Audition de M. Xavier BEULIN, Président de la Fédération
française
des producteurs d'oléagineux et de
protéagineux
(FOP)
(10 janvier 2001)
M.
Gérard Dériot, président
- M. Beulin, vous
êtes le président de la Fédération française
des producteurs d'Oléagineux et de Protéagineux. Nous vous
remercions d'avoir répondu à notre invitation pour
témoigner devant notre commission d'enquête sénatoriale.
Auparavant, Je dois vous lire une note et vous faire prêter serment. Je
demanderai également à votre Directeur de prêter serment au
cas où il devrait intervenir.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Beulin
et Gasquet.
M. le Président
- Dans un premier temps je vous demande de nous
parler de votre organisme et des caractéristiques des oléagineux
et protéagineux que vous représentez pour les producteurs.
M. Xavier Beulin
- Merci. Monsieur le Président, Messieurs les
Sénateurs et Mesdames, je suis agriculteur dans le département du
Loiret et je suis exploitant, avec mon frère, dans une exploitation de
grandes cultures, céréales et oléagineux, que l'on appelle
SCOP, surfaces en céréales et oléoprotéagineux,
dans le jargon communautaire, et également arboricole.
Je préside la Fédération des
oléoprotéagineux ainsi qu'un certain nombre d'organismes de la
filière car elle présente la particularité d'être
très présente, notamment dans les débouchés de nos
protéines et de nos huiles à travers les activités
industrielles.
Je vous remercie de nous auditionner. A première vue, on pourrait penser
que nous sommes hors sujet par rapport à vos propres travaux. Nous
sommes sans doute ici pour vous présenter ce que pourrait être une
alternative à la substitution de ces farines et faire en sorte que nous
puissions vous indiquer quelles sont nos attentes et les potentiels qui
pourraient être mieux exprimés, du moins de manière plus
forte, qu'ils ne le sont aujourd'hui au sein de la France mais également
de l'Union Européenne.
Nous avons toujours eu le souci, dans notre organisation, de ne pas «
mettre d'huile sur le feu », autrement dit, par rapport à ce
difficile problème de l'ESB, des farines animales, de ne pas profiter de
l'occasion et de ne pas jouer les opportunistes pour enfoncer un coin et nous
positionner en seul recours.
Dès 1998/1999, nous avons, à travers nos congrès
nationaux, des communiqués et des rencontres, notamment avec les
Pouvoirs Publics et le ministre lui même, fait un certain nombre de
propositions visant, en réalité, à suggérer une
programmation dans le temps. Il convenait de considérer, à une
échéance de cinq ou dix ans, que les farines animales seraient
complètement éliminées de toute forme d'alimentation
animale et qu'il faudrait, parallèlement, développer un secteur
de protéines végétales communautaires pour remplacer ces
farines dans de bonnes conditions.
Je rappelle qu'à ce jour le déficit en protéines
végétales d'origine communautaire, pour nos propres besoins, est
d'environ 70 %. En y ajoutant l'interdiction de toute incorporation de
farines animales, ce déficit est porté à hauteur de
75 %, voire plus si nous devions interdire les farines d'origine poisson.
Nous sommes donc dans une situation de forte dépendance que nous avons
payée « comptant » dans les années 1972/1973 à
la suite d'un embargo des États-Unis sur le soja.
Dès 1998/1999 nous avons proposé une alternative par les
protéines végétales visant à satisfaire trois
objectifs.
Le premier était de substituer des matériaux à risques
dans l'alimentation animale. Cela faisait clairement référence
à ces problèmes de sécurité alimentaire.
Le second était d'offrir une alternative au tout soja importé. Je
dois vous dire qu'en matière d'importation de soja, nos trois sources
principales sont les États-Unis, le Brésil et l'Argentine. Quand
le soja vient d'Argentine il est 100 % OGM, quand il vient des
États-Unis il est à 50 % OGM et quand il vient du
Brésil, soit un paquebot de soja est sans OGM soit il présente
des traces d'OGM, voire plus. Cela situe la problématique dans laquelle
nous sommes.
Le troisième objectif que nous poursuivions, qui est peut-être en
dehors de vos préoccupations, consistait à répondre
à cette notion de multifonctionnalité que nous souhaitons
notamment bien valoriser à travers les négociations
internationales à l'OMC. A nos yeux, cette multifonctionnalité
passe par une diversité des cultures et notamment des assolements
équilibrés. On n'imagine pas la France couverte par un grand
champ de céréales et ayant perdu, pour des raisons
économiques, la faculté de pouvoir produire des
oléagineux, des protéagineux, du maïs ou d'autres cultures
plus confidentielles qui participent à l'équilibre de ces
productions végétales et, implicitement, à
l'équilibre écologique, environnemental et paysager que nos
concitoyens apprécient de manière certaine.
Nous pensions, peut-être naïvement, qu'à la suite des Accords
de Berlin et d'Agenda 2000, il y avait peut-être là matière
à rebondir sur ces accords. Chacun s'est accordé, en mai 1999,
lors de la signature de ces accords, pour reconnaître que le secteur
sacrifié de ces accords était celui des oléagineux et
protéagineux communautaires. Nous pensions qu'il était important
de réveiller les consciences en nous appuyant, je le reconnais sans
difficulté, sur les problèmes d'ESB. Nous sentions
déjà, à l'époque, qu'il existait, dans la
réflexion collégiale, une véritable interrogation à
partir de l'utilisation du reste de ces farines carnées.
Depuis 1998/1999, et notamment depuis le mois de mai 2000, notre organisation a
réitéré, à travers le terme de son congrès
annuel « Alternative protéines végétales », un
certain nombre de propositions, tant auprès du ministre de l'Agriculture
que de la commission.
Il nous semble, aujourd'hui, que la priorité devrait être
portée sur le secteur des protéagineux que sont les pois
protéagineux, lupins, féveroles et toutes ces plantes
cultivées essentiellement pour leur teneur en protéines.
En effet, nous n'avons aucune contingence internationale par rapport à
une revalorisation du soutien aux protéagineux communautaires.
Aujourd'hui, quand un agriculteur cultive des céréales, des
oléagineux et des protéagineux, son revenu à l'hectare
n'est pas le même suivant ces différentes productions. Jusqu'aux
Accords de Berlin, un différentiel, à travers les paiements
à l'hectare issus de la Politique Agricole Commune, tenait compte de
cette différence de compétitivité d'une culture à
l'autre. Or, ceci est perdu, bien que pas totalement en protéagineux,
à travers les Accords de Berlin.
Aujourd'hui, la tendance naturelle est une baisse des surfaces en
oléagineux (colza, tournesol et soja) et en pois protéagineux et
elle s'accroîtra dans les deux ou trois prochaines années. En
effet, les accords de Berlin prévoient une dégressivité
des aides, notamment en oléagineux, sur une période de trois ans.
C'est le point majeur.
Nous avions réussi, à travers une politique de recherche active
notamment en matière de semences (qualité sanitaire et
rendement), par une meilleure adaptation de ces cultures à nos
contraintes de producteurs, depuis une dizaine ou une quinzaine
d'années, à bien faire progresser ces cultures. Aujourd'hui, ces
efforts sont fortement entamés par les Accords de Berlin.
Sur ce point, il faudra, à l'occasion d'une clause de rendez-vous
prévue dans Agenda 2000, d'ici 2002 ou 2003, apporter quelques
corrections à ces accords.
Pour résumer, il faut donner la priorité au secteur des
protéagineux. Nous continuons à penser que compte tenu des effets
climatiques de l'automne et de ce début d'hiver, particulièrement
catastrophiques en France, voire même en Europe, il serait de bon augure
que l'on donne un signe concret pour des semis qui pourraient intervenir
dès février ou mars. En effet, à l'entrée du
printemps, la sole non couverte par des cultures d'hiver sera plus importante,
notamment en France, qu'elle ne l'est en période habituelle.
Cela passe par une revalorisation de cette aide pour les protéagineux et
oléagineux au plan communautaire ; aujourd'hui, nous la situons
à hauteur de 350/400 F par hectare par rapport à la situation
actuelle. C'est un coût de 120 à 150 millions d'euros pour l'Union
Européenne à 15, sachant que sur ce coût la moitié
reviendrait à la partie française puisque la France
représente environ 50 % de la production de protéagineux en
Europe.
Deux autres décisions pourraient être prises. L'une concerne la
promotion et l'augmentation des capacités en matière de
transformation des graines de colza en biocarburant. A travers l'usage non
alimentaire de l'huile, mais également la production de tourteaux riches
en protéines, nous pourrions, par cette activité non alimentaire,
consolider notre secteur de protéines végétales.
Une troisième réflexion que nous poussons consisterait à
favoriser la rotation des cultures afin de retrouver cet équilibre dans
les assolements entre céréales à paille et production
oléoprotéagineuse. Il faudrait accompagner les producteurs dans
une démarche plus incitative. Tout cela aurait pour effet de consolider
les surfaces ou du moins de redresser la baisse actuelle.
Si nous devions substituer les 2,5 millions de tonnes de farines animales par
leur équivalent en tourteaux de soja, il faudrait augmenter la surface
actuelle d'oléagineux et protéagineux, dans l'Union
Européenne, de 30 %, soit 2 millions d'hectares pour l'Union
Européenne à 15.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Monsieur le Président Beulin, vous
avez parlé des Accords de Berlin, mais quelle est votre marge de
manoeuvre en matière d'assolement ? Quand nous avons
auditionné M. Moscovici, dans le cadre de la Délégation
à l'Union Européenne, il nous a laissé entendre qu'il
existait une marge de manoeuvre, sans aller plus loin dans l'explication.
Lors du projet de Loi de finances 2001, nous avons également
interpellé Madame le ministre de l'Aménagement du Territoire et
de l'Environnement concernant la TGAP sur les consommations
intermédiaires, à savoir la luzerne déshydratée,
qui entraîneraient un surcoût de production de 17 %, ce qui
est phénoménal dans la conjoncture actuelle. Nous n'avons pas eu
de réponse.
Au travers de vos négociations avec ce ministère, avez-vous
quelques éléments de réponses ?
La culture de soja, qui est la plante idéale en matière de
production de protéines, est plus problématique en France que
dans certains pays, notamment d'Amérique latine. Nous poserons
également cette question à l'INRA : avez-vous bon espoir
d'avoir des variétés plus adaptées à la
climatologie française et, si oui, existe-t-il des régions plus
prédisposées que d'autres sur ce point ?
M. Xavier Beulin
- Concernant Blair House, je ferai un rappel historique
afin d'expliquer la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui.
Depuis 40 ans nous courons derrière les États-Unis en
matière de protéines. Au début des années 1960,
à travers le Dillon Round, qui était le premier round au cours
duquel on a commencé à parler d'agriculture, l'Europe a
accepté l'importation de soja à droit zéro dans l'Union
Européenne.
Je passerai sur les circonstances de l'époque, mais la résultante
est celle-là. Aujourd'hui, nous sommes soumis au cours mondial en
matière de protéines puisque concernant le soja la
référence de Chicago s'impose sur les marchés. Ces
semaines dernières, quand le dollar était à plus de 7,20
F, même si ce n'était pas bon pour les éleveurs,
c'était plutôt bon pour les producteurs
d'oléoprotéagineux communautaires. Il faut ramener cela à
une proportion mieux équilibrée et tirer des
références à une parité euro/dollar, ce qui nous
paraît, du moins dans le moyen terme, plus judicieux.
Nous avons ensuite subi l'embargo dont je parlais et, dans un premier
réveil, l'Europe a songé qu'elle ne pouvait pas rester dans cette
situation de dépendance à 90 % ou 95 %. A
l'époque, nous tirions nos seules protéines
végétales de plantes comme la luzerne car dans les années
1960 l'élevage européen comportait principalement des ruminants.
Les élevages de porc et de volailles se sont développés
à partir des années 1960. C'est notamment sous la pression des
pays du Nord, d'Unilever à l'époque, que, sans doute, ce mauvais
accord a été accepté dans les années 1960.
Nous avons développé, à partir de 1973, notamment sous
l'impulsion du Président Georges Pompidou (il faut le souligner car
c'était une prise de conscience importante), ce secteur
oléoprotéagineux en mettant en place un soutien aux productions
d'oléagineux qui ne transitaient pas par le producteur mais par le
premier transformateur, le triturateur ou l'huilier, auquel la
communauté apportait un niveau d'aide qui était ensuite
restitué sous forme de prix de graines au producteur.
A certaines époques, j'ai vendu du colza ou du tournesol à des
prix supérieurs à 300 F le quintal alors qu'aujourd'hui, dans les
meilleures situations, nous sommes à 110 F voire 120 F le quintal.
A la fin des années 1980, deux panels successifs, demandés par
les États-Unis, ont été perdus pour nous ; en effet,
les États-Unis estimaient que l'Europe ne pouvait pas apporter ce type
d'aide à ses producteurs car c'était contraire aux accords de
1966 qui avaient été consolidés.
C'est ainsi que nous nous sommes acheminés vers les Accords de Blair
House, en 1991. Ils précisent que l'Europe peut apporter des soutiens au
secteur des oléagineux sous deux conditions : ce soutien doit
être direct, sous forme de paiements compensatoires à l'hectare,
payés au producteur, et que soit instauré un plafond de surfaces,
tant pour les surfaces consacrées aux usages alimentaires des graines
que pour celles consacrées au usages non alimentaires, puisqu'à
l'époque on commençait à parler de biocarburant.
Rapproché du nombre d'hectares, cela accordait 5,5 millions d'hectares
pour l'Union Européenne à 15, desquels il fallait déduire
le taux de jachère en vigueur qui, en tout état de cause, devait
être supérieur ou égal à 10 %.
C'est un paradoxe du secteur des oléagineux : un taux de
jachère de 5 % en céréales et de 10 % en
oléagineux.
Concernant la situation actuelle, Agenda 2000 prévoit de ramener en
trois ans (2000, 2001 et 2002) le niveau des paiements compensatoires aux
oléagineux sur le niveau des paiements compensatoires aux
céréales et à la jachère. C'est une harmonisation
du niveau de l'aide à l'ensemble des grandes cultures plus la
jachère. Cela signifie que nous n'avons plus d'aide spécifique
aux cultures d'oléagineux. Ce qui conditionnait ces Accords de Blair
House était l'aide spécifique à une production
donnée, en l'occurrence la production de colza, de tournesol et de soja.
L'interprétation qui est faite, et sur ce point nous ne sommes plus
contestés, même à Genève puisqu'à Bruxelles
la situation est actée, est qu'à partir de 2002, quand l'aide
sera indifférenciée entre céréales,
oléagineux et jachères, les Accords de Blair House perdureront
mais seront vidés de leur substance.
Nous souhaiterions, à l'occasion de la réouverture des
négociations à l'OMC, que M. Lamy mette tout en oeuvre pour
supprimer ces accords qui, à notre sens, n'ont plus aucune
légitimité ou justification dans les conditions actuelles de
marché, de besoin et de demande.
Autrement dit, nous sommes pénalisés économiquement
puisque nous n'avons plus ce paiement spécifique qui permettait
d'améliorer la compétitivité du secteur oléagineux,
mais nous perdons, ce qui est plutôt un atout pour l'Europe, cette
fameuse contingence en termes de surfaces.
Dans les dossiers que nous avons préparés, nous avons
présenté un certain nombre de courbes. La situation actuelle
montre que, sans attendre 2002, nous serons bien au-dessous du fameux seuil de
5,5 millions d'hectares pour l'Union Européenne. Les conditions
économiques actuelles font que la baisse des surfaces ne nous
contraindra pas à justifier nos demandes par rapport à Blair
House.
Toute forme de soutien complémentaire qui viendrait au secteur
oléagineux ne pourra pas, ou ne devra pas, reprendre la forme
antérieure afin d'éviter de retomber dans cette contingence sauf
si, à l'occasion de la négociation, nous pouvions faire tomber
définitivement cette contrainte ; or, nous ne sommes pas certains
d'aboutir. Même si, aujourd'hui, nous avons de bons arguments, nos
collègues producteurs américains réalisent 60 % de
leurs recettes sur le soja à partir d'aides directes et 40 % par la
vente de leurs produits.
C'est la réalité aux États-Unis. Quand on vient crier haro
sur les aides en Europe, nous avons quelques bons arguments pour être
plus offensifs que nous ne le sommes.
Sur l'aspect de la luzerne, il faut bien scinder les dossiers car elle ne
substituera pas les farines animales. Par contre, pour les ruminants, il est
évident que la luzerne présente beaucoup d'intérêt.
J'ai cru lire que le Conseil constitutionnel avait renvoyé le
Gouvernement à ses « chères études » concernant
cette TGAP puisqu'il me semble qu'elle est désormais
considérée comme anticonstitutionnelle, considérant qu'il
existe une inégalité de traitement des différentes
entreprises concernées par rapport à cette TGAP sur
l'énergie.
Il nous semblait que nous étions près d'un accord qui aurait,
sans doute, peut-être pas totalement mais du moins pour partie,
exonéré les entreprises de déshydratation de luzerne qui
ne pouvaient plus, économiquement, continuer à exercer leur
activité dans les conditions de marché actuelles.
C'est pour nous la « ligne d'horizon » permanente : notre
référence en Europe, sur le prix des protéines, c'est un
exemple unique dans le secteur des grandes cultures, est celle du cours
mondial. Nous n'avons aucun filet de sécurité sur les productions
oléagineuses ou protéagineuses en Europe par rapport à une
baisse des prix ou des cours mondiaux qui chuteraient. Aujourd'hui, nos marges
de manoeuvre sont extrêmement réduite.
Quant au soja, nous formons un certain nombre d'espoirs qui sont de faire
monter la zone traditionnellement liée à la culture du soja,
à savoir majoritairement la zone du sud-ouest de la France, avec
quelques bassins complémentaires tels que la région
Rhône-Alpes, la Bourgogne et le Centre. Il est vrai que la culture du
soja n'a jamais franchi la Loire.
Un important travail de recherche doit être fait. Nous sommes sur du
fondamental et de la recherche variétale qui concerne principalement les
entreprises semencières. Nous développons actuellement un premier
programme, non pas sur le soja mais sur les protéagineux, dont les
moyens seront multipliés par 4 ou 5, pour améliorer la
productivité de ces plantes.
Nous sommes aussi en réflexion, en relation avec les semenciers, pour
développer des qualités variétales adaptées
à des zones plus septentrionales et progresser dans ce domaine.
Notre matériel génétique de base est, le plus souvent, un
matériel importé de l'autre côté de l'Atlantique.
Nous formons beaucoup d'espoirs dans la génomique, à savoir la
carte génétique des plantes, qui nous permettra, non pas de faire
de la transgenèse, car c'est un autre débat, mais d'aller
beaucoup plus vite en matière de recherche variétale, en ciblant
un certain nombre de gènes d'intérêt qui pourraient
permettre d'implanter du soja dans d'autres régions que celles
traditionnellement reconnues en France.
M. le Rapporteur
- Vous vous approchez des OGM.
M. Xavier Beulin
- Non, mais la transgenèse est une application
possible à partir de la génomique.
Quand une variété était élaborée en 10 ans,
elle le sera désormais en trois ou quatre ans grâce à la
génomique.
M. Paul Blanc
- Concernant la luzerne déshydratée, quels
sont les avantages et inconvénients par rapport au soja ?
Dans les années 1985, dans la région Languedoc-Roussillon en
particulier, à la suite d'arrachages massifs de vignobles, une
programmation a été faite pour développer la culture du
soja avec, en particulier, la création d'une usine de trituration
à Sète. A ma connaissance, ce développement ne s'est pas
fait. En connaissez-vous les raisons et pourrait-il être repris ?
M. Xavier Beulin
- Concernant les avantages de la luzerne, il faut
remettre chacune des plantes dans son contexte naturel, au sens des
implantations géographiques, mais également par rapport à
son utilisation et sa valorisation.
La luzerne est parfaitement adaptée aux caprins, ovins et ruminants
allaitants puisqu'elle constitue un équilibre entre la matière
protéique, purement contenue dans la luzerne, la cellulose, l'amidon,
etc. et l'énergie. Pour d'autres espèces, notamment toutes les
souches avicoles et les porcins, il faut des concentrations en
protéines, dans l'aliment, beaucoup plus importantes et la luzerne ne
répond à cet objectif.
A chaque espèce et chaque situation il existe aujourd'hui des
réponses adaptées. Je n'affirme pas que nous substituerons demain
100 % de nos importations par des protéines d'origine communautaire
car ce serait abusif. Notre objectif est de passer d'une situation de 25 %
d'auto-approvisionnement à une situation où nous pourrions
largement améliorer le score et atteindre 35 % ou 40 %. Cet
objectif est extrêmement ambitieux même s'il apparaît
raisonnable.
Il nous semble qu'en termes d'identité européenne, c'est un point
majeur pour nous, la diversité faisant partie de cette identité.
Cette diversité peut se retrouver dans la diversité des plantes
et des graines disponibles, en fonction de leurs caractéristiques, mais
aussi par rapport à ces notions d'assolement, d'agronomie, etc. C'est
l'une des valeurs fortes que l'Europe doit défendre aujourd'hui. De ce
point de vue, nous disposons de réponses diversifiées par rapport
à ces échéances.
Par rapport à l'usine de Sète, nous pourrions vous renseigner
précisément sur son activité. Elle travaille en partie
avec des graines d'importation mais c'est le cas d'un certain nombre d'usines
de trituration en France et en Europe. Sète travaille également
du tournesol et du soja français.
Depuis deux ans, mais principalement depuis l'année dernière, se
développe une filière « soja de qualité » avec
une quinzaine de sous-filières dans cette démarche
qualité. La principale étant celle « soja de pays »,
qui a initié notre propre organisation, et le soja issu de ces
filières, qui représente environ 50 000 hectares aujourd'hui, est
trituré en grande partie à Sète.
Nous avions voulu le triturer à Sète pour des raisons simples,
à savoir de garantir à l'acheteur final une
traçabilité maximum, depuis la semence jusqu'au produit final.
Pour cela, nous devons nettoyer l'usine pour chaque lot qui y est
transformé ; cette programmation est assez bien organisée.
Je pense que Sète répond en partie à la
préoccupation française. Toutefois, je serais tout à fait
ravi de pouvoir vous apporter ultérieurement des éléments
plus précis.
M. Georges Gruillot
- Concernant la clause de rendez-vous prévue
en 2002 ou 2003 pour savoir s'il faut modifier ou réformer les Accords
de Berlin, le problème de l'ESB étant devenu européen, ne
pourrait-on pas faire une pression politique (et vous avez peut-être
besoin du pouvoir politique que nous représentons partiellement) pour
que cette négociation ait lieu dès cette année ?
Vous nous avez expliqué que, pratiquement, vous producteurs
français, étiez réduits à recevoir les prix
mondiaux pour vos produits. Vous avez également indiqué que les
Américains tiraient leurs revenus de 40 % de leurs produits et de
60 % de subventions. Pourriez-vous citer, pour les quelques grands
produits, des chiffres en francs ou en dollars, afin de mieux fixer les
esprits, plutôt que d'en rester à cette connaissance
abstraite ?
Il m'a semblé, dans la fin de vos propos, que vous expliquiez qu'en
étant très ambitieux nous pourrions espérer atteindre, en
France, 35 % de production de nos besoins par rapport aux 25 %
actuels. Il me semble que cela manque un peu d'ambition. Alors qu'il existe des
kyrielles d'hectares en jachère en Europe, ne pourrait-on pas être
plus ambitieux et aller plus rapidement plus loin que les 35 % ?
M. Xavier Beulin
- Sur la troisième question, j'aimerais
être ambitieux.
M. Georges Gruillot
- C'est un vrai problème politique.
M. Xavier Beulin
- Dans les années 1970, notre taux
d'auto-approvisionnement était d'environ 10 %. Aujourd'hui, nous
sommes à 25 % et cela nous semble être un progrès
important.
Sur cette clause de rendez-vous et sur l'urgence des décisions à
prendre, il en existe au moins deux sur lesquelles nous pensions que la
Commission ferait des propositions ; nous avions d'ailleurs misé
sur les deux derniers Conseils agricoles à Bruxelles pour que M. Glavany
insiste dans ce sens.
Je n'ai pas à juger d'une pertinence ou d'une volonté, et je
pense que le ministre a fait, pour partie, son travail, bien qu'il existe des
blocages. Concernant le blocage budgétaire, je ne suis pas le mieux
placé pour en parler mais je reprends ce que je lis. Le retrait des
farines animales, leur stockage et leur traitement coûterait environ
20 GF par an pour l'Union Européenne à 15. C'est une somme
considérable.
Dans le même temps, nous demandons 120 à 140 millions d'euros,
pour l'Union Européenne à 15, pour soutenir un premier plan
protéagineux. Si nous obtenions 350 à 400 F de revalorisation du
paiement par hectare pour les producteurs, ce serait un signe extrêmement
fort et nous aurions, dès le printemps, si cette décision
était prise en début d'année, un effet extrêmement
positif.
M. Georges Gruillot
- Cela représente 1 GF.
M. Xavier Beulin
- Cela a été calibré à 750
MF. C'est à comparer aux 40 milliards d'euros du budget
consacré à l'agriculture par l'Union Européenne. Nous
sommes sur « l'épaisseur du trait ».
Je me permets de vous indiquer un autre chiffre : l'excédent
budgétaire, sur le dernier exercice de la Commission, pour le volet
agricole, représente environ 1,2 milliard d'euros. Il semble
possible de trouver quelques marges de manoeuvre.
Aujourd'hui, M. Fischler ne conteste pas cette décision mais il nous
donne un certain nombre d'arguments contraires. Le premier est que le retrait
des farines animales crée une sorte d'appel sur la protéine,
impliquant une augmentation du marché augmentera et un encouragement
suffisant pour les producteurs. Or, selon moi, en prenant une
référence en décembre, avec un dollar à 7,20 F, il
a probablement raison en partie. Si le dollar était à 6,50 F,
à savoir une parité euro/dollar, le prix de la protéine
dans l'Union Européenne ne serait pas attractif pour les producteurs.
Dans ce domaine, il est nécessaire de marquer les arguments et nous
pensons qu'il ne faut pas attendre la clause de 2002 pour donner un signe fort
et restaurer la confiance des consommateurs. Cela passe aussi par là et
je pense qu'une mesure d'urgence doit être prise.
M. le Rapporteur
- A quelle échéance attendriez-vous cette
décision européenne ?
M. Xavier Beulin
- Le plus tôt sera le mieux. Un pois
protéagineux, une féverole ou un lupin se sèment depuis la
fin février jusqu'au 15 mars ou la fin mars, cela dépend des
régions. Si l'on veut impacter les semis de 2001, il faut prendre une
décision maintenant.
M. le Président
- Nous pourrions, comme le disait M. Gruillot,
insister très fortement pour que les décisions soient prises
dès maintenant et être efficaces.
M. Roland du Luart
- D'autant qu'il existe un retard sur les emblavures
traditionnelles car il n'a jamais été semé aussi peu de
blé que cette année.
M. Xavier Beulin
- Notre crainte est de nous retrouver au printemps avec
une sole de céréales à paille, notamment d'orge de
printemps, que l'on ne saura pas valoriser sur le marché. Ce qui fait
l'intérêt de l'orge aujourd'hui est de rester sur un marché
maîtrisé, positionné sur la brasserie de qualité,
alors que nous risquons de rencontrer une « grande cavalerie » dont
nous subirons collégialement les conséquences dans un
délai d'un an.
Le deuxième point sur lequel nous insistons fortement est celui d'une
amélioration du deuxième pilier de la Politique Agricole Commune,
le développement rural. Je vous rappelle qu'en 2000 nous avions pu
obtenir un complément d'aide de 500 F par hectare pour la
culture du tournesol, moyennant l'engagement de l'agriculteur de remplir un
cahier des charges dont il convient de dire qu'il doit être praticable
pour le producteur.
Malheureusement, Bruxelles est passée sur la mesure et nous aurons, pour
2001, une série de nouvelles contraintes sur la culture du tournesol si
nous voulons avoir accès à ces 500 F : binage
mécanique, obligation de formation pour le producteur, etc. De ce fait,
la mesure ne sera pas prise par les producteurs.
Nous souhaiterions pouvoir transformer l'aide « tournesol an 2000 »
plutôt en une aide à l'incitation à la rotation des
cultures dans l'assolement du producteur. Aujourd'hui, les conséquences
d'Agenda 2000 sont d'emmener les producteurs de grandes cultures vers la
monoculture de céréales à paille. C'est ce que nous vivons
en direct ; c'est une tendance lourde.
Essayons de redresser la situation et, pour cela, faisons en sorte que l'on
puisse encourager le producteur à diversifier son assolement. Cela
pourrait être une mesure de type agri-environnemental puisque diversifier
un assolement consiste à faire de l'agri-environnement. Par ailleurs,
puisque cela ne serait pas pris sur les paiements compensatoires du volet FEOGA
de la PAC mais sur le volet du développement rural, nous ne rentrerions
pas dans cette contingence de Blair House dont je parlais.
M. Gasquet
- Sur les prix, il est difficile de parler en
général, puisque cela fluctue d'un jour à l'autre, et il
faut particulièrement bien définir le stade auquel nous parlons.
Je suppose que vous souhaitiez avoir des précisions sur le prix de
l'huile, des graines, des tourteaux, etc.
M. Georges Gruillot
- Nous souhaitons savoir à quel prix
l'agriculteur français vend le soja, le tournesol et la luzerne et
combien l'agriculteur américain touche de la vente de son produit.
M. Xavier Beulin
- Le rapport est inversé : quand les
États-Unis sont à 60 %/40 %, nous sommes plutôt
à 40 %/60 % en France, voire un peu moins concernant les
soutiens, notamment en s'approchant de l'échéance de 2002
où les aides baisseront encore.
En tant que producteur, aujourd'hui je vends le colza entre 110 F et 120 F le
quintal, soit 1 100 F à 1 200 F la tonne. Je récolte près
de 3,5 tonnes/hectare en colza, soit 3 500 F/hectare de recettes. J'avais, en
1999, 3 700 F de soutien direct, soit environ 50 % d'aides et 50 % de
recettes.
Cette année, j'ai eu une baisse sur ces 3 700 F et je suis aujourd'hui
à 3 200 F d'aides. J'aurai encore moins sur 2001 et le
paiement compensatoire, en 2002, sera à 2 600 F par hectare. Il
faut essayer de gagner sa vie avec cela.
Il faut raisonner en relatif et, pour nous, en France, la
référence est celle de l'hectare de blé. Sur un hectare de
blé, je suis mieux placé car, dans les mêmes conditions, je
ferai 7,5 tonnes/hectare qui seront vendus 700 F la tonne : soit 5 000 F
de recettes par la vente du blé et 2 600 F/hectare d'aides pour le
blé. Il est évident que je serai mieux positionné.
Il existait une justification dans ce paiement spécifique aux
oléagineux et aux protéagineux, jusqu'à ces Accords de
Berlin, en raison d'un différentiel de compétitivité entre
les deux cultures.
Par ailleurs, bien que nous n'en parlions pas en termes de propositions, car
c'est plus compliqué, il existe, sur la céréale, un prix
minimum garanti, l'intervention, qui n'existe pas en oléagineux ou en
protéagineux. Ces deux dernières cultures constituent donc une
prise de risques supplémentaires par rapport au marché.
Vous comprenez donc pourquoi on assiste à une baisse inéluctable
des surfaces consacrées aux oléoprotéagineux et M.
Fischler nous trompe quand il affirme que le marché redressera tout
cela.
Nous intervenons également sur le volet de l'amélioration de la
compétitivité de ces cultures. En céréales, nous
disposons d'environ un siècle de recherche derrière nous alors
qu'en oléoprotéagineux nous avons à peine 25 ans.
M. le Rapporteur
- Nous pouvons retenir avec beaucoup
d'intérêt votre proposition, que nous pourrions relayer, au niveau
gouvernemental, en demandant que le Gouvernement se positionne sur la relance
de la production d'oléoprotéagineux. Nous pourrions passer un
communiqué au titre de la Commission d'enquête et nous pourrions
le relayer au niveau de la délégation à l'Union
Européenne. En effet, mars approche et je ne comprendrais pas que l'on
interdise les farines animales sans favoriser la filière des
oléoprotéagineux.
M. Roland du Luart
- Il faudrait indiquer, dans ce communiqué,
l'argument des emblavures céréalières qui n'ont pas pu
avoir lieu.
M. Xavier Beulin
- Je souhaite relater une « anecdote ». Je
préside le groupe permanent oléoprotéagineux à
Bruxelles. Tous les trois mois, nous tenons un comité consultatif
où nous sommes face aux représentants de la commission.
Lors d'une discussion j'ai parlé de cette situation aux
États-Unis, du rapport 40 %/60 %, puisque,
parallèlement, nous instruisons un dossier de plainte à l'OMC
concernant l'abus de ces soutiens appliqués au soja. Un Directeur
général adjoint de la D.G. Agriculture m'a donné la
réponse suivante : en se plaçant du point de vue des
producteurs européens, il est raisonnable de vouloir déposer une
plainte car il s'agit d'un préjudice et cela pose un problème. De
plus, les Américains sont sortis de la clause de paix signée
à Marrakech dans ce domaine précis du soutien au soja.
Toutefois, s'agissant du point de vue des intérêts de l'Union
Européenne, il indiquait que nous avions tort et que tout serait mis en
oeuvre pour nous empêcher de déposer cette plainte. En effet,
puisque nous importons 70 % ou 75 % de nos besoins sous forme de
soja, la facture pour l'Europe est moins importante et nous avons
intérêt à laisser les États-Unis subventionner
massivement les producteurs de soja.
Je l'ai pris ainsi, tout en lui faisant remarquer qu'il n'était que
fonctionnaire, et non pas homme politique, et que je n'appréciais pas
beaucoup la réponse.
M. le Président
- L'essentiel est de le savoir et d'essayer
d'apporter un soutien dans ce domaine crucial. En effet, nous nous demandons
où nous pourrions trouver des protéines dans l'avenir.
Nous vous remercions d'avoir participé à cette commission
d'enquête et de nous avoir apporté tous ces enseignements qui sont
importants pour connaître la situation générale,
particulièrement dans votre domaine qui devient crucial pour la
fourniture de protéines.
M. Xavier Beulin
- Merci Monsieur le Président et Messieurs les
Sénateurs. Nous avons été ravis de pouvoir nous exprimer
devant vous.