y a
trois critères fondamentaux : l'âge, l'état
d'engraissement et la maturation. Un fruit ou un fromage par mûrs ne sont
pas bons à manger. La viande respecte la même loi. Je rappelle que
la maturation est en fait le délai qu'il convient de respecter entre le
moment de l'abattage et la consommation. Ce délai doit normalement
être compris entre 12 et 14 jours. Ce délai n'est plus
respecté aujourd'hui. Les bouchers respectaient même ce
délai au-delà puisqu'ils laissaient maturer la viande
jusqu'à 21 jours. Aujourd'hui, même l'artisan boucher actuel ne
respecte plus ce délai.
M. le Président
- Je crois qu'il est nécessaire de
préciser ce point. Dans l'esprit du grand public, la qualité
d'une viande est liée à sa fraîcheur. C'est faux. Il faut
donc bien préciser ce que vous entendez par maturité. A la
différence du poisson, la viande est meilleure si nous respectons un
délai raisonnable entre l'abattage et la consommation.
M. Laurent Spanghero
- Nous avons mis beaucoup de temps à
convaincre les pouvoirs publics qu'il fallait mener des tests
systématiques. Depuis un mois et demi, nous avons
répété constamment au ministère de l'Agriculture,
à la DGL et à la DPEI qu'il fallait accélérer les
tests. Les tests ont été déclenchés, il y a
à peine dix jours. Maintenant, en vingt jours nous devons faire ce que
nous aurions pu réaliser en trois mois. Une course de vitesse est
lancée d'ici le 2 janvier 2001. Heureusement, nous avons treize
laboratoires agréés et trois ou quatre laboratoires privés
en construction ainsi qu'une vingtaine de laboratoires privés qui sont
susceptibles d'être agréés en quelques jours. Nous
disposons également d'une partie du personnel préalablement
formés pour réaliser les tests. Je pense que nous pourrons
démarrer au 2 janvier. Cependant, il faudra que les entreprises
vétérinaires comme les entreprises se mettent à jour pour
que les contrôles se fassent efficacement.
Par ailleurs, les tests ont également un coût non
négligeable. Verser 500 francs par animal est dérisoire.
Nous abattons deux millions d'animaux en France tous les ans, voire davantage.
Qui va payer ces pertes ? L'Europe versera 100 francs par animal, soit 15
euros. Il en manquera encore. La filière ne dispose pas des moyens
d'investir dans les tests. Au-delà des problèmes de
fonctionnement, il existe également un problème lié au
coût.
M. le Président
- Vous avez réclamé à cors
et à cris des tests. Connaissez vous cependant leur limite ?
N'est-ce pas un moyen de vous donner bonne confiance sans mesurer l'ampleur des
risques ?
M. Laurent Spanghero
- Dans la mesure où la période
d'incubation de ce prion est de quatre ou cinq ans, le test ne pourra pas
déceler le prion au tout début de la maladie. Toutefois, les
scientifiques s'accordent sur le fait que le test est valable pour les animaux
jeunes de moins de trente mois ou moins de 24 mois. Il y a aujourd'hui
2 pour mille animaux testés malades ou morts de mort naturelle.
Lorsque nous allons rentrer dans le schéma de tests
systématiques, les résultats vont être infimes. Nous allons
ainsi encore éliminer un certain nombre d'animaux qui seraient
aujourd'hui dans la chaîne alimentaire.
Nous allons également éliminer toutes les farines animales.
J'avoue, à titre personnel, que c'est une hérésie de
supprimer toutes ces protéines. Aujourd'hui, nous retirons tous les
matériaux dits à risque pour tous les bovins même pour les
animaux de moins de 30 mois. Les cervelles, les rates, les moelles
épinières et les intestins sont systématiquement
retirés y compris pour le veau. Aujourd'hui, le test et le retrait des
matériaux à risque font que nous bénéficions d'une
sécurité optimale sur nos produits.
M. Paul Blanc
- Nous pouvons être assuré de la
traçabilité de l'éleveur jusqu'à l'abattoir.
Peut-on assurer cette traçabilité de l'abattoir jusqu'à
l'étal du boucher ? Cette question est d'autant plus importante du
fait qu'un boucher ne consomme pas une bête entière mais que les
morceaux de l'animal sont disséminés chez les uns et les autres.
Dans la mesure où les morceaux d'un même animal sont
disséminés, pouvez-vous assurer qu'une traçabilité
existe de l'abattoir à l'étal du boucher ?
M. Laurent Spanghero
- Aujourd'hui, notre système de
traçabilité, mis en place depuis deux ans et demi voire trois ans
dans les entreprises, va jusqu'au steak et non pas uniquement jusqu'à la
cuisse de l'animal. Aujourd'hui, nous sommes capables, à partir d'un
steak, de savoir d'où vient l'animal. Je n'affirme pas que ce
système de traçabilité est fiable à 100 % dans
tout le pays. Néanmoins, nous pouvons nous féliciter
d'avancées très significatives dans la mesure où nous
sommes le pays en Europe le plus avancé dans ce domaine. Lorsque
l'animal part en morceaux, il comporte au minimum huit étiquettes. Nous
sommes en mesure de découper l'animal en huit morceaux. Dès le
moment où il est dépecé en steak ou en rôtis, nous
garantissons une traçabilité par lot. Cette dernière est
parfaite. Je pense que nous ne devons pas avoir de doute sur la
traçabilité. Nous sommes en avance dans ce domaine.
M. Paul Blanc
- Ce type de mesures me paraît être un
élément fondamental permettant de rétablir la confiance.
M. Laurent Spanghero
- Vous avez tout à fait raison.
Paradoxalement, parmi les 17 ou 18 000 bouchers existant en France, à
peine un tiers d'entre eux, voire un quart ont une traçabilité
alors que les supermarchés et les hypermarchés sont beaucoup
mieux tracés. Nous ne pouvons pas livrer un kilogramme de viande dans un
hypermarché sans traçabilité. En effet, dans ce cas, la
barquette de viande nous serait renvoyée. Le boucher, quant à
lui, vend sa viande.
M. Paul Blanc
- Il y a quand même un effort à faire au
niveau des détaillants.
M. Laurent Spanghero
- C'est la raison pour laquelle j'ai
précisé que la situation n'était pas parfaite partout.
Aujourd'hui, les détaillants représentent 15 à 18 %
de la masse de viande vendue en France. Toutefois, c'est avec ces derniers que
nous rencontrons le plus de difficultés dans la mesure où ils
sont plus indépendants.
M. Paul Blanc
- C'est la raison pour laquelle je vous ai demandé
si la traçabilité était applicable jusqu'à
l'étal du boucher.
M. Laurent Spanghero
- La possibilité de tracer les viandes
existe. Toutefois, ceci dépend aussi de l'artisan boucher qui doit
ensuite faire son travail.
M. Bernard Cazeau
- Je crois que la traçabilité est
véritablement essentielle. Vous parliez du cas du veau, il y a un
instant. Avec le ministre de l'Agriculture, j'ai eu l'occasion, il y a trois
jours de faire le tour des éleveurs de mon département, la
Dordogne, en particulier pour les veaux de lait élevés sous la
mère pour lesquels il y a une traçabilité très
élevé depuis de nombreuses années. Contrairement à
ce que vous disiez précédemment, lorsque l'on sait que c'est la
viande de Monsieur Dupont qui se retrouve dans la boucherie de Monsieur Durand,
la traçabilité est meilleure.
Dans cette filière, il n'y a pratiquement pas, au moins dans mon
département, de diminution de vente de la viande. Comment peut-on suivre
la traçabilité du steak haché industriel ? Par
ailleurs, comment peut-on faire penser aux consommateurs que cette
traçabilité est véritablement sans faille ? C'est, en
effet, la confiance qui relancera la consommation. Je ne veux pas vous
inquiéter outre mesure. Néanmoins, je me demande si le steak
haché industriel continuera d'être acheté. Peut-être
qu'à l'avenir les consommateurs tendront à hacher le steak par
eux-mêmes. Peut-être que le steak haché est condamné
à moins de ne parvenir à rétablir cette confiance. Je
pense qu'il faut aller plus loin dans la traçabilité. Il ne
suffit plus de dire si la viande vient d'Auvergne ou de Dordogne ou des
Pyrénées. Mais les consommateurs veulent savoir d'où vient
la viande.
M. Laurent Spanghero
- Je souhaite ajouter quelques chose que peu de
gens savent. Les Néo-zélandais sont certainement les meilleures
entreprises du monde dans le domaine du mouton. Les Danois et les Hollandais
sont sans doute les meilleures entreprises dans le domaine du porc. Les
Français sont les meilleures entreprises du monde dans le domaine du
boeuf. Je peux vous inviter un jour à visiter les entreprises qui
produisent du steak haché. Vous serez étonné par les
lieux. Je pense que vous êtes moins exigeants à l'égard de
l'hôpital où vous vous faites soigner qu'ils ne le sont dans leurs
usines. Je connais deux entreprises où l'on fabrique du steak
haché dans lesquels avant de rentrer dans la salle de production il est
nécessaire de se doucher.
Aujourd'hui, on jette le discrédit sur l'industrie de la viande. Or la
fabrication est réellement faite dans des conditions optimales.
L'artisan boucher ne fait pas mieux. Je ne dis pas non plus qu'il fait moins
bien. Le steak haché est certes un produit fragile du moment où
on hache beaucoup la viande. Il faut par conséquent que la viande soit
fraîche. Le boucher fait encore du steak haché avec de la viande
qui date de quatre ou cinq jours. Pour le steak haché industriel, la
viande n'est conservée que pendant 24 heures. La viande est
hachée et vendue immédiatement et mise sous emballage
contrôlé. Sur le plan de la microbiologie et de l'hygiène,
il n'y a rien à dire. En revanche, les entreprises souffrent de la
mauvaise image de marque de l'industrie.
M. Bernard Cazeau
- Je ne doute pas des conditions d'hygiène de
ces usines. J'ai pour ma part visité plusieurs entreprises de ce type.
En revanche, la plupart des consommateurs n'ont pas visité ces usines.
Les consommateurs veulent une traçabilité et souhaitent
peut-être connaître la traçabilité de Monsieur Dupont
à Monsieur Durand.
M. Laurent Spanghero
- Dans des situations de psychose comme c'est le
cas aujourd'hui, la traçabilité de Dupont à Durand
fonctionne. C'est pour cette raison que certains bouchers n'enregistrent que 5
à 15 % de baisse d'activité par rapport à la chute
des ventes de 30 à 40 % que l'on enregistre dans les grandes
surfaces.
La graduation des pertes de chiffre d'affaires suivant les lieux de vente est
la suivante. La restauration hors foyer enregistre une baisse de 60 %. En
hypermarchés, ce chiffre est de 45 à 50 %. En
supermarché, la baisse est de l'ordre de 40 %. Dans les
supérettes, les pertes sont de 30 %. Quant aux artisans bouchers,
leurs pertes sont de l'ordre de 10 à 15 %. Paradoxalement, la
restauration commerciale n'a enregistré qu'une baisse de l'ordre de 15
à 20 %. Un restaurant spécialisé comme Hippopotamus
n'a perdu que 20 % de son chiffre d'affaires. Pourtant il ne vend que de
la viande. C'est parce que les consommateurs font confiance à ce
restaurant et à son mode d'approvisionnement. Autrement dit, il s'agit
uniquement d'un problème de confiance et de suspicion.
M. le Président
- Je vous remercie. Certes, les chiffres que vous
nous avez fournis nous affolent tous et nous comprenons à quel point la
profession ainsi que toute la chaîne agroalimentaire est touchée.
C'est le cas en particulier de la profession que vous représentez. Je
vous remercie de nous avoir consacré une partie de votre temps. Sachez
que nous ferons le maximum pour vous apporter, à notre niveau, le plus
de possibilités possibles.
M. Laurent Spanghero
- M. le Président, j'ajouterai que je
souhaiterais que vous preniez en compte notre demande dans la mesure où
nous nous trouvons réellement en difficulté. Je ne souhaite pas
que l'on raye de la carte des pans entiers de notre économie qui sont
également des éléments de l'aménagement du
territoire.
M. le Président
- Nous sommes tous des élus de terrain.
Par conséquent, nous avons tous un exemple de ce type dans notre
département.