N°
321
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001
Rapport remis à Monsieur le Président du Sénat le 10 mai
2001
Dépôt publié au Journal officiel du 11 mai 2001
Annexe au procès-verbal de la séance du 15 mai 2001
RAPPORT
de la commission d'enquête (1) sur les conditions d' utilisation des farines animales dans l' alimentation des animaux d'élevage et les conséquences qui en résultent pour la santé des consommateurs , créée en vertu d'une résolution adoptée par le Sénat le 21 novembre 2000,
Tome II :
Auditions
Président
M. Gérard DERIOT
Rapporteur
M. Jean BIZET
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de : MM. Jean Bernard, Jacques Bimbenet, Jean Bizet, Paul Blanc, Bernard Cazeau, Gérard César, Yvon Collin, Gérard Deriot, Bernard Dussaut, Jean-Paul Emorine, Bernard Fournier, Georges Gruillot, Jean-François Humbert, Gérard Le Cam, Serge Lepeltier, Roland du Luart, François Marc, Gérard Miquel, Philippe Nogrix, Jean-Marc Pastor, Michel Souplet.
Voir
les numéros :
Sénat
:
73
,
88
,
81
et T.A.
27
(2000-2001).
Agroalimentaire. |
Audition de M. Dominique DORMONT
Chef du service de neurovirologie du
Commissariat à l'énergie
atomique
(6 décembre 2000)
M.
Gérard Dériot, président
- Nous allons commencer la
première audition de l'après-midi. Je vous rappelle qu'il s'agit
de M. Dominique Dormont, chef du service de neurovirologie du Commissariat
à l'énergie atomique, président du comité sur les
encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles et les
prions.
M. Dormont, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.
Comme vous le savez, nous sommes en commission d'enquête parlementaire.
Je me dois par conséquent de vous lire une formule officielle. Je vous
demanderais ensuite de bien vouloir prêter serment.
« Je vous rappelle que le dernier paragraphe de l'article 6 de
l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des
assemblées parlementaires, modifié par la loi du 20 juillet 1991,
dispose que les auditions auxquelles procèdent les commissions
d'enquêtes sont publiques et que les commissions organisent cette
publicité par les moyens de leur choix.
La commission d'enquête du Sénat sur les conditions d'utilisation
des farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage et les
conséquences qui en résultent pour la santé des
consommateurs a ainsi organisé la publicité de ces auditions,
sous réserve des demandes expresses de huit clos émanant des
personnes auditionnées. Ces auditions sont donc ouvertes à la
presse et font l'objet d'un enregistrement audiovisuel intégral
assuré par la chaîne de télévision du Sénat
et leur compte-rendu intégral sera en outre publié en annexe du
rapport écrit, sauf opposition de la personne auditionnée.
Je vous rappelle également que l'ordonnance du 17 novembre 1958,
précise que toute personne dont une commission d'enquête a
jugé l'audition utile est entendue sous serment. En cas de faux
témoignage, elle est passible des peines prévues par l'article
434-13 du code pénal. En conséquence, je vais vous demander de
bien vouloir prêter serment, de dire toute la vérité et
rien que la vérité, de lever la main droite et de dire :
«je le jure». »
M. Dominique Dormont
- Je le jure.
M. le Président
- Je vous remercie. Puis-je connaître votre
avis au sujet de la présence de la presse à cette audition.
M. Dominique Dormont -
Je n'ai aucune objection concernant la
présence de la presse. En revanche, je ne souhaite pas que cette
audition donne lieu à la diffusion d'images, de quelques natures
qu'elles soient.
M. le Président
- Très bien. Cette audition sera donc
enregistrée, mais cet enregistrement nous sera ensuite remis. Aucune
image ne sera par conséquent diffusée.
M. Dormont, je vous remercie à nouveau d'avoir accepté de venir.
Je vais commencer par vous passer la parole, afin que vous puissiez nous mettre
au courant de l'état actuel de nos connaissances. Notre commission a en
effet choisi de commencer par procéder à une mise au point des
connaissances scientifiques actuelles concernant l'ESB en particulier et les
prions en général.
M. Dominique Dormont
- Comme vous le savez, les maladies à prions
touchent aussi bien l'homme que l'animal. Quatre maladies sont aujourd'hui
répertoriées chez l'homme. Il s'agit de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob, du Kuru, du syndrome de Gerstmann-Sträusler-Scheinker
et enfin l'insomnie fatale familiale. Ce sont des maladies extrêmement
rares et qui, dans l'état actuel de nos connaissances, sont
transmissibles mais pas contagieuses.
Cinq maladies du groupe des encéphalopathies subaiguës spongiformes
transmissibles ont été répertoriées dans le monde
animal. Tout d'abord, la tremblante naturelle du mouton et de la chèvre
qui a été décrite pour la première fois en 1732. Il
s'agit donc d'une vieille maladie, présente partout dans le monde, sauf
en Australie et en Nouvelle-Zélande, ces deux états ayant
réussi à l'éradiquer. L'encéphalopathie spongiforme
bovine est apparue au milieu des années 1980 au Royaume-Uni.
L'encéphalopathie féline spongiforme est liée quant
à elle à la contamination des chats britanniques par l'agent de
la maladie de la vache folle. Cette dernière encéphalopathie a
constitué le premier signe d'alerte pour les scientifiques, lorsqu'elle
a été décrite en 1989-1990. En effet, l'apparition de
cette maladie de façon quasiment exclusive sur le sol britannique a fait
émettre l'hypothèse que l'agent de la maladie de la vache folle
pouvait être transmissible à des carnivores, au travers de
l'alimentation. Cette hypothèse a probablement pesé lourd dans la
décision des autorités françaises de
décréter un premier embargo à l'époque.
L'encéphalopathie transmissible du vison touche quant à elle les
visons d'élevage. Ces derniers sont nourris avec des carcasses de bovins
et d'ovins récupérées dans les abattoirs. Il suffit par
conséquent que l'une de ces carcasses provienne d'un animal
infecté pour que le vison s'infecte à son tour. Il lui faudra
ensuite 7 mois en moyenne pour qu'il meure d'une maladie du type maladie
à prions. Il sera alors souvent mangé par les animaux
enfermés dans la même cage, qui seront ainsi également
contaminés. Enfin, la dernière maladie est très bizarre.
Il s'agit de la maladie du dépérissement chronique des ruminants
sauvages. Celle-ci touche le daim et le cerf, dans les forêts de deux
états américains, le Wyoming et le Colorado. Celle maladie est le
seul exemple d'une maladie à prions d'un animal sauvage. Cette
spécificité nous pose d'ailleurs de gros problèmes en
termes d'appréhension des mécanismes de transmission de cette
maladie.
Les maladies à prions possèdent un certain nombre de
caractéristiques communes. La première d'entre elles
réside dans une période d'incubation extrêmement longue au
regard de l'espérance de vie de l'individu considéré. Par
exemple, cette période d'incubation peut dépasser 40 ans chez
l'homme. Durant cette période, aucun symptôme clinique n'est
visible. Par ailleurs, l'état actuel de la technologie ne nous permet
pas de détecter la présence de l'agent infectieux. Lorsque les
signes cliniques apparaissent, ils sont liés à l'atteinte
exclusive et privilégiée du système nerveux central :
les organes comme le coeur, le foie, les poumons ou les reins ne sont donc pas
cliniquement atteints. Tous les signes objectivés sont liés
à l'atteinte du système nerveux central. L'évolution se
fait selon un mode subaigu : aucune rémission n'est par
conséquent possible. L'état du patient s'aggrave très
régulièrement au fur et mesure de l'évolution de la
maladie. Ces maladies sont par ailleurs au-dessus de toute ressource
thérapeutique. Elles sont mortelles dans 100 % des cas, autant chez
l'homme que chez l'animal. L'une des caractéristiques primordiales de
ces maladies est de ne pas induire de réponse du système
immunitaire. Le système immunitaire ne répond pas en effet
à la multiplication de l'agent infectieux, alors même que nous
savons que ce dernier peut se trouver dans le système immunitaire. C'est
donc un des paradoxes auquel la recherche actuelle est confrontée. Il
n'existe donc pas de test de dépistage simple, comparable à ceux
appliqués dans le cas du VIH ou de l'hépatite C.
Enfin, il faut savoir que personne n'a jamais vu l'agent infectieux, quelle que
soit la puissance des microscopes qui ont été utilisés.
Personne n'a jamais vu le prion, malgré l'importance du titre infectieux
dans le système nerveux central (je rappelle que celui-ci comprend le
cerveau, le cervelet, le tronc cérébral et la moelle
épinière). Les titres infectieux sont pourtant faramineux :
par exemple, si nous inoculons l'agent de la tremblante du mouton à un
hamster, il est alors possible d'observer 10
10
à 10
11
unités infectieuses par gramme de tissu. Cela veut dire qu'avec un
gramme de cerveau de hamster malade, il est possible de tuer 10 à 100
milliards de hamster sains. Malgré ces titres infectieux
extrêmement importants, il n'est pas possible de voir l'agent infectieux
au microscope.
Le seul élément que nous soyons capables de mettre en
évidence dans ces maladies est la modification du métabolisme de
certaines protéines du sujet infecté. Le sujet infecté se
met en effet à accumuler quelques protéines. Parmi ces
protéines, l'une d'entre elles est intéressante pour deux
raisons. 1) Tout d'abord, elle s'accumule uniquement dans les maladies à
prions. 2) De plus, elle s'accumule proportionnellement au titre infectieux.
Ainsi, lorsque nous essayons de purifier l'agent infectieux, nous purifions
cette protéine, appelée protéine PrP (Protéine du
Prion). Si cette protéine du prion est enlevée des fractions
infectieuses, l'infectiosité résiduelle est alors quasi nulle.
L'hypothèse actuelle est par conséquent que la protéine
est l'agent infectieux lui-même. Cette hypothèse constitue
l'hypothèse du prion. Je répète néanmoins que nous
sommes dans un état d'incertitude par rapport à la nature exacte
de l'agent infectieux : le prion est l'hypothèse la plus probable,
mais la réalité de cette hypothèse n'est pas
démontrée.
L'autre caractéristique des maladies à prion réside dans
l'extrême résistance de ces agents infectieux aux
procédures d'inactivation. Cette caractéristique constitue
l'essentiel du problème de santé publique auquel nous sommes
confrontés. Par exemple, la chaleur sèche est très
faiblement inactivante. En effet, le fait de soumettre les prions à une
chaleur de 180° durant 24 heures ne permet pas d'inactiver les prions. De
même, une chaleur de 320° durant une heure ne permet pas d'inactiver
les prions, pas plus qu'une chaleur de 600° durant 15 minutes. Je
précise qu'une très grande partie d'entre eux sera
inactivée. Il restera cependant toujours une petite quantité qui
demeurera infectieuse. Ce type de traitement permettra donc de diminuer le
titre infectieux, mais pas de « tuer » totalement l'agent
transmissible.
Trois procédures ont toutefois une certaine
efficacité : la chaleur humide à 134 ou 136°
pendant au moins 18 minutes, l'eau de Javel pure ou au demi durant une heure,
ainsi que la soude normale, également durant une heure. Ces trois
procédures ont une certaine efficacité dans l'inactivation des
prions.
Je dois dire que les procédés physiques d'inactivation ont une
efficacité qui varie d'une souche de prion à une autre souche de
prion. Par exemple, certaines souches de tremblante du mouton sont
inactivées tout à fait correctement par l'autoclavage à
136° durant 18 minutes. Le titre infectieux est en effet réduit
d'un facteur 1 million. Ceci est parfaitement compatible avec par exemple, ce
qu'on attend d'un processus de stérilisation appliqué dans les
hôpitaux. L'agent de l'encéphalopathie bovine spongiforme est
toutefois à peine inactivité d'un facteur 1000. Cela veut dire
qu'il ne pas possible de considérer qu'un procédé
d'autoclavage est suffisant pour assurer la sécurité d'un
dérivé d'origine bovine suspect d'être fortement
contaminé. Par conséquent, si vous souhaitez assurer la
sécurisation des farines de viandes, vous devez non seulement appliquer
le procédé dit « 133 degrés, trois bars, 20
minutes » proposées par l'Union Européenne, mais aussi
trier les matières premières, de façon à ce que la
charge infectieuse de départ soit la plus faible possible, afin de
permettre à ce procédé d'être efficace.
Nous savons aujourd'hui que le cerveau d'une vache contaminée contient
10 millions d'unités infectieuses par gramme. Il est donc clair que si
nous appliquons un procédé de réduction d'un simple
facteur 1000, il restera donc 10 000 unités infectieuses par gramme de
cerveau. En revanche, si nous enlevons le système nerveux central, nous
enlevons environ 90 % de l'infectiosité, nous avons donc
considérablement réduit notre charge infectieuse. Le
procédé d'autoclavage aura donc des chances raisonnables
d'être efficace. La sécurité d'un produit d'origine
biologique, qu'il s'agisse d'un médicament ou des farines
carnées, dépend donc essentiellement du tri contrôlé
des matières premières, puis de l'application d'un
procédé de stérilisation. Cette sécurité
dépend enfin de l'application d'un test de dépistage de l'agent
infectieux sur le produit fini. Nous ne disposons toutefois pas de ce test
à l'heure actuelle. Le tri des matières premières est par
conséquent fondamental.
Je suis à votre disposition.
M. Philippe Nogrix
- Cette protéine se développe-t-elle
uniquement sur le système nerveux ? Il est dit partout en effet que
le muscle ne présente aucun risque. Cela est-il vrai ?
M. Dominique Dormont
- Ce genre de questions et les réponses qui
en découlent dépend de l'acquis de la pathologie
expérimentale. La protéine du prion normale est nécessaire
pour l'infection d'un prion anormal. Si vous n'êtes pas porteur de la
protéine PrP normale à la surface de vos cellules, vous ne
pourrez pas être infectés par les prions. Cela a été
très bien montré par les chercheurs suisses, qui ont
génétiquement modifié des souris, pour empêcher le
gène de la protéine du prion de s'exprimer. Il est apparu que ces
animaux sont résistants à l'infection du prion. Il est donc
nécessaire d'exprimer la protéine PrP normale à la surface
de ses cellules pour être infectable par l'agent infectieux.
Il est s'agit ensuite de localiser la protéine PrP, puisque c'est elle
qui conditionne la susceptibilité à l'infection. Cette
protéine est majoritairement présente dans le système
nerveux central. Je précise qu'au sein même du système
nerveux central, elle est environ cinquante fois plus présente dans les
neurones que dans les autres cellules du système nerveux. En dehors du
système nerveux central, cette protéine est présente un
peu partout, mais essentiellement dans le système
réticulo-endothélial, qui correspond approximativement au
système immunitaire.
Lorsqu'une vache est infectée par voie orale, il faut savoir qu'une
phase d'éclipse apparaît au cours des mois qui suivent l'infection
et durant laquelle il n'est pas possible de repérer l'agent infectieux.
A partir du cinquième ou du sixième mois, il est ensuite possible
de trouver l'agent dans la fraction terminale de l'intestin grêle,
appelée iléon distal. Cette infectiosité durera ensuite
durant toute la période d'incubation, ainsi que durant toute la maladie
clinique. Cette infection est faible, mais demeure détectable.
Ensuite, à partir des filets nerveux de nerfs qui innervent le tube
digestif, l'agent infectieux rentrera dans les terminaisons nerveuses et
utilisera les nerfs pour remonter vers la moelle épinière,
où il arrivera entre le 32e et le 34e mois après l'exposition du
bovin. L'agent infectieux sera ensuite détectable à partir du 36e
mois dans l'ensemble du système nerveux central. L'animal mourra aux
environs du quarantième mois.
Cette chronologie a deux significations. Tout d'abord, lorsqu'un animal ou un
homme est exposé à un prion par voie périphérique
et non pas par voie intracérébrale, le premier tissu
infecté sera alors le système immunitaire. C'est le bovin, il
s'agit de cette énorme formation associée à l'iléon
distal. La présence de tissu nerveux dans cette zone permet de
réaliser facilement des connexions, grâce auxquelles l'agent
pourra infecter le système nerveux central. De plus, il faut se rappeler
que durant la plus grande partie de la période d'incubation chez le
bovin, l'agent n'est pas dans le système nerveux. Par conséquent,
lorsqu'on applique un test de dépistage tel que nous savons le faire
actuellement, nous recherchons la protéine anormale dans une zone du
cerveau. Un test ne sera par conséquent positif que si l'animal a le
temps d'acheminer son agent vers le cerveau et si les performances du test
permettent d'obtenir des résultats satisfaisants. Un test positif a par
conséquent une signification. Un test négatif n'en a aucune. Nous
ne pouvons donc pas nous en servir pour certifier un animal. Ai-je suffisamment
répondu à votre question ?
M. Jean Bizet, rapporteur
- M. le Président, avez-vous une
approche des caractéristiques de la protéine PrP ?
M. Dominique Dormont
- La protéine PrP est une protéine
dont nous ignorons le rôle chez l'individu non infecté. Cette
protéine est située à la face externe de la cellule.
Celle-ci l'exporte jusqu'à la membrane et s'accroche ensuite à la
face externe de la membrane. Cette protéine peut donc interagir avec
d'autres cellules ainsi qu'avec l'environnement cellulaire et servir de
récepteur pour transmettre des signaux à la cellule.
Nos collègues de l'Institut Pasteur et de l'hôpital
Lariboisière ont d'ailleurs publié récemment un excellent
travail dans la revue
Science
. Ils ont en effet montré que la
protéine PrP est capable de transmettre des signaux à la cellule
normale. J'insiste sur le fait qu'il s'agit d'une protéine normale. Il
faut donc à présent savoir comment est faite cette
protéine normale. Sa structure dans l'espace peut être
comparée à un yo-yo, constitué d'une partie globulaire
très dense, difficilement modifiable dans sa structure
tridimensionnelle, et d'une grande ficelle capable de prendre toutes les formes
possibles dans l'espace. La protéine PrP ressemble à peu
près à cette figure.
L'hypothèse du prion postule que cette protéine change de forme
lorsqu'elle devient anormale. Ce changement de forme est lié à
l'interaction directe, à l'accrochage direct de la protéine
anormale à la protéine normale. Cet accrochage de la
protéine normale à la protéine anormale fait que la
protéine normale change de forme et adopte la forme de la
protéine anormale à laquelle elle s'est fixée. C'est la
théorie du prion. Je dois dire qu'un certain nombre de scientifiques,
certes minoritaires, n'adhèrent pas à cette théorie. En
particulier, le découvreur suisse de la structure tridimensionnelle de
la protéine pense que la protéine ne se modifie pas dans sa
forme. D'autres facteurs assurent la propagation de l'agent infectieux. Il ne
s'agit toutefois que de querelles d'école. Il me paraît toutefois
important de préciser que la situation n'est en aucun cas figée
et que les connaissances n'ont pas encore abouti sur ce point. Nous ne
connaissons pas en effet la structure tridimensionnelle de la protéine
anormale. Nous ne pouvons donc pas affirmer que l'hypothèse du prion
soit la bonne.
M. le Rapporteur
- Existe-il toutefois des approches virales,
conformément à ce qu'il avait été sous-entendu
à une certaine époque ?
M. Dominique Dormont
- Je ne pense pas qu'une approche virale,
ressemblante par exemple à celle de la grippe, puisse être mise en
application. Je ne connais en effet aucun virus capable de résister
à 180 ° pendant 24 heures.
En revanche, vous ne pouvez empêcher que la protéine anormale
interagisse avec les quelques centaines de virus endogènes dont nous
sommes porteurs. Je rappelle que notre génome contient des
séquences de virus dont nous avons hérité au cours de
l'évolution et qui se sont stabilisés dans notre code
génétique. Il arrive parfois que cette partie d'origine virale de
notre propre génome se dérégule et se met à induire
des maladies. Sous cet angle, il n'est donc pas possible d'éliminer
formellement ce problème. Je répète que cette
hypothèse n'est toutefois pas considérée actuellement
comme la plus probable.
M. Paul Blanc
- Avez-vous pris connaissance de l'article du Professeur
Montagnier, paru dans le numéro de Paris Match de la semaine
dernière ?
M. Dominique Dormont
- Non, Monsieur.
M. Paul Blanc
- Cet article semble aller tout à fait dans votre
sens.
M. Dominique Dormont
- Je regrette de ne pas l'avoir lu.
M. Gérard César
- Je voudrais poser une question à
M. Dormont concernant la décision qui a été prise hier au
conseil des ministres de Bruxelles. J'aimerais que vous puissiez nous donnez
votre avis sur le paragraphe suivant.
« (...) En second lieu, le comité scientifique et directeur se
penchera sur les mesures nationales de retrait des matériels à
risque spécifié et allant au-delà de la
réglementation communautaire. Le retrait de la colonne
vertébrale, du thymus, de la rate, de T-bone, des graisses issues des
farines animales pratiqué par certain Etat membres tels l'Allemagne, la
Grèce et la France. (...) ». L'avis du comité
scientifique est attendu pour le 15 janvier 2001.
Qu'en pensez-vous. ?
M. Dominique Dormont
- Il m'est difficile de vous répondre sur le
fait. Ces problèmes sont en effet avant tout politiques et
administratifs. Ils sortent donc du champ scientifique, seul domaine pour
lequel je bénéficie d'une petite légitimité. Il
m'est donc impossible de répondre à votre question autrement
qu'à titre de citoyen. Je peux dire toutefois que le retrait des abats
à risques spécifiés est une mesure recommandée par
les scientifiques depuis des années. Nous avons donc été
très soulagés lorsque nous avons su, le 1
er
octobre
2000, que l'Europe acceptait enfin de mettre en place cette mesure. Il s'agit
de la mesure la plus importante qu'il fallait mettre en place. En effet, c'est
dans ces abats à risque spécifiés que peu se trouver
potentiellement 99,9 % de l'infection.
M. Michel Souplet
- Le muscle est-il sain dans tous les cas ? Cette
précision serait importante pour nous permettre de rassurer le
consommateur.
M. Dominique Dormont
- Si vous le voulez bien, je répondrais
à votre question en deux temps. L'une des caractéristiques des
maladies à prion est que la distribution de l'agent infectieux en
périphérie (je ne parle pas en effet du système nerveux)
varie selon le type de prion et selon la génétique de
l'hôte.
Par exemple, si nous inoculons le prion de l'agent bovin à une
vache lorsque la vache est malade, l'infection est uniquement
détectée dans le système nerveux central, la rétine
et dans de moindres proportions dans l'iléon terminal. Le même
prion inoculé à un mouton induira une infectiosité dans
l'ensemble des formations lymphoïdes de l'organisme. L'agent est pourtant
le même. Il est par conséquent impossible d'extrapoler les
résultats obtenus dans un modèle avec un même prion dans
une autre espèce ou à un autre prion dans une même
espèce. Cela est en effet relativement compliqué.
J'en arrive à présent à la question de savoir s'il y a de
l'infection associée au muscle squelettique. Dans des circonstances de
laboratoire, c'est-à-dire dans un endroit où l'on prend soin de
disséquer correctement le muscle et si l'agent est inoculé par
voie intracélébrale dans le muscle de plusieurs animaux
appartenant à la même espèce, ce qui constitue le test le
plus sensible à l'heure actuelle pour détecter l'infection, alors
j'affirme que l'infection n'a pour le moment jamais été
transmise, et ce dans toutes les espèces pour lequel ce test a
été réalisé.
Cette expérience n'est toutefois pas encore terminée en ce qui
concerne la maladie bovine. Il faut savoir par ailleurs que les Britanniques
ont inoculé du muscle bovin à des souris de laboratoire.
Là encore, aucune infection n'a été
détectée. Il faut néanmoins savoir que lorsque l'on change
d'espèces, il existe un phénomène de barrière
d'espèce qui fait qu'il n'est pas possible de détecter l'agent en
dessous d'une certaine quantité d'unités infectieuses. Par
exemple, le fait de transmettre l'infection du bovin à la souris divise
l'efficacité de transmission par un facteur 1000. Lorsque la souris
n'est pas malade, il n'est donc pas possible d'affirmer qu'il n'y a pas
d'infection. Il s'agit plus précisément de dire qu'il existe dans
l'organisme de cette souris moins de 1 000 unités infectieuses.
Les expériences les plus efficaces consisteraient à inoculer des
bovins avec du muscle de bovin. Ces expériences sont en cours, mais
elles sont extrêmement longues à réaliser. Je rappelle en
effet que la durée d'incubation moyenne du bovin est de cinq ans. Nous
devons donc attendre plusieurs années avant de savoir si les
résultats seront positifs ou négatifs. En effet, en ce qui
concerne les maladies à prion, plus la quantité d'agent
infectieux est faible, plus le temps d'incubation est long.
Je voulais donc vous faire connaître les limites de nos connaissances
actuelles. Je pense que nous pouvons toutefois affirmer que le risque est
actuellement minime. Il n'est toutefois pas possible de l'exclure totalement,
puisque l'expérience n'est pas terminée. Dans toutes les autres
maladies à prion, qu'elles soient humaines ou animales et dans
lesquelles nous disposons d'un certain recul, l'infection n'a jamais
été transmise à partir du muscle squelettique.
M. Michel Souplet
- Le lait constitue-t-il un danger ?
M. Michel Dormont
- La transmission ne semble pas plus s'effectuer par
le lait que par le muscle. Je précise toutefois que le colostrum a
parfois transmis l'infection.
M. Roland du Luart
- Je voulais poser une question au sujet du
délai d'expérimentation, mais le professeur y a en partie
répondu. Dans l'état actuel de nos connaissances, vous nous dites
par conséquent qu'il est nécessaire d'attendre cinq ans minimum
pour avoir une certitude absolue sur la transmissibilité du muscle bovin.
M. Dominique Dormont
- Je pense qu'un délai de 10 ans serait plus
raisonnable. Il existe toutefois des modèles alternatifs
expérimentaux qui sont en cours de mise au point. Ces modèles
consistent à prendre le gène de la protéine du prion du
bovin et à l'insérer dans le patrimoine génétique
de la souris. Il est par conséquent possible de fabriquer des souris
transgéniques exprimant la protéine PrP du bovin. La souris
devient alors hautement sensibles à l'agent bovin. Elle se comporte
comme une vache vis-à-vis du prion bovin.
Ces souris sont « construites » en Californie, en Allemagne
et en France. Le modèle est en train d'être validé. Je
pense que d'ici un an ou deux, nous disposerons d'outils plus rapides
permettant de répondre à ce type de question.
M. Roland du Luart
- Pouvons-nous créer une souris ayant les
mêmes caractéristiques que l'homme dans ce domaine ?
M. Dominique Dormont
- Absolument. Nous nous heurtons toutefois aux
limites scientifiques actuelles dans ce domaine. Il demeure qu'une souris
transgénique exprimant la protéine PrP humaine réagira
comme un homme vis-à-vis des prions. Les auteurs américains et
britanniques ont en effet montré que l'infection par l'agent de la
maladie de Creutzfeldt-Jakob était parfaitement répliquée
par ce type de souris. Seul le nouveau variant n'était pas
détectable. En revanche, la souris exprimant la protéine PrP du
bovin détecte dans 100 % des cas la nouvelle forme de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob, ce qui montre bien que cette maladie est d'origine bovine.
M. Gérard Le Cam
- M. le Professeur, vous avez
évoqué tout à l'heure la maladie du vison. Or nous savons
le ragondin pullule actuellement dans nos cours d'eau. Des recherches ont-elles
été effectuées dans ce sens ? Je pense
également aux félins et je me demande si des liens ne doivent pas
être établis. Je me demande enfin pourquoi il n'est pas possible
de réaliser le test directement au niveau des nerfs. Enfin, pouvez-vous
nous dire si la présence des nerfs dans le muscle peut-être
porteuse de prions.
M. Dominique Dormont
- Nous n'en avons pas trouvé pour le moment
de maladie à prions chez les espèces sauvages, en dehors des
cerfs, des élans et des daims que j'évoquais tout à
l'heure. La recherche de la maladie chez les animaux sauvages est toutefois
très difficile. Il faut vraiment que nous soyons confrontés
à une mini-épidémie pour que nous commencions à
diagnostiquer l'apparition d'une maladie. Je précise toutefois que dans
le cadre de la surveillance de la rage dans notre pays, des
prélèvements seront effectués sur le cerveau des animaux
sauvages. Je dois dire cependant que les résultats dont nous disposons
actuellement sont anecdotiques et ne permettent pas de répondre avec
certitude à votre question.
J'en viens à présent au problème de la détection de
l'infection dans l'iléon. Deux éléments doivent être
retenus dans ce domaine. Tout d'abord, il faut savoir qu'en ce qui concerne la
vache infectée expérimentalement avec de fortes doses, les
Britanniques ont montré qu'il existait de l'infectiosité dans
l'iléon. En revanche, il n'a pas encore été trouvé
d'infectiosité dans l'iléon chez les vaches naturellement
malades. Par ailleurs, la quasi-totalité des tests validés
à l'heure actuelle pour la vache infectée
expérimentalement ne sont pas en mesure de détecter la
protéine pathologique dans l'iléon. Ceci à la fois pour
des raisons de niveau de sensibilité, et en raison du fait que la
texture du tissu n'a rien à voir avec le système nerveux central.
De plus, la première phase qui est une phase d'extraction des
protéines doit être revisitée et adaptée à
l'iléon. Des recherches sont menées dans ce sens actuellement,
mais n'ont pas encore abouti.
En ce qui concerne les nerfs dans les muscles, je vous invite à vous
reporter à la classification des organes selon l'OMS afin de constater
qu'en classe 3 B se trouve le nerf sciatique. Ce dernier représente un
gros tronc nerveux. Effectivement, dans certains cas, il est arrivé
qu'un peu d'infectiosité soit détectée, associée au
gros tronc nerveux. Jusqu'à présent, le muscle squelettique
inoculé aux animaux n'était pas dénervé. Seuls un
peu de sang, de muscles et de nerfs ont en fin de compte étaient
inoculés. Je pense par conséquent que si quelque chose doit
être infectée, celle-ci se trouve en dessous de la dose
infectieuse intra-spécifique. Elle est donc très en dessous de la
dose infectieuse interspécifique.
Les Suisses ont néanmoins récemment montré qu'en
manipulant génétiquement certaines souris, ils pouvaient faire
augmenter considérablement au cours de l'embryogenèse la mise en
place de l'innervation au niveau de la rate. Les nerfs de la rate peuvent en
effet être multipliés de façon considérable. Lorsque
ces souris sont infectées, le titre infectieux de la rate est
multiplié par mille, du fait de la présence de cette forte
innervation. Ce modèle est toutefois extrêmement artificiel. Je
pense que nous devons considérer ce résultat comme
scientifiquement intéressant, nous ne devons toutefois pas en tirer trop
de conséquences de santé publique.
M. Paul Blanc
- En 1996, vous présidiez un comité
scientifique qui a préconisé, au nom du principe de
précaution, l'interdiction de l'utilisation des cadavres à risque
pour la fabrication des farines animales. Dans un texte publié au
journal officiel le 28 novembre 1996, le gouvernement a certifié avoir
pris dans mesures allant dans ce sens. Pensez-vous que ces mesures aient
été effectivement et efficacement prises ?
M. Dominique Dormont
- Nous sortons du domaine de la science. Cela fait
toutefois parti de votre rôle. Il n'est toutefois pas possible de
demander à un chercheur de se prononcer sur la pertinence de
l'application des mesures administratives et du respect des lois. Ce n'est pas
notre métier. En effet, lorsqu'un responsable opérationnel
m'explique les raisons qui président à l'application d'un
règlement, je lui accorde crédit naïvement, car je n'ai
malheureusement pas les moyens d'avoir une approche critique de ce qui est
présenté. Les scientifiques sont obligés de partir du
postulat selon lequel les règlements sont appliqués. J'ajoute que
l'ensemble des avis que nous avons rendus sont systématiquement
prononcés sous réserve du contrôle de l'application des
mesures. Nous ne sommes toutefois pas capables d'apprécier l'application
des mesures sur le terrain. C'est en effet un autre métier que celui
d'apprécier l'efficacité des contrôles. Il ne s'agit en
aucun cas d'un métier de chercheur. Tant que les abats à risque
ne sont pas retirés du marché, conformément à ce
que prévoit la loi, alors qu'il est clair que les farines ne seront pas
sûres. Au contraire, si la loi est appliquée, alors les farines
sont sûres. Nous devrons néanmoins attendre 2002 pour savoir si
ces mesures ont été appliquées. En effet, la maladie met
cinq ans à incuber et le décret de 1996 n'a pas pu rentrer en
application avant l'année 1997.
M. Paul Blanc
- Ce décret date de mars 1996.
M. Dominique Dormont
- L'élimination des cadavres demeure
toutefois postérieure. Nous ne pourront donc pas avoir de conclusions
avant 2002.
M. Paul Blanc
- L'enquête le déterminera.
M. Dominique Dormont
- L'enquête actuelle ne vous permettra que de
détecter les cas qui sont nés il y a cinq ans en moyenne.
M. Paul Blanc
- L'enquête nous permettra toutefois de savoir si
toutes les précautions ont été prises.
M. Dominique Dormont
- Je pense que nous touchons là un
problème important. Je ne serais pas surpris que nous trouvions quelques
animaux développant une ESB, tout en étant né après
la mise en place effective des mesures sur les farines de viande. Cela est en
effet inévitable. Le problème réside dans le nombre des
animaux malades qui seront détectés. S'ils sont plusieurs
dizaines, alors cela sera clairement inquiétant. Si au contraire, ils ne
sont que deux ou trois, alors le problème restera anecdotique et
correspondra à l'extinction d'un phénomène. Cette notion
quantitative me paraît en effet importante.
Nous allons devoir regarder avec beaucoup d'attention les âges des bovins
qui sont trouvés positifs. Si la majorité des bovins
trouvés positifs était née après le
1
er
janvier 1997, alors il y aurait de réelles raisons
de s'inquiéter. Si en revanche, la majorité des bovins
trouvés positifs était née après le 1
er
janvier 1997, cela signifiera alors qu'il sera encore nécessaire
d'attendre pour savoir si les mesures ont réellement été
appliquées.
M. Jean Bernard
- Je voudrais savoir comment les Australiens ont
réussi à éradiquer la tremblante du mouton de leur
territoire.
M. Dominique Dormont
- Je pense que Madame Brugère-Picoux est
plus qualifiée que moi pour vous le dire. Elle est
vétérinaire alors que je ne suis médecin.
M. le Rapporteur
- Pourriez-vous nous expliquer
l'éventualité de la fameuse troisième voie
évoquée par M. Glavany voilà un an ? De même,
je souhaiterais obtenir plus de détails sur le mode de transmission
verticale mère-veau.
Je voudrais également que vous évoquiez la difficulté de
mettre en place les tests, compte tenu de la non-réponse de l'organisme
infecté et que vous compariez les trois tests actuellement sur le
marché. Je voudrais enfin connaître votre analyse concernant le
souhait du politique de généraliser les tests sur les animaux de
plus de 3 mois, ceci vis-à-vis d'une médiatisation à
l'adresse du consommateur.
M. Dominique Dormont
- Je pense que nous devons replacer la situation
dans son contexte. Il a été demandé aux scientifiques de
déterminer les hypothèses pouvant expliquer l'apparition des cas
d'ESB chez les animaux nés après l'interdiction des farines.
Les scientifiques ont répondu que ces cas seraient premièrement
dus à une exposition illicite et frauduleuse. Ils pourraient ensuite
être dû à des contaminations accidentelles. Ces
hypothèses nous ont paru être les deux plus importantes, en
particulier en ce qui concerne les contaminations croisées, que
celles-ci est d'ailleurs lieu à l'usine d'aliment, durant les transports
ou à la ferme.
Une analyse scientifique cohérente nécessite toutefois de faire
des hypothèses. Ces deux premiers cas supposent par conséquent
que des erreurs aient eu lieu dans la distribution des farines. Toutefois, si
nous admettons qu'il n'y a pas eu d'erreur, alors nous sommes obligés de
faire d'autres hypothèses, telles que celle de la transmission
mère-veau. L'étude ayant mis en avant ce mode de transmission
n'est toutefois pas très concluante. En d'autres termes, la transmission
mère-veau est très faible, lorsque toutefois elle existe. De
plus, elle n'intervient qu'au cours des six derniers mois de la période
d'incubation de la mère. Nous n'en sommes toutefois pas certain,
même si nous avons un doute.
Ces hypothèses ne sont toutefois pas suffisantes pour expliquer le
nombre de 40 000 veaux contaminés apparus en Grande-Bretagne
après que les farines aient été interdites.
Une autre hypothèse doit alors être élaborée. Il
peut en effet exister une voie inconnue de contamination. Voilà ce que
M. Glavany a appelé la troisième voie.
Certaines hypothèses sont hautement probables parce que l'action des
vétérinaires, des gendarmes et des juges semble leur donner
raison et montre que des circulations de farine de viande contaminés ont
eu lieu au détriment du respect de la santé publique. La
transmission mère-veau ne doit pas être laissé de
côté pour autant.
Les autres hypothèses devront être prises en considération
le jour où l'administration aura la certitude que ses
réglementations sont appliquées, tout en constatant que les cas
d'ESB continuent.
M. le Rapporteur
- Peut-on imaginer que l'utilisation de la farine de
viande dans l'assolement pourrait nous conduire à une maladie tellurique
et par conséquent à un ensemencement des sols et des nappes
phréatiques.
M. Dominique Dormont
- Nous ne disposons pas des éléments
scientifiques suffisants pour répondre à cette question. Nous
savons toutefois que le prion est capable de survivre dans des conditions
étonnantes.
L'exemple du chercheur américain qui a montré qu'il fallait plus
de trois ans pour éliminer une souche de tremblante enterrer dans un pot
de fleur est à ce sujet célèbre. Il ne s'agit toutefois
que d'un fait expérimental encore relativement anecdotique.
Par ailleurs, il faut savoir que si l'environnement avait réellement
été contaminé, nous n'assisterions pas alors à la
décroissance des cas britanniques tels qu'elle existe actuellement.
Néanmoins, l'effet des farines est si important qu'il peut parfois
masquer des petites voies de contamination alternative qui nécessiteront
peut-être 10 ou 15 ans de travaux avant de pouvoir les identifier. Nous
ne disposons toutefois à l'heure actuelle d'aucun élément
allant dans ce sens.
La durée d'incubation des ESB naturelle est d'environ quatre ans. Avec
un peu de chance, il peut être possible de détecter la
protéine 6 à 8 mois avant l'apparition des signes cliniques. Le
fait de tester les bovins les plus âgés fait donc appel à
un rationnel scientifique certain. En revanche, il n'y aurait aucune
rationalité scientifique à aller tester les animaux de 6 mois,
car les tests dont nous disposons aujourd'hui ne nous le permettent pas.
Quels sont les tests dont nous disposons aujourd'hui ? trois tests ont
été validés par l'Union européenne : un test
de la société irlandaise Enfer, un test mis au point par la
société suisse Prionics, et un dernier test créé
par le commissariat à l'énergie atomique et dont le
développement industriel a été pris en charge par la
société Sanofi. Je précise toutefois que pour des raisons
de réorganisation de l'industrie pharmaceutique, cette partie de Sanofi
est désormais contrôlée par l'américain Biorad. Le
test est donc commercialisé par cette dernière
société.
L'étude pilotée en aveugle par l'Union européenne a
montré que les trois tests détectent 100 % des animaux
malades. L'étude n'a en effet porté que sur les animaux malades.
En prélevant le cerveau des animaux malades et en le diluant, il est
possible d'avoir une idée de la quantité de protéine
détectable. Le test Enfer est cinq à 6 fois, voire 10 fois plus
sensible que le test Prionics. De son côté, le test Biorad est 30
fois plus sensible que le test Prionics. Aujourd'hui, dans l'état de la
technologie des tests mis actuellement sur le marché et validé
par l'Europe, le test Biorad est donc le plus sensible.
M. le Rapporteur
- Sa mise en application n'est-elle pas plus difficile
que le test Prionics ?
M. Dominique Dormont
- Il est possible qu'un problème de
faisabilité ait influé sur la décision de prendre un test
qui n'était pas le plus sensible. Il est vrai que le test Prionics
était utilisé sur le terrain en Suisse depuis plusieurs mois. Il
avait donc démontré sa praticabilité sur le terrain. Les
deux autres tests n'avaient en effet été utilisés qu'en
laboratoire. Votre argument peut effectivement être pris en
considération.
Je voudrais toutefois faire une réflexion allant au-delà du choix
des tests. Il est vrai que les scientifiques apprécient d'utiliser les
tests les plus sensibles. De même, l'administration aime bien utiliser
des tests qui ont déjà eu l'occasion de faire leur preuve. Dans
le cas qui nous intéresse, il faut savoir que nous disposions de deux
test de qualité, l'un étant toutefois plus sensible que l'autre.
Le plus important a toutefois été de prendre la décision
de procéder à cette campagne de test et de prendre à
pleines mains ce problème de santé publique. C'est en effet parce
que la France a pris la décision d'appliquer ces tests que l'Europe a
été finalement contrainte de lancer sa première campagne
de test, qui toutefois a été insuffisante. En effet, elle
n'aurait probablement pas permis de détecter l'épidémie du
Portugal. Un premier pas a toutefois pu être ainsi franchi et a permis
à la commission de proposer une politique cohérente à tous
les pays de l'Union. Il appartient toutefois aux ministres de prendre une
décision. Je pense cependant que cette campagne de test a permis de
faire évoluer les mentalités. Je pense qu'il est surtout
important de retenir ce point de vue.
M. le Président
- Les tests ne risquent-ils pas au contraire de
renforcer le sentiment d'insécurité ?
M. Dominique Dormont
- Il est vrai qu'il n'est pas suffisant que le
résultat d'un test soit négatif pour que la
sécurité alimentaire soit de fait assurée. Cette
réalité est de plus valable pour les trois tests. L'un d'entre
eux permet de détecter un plus grand nombre de cas, cela ne signifie pas
pour autant que les bovins qui auront été déclarés
négatifs ne seront pas en réalité infectés.
M. François Marc
- Quel crédit peut-on accorder aux
affirmations selon lesquelles certains cas humains recensés en
Grande-Bretagne ainsi que l'un des trois cas constaté en France auraient
été infectés
via
l'injection d'hormones de
croissance et autres produits pharmaceutiques ?
M. Dominique Dormont
- Je pense que vous faites allusion à
l'hormone de croissance bovine et non pas à l'hormone de croissance
humaine.
M. François Marc
- Il semble toutefois que plusieurs vaccins
pourraient poser problème.
M. Dominique Dormont
- Il est vrai que certains vaccins peuvent contenir
des constituants d'origine bovine. L'albumine bovine peut en effet servir
à stabiliser les vaccins. Par ailleurs, les sérums de voeu
peuvent servir à faire pousser les cellules permettant de fabriquer les
virus atténués qui servent ensuite de vaccin. Il s'agit en effet
d'une technique très classique dans le domaine des biotechnologies.
Toutefois, l'hormone de croissance et autres médicaments ne doivent pas
être mis en cause, pas plus d'ailleurs que les vaccins. Je pense qu'il
s'agit d'un des rares domaines dans lequel nous pouvons être presque
affirmatif.
M. le Président
- Voilà au moins une certitude.
M. Dominique Dormont
- C'est en tout cas une quasi-certitude.
M. le Président
- Les différents organismes qui se
consacrent à la recherche sur les maladies à prion
coordonnent-ils leurs travaux ?
M. Dominique Dormont
- Le programme de recherche sur les prions a
été dès sa création un programme inter-organismes.
Les budgets étaient décidés par le comité
interministériel sur les maladies à prions. La situation a
toutefois changé à présent. Je ne sais toutefois pas
précisément comment va évoluer la situation. Je ne peux
donc vous parler que de la situation telle qu'elle était au 30 novembre.
Deux facteurs ont à mon avis été importants en ce qui
concerne la recherche pour les maladies à prions. L'Europe a tout
d'abord été un moteur considérable. En effet, cette
dernière a débloqué des fonds importants. De plus, les
projets européens ne sont recevables que s'ils ont pour cadre un
réseau de laboratoires issus de plusieurs pays différents. Les
différents laboratoires européens sont donc obligés de
collaborer. L'appât du gain ainsi que la nécessité de
coopérer ont donc considérablement renforcé la
collaboration entre les laboratoires publics des états membres.
De plus, la nature du programme français était d'être
inter-organismes. De nombreux projets ont donc été
présentés en partenariat. Par ailleurs, les projets de recherche
en réseau représentent une innovation très constructive du
programme prion. Il s'agit toutefois de soumettre aux autorités une
technologie plutôt qu'un projet de recherche. Les laboratoires sont ainsi
invités à faire la démonstration de leur savoir faire.
Après examen d'une commission scientifique, les différents
laboratoires étaient regroupés au sein de projet de recherche en
réseau. Cela a permis d'éviter les doublons dans la fabrication
des animaux transgéniques et des anticorps. Cette organisation a
également permis de développer le test. Une telle structuration
de la recherche n'existait pas jusqu'à présent dans les autres
programmes précédemment mis en place.
M. le Président
- Cette organisation est donc globalement bien
faite.
M. Dominique Dormont
- De mon point de vue, oui.
Je crois néanmoins que la recherche en France souffre d'un
problème structurel. Il est en effet impossible de faire appel aux
compétences des chercheurs post-doctorants. La recherche n'est en effet
pas initiée par les patrons, mais par les jeunes chercheurs. Les
thésards et les post-doctorants ne peuvent toutefois pas être
statutaires. La seule possibilité est de les faire
bénéficier de bourse post-doctorante. Le droit du travail
français est tel qu'il n'est pas possible d'employer ces jeunes
chercheurs dans des organismes publics plus de 18 mois. Cette situation est
absolument ingérable dans des thématiques comme celles du prion.
Je précise toutefois que ce problème n'est pas particulier
à la recherche sur les prions. Il s'agit d'un problème
général de la recherche française. Il n'est en effet pas
possible de signer des contrats de 3 à 5 ans avec des chercheurs et des
techniciens supérieurs. Ces personnes ont donc tendance à
émigrer en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis.
M. le Président
- Nous ferons passer votre message. Quel est
votre jugement sur l'action de l'AFSSA et quelles sont les relations que vous
entretenez avec elles ?
M. Dominique Dormont
- Nous entretenons avec l'AFSSA les mêmes
relations qu'avec l'ensemble de nos tutelles. Le Directeur
général de l'AFSSA pose en effet des questions au comité
interministériel, lorsque le gouvernement le saisit d'un problème
ayant trait aux maladies à prion. D'une certaine façon, nous
sommes le bras de l'expertise scientifique de l'AFSSA. En ce qui concerne les
autres domaines de son expertise, l'AFSSA dispose en interne de ses propres
ressources. Par exemple, nous avions émis une expertise au sujet de
l'intestin il y a quelques années. Le gouvernement a ensuite voulu
bénéficier d'une actualisation de ces avis. Il a donc fait appel
à l'AFSSA comme la loi l'y oblige. L'AFSSA s'est ensuite tournée
vers le comité interministériel. Nous avons donc répondu
au Directeur général de l'AFSSA.
M. Jacques Bimbenet
- Vous avez dit tout à l'heure qu'il n'avait
encore jamais été vu de prion. Comment est-il alors possible de
diagnostiquer une maladie à prion ?
M. Dominique Dormont
- C'est une bonne question. Il existe deux
façon de détecter une maladie à prions. L'une est efficace
à 100 %. Il suffit d'inoculer un animal de la même
espèce et de montrer que ce dernier tombe malade. Il faut ensuite
prélever le cerveau de l'animal malade, le broyer et l'inoculer
directement dans le cerveau de l'animal receveur. Quelques mois ou quelques
années plus tard, l'animal receveur développera une maladie
comparable à celle d'origine. Le développement de la maladie sera
la preuve de la transmissibilité.
Il existe également des méthodes biochimiques consistant à
mettre en évidence la protéine sous sa forme anormale. Il se
trouve que la protéine sous sa forme anormale résiste aux enzymes
qui dégradent habituellement la protéine normale. Il faut
prélever le cerveau d'un sujet malade, le broyer, le traiter avec les
enzymes qui dégradent la protéine normale. S'il reste ensuite de
la protéine, alors cela signifie que celle-ci est anormale. Je
précise toutefois que si nous savons qu'il existe de
l'infectiosité, nous ne connaissons toutefois pas le support biologique
de l'infectiosité.
M. Michel Souplet
- Mangez-vous de la viande de boeuf sans aucune
appréhension ?
M. Dominique Dormont
- On me pose souvent cette question. A chaque fois
je réponds qu'il existe bien des cancérologues qui fument.
M. le Président
- Je vous remercie infiniment. Nous avons
apprécié l'ensemble des renseignements que vous nous avez
apportés. Nous restons toutefois inquiets à cause du nombre
d'incertitudes qui demeurent. Celles-ci sont d'ailleurs la preuve de la
complexité du problème. Il semble par conséquent que vous
avez encore beaucoup de travail devant vous.
Je vous demande de bien vouloir nous informer de l'évolution des
connaissances au cours des six mois que durera notre commission
d'enquête, afin que nous puissions les intégrer à notre
réflexion.
M. Dominique Dormont
- Je me tiens à votre disposition pour
répondre à toutes les questions que vous pourriez vous poser.