c) Le retrait des matériaux à risque spécifiés : six ans après le Royaume-Uni !
S'agissant des MRS, la France a réagi, dans un premier temps, d'une manière convenable, en interdisant, trois mois après la mesure anglaise, l'utilisation dans l'alimentation humaine de MRS en provenance du Royaume-Uni et ce, dès le 16 février 1990.
L'arrêté du 30 décembre 1991, paru au Journal officiel le 12 février 1992, en distinguant les matières à haut risque et les matières à faible risque, a retiré de l'alimentation animale et humaine les animaux élevés et trouvés morts sur l'exploitation (y compris les animaux morts nés ou non arrivés à terme), les autres cadavres, les animaux abattus dans le cadre de mesures de lutte contre les maladies et les animaux morts en cours de transport.
La commission d'enquête tient à rappeler que l'interdiction d'ajout de MRS dans l'alimentation infantile (petits pots pour bébé) n'a été obtenue, non sans mal, que le 31 juillet 1992.
Lors de son déplacement dans le Doubs, le 18 janvier 2001, sa délégation a pris connaissance avec stupéfaction d'une lettre du 6 décembre 1990 d'un fabricant d'aliments pour animaux de compagnie adressée à l'abattoir de Besançon.
Extrait d'une lettre du 6 décembre 1990
adressée par
... « Suite aux problèmes de BSE en Angleterre et en Suisse, l'utilisation de la moelle épinière a été interdite par la FEDIAF [Fédération européenne de l'industrie des aliments pour animaux familiers] , dans les aliments pour animaux. « Nous vous achetons des carcasses de boeuf entières. Normalement, les moelles épinières sont systématiquement enlevées lors de l'abattage. « Pouvez-vous me confirmer par écrit la véracité de ce fait, ceci afin de ne pas être en contradiction avec nos engagements auprès de la FEDIAF ? »... |
Au moment où les producteurs de « pet food », c'est-à-dire d'aliments pour animaux familiers, s'assuraient d'eux-mêmes du retrait des MRS, la France bataillait ferme à Bruxelles pour interdire l'adjonction de cervelles dans les seuls petits pots pour bébés...
Mais, alors que le Royaume-Uni interdit l'introduction de tout MRS dès avril 1990, la France va attendre six ans pour prendre cette décision, pourtant reconnue comme assurant la sécurité la plus importante, tant pour éradiquer la maladie animale que pour éviter l'exposition au risque des consommateurs.
Il aura fallu la révélation du ministre anglais de la Santé, le 20 mars 1996 à Westminster, de dix cas de nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, pour conduire à l'interdiction en France des MRS.
Mais, dans un premier temps, l'arrêté du 12 avril 1996, paru au Journal officiel du 14 avril 1996 et complété par l'arrêté du 13 juin 1996, procède au retrait des MRS pour les seuls bovins abattus nés avant le 31 juillet 1991 et pour tous ceux importés avant cette date ;
La lecture des compte rendus des réunions interministérielles montre que la décision a fait débat et que le ministère de l'agriculture a pesé de tout son poids pour empêcher une interdiction générale des MRS. Le « bleu » de la réunion du 10 avril 1996 montre en effet clairement que le représentant du ministère de l'agriculture, à l'inverse de celui du secrétariat d'Etat à la santé, était réticent à l'idée d'étendre le retrait des MRS à l'ensemble des bovins et souhaitait ne l'appliquer que pour ceux nés avant le 31 juillet 1991, considérés comme les plus à risque. Le compte rendu ajoute : « En effet, depuis le 31 juillet 1990, l'incorporation de farine de viande dans les aliments pour ruminants [sic : ce sont seulement les bovins] est interdite. Si l'on prend une marge d'un an pour tenir compte des stocks qui pourraient éventuellement exister dans les élevages, on en conclut que les ruminants nés après le 31 juillet 1991 ne présentent aucun risque. Il souligne [le ministère de l'agriculture] qu'une politique de prévention ne peut pas être fondée sur les risques de fraudes . Il remarque [idem] que la commission a d'ores et déjà reproché à la France l'interdiction des abats des animaux nés avant le 31 juillet 1991 au motif que la France n'avait pas en ce domaine à prendre des mesures indépendamment du reste de la Communauté » .
C'est la création le 17 avril 1996 du comité interministériel d'experts sur les ESST, présidé par M. Dominique Dormont, qui va permettre, dans un second temps, l'édiction de la décision la plus sûre : l'arrêté du 28 juin 1996, paru au Journal officiel du 29 juin 1996, oblige au retrait de l'encéphale, de la moelle épinière et des yeux de tous les bovins âgés de plus de six mois et des ovins et caprins âgés de plus de douze mois.
Le principe de l'interdiction généralisée des MRS dans l'alimentation humaine et le retrait des MRS de bovins et d'ovins du processus de fabrication des farines animales est enfin posé.
Ce retrait des MRS vise aussi bien les produits fabriqués en France que ceux importés.
En ce qui concerne l'alimentation humaine, un arrêté du 10 septembre 1996 ajoute une mention complémentaire obligatoire sur les documents d'accompagnement de tout produit d'origine animale en provenance d'un Etat membre de l'Union européenne, ou d'un pays tiers, déclarant l'absence de MRS dans le lot concerné.
S'agissant de l'alimentation animale, un second arrêté du 10 septembre 1996 interdit la commercialisation d'aliments pour animaux ou d'ingrédients pour aliment, contenant des matières à haut risque à incinérer et des MRS.
Les règles de sécurité posées par la décision communautaire du 18 juillet 1996 (133°, 3 bars, 20 minutes ou système équivalent) ne seront transposées en France que par un arrêté de février 1998.
Comme il a déjà été vu, la France a concentré ses efforts, dans le cadre de la négociation européenne, pour que le procédé industriel allemand dit des 1 33° ne soit pas le seul imposé : « elle avait de très fortes interrogations sur la fiabilité du dispositif » et « elle avait d'ores et déjà décidé d'exclure (...) les matériaux à risques et les cadavres » 48 ( * ) .
Mais notre pays était également incapable d'adopter un tel procédé aussi rapidement, en raison de « contraintes administratives tenant à la constitution des dossiers avec enquêtes publiques » et de « contraintes industrielles : il existe peu de fabricants spécialisés dans les équipements de traitement capables de mettre en oeuvre les procédés retenus par la Commission » .
Aussi la « sécurisation » supplémentaire qu'engendre le traitement thermique des farines n'a-t-elle été mise en application que dans la seconde moitié de l'année 1998.
* 48 Selon le compte rendu de la réunion interministérielle du 5 novembre 1997.