Audition de M. Jérôme BÉDIER, Président de la
Fédération des entreprises du commerce et de la distribution
(FCD), accompagné de Mme Géraldine
POIVERT
(28 février 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Monsieur Bedier, je vous
rappelle que vous êtes auditionné dans le cadre de la commission
d'enquête du Sénat sur le problème des farines animales,
élargi à la propagation de l'ESB sur les bovins, et que je dois
à ce titre vous faire prêter serment après vous avoir
rappelé les dispositions permettant le fonctionnement de cette
commission d'enquête.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Bédier et à Mme Poivert.
M. le Président -
Dans un premier temps, je vais vous laisser la
parole pour que vous nous disiez, vu de votre côté, ce que vous
savez et les conséquences que ce problème a pu entraîner,
après quoi nos collègues vous poseront les questions qu'ils
souhaitent pour éclaircir leur jugement.
M. Jérôme Bédier -
Merci, monsieur le
Président. Nous avons, comme beaucoup d'acteurs économiques,
découvert l'ampleur du problème de l'ESB au moment de la
première crise de 1996. C'est à ce moment-là que nous nous
sommes retrouvés affectés directement dans notre activité
et que nous avons entrepris, tout d'abord, de nous documenter sur la situation
scientifique et les informations qui étaient disponibles.
Nous avons créé, en avril 1997, un service d'information
alimentaire assorti d'un comité scientifique qui nous a permis d'exercer
une sorte de veille pendant l'ensemble de cette crise et nous avons
été amenés, à cette occasion, à nous
exprimer de temps en temps sur la situation de la viande bovine et sur les
mesures qui y étaient liées.
Nous l'avons fait d'ailleurs en faisant appel, le cas échéant,
à des personnalités extérieures. C'est ainsi que Mme
Brugère-Picoux est venue à plusieurs reprises devant nos
spécialistes et notre comité scientifique pour nous faire part de
ses observations et de ses connaissances.
Au plan interne de notre Fédération, c'est notre comité
"qualité" qui a suivi la crise bovine. Il s'agit d'un comité
composé de tous les responsables qualité, qui sont souvent des
vétérinaires, des gens qui suivent l'ensemble des questions de
qualité à l'intérieur des enseignes, avec l'appui de notre
comité "viande", qui suit plus particulièrement les questions
liées au marché de la viande bovine.
Voilà, en gros, l'architecture des organes amenés à
travailler sur cette question.
Qu'avons-nous fait ou entrepris à ce sujet ? Notre position est de
dire que nous avons besoin d'un maximum d'informations sur la crise pour
prendre, dans nos entreprises, les mesures les plus adaptées mais que,
bien sûr, nous ne pouvons pas avoir de pensée scientifique
autonome par rapport à ce que disent les pouvoirs publics,
c'est-à-dire que nous nous calons de manière précise sur
ce que les pouvoirs publics disent et dictent et que notre priorité est
évidemment de faire en sorte que ce que disent les pouvoirs publics, en
particulier ce qu'ils demandent aux commerçants, qui sont à
l'aval de la filière, soit véritablement mis en oeuvre dans les
magasins.
C'est ainsi que nous avons été amenés à travailler
sur cette question dans le cadre des cahiers des charges qui sont mis en place
entre les enseignes, certains producteurs et certains transformateurs et
à faire en sorte que ces cahiers des charges soient le plus possible
actualisés en fonction des informations qui existaient.
S'agissant des farines animales, nous avons été finalement
amenés à intervenir sur ce sujet, en particulier sur un aspect
latéral mais important : le problème du financement. En
effet, nous avons enregistré les décisions qui ont
été prises. La première l'a été en 1990,
avant même la sensibilité qui existe maintenant sur ce sujet, et
la suivante a été prise en 1996 pour le retrait des
matériaux à risques spécifiés. C'est finalement par
le biais financier et budgétaire que nous nous sommes trouvés
mêlés assez directement à l'opération, puisque c'est
à ce moment-là que le gouvernement de l'époque a
décidé de mettre en place une taxe d'équarrissage qui nous
paraissait présenter beaucoup de problèmes, parce que nous
considérions --et nous considérons d'ailleurs encore--, d'une
part, que cette taxe d'équarrissage avait tendance à
déresponsabiliser l'amont en faisant payer par l'aval,
c'est-à-dire, en définitive, le consommateur, l'essentiel des
charges liées à l'élimination des carcasses et au
problème du processus des farines et, d'autre part, que nous ne
bénéficiions pas, dans ce domaine, d'une suffisante
visibilité sur la façon dont fonctionnait le service public de
l'équarrissage qui a été institué à
l'époque.
Nous avons d'ailleurs milité pour dire qu'il fallait un système
plus ouvert qui ne bénéficie pas de manière directe d'une
fiscalité propre. Cela s'est traduit par l'article 3 de la loi
instituant le service public de l'équarrissage, article dans lequel on
dit qu'il faut un rapport tous les ans pour donner toutes les informations sur
la mise en oeuvre de ce service public. Ce rapport, à ma connaissance,
est sorti une année, début 1999 sur l'exercice 1998 et, depuis,
nous avons eu assez peu d'informations. Nous avons donc dit que cette
façon de calculer une fiscalité pour l'équarrissage nous
paraissait problématique et dangereuse.
C'était le premier épisode : celui de 1996.
En ce qui concerne la crise de l'année dernière, nous avons
été parmi les derniers à prendre position, en tant que
profession, sur l'élimination des farines animales de l'alimentation.
Nous avons en effet considéré longtemps que les mesures
édictées par le gouvernement, c'est-à-dire les mesures de
précaution pour le traitement des farines, d'une part, et l'interdiction
absolue d'utiliser les farines dans l'alimentation des herbivores, d'autre
part, suffisait à garantir à nos consommateurs une
sécurité alimentaire nécessaire.
Nous avons été obligés de constater qu'il y avait un tel
doute sur l'application réelle de la mesure édictée en
1990 qu'il fallait que nous changions un peu de position. Les premiers qui
l'ont fait, d'ailleurs --cela nous avait un peu surpris à
l'époque--, sont les industriels et l'ANIA, c'est-à-dire
l'industrie agroalimentaire, qui ont dit en juin 2000 : " il faut
interdire les farines animales dans tous les types d'alimentation des animaux".
Nous avons dit qu'il était dangereux de le dire parce que cela
signifiait que nous n'étions pas sûrs que les contrôles sont
véritablement appliqués. Si c'est un problème de
contrôles inappliqués, il vaut mieux faire les contrôles et
appliquer la réglementation, dès lors que l'on
considérerait que des farines traitées pourraient continuer
à servir à l'alimentation d'autres animaux que les herbivores.
Finalement, nous avons eu l'addition des cas de vache folle naïfs avec,
à chaque fois, un communiqué ou des commentaires tendant à
indiquer que c'était sans doute la contamination croisée qui
expliquait les cas. Tout cela a abouti à une crise de confiance,
à notre avis assez compréhensible, de l'opinion. C'est pourquoi
on a fini par se dire qu'il valait mieux prendre une mesure drastique et
éliminer les farines animales avec le risque que cela comportait, dans
la mesure où on émettait un doute sur l'application des mesures
qui avaient été prises dans le passé.
C'est ainsi qu'après que l'ANIA eût rappelé (tout cela
s'est passé au CIAL, comme vous le savez), le lundi, qu'elle souhaitait
l'interdiction des farines, que l'une de nos grandes enseignes, Carrefour,
eût dit le mardi qu'elle souhaitait que les farines animales n'entrent
pas dans l'alimentation et que le président de la République
eût dit le mercredi qu'il fallait prendre cette mesure, nous avons en
quelque sorte confirmé cette position dans une interview aux Echos qui
est intervenue peu de temps après.
Voilà la position que nous avons prise. Nous avons eu le sentiment que
l'absence de garanties suffisantes sur les contrôles, cette remarque
valant aussi pour la non utilisation ou l'élimination des
matériaux à risques spécifiés, nous obligeait
à prendre une mesure qui avait un impact lourd et qui, en outre, avait
l'inconvénient de donner l'impression aux Français que les
mesures de sécurité alimentaire n'avaient pas été
véritablement respectées dans le passé.
La question qui est posée aujourd'hui est de savoir comment les choses
peuvent se passer. La seule remarque que je ferai, parce que l'interdiction est
provisoire --elle doit durer six mois mais elle durera vraisemblablement plus
longtemps--, c'est qu'il faudrait éviter, après avoir banni les
farines animales de l'alimentation, d'avoir des circuits de farines
insuffisamment contrôlés. Il faut que l'on puisse, d'une part,
continuer à traiter les farines pour que des éléments
contaminants ne puissent pas continuer à se promener d'une
manière ou d'une autre dans la nature et, d'autre part, avoir une
traçabilité complète des farines, quelle que soit
l'utilisation finale, même si on en revient, un jour, à les
utiliser dans un processus alimentaire dès lors qu'il y aurait un
consensus des scientifiques pour le faire.
Voilà la position que nous avons prise.
Nous avons également été amenés à intervenir
à nouveau sur la taxe d'équarrissage. Pour être francs,
nous avons été franchement déçus par la
décision prise à cet égard et le Sénat
connaît bien le débat puisqu'il a voté à deux
reprises contre l'augmentation de la taxe d'équarrissage dans sa
nouvelle forme. En effet, il nous est apparu totalement inadéquat de
multiplier par plus de trois le produit de la taxe d'équarrissage
à un moment où il fallait recréer la confiance des
Français à l'égard de la viande. Ce n'est pas en
créant un impôt de 4 % sur la viande, à comparer avec
une TVA de 5,5 %, que l'on allait contribuer à recréer la
confiance chez les Français, d'autant plus qu'il s'agissait à
notre sens d'une question de santé publique qui devait être
financée par le budget général du pays.
Par ailleurs, on ne dispose aujourd'hui d'aucune visibilité sur le
circuit des farines, la rentabilité et la façon dont on peut
recréer un processus industriel de valorisation ou d'utilisation des
farines. On voit des articles sur ce point dans les journaux. Certains disent
que l'on peut les brûler et que cela a un pouvoir calorifique
considérable ; d'autres disent que cela coûte 2 milliards...
En tout cas, nous, opérateurs économiques qui nous nous
retrouvons mêlés à l'impôt qui est
prélevé, n'avons aucune visibilité sur le coût
réel de ce processus et de son optimisation. En effet, nous sentons bien
que si on crée une fiscalité pérenne, cela ne pousse pas
à une forme d'optimisation, y compris si on veut avoir un usage
énergétique des farines animales.
Nous avons donc dit de manière très claire qu'il nous paraissait
extrêmement contre-productif, dans la période transitoire que nous
traversons, de créer une fiscalité définitive. C'est
malheureusement ce qui a été fait, avec le paradoxe que la taxe
est finalement reversée au budget général. En effet, si
elle avait été reversée, comme c'était le cas dans
le passé, au CNASEA, pour financer les farines animales, elle aurait
été manifestement anticommunautaire. On a donc créé
une taxe de 4 % sur les produits de viande pour alimenter le budget
général. Je pense que l'on aurait pu essayer de trouver une autre
solution pour essayer de conforter la filière bovine.
Nous ne contestons pas qu'il puisse y avoir des coûts, car il faut
absolument que ce problème des farines animales soit
réglé, mais si on doit financer certains coûts, il faut le
faire, premièrement, sur la base de données scientifiques et
techniques précises permettant d'ajuster véritablement les
coûts, deuxièmement, sur le fondement d'un contrôle
extrêmement précis de ce que serait un service public de
l'équarrissage ou de l'élimination des farines et,
troisièmement, sous la forme d'une fiscalité qui devrait, comme
il s'agit d'un problème de santé, dépendre du budget
général et non pas d'une fiscalité propre sur le produit.
Voilà, monsieur le Président, ce que je voulais dire pour
commencer. Je m'en tiendrai là pour respecter le délai avant de
répondre à vos questions.
M. le Président -
Merci. Le problème de la crise de l'ESB
a eu forcément un impact considérable sur l'activité de
l'ensemble des commerces. Quel impact réel sur les chiffres d'affaires a
eu cette crise de la fin de l'année dernière ?
M. Jérôme Bédier -
Nous avons perdu, en chiffre
d'affaires, 50 %, en gros, entre octobre et début
décembre ; nous sommes remontés début
décembre, nous sommes redescendus en janvier et nous sommes actuellement
à environ - 25 % pour la viande bovine. Cela dit, il y a des effets
de report sur d'autres productions. En gros, nous chiffrons la perte de nos
enseignes, globalement, pour l'année 2000, à plusieurs centaines
de millions de francs, entre 500 et 800 millions de francs. Une seule enseigne
a perdu 80 millions de francs, en affectant les frais fixes que nous sommes
tenus d'affecter. Ce sont des montants considérables.
Aujourd'hui, nous sommes inquiets sur l'évolution de la consommation,
comme nous l'avons dit à plusieurs reprises au ministre de
l'agriculture. En effet, la meilleure manière de financer cette crise
est de recréer de la consommation, c'est-à-dire de recréer
de la confiance. Or nous avons le sentiment que les conditions ne sont pas
encore réunies pour que la confiance soit au rendez-vous, et ce pour une
raison essentielle : la difficulté que nous avons, dans cette
crise, à réunir tous les partenaires autour de la table et
à les faire parler d'une même voix, avec un même objectif et
sur un même sujet : le produit.
Les Français n'attendent pas qu'on leur parle du financement des
agriculteurs ou des dernières hypothèses de tel ou tel chercheur
anglais ou américain ; ils attendent qu'on leur dise :
"voilà le produit qu'on vous présente et voilà ce qu'on a
fait pour répondre aux questions qui ont été
soulevées au cours des semaines précédentes".
Malheureusement, nous avons un mal fou à y arriver.
Dans l'interview des Echos auquel j'ai fait allusion tout à l'heure,
j'ai dit publiquement que l'interprofession ne fonctionnait pas et c'est le cas
encore aujourd'hui, c'est-à-dire que nous assistons à une
série d'effets d'annonce individuels. On a vu récemment
apparaître des logos dont personne n'avait véritablement
discuté auparavant ; on a vu apparaître, au cours d'un
congrès récent, une charte de l'élevage que l'on
connaît plus ou moins mais qui n'a pas été
véritablement discutée ; on a vu l'initiative de tel ou tel
syndicat pour prendre telle ou telle mesure d'élimination des animaux.
Bref, les Français sentent qu'il y a une assez forte cacophonie de
l'ensemble des acteurs et c'est un point auquel nous sommes
particulièrement sensibles. Tout notre effort serait donc d'arriver
à mettre sur pied, pour que ce soit en application d'ici
l'été, un système très simple mais très
coordonné consistant à dire aux Français : "on s'est
mis d'accord, pour vous garantir, par des voies de contrôle, non
seulement que les réglementations sont appliquées mais que toutes
les bonnes pratiques que nous connaissons sont mises en oeuvre pour l'ensemble
des produits", ce qui suppose de mettre en place un nouveau logo ou cahier des
charges qui serait une sorte de "VBF plus" avec des contrôles de tiers.
Cela suppose aussi que l'on ait une politique claire et explicite sur les prix
de la viande bovine qui, aujourd'hui, son réellement la bouteille
à l'encre. Certains disent qu'il faut absolument ne pas baisser les
prix, sans quoi c'est la catastrophe, et d'autres disent qu'il faut absolument
les baisser, sans quoi le marché ne reprendra pas. Certains disent qu'il
y a trop de marges et d'autres qu'il n'y en a pas assez, etc. Il y a aussi le
problème, assez difficile à résoudre, des valorisations ou
covalorisations de l'animal, qui peut baisser en vif mais dont le rumsteck,
celui du même animal, peut augmenter parce que le reste n'est pas
valorisé.
Bref, il faut arriver à trancher une série de problèmes
sur les prix. Nous l'avons dit à M. Glavany et à M. Patriat
à la table ronde sur les tests d'ESB au mois de janvier et il faut
vraiment une politique claire sur les prix. Soit on fait comme les Anglais qui
ont dit : "on baisse de 20 à 30 %" et on explique cela aux
Français, soit on fait autre chose, mais on le dit.
Certaines de nos enseignes ont essayé de faire des promotions au mois de
décembre et ont vendu de la viande à -- 25 ou - 30 %. Cela
n'a pas marché du tout parce que, lorsque le consommateur, qui n'a pas
été informé de manière collective, voit arriver
dans le magasin une viande à - 25 ou - 30 %, il se demande ce qu'on
est en train de lui vendre et où on est allé chercher le produit
en question. Quand on lui dit : "c'est exactement la viande que vous aviez
deux mois avant, mais comme les prix ont baissé, on vous la vend moins
cher", il n'achète pas. S'il n'y a pas une information collective, c'est
très difficile à gérer.
Voilà où nous en sommes. Les chiffres restent bas et nous sommes
dans une période où nous pensons que, s'il n'y a pas de sursaut,
nous risquons d'avoir des comptes d'exploitation durablement affectés.
M. le Président -
Vous parlez de 800 millions de pertes sur 2000,
mais cela se rapporte à quel chiffre d'affaires total ?
M. Jérôme Bédier -
Nous représentons environ
70 % de la commercialisation de viande.
M. le Président -
Cela ne nous donne pas le chiffre.
M. Jérôme Bédier -
Je ne l'ai pas à l'esprit.
Pour nous, cela représente beaucoup.
M. Paul Blanc
- Combien représente la taxe
d'équarrissage ?
M. Jérôme Bédier -
Elle a un rapport prévu de
3,5 milliards de francs environ. Elle a la caractéristique de porter sur
tous les achats de produits à base de viande. Si vous avez une pizza
dans laquelle il y a 5 % de viande, on paie la taxe d'équarrissage
sur la pizza, donc y compris sur le reste. Cela dit, nous pourrons vous fournir
le chiffre que vous demandez.
M. le Président
- Nous souhaitons l'avoir.
M. Paul Blanc
- Si je vous ai bien compris, aujourd'hui, en ce qui
concerne la viande, la loi du marché ne joue plus.
M. Jérôme Bédier -
La loi du marché joue
d'une certaine façon, dans la mesure où les clients ont
eux-mêmes arbitré, en fonction de l'image qu'ils se font de la
sécurité de tel ou tel produit, pour certains types de
production. Ils ont arbitré pour d'autres viandes que la viande bovine
et, au sein de la viande bovine, ils ont arbitré, pour résumer
les choses, plus vers de l'allaitant et du jeune bovin.
On voit bien que tout ce qui est signe de qualité, filières
tracées, allaitant, etc. a eu des chiffres d'affaires qui ont
plutôt augmenté, avec d'ailleurs une certaine difficulté
à trouver du produit, et qu'en revanche, la vache laitière, qui a
de très bonnes qualités gustatives et qui est l'un des produits
classiques que les Français consomment, a perdu beaucoup de part de
marché.
M. Paul Blanc
- En matière de prix, elle n'a pas baissé.
M. Jérôme Bédier -
Dans les magasins, elle a
légèrement baissé.
M. Paul Blanc
- C'est d'ailleurs ce que vous reprochent les
éleveurs en disant : "nous ne pouvons pas vendre notre production
et, parallèlement, sur l'étal, elle n'a pas baissé d'un
centime".
M. Jérôme Bédier -
Nous disons aux éleveurs
que, d'une part, il ne faut pas comparer directement le prix du vif et le prix
du bifteck, parce que lorsqu'on ne vend plus les avants, que le steak
haché est à moins de 40 %, que l'on ne vend plus les abats
(qui représentaient, pour certains, une valorisation importante) et que
les farines deviennent une source de coûts au lieu d'être une
source de vente, il peut arriver dans certains cas que le prix du vif baisse
alors que le prix "prêt à découper", comme on dit, que l'on
achète pour le vendre dans les magasins, n'a pas véritablement
baissé.
M. Paul Blanc
- C'est très difficile à faire comprendre
aux consommateurs français.
M. Jérôme Bédier -
Oui, mais nous sommes en face de
produits avec des co-valorisations et il faut bien que le consommateur puisse
le comprendre. C'est pourquoi il faut faire de la pédagogie ensemble. Si
on dit aux consommateurs français : "vous allez vous faire arnaquer
si vous allez acheter de la viande parce qu'ils vous ont fait des marges", ce
n'est pas ce qui fera remonter la consommation. On a plutôt
intérêt à nous mettre d'accord --c'est ce que nous disons
aux agriculteurs-- sur un niveau de prix et à en discuter entre nous
plutôt que sur la place publique.
Je pense qu'aujourd'hui, si on décide de le faire, on pourrait baisser
les prix de certaines catégories de bovins, notamment de certaines
vaches laitières, de manière drastique. C'était d'ailleurs
l'une des hypothèses de la discussion qui s'est conclue à Berlin.
La Commission avait dit elle-même qu'on ne pouvait plus continuer, sur la
viande bovine, à avoir un différentiel de prix aussi
élevé par rapport à la viande blanche et donc qu'il
fallait baisser de 20 à 30 % les prix de la viande bovine en
tendance. Une partie des éleveurs français est d'ailleurs assez
favorable à cette évolution. C'est ce qu'ont fait les Anglais.
Le troupeau allaitant y est très opposé. J'ai eu l'occasion d'en
parler avec certains leaders du troupeau allaitant qui ont dit : "si on
fait cela, on aura une grappe de prix de la viande blanche assez basse et une
grappe intermédiaire, et la viande allaitante va devenir une viande de
riches, avec un décalage important de prix visuels. On sera donc
obligé d'aller vers le bas". Ce serait donc compliqué à
gérer pour des troupeaux soumis à des contraintes assez fortes.
Par conséquent, cette décision ne peut être prise que
collectivement. Si nous voulons baisser le prix du bifteck dans les magasins,
nous ne pouvons pas le faire individuellement.
Si nous le baissions trop, les agriculteurs nous le reprocheraient. Si nous
faisions des promotions trop fortes sur la viande, les agriculteurs
protesteraient en disant : "vous allez casser l'éventuelle
remontée des cours".
C'est d'ailleurs ce qu'ils ont fait. Quand la viande a été vendue
trop peu cher dans certains cas, le sentiment des agriculteurs a
été que, par rapport aux interventions des pouvoirs publics qui
étaient faites à certains niveaux, on courait le risque de faire
migrer les prix vers le bas. C'est une problématique que l'on
connaît bien et nous avons eu souvent l'occasion d'en parler avec les
producteurs de porcs, qui ont des cours très erratiques et qui sont
souvent venus nous dire : "ne faites pas trop de promotions et ne vendez
pas trop bas parce que, si on veut baisser les prix, il faut que nous le
fassions par promotions".
Nous pensons qu'on ne peut pas baisser les prix du fond de rayon sans courir un
risque. Si on fait passer aux Français l'idée que le prix du fond
de rayon de la viande est durablement peu élevé, on va freiner la
remontée des cours si elle intervient un jour. Donc si nous voulons
vendre moins cher, il faut le faire par promotions et, dans ce cas, on le fait
dans un contexte qui ne contribue pas à tirer le marché vers le
bas.
Tout cela est assez compliqué. Comme c'est une audition publique, je
sais que les autorités chargées de la concurrence m'entendent,
mais, sur des sujets comme celui-là, il faut, d'une manière ou
d'une autre, que les acteurs économiques se mettent d'accord sur une
évolution. Nous sommes prêts à le faire. Nous sommes tout
à fait prêts à envisager, avec nos partenaires de la
filière, que, sur certaines catégories de produits, on se mette
d'accord pour dire qu'il y a une baisse durable.
Par exemple, on doit avoir un débat sur certaines catégories de
vaches, sur le steak haché (là aussi, les positions sont
contrastées : certains industriels souhaiteraient que l'on baisse
le prix du steak haché de manière assez forte, mais il faut
mesurer les conséquences que cela peut avoir) et sur les abats. Je
considère aujourd'hui que certains abats sont vendus trop chers par
rapport au prix du marché et qu'on ne peut pas espérer que leurs
prix remontent. Dans ces conditions, on a intérêt, en tendance,
à plutôt les baisser.
En tout cas, c'est une stratégie que nous devons arrêter tous
ensemble, avec les partenaires de la filière.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Monsieur le Président, dans cet
effort de pédagogie collective auquel vous aspirez et sur lequel nous ne
pouvons être que sensibles, je pense que cela doit passer
également par une transparence en ce qui concerne l'élaboration,
tout au long de la chaîne, du prix final de la viande. Or cela a toujours
été, pour l'ensemble de la filière, quelque chose d'assez
nébuleux. Ne serait-il pas l'occasion de clarifier les choses sur ce
point précis ?
Nous sommes tout à fait d'accord avec vous sur le fait que le
cinquième quartier n'a plus la valeur d'autrefois et que les quartiers
avants, puisqu'il n'y a plus d'écoulement sur le steak haché, ont
perdu beaucoup de leur valeur. Ne serait-ce pas l'occasion de clarifier
très nettement les choses ? Je crains qu'en effet, certes à
la marge, se développent malgré tout, sur l'ensemble du
territoire national, une filière et des circuits un peu plus courts. Je
pense que nous aurions tous intérêt à jouer la
transparence. Ce serait l'occasion de jouer sur l'élaboration de la
grille et, par conséquent, de la fixation finale du prix de la viande.
M. Jérôme Bédier -
Nous y sommes favorables,
monsieur le Rapporteur. Nous avons d'ailleurs fait une conférence de
presse le 14 décembre dernier --nous pourrons vous laisser le document--
au cours de laquelle nous avons réclamé une sorte d'observatoire
des prix de la viande. Nous avons souhaité qu'il puisse y avoir, de
façon régulière, à partir des chiffres qui existent
et que l'on connaît (il y a les cotations, les chiffres de l'OFIVAL,
etc.), une analyse de l'évolution du marché aux différents
stades. En effet, nous avons toujours constaté dans le passé que,
lorsqu'il y avait des débats ou des conflits sur ces sujets de prix, une
bonne analyse factuelle et chiffrée réglait beaucoup de
problèmes.
Je me souviens des crises que nous avons eues sur la tomate et le choux-fleur.
Des analyses ont été faites et, depuis, chacun a pu
considérer la réalité des compositions de coûts et a
pu voir que, par exemple, entre un prix de vente dans l'exploitation et un prix
de vente dans le magasin, il y avait une série d'étapes avec des
coûts. Bref, les études faites par des experts extérieurs
ont contribué à éclaircir les esprits et à
circonscrire les éventuels problèmes que nous pouvions avoir.
Nous y sommes favorables. Nous avons été à deux doigts de
le faire tout seuls et de dire que nous allions financer nous-mêmes des
études sur la décomposition des prix, mais il nous est apparu
qu'il était préférable que cela puisse être fait par
des experts totalement indépendants qui ne puissent pas être mis
en cause.
Il nous paraîtrait donc utile qu'à partir des chiffres qui
existent, on puisse avoir régulièrement ces analyses, qu'elles
soient diffusées à tous les acteurs et que, lorsqu'elles sont
produites, les acteurs en parlent entre eux pour considérer tel
problème ou telle question stratégique à régler
ensemble.
M. Paul Blanc
- Vous m'excuserez, mais, sur la tomate, étant du
département des Pyrénées-Orientales, j'aurais beaucoup
à dire sur le prix de production chez nous et sur le prix de revient de
la tomate marocaine ou espagnole. Il y a de gros problèmes.
M. Jérôme Bédier -
Vous avez tout à fait
raison, mais il ne faut pas nous en rendre responsables, monsieur le
Sénateur. Ce n'est pas nous qui signons les accords avec le Maroc et ce
n'est pas nous non plus qui allons opérer au Maroc... (Rires.)
M. Paul Blanc
- Je sais bien que des agriculteurs catalans sont
allés investir au Maroc.
Je ne veux pas vous rendre responsable de tout, mais il y a quand même
une chose qui m'embête un peu. En définitive, vous avez toujours
essayé de tirer les prix vers le bas. Cela a été votre
leitmotiv, en particulier pour la viande. Par là même, vous avez
incité les agriculteurs et les éleveurs à produire les
produits les moins chers possible. Maintenant, ne pensez-vous pas que vous avez
une part de responsabilité, dans la mesure où vous leur dites
maintenant : "il faut en discuter" ?
Vous dites qu'il faut organiser la filière et se mettre d'accord autour
d'une table, mais ils sont réticents sur ce point aujourd'hui car vous
n'avez pas toujours tenu ce langage. Ne pensez-vous pas qu'une part de
responsabilité vous incombe, dans la mesure où, maintenant, les
mêmes sont assez frileux ?
M. Jérôme Bédier -
Nous n'essayons pas de tirer les
prix vers le bas en tant que tels. Nous essayons simplement, évidemment,
de négocier des prix compétitifs par rapport au marché. On
nous prêterait beaucoup de talent en prétendant que nous avons
fait évoluer l'agriculture et provoqué le productivisme en
agriculture avant même que nous existions.
La révolution agricole a commencé au XVIIIe siècle et la
politique de production de masse de l'agriculture, qui a été
confirmée par la PAC des années 60, date des années 50,
avant même que nos formes de commerce ne se soient véritablement
créées. Il ne faut donc pas nous rendre responsables, nous, du
productivisme agricole. Le productivisme agricole est une chose qui
correspondait parfaitement, à mon avis, à des priorités
qui étaient celles des années 50 et 60, au moment où on a
créé notamment la Politique agricole commune.
M. Paul Blanc
- Nous en sommes tous responsables, parce que tout le
monde a dit : "il faut manger du poulet, du saumon, etc."
M. Jérôme Bédier -
Tout à fait, et on ne peut
pas contester le choix de nos parents qui l'ont fait à l'époque.
Ce choix du productivisme agricole a été fait à une
époque et je pense que c'est maintenant terminé.
D'ailleurs, dans nos magasins, nous ne vendons pas que du premier prix. Nous
avons, certes, des premiers prix, mais si vous allez dans nos magasins, quelle
que soit leur taille, vous verrez que tout le travail que nous faisons depuis
quinze ans consiste justement à sortir d'une logique dans laquelle nous
étions, en vendant uniquement des produits de masse à des prix
indifférenciés. Nous avons au contraire cherché à
arbitrer des marchés pour créer des filières, des
segmentations et des produits à valeur ajoutée, sachant que, dans
beaucoup de filières, cela a produit beaucoup d'effets.
Je vais vous faire une confidence : nous, commerçants, nous aimons
beaucoup vendre des produits chers si les clients les achètent. Quand
nous vendons du vin à 1 000 F la bouteille, nous sommes ravis
si un client nous l'achète. C'est la même chose pour la
viande : quand nous vendons une viande à 100 F le kilo, comme cela
nous arrive parfois, parce qu'elle est tracée, nous sommes ravis.
La réalité, aujourd'hui, et l'avenir de l'agriculture, c'est la
création de la valeur ajoutée sur les produits et c'est
là, d'ailleurs, que beaucoup de richesse va être
créée. Il y aura peut-être moins d'agriculteurs mais
beaucoup plus de richesse. On le voit bien dans les filières qui ont
fait le travail : la filière viti-vinicole qui, depuis quinze ans,
a su créer de la valeur ajoutée, fonctionne bien. Elle a d'autres
défis pour demain qui sont la marque, le cépage et le commerce
international, mais elle a très bien fonctionné durant les quinze
dernières années.
Il en est de même pour la filière de la pomme de terre, que vous
connaissez bien. La pomme de terre a augmenté sa valeur ajoutée
de 2,5 % en quinze ans avec le même tonnage. Dans les magasins, vous
avez dix sortes de pommes de terre : on vend de la rate à 30 F le
kilo dans les magasins, ce qui était impensable il y a quinze ans.
Par conséquent, tout un travail est en train de se faire. Ce travail est
justement lié à l'abandon du concept de l'agriculture de masse et
nous nous sentons les acteurs de cette évolution.
Ceux qui, au contraire, sont pour le prix minimum (je l'ai souvent dit à
nos amis syndicalistes agricoles), ont encore dans le cortex le réflexe
de l'agriculture de masse. On fait des produits indifférenciés,
le bon agriculteur est celui qui fait le plus de quantité possible et
comme il y a le prix minimum, il a un revenu minimum.
L'agriculture de demain, ce n'est pas cela du tout. Elle consiste à
faire de la valeur ajoutée et à avoir des produits que l'on
place, ce qui est une autre logique qui fait que l'on n'a plus besoin de prix
minimum. A quoi servent les prix minimum si on vend huit sortes de pommes de
terre ? On ne va pas faire un prix minimum sur la roseval, sur la rate,
sur la bintje, etc. Donc on sort de cette logique.
Malheureusement, à mon avis, le monde agricole y est, d'une certaine
façon, moins prêt que nous.
M. le Rapporteur
- Je pense que cela évolue, quand même. Ce
que vous venez de décrire est tout à fait vrai. C'était la
théorie de M. Gourvenec, mais je pense quand même que, même
chez les Bretons --et je ne suis pas breton--, c'est un point de vue qui
évolue.
Cependant, quand vous parlez de valeur ajoutée, je me permets
d'insister, avec tout le respect que je dois à la fonction que vous
représentez, car je pense qu'il est essentiel que la captation de la
valeur ajoutée ne soit pas le fait de la seule grande distribution. Il
faut être, à cet égard, assez objectif et il va falloir
plus équitablement partager cette notion de valeur ajoutée. Je
pense que l'on est à l'aube d'un nouveau partage en la matière,
et Dieu sait si vous connaissez ma sensibilité politique.
M. Jérôme Bédier
- Je pense que ce partage
dépend, en définitive, de l'équilibre des marchés.
Dans certains domaines, pour des produits très particuliers, on peut se
mettre d'accord entre acteurs avec des cahiers des charges et des
rémunérations pour les uns et pour les autres. Cela existe pour
certaines filières. Dans ce cas, on passe un contrat individuel entre
acteurs économiques et il y a ce que l'on peut appeler une forme de
partage de la valeur ajoutée. Certains contrats sont passés de
cette façon et, en général, ils ne fonctionnent pas mal.
Si on est dans un domaine dans lequel il y a des effets de cours, c'est une
toute autre logique, parce qu'on ne partage pas la valeur ajoutée. On a
un système dans lequel les niveaux de cours s'établissent en
fonction de l'équilibre du marché. Si le marché est bas,
valeur ajoutée ou non, la rémunération du producteur est
mauvaise. En revanche, si le marché est élevé, la
rémunération est bonne. En général, quand le
marché est bas, on dit que c'est de la faute des distributeurs et
lorsqu'elle est élevée, on dit : "c'est grâce à
notre talent que nous arrivons à vendre nos produits à des prix
élevés".
S'il n'y a pas d'équilibrage des marchés ni ce que j'appellerai
la gestion de la rareté de certains marchés, il ne faut pas
croire qu'il pourra y avoir une bonne rémunération des
producteurs.
La réponse finale à la question que vous avez posée tout
à l'heure sur le revenu des éleveurs est dans les cours de la
viande bovine qui n'ont pas été mauvais depuis 1995 ; il y a
eu une bonne tenue des cours non pas parce que nous ou d'autres avons
été particulièrement vertueux ou parce que nous avons
voulu faire plaisir à tel ou tel éleveur mais, tout simplement,
parce qu'il y a eu un bon équilibre du marché, et il y a eu un
bon équilibre du marché parce qu'il y a eu de bonnes mesures
gouvernementales. Comme le marché a été tenu, les cours
ont été corrects, et comme les cours sont la
rémunération de l'éleveur, il y a eu une
rémunération correcte de l'éleveur.
Il faut pouvoir analyser ces phénomènes de cours. Nous sommes
favorables, évidemment, à des cours stables car il est alors plus
facile de faire notre métier. Quand on a des cours stables, on peut
prévoir les choses et les organiser, et il y a ce qu'on appelle une
image "produit" chez le consommateur qui est cohérente. Quand vous avez
des cours en yoyo, vous avez beaucoup plus de mal à expliquer au
consommateur à quel prix il faut acheter et pourquoi tel produit est
différent d'un autre.
Nous sommes d'accord avec l'idée de dire que, pour des filières
particulières, il faut se mettre d'accord entre opérateurs
économiques sur des contrats, sachant que, dans ces contrats, il y a une
forme de partage de la valeur ajoutée avec éventuellement des
surplus ou des surrémunérations dues à telle ou telle
opération ou telle ou telle contrainte de cahier des charges. En
revanche, quand on est dans une économie collective, ce sont purement
les effets de cours qui jouent. Il ne faut pas nous demander à nous,
distributeurs, de compenser des effets de cours qui n'auraient pas
été bien gérés ou réglés par ailleurs.
On peut donner un coup de main à un moment donné, comme on le
fait de temps en temps sur les fruits et légumes pour dégager le
marché (on essaie de faire des actions ponctuelles de cette sorte dans
le cadre des filières), mais s'il y a un déséquilibre
structurel sur un marché, ce n'est pas en parlant de valeur
ajoutée et par des actions que chacun voudra mener de son
côté que l'on pourra le régler.
M. Jean-Paul Emorine
- Vous avez évoqué l'agriculture
productiviste depuis les années 50. La difficulté à
laquelle l'agriculture est confrontée aujourd'hui, c'est que, même
en voulant avoir des produits de qualité, le prix du produit est
toujours basé sur les périodes où il y avait des
surproductions.
Vous avez dit tout à l'heure qu'il fallait que le prix de la viande
rouge se rapproche de celui des viandes blanches. Or vous êtes assez
averti pour savoir que c'est une chose très difficile. En effet, une
viande rouge a un minimum de deux ans au moment où elle est abattue
alors que les viandes blanches (on ne va pas en faire la critique ici) ont
souvent 42 à 50 jours. L'immobilisation dans les entreprises n'est pas
la même et si vous voulez laisser croire au consommateur que cette viande
devrait avoir le même prix dans l'avenir, ce serait le tromper.
Vous avez évoqué par ailleurs la baisse des prix, dont vous
n'êtes pas forcément responsable. Aujourd'hui, il y a deux
options. Soit on pense que l'agriculture et l'élevage vont s'en sortir
avec la baisse des prix, soit on pense que l'agriculture doit faire partie de
l'économie dans laquelle l'agriculteur vit de son produit. Si on veut
qu'il vive de son produit, il faut bien qu'il tire son revenu le plus possible
de son produit.
Vous évoquiez à l'instant même le revenu des
éleveurs. Je suis désolé, mais si on n'avait pas les
primes européennes, aucun compte d'exploitation ne serait bouclé,
aujourd'hui, en matière d'élevage.
Je pense que nous sommes à un moment charnière auquel vous pouvez
participer --je vous ai bien entendu sur ce point-, sachant que vous
préférez travailler sur un produit qui a une valeur assez
élevée au départ pour pouvoir dégager des marges.
Ce que je crains --et je vous le dis pour que vous le sachiez--, c'est que,
plus vous irez vers un produit bas au départ, moins cela laissera de
marge pour tout le monde par la suite. On ne peut pas baser un élevage
ni une agriculture sur des prix bas systématiques parce qu'on est en
train de confondre le prix de revient d'une viande rouge avec celui d'une
viande blanche alors que ce n'est pas comparable.
Je suis d'accord avec vous sur le fait que les éleveurs doivent aller
vers des politiques de qualité, mais il faut qu'ils puissent en tirer
des profits. Je suis éleveur de charolais et je sais de quoi je parle
aujourd'hui. Nous avons beau développer des politiques de qualité
(je me suis inscrit dans le charolais de Bourgogne). On voit bien que nous ne
valorisons pas notre produit dans une période de crise.
Je pense que nous en sommes à un moment charnière. En ce qui
concerne la PAC, en 2000, deux politiques pouvaient se dessiner. Je me souviens
que j'ai été rapporteur d'un projet de loi, avec mon
collègue Deneux, qui prenait en compte la politique consistant à
aller vers la baisse des prix, et c'est ce qui a été retenu dans
la PAC 2000, mais quand on évoque des baisses de prix de 20 à
30 %, on ne voit pas comment on va pérenniser l'agriculture parce
qu'on va vers un produit intérieur brut qui va représenter un
jour (je parle de l'agriculture et non pas de l'industrie agroalimentaire)
1 % du produit intérieur brut national, si bien que tout le monde
peut remettre en cause l'avenir de l'agriculture.
Je souhaite donc qu'à travers vos responsabilités, vous ayez
à prendre en compte des produits de qualité plutôt que
d'aller vers la baisse des prix, sans quoi nous ne pourrons pas avoir une
agriculture pérennisée.
En tout cas, il ne faut surtout pas confondre la viande rouge et la viande
blanche. J'ai des voisins qui ont des poulaillers et qui, sur une exploitation
d'élevage bien plus importante, sortent chaque mois quatre fois le
tonnage d'une exploitation d'élevage. Si on veut aller vers des produits
de qualité, il faut prendre en compte le fait que la viande rouge a un
prix de revient. Cela dit, comme vous l'évoquiez sur l'élevage
laitier, il faut peut-être avoir une réflexion au niveau des
professionnels.
Je ne vous pose pas de question parce que vous y avez déjà
répondu en partie, mais je voulais avoir votre sentiment, malgré
tout, sur le fait de pouvoir défendre le prix de la viande rouge par
rapport à celui de la viande blanche en expliquant bien aux
consommateurs que ce n'est pas la même chose, ainsi que sur une
agriculture qui, comme c'est malheureusement le cas à l'heure actuelle,
perçoit des primes par rapport à une agriculture qui pourrait
vivre de son produit.
M. Jérôme Bédier -
Nous sommes plutôt
favorables, mais nous ne voulons pas préjuger d'une décision
prise par l'ensemble de l'interprofession, à "sortir de la crise par le
haut", comme nous le disons. Ce sont les termes que nous avions utilisés
en décembre. Nous ne croyons pas, en ce qui nous concerne, à une
baisse des prix de la viande bovine et à son intérêt.
Cependant, il ne faut pas nous dire en même temps qu'il faut baisser les
prix dans le magasin.
On nous dit en même temps qu'il ne faut pas baisser les prix des
producteurs et qu'il faut baisser les prix dans les magasins. Il faut savoir.
Si la collectivité veut que l'on baisse les prix dans les magasins, on
peut le faire, mais notre expérience, c'est que l'on est toujours sorti
des crises alimentaires par le haut. Au moment du problème des hormones
avec la volaille, le veau, etc., c'est toujours en refaisant des
filières par le haut et en offrant des garanties, des qualités,
etc. que l'on a pu s'en sortir. Je ne pense donc pas que c'est en baissant les
prix que l'on s'en sortira. Je suis tout à fait d'accord avec vous sur
ce point, et il est vrai que les deux produits que sont la viande blanche et la
viande rouge sont très différents. Il faut simplement arriver
à vendre les particularités de l'un et de l'autre à un
consommateur.
Quand on voit les courbes de la viande blanche et de la viande rouge, on voit
bien la substitution assez forte qui est intervenue, d'où
l'intérêt de cette réflexion.
Encore une fois, nous sommes plutôt favorables à sortir par le
haut, à condition que tout le monde soit d'accord pour le dire et le
faire.
En ce qui concerne la rémunération des producteurs sur les
contraintes nouvelles et particulières qui sont liées à la
réglementation ou au cahier des charges, finalement, différents
types de contraintes peuvent être édictés.
Un premier type de contraintes apparaît comme étant un minimum
exigible dans l'avenir. On voit que, par exemple, en ce qui concerne les
antibiotiques à des fins autres que thérapeutiques (pour
l'instant, c'est dans les cahiers des charges), les Suédois ont
déjà décidé une interdiction parce qu'il y a un
risque de santé avéré énorme, même s'il n'est
pas dû qu'à la viande bovine. Dans quinze ans (nous avons
d'ailleurs fait un dossier scientifique dans le cadre de notre comité
qui est intéressant ; il est fait par les professeurs Lagrange et
Carlier), les antibiorésistances auront tellement augmenté qu'il
faudra prendre des mesures.
Il est possible que, si on va dans cette logique, il faudra avoir une
rémunération correspondante dans un premier temps mais
qu'ensuite, cela devienne le lot commun, c'est-à-dire qu'on ne le
valorise pas spécialement.
Il y a une deuxième manière de valoriser les choses. Il s'agit de
dire que nous avons en face de nous une caractéristique objectivement
valorisée pour le consommateur, qui fait la différence entre le
produit précédent et celui qui a une nouvelle
caractéristique, auquel cas il accepte de payer plus. Finalement, c'est
le consommateur qui décide. S'il dit : "vous m'expliquez cela mais,
finalement, j'y ai droit de toute façon ; donc vous n'allez pas
m'expliquer que, comme vous n'avez pas mis de produits que vous ne devez pas
mettre de toute façon, il faut que je vous paie plus". En revanche, s'il
y a une caractéristique propre ou une origine, le consommateur est
prêt à payer plus.
C'est là le travail que nous devons faire ensemble. Ce n'est pas nous,
commerçants, qui allons deviner tout seuls ce que le consommateur est
prêt à payer, pas plus que les éleveurs. C'est ensemble que
l'on va dire : "voilà ce qu'on peut faire et voilà vers quoi
nous pouvons aller". Dans ce cas, on sent qu'une chose va intéresser le
consommateur.
Le troisième élément de rémunération pour
les producteurs, c'est que ceux qui sont dans ces filières
bénéficient d'une sorte de compartimentage de la production et
donc d'une plus grande sécurité en cas de crise. Si je prends
l'exemple des filières de porc gascon, quand on a eu la crise sur le
porc avec des prix du porc extrêmement bas, tout ce qui était
porcs fermiers et porcs labellisés s'en est beaucoup mieux tiré.
Les producteurs avaient, à ce moment-là, une sorte de garantie de
revenus due au fait que leurs produits n'étaient pas affectés
comme les produits tout venant.
C'est aussi une manière d'assurer au producteur une certaine
pérennité de sa rémunération, mais c'est la
contractualisation qui va régler tout cela progressivement.
M. le Président
- Nous passons très vite à la
dernière question, parce que nous avons dépassé le
délai.
M. le Rapporteur
- Monsieur le Président, j'aimerais avoir votre
avis sur les derniers dispositifs définis par l'Union européenne
en matière d'étiquetage et d'identification suite à la
décision de l'Union européenne du 18 juillet 2000. On
connaît la position d'un certain nombre d'associations de consommateurs
qui, pourtant, à travers l'accord interprofessionnel de 1997,
étaient tout à fait en phase avec l'ensemble de la filière.
Quelle est votre position sur ce point et comment pensez-vous vous en
sortir ? Serez-vous ouverts, à terme, à la mise en place,
comme on le lit dans certaines revues spécialisées, de bornes
d'information interactives dans vos magasins déterminant un
étiquetage beaucoup plus informatif ?
M. Jérôme Bédier -
Nous sommes négatifs sur
l'accord qui est intervenu au printemps sur l'étiquetage. Nous
considérons que c'est un mauvais accord et qu'il doit être
renégocié. Nous l'avons redit au ministre.
Il est mauvais parce qu'il a été passé avant la
deuxième crise sur la base d'un compromis avec les Allemands, qui
considéraient eux-mêmes qu'ils n'avaient pas d'ESB chez eux et qui
ont donc dit qu'ils ne voulaient pas entrer là-dedans et qu'il fallait
mettre sur l'étiquette des indications qui n'intéressent pas du
tout le consommateur et qui n'ont aucune contrainte pour la structuration de la
filière : le numéro de l'abattoir et celui de l'atelier de
découpe. Nous l'avons dit à l'époque et nous continuons
à le dire.
Comme il y a eu la crise de l'ESB, nous pensons qu'il faut renégocier
l'accord. Nous voulons continuer à mettre la catégorie et la
race ; nous continuons d'ailleurs à le faire dans beaucoup de
magasins --c'est l'accord que nous avons signé--, sachant que c'est une
vraie information pour le consommateur et un élément très
structurant. En effet, dès que l'on met la catégorie et la race,
on est obligé de faire des choix commerciaux d'un bout à l'autre
de la filière. Cela veut dire qu'un magasin ne peut pas avoir un grand
nombre de catégories ou de races. Il choisit donc de se
spécialiser dans tel ou tel domaine ou de recréer une
filière avec telle ou telle appellation. Cela structure le
marché, cela recrée la concurrence et cela débanalise
complètement le produit. Donc cela a un effet tout à fait positif.
En revanche, nous sommes opposés à mettre la catégorie et
la race, plus l'atelier de découpe et l'abattoir, et ce pour au moins
deux raisons.
La première, c'est que nos étiquettes sont totalement
surchargées. Les consommateurs sont d'ailleurs en train de discuter avec
nous pour savoir comment simplifier les étiquettes parce qu'ils ont du
mal à s'y retrouver avec des étiquettes trop complexes, sachant
que, si on met deux choses qui ne servent à rien, cela a un impact
négatif.
La deuxième raison, c'est que si nous allions dans cette direction
consistant à tout mettre sur l'étiquette, cela coûterait
encore une fois cher au consommateur, en définitive, parce qu'on serait
obligé de reprendre toutes les machines à étiqueter et
à refaire tout un système pour étiqueter l'atelier de
découpe alors que nous avons, pour chacun des produits, un numéro
de lot qui nous permet tout à fait de remonter en amont si nous avons
une crise sanitaire à assumer.
Nous estimons donc que le numéro de lot plus la catégorie et la
race sont ce qu'il faudrait faire. Le problème, aujourd'hui, c'est que
nous sommes verbalisés dans les magasins par la DGCCRF, qui vient nous
reprocher de ne pas appliquer la réglementation européenne. Elle
dit : "vous faites ce que vous voulez, mais il faut que vous mettiez le
numéro de l'atelier de découpe et l'abattoir". Nous avons
même eu un agent zélé qui est venu verbaliser 3 000 F par
barquette dans un supermarché en disant : "il n'y a pas le
numéro de l'atelier de découpe". J'ajoute que lorsque nous en
parlons à la DGCCRF, elle nous dit qu'elle a les agents de Bruxelles sur
le dos.
Nous souhaitons que les pouvoirs publics puissent traiter ce problème
rapidement, c'est-à-dire que nous puissions nous mettre d'accord sur le
fait que, si nous avons le numéro de lot, la traçabilité
est suffisante pour retrouver les origines en cas de crise alimentaire et sur
le fait qu'il suffise de mettre la catégorie et la race sans avoir
à refaire l'ingénierie de l'étiquetage et aboutir à
des étiquettes trop complexes.
Nous sommes favorables au principe de mettre la catégorie et la race,
mais à condition que cela ne s'additionne pas au reste.
M. le Président -
Très bien. C'est parfait. Merci d'avoir
consacré ce temps à notre commission. Vous nous ferez donc passer
les chiffres que nous vous avons demandés.
M. Jérôme Bédier -
On va vous donner ces chiffres et
vous faire passer des communiqués de presse et des déclarations
que nous avons faites ces derniers temps et qui reprennent en partie tout cela.
M. le Président
- Très bien.