2. Les causes de la diffusion et de l'amplification de l'ESB : un moindre chauffage des farines anglaises
Si les raisons de l'apparition initiale de la maladie restent indéterminées, la cause principale de sa diffusion a été très vite identifiée au Royaume-Uni : il s'agit de la dégradation du processus de fabrication des farines animales, et notamment de la défaillance du traitement thermique de ces farines.
L'audition par la commission d'enquête de nombreux représentants de la communauté scientifique a permis de confirmer cette hypothèse.
Mme Brigitte Chamak, biologiste et chercheur à l'INSERM, a ainsi rappelé les faits suivants : « En avril 1988, paraissent les résultats d'une enquête épidémiologique conduite par John Wilesmith. Ce dernier pensait que l'exposition pouvait dater des années 1981-1982 et que l'origine de cette épidémie était due à l'utilisation des farines animales. Il recommandait donc d'interdire provisoirement les farines animales dans l'alimentation du bétail. ».
Elle a ensuite précisé que « les traitements des farines ont été modifiés à partir du début des années 80, autant pour des raisons de coût que de sécurité. Il est en effet possible de supprimer le solvant, soit parce qu'il coûte cher ou soit parce que sa manipulation présente des dangers. Il est enfin possible de supprimer ces solvant, ainsi que de baisser la température de cuisson pour permettre aux farines de devenir plus nutritives, car tous les acides aminés seront ainsi conservés. ».
L'hypothèse la plus probable pour expliquer le développement de la maladie au Royaume-Uni est donc l'incorporation, dans la ration alimentaire des ruminants, de farines d'origine animale non parfaitement sécurisées lors de leur fabrication.
Les principaux procédés de fabrication des farines animales - la fabrication en discontinu (« batch rendering ») . Largement utilisé dans les années 70, ce type de procédé a été supplanté dans les années 80 par les systèmes de fabrication en continu : les matériaux d'équarrissage bruts sont broyés afin d'obtenir une taille moyenne des particules entrant dans les fours de 40 millimètres environ. Le temps de cuisson de la préparation est de 3 heures ½ à une température maximale variant de 120 à 135°C (en moyenne 125°C) sous pression atmosphérique. Cependant il existe une installation qui travaille sous pression (2 bars) à 141°C pendant 35 minutes. Les graisses libérées lors de la cuisson sont drainées et évacuées du four. Les résidus solides obtenus en fin de cuisson sont ensuite placés dans une presse et/ou dans une centrifugeuse afin d'extraire le maximum de graisse. Le résidu déshydraté final est broyé finement afin d'obtenir une farine protéique utilisée dans la production des farines animales. L'utilisation de solvants organiques (phénol, hexane) pouvait également être pratiqué dans ce type de procédé afin d'augmenter le rendement d'extraction des graisses du produit. Ceci nécessite alors une étape de chauffage supplémentaire à 100°C pour permettre l'évaporation du solvant; - la fabrication en continu . Quatre systèmes différents ont été utilisés : Stord Duke system : ce procédé, largement utilisé en France, consiste à cuire, après broyage (taille des particules = 20-50 mm), les déchets d'animaux dans un bain d'huile à une température variant de 135 à 145°C pendant au moins 30 minutes à pression atmosphérique. Le matériau protéique obtenu est envoyé sous filtre-presse afin d'éliminer la phase huileuse, puis broyé pour obtenir de la farine. Stord Bartz system : il existe un grand nombre de systèmes Stord Bartz, de différents types et de différentes tailles. Le matériau préalablement broyé pour obtenir des particules de 20-50 mm de diamètre est chauffé à 125°C environ par de la vapeur provenant de disques rotatifs qui occupent toute la longueur du four. Ce traitement thermique dure en moyenne de 22 à 35 minutes. Le produit obtenu est ensuite passé sous filtre-presse afin d'extraire les graisses, puis broyé pour obtenir une farine protéique. Anderson Carver-Greenfield system : les déchets sont finement broyés (10 mm) et mélangés avec du suif chaud pour former une sorte de boue. Ce mélange est ensuite acheminé par pompage dans le système tubulaire du four qui est chauffé par de la vapeur à une température maximum de 125°C, sous un vide partiel. Le temps de séjour oscille entre 20 et 25 minutes. Le produit ainsi obtenu est centrifugé puis mis sous filtre-presse. Le système utilise des températures basses, proches de 80°C, qui permettent de conserver une meilleure teneur en sels minéraux et d'augmenter la valeur protéique. Protec De-Watering system : le produit brut préalablement broyé à 10 mm est chauffé pendant 3 à 7 minutes à 95°C. Les phases liquides constituées par l'eau et les graisses sont éliminées par centrifugation ou par une légère mise sous filtre-presse. La phase solide est quant à elle déshydratée par un chauffage à 120-130°C. |
Au début des années 1980, les industriels fabriquant ces farines ont cessé d'extraire les graisses des matières premières à l'aide de solvants organiques. Le prix de ces solvants a fortement augmenté après les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979. En outre, un accident, lié à la manipulation des solvants dans une des principales usines anglaises de production des farines, a entraîné un renforcement des mesures de sécurité du travail, qui a précipité une évolution technologique déjà engagée.
Enfin, il faut noter la disparition concomitante d'une étape particulière du procédé de fabrication : après l'extraction des graisses, les farines étaient nettoyées à la vapeur pour éliminer les traces de solvants, ce qui consistait en un traitement thermique à 125°C, en phase humide, susceptible de contribuer significativement à l'élimination des prions. De plus, ce traitement intervenait au moment où le prion est très sensible à la chaleur car il n'est plus protégé par la graisse des farines.
En adoptant massivement le système américain « Anderson Carver-Greenfield », les fabricants anglais de farines sont à l'origine de l'amplification de la maladie par recyclage successif de l'agent de l'ESB dans les farines. Cette théorie de l'amplification, à travers notamment l'utilisation comme complément alimentaire de farines tirées des restes de bovins, explique en particulier, en tenant compte de la durée d'incubation, comment un cas apparu peut-être au milieu des années 1960 a pu aboutir à une épidémie près de vingt ans plus tard. La maladie évoluant marginalement pendant plusieurs années aurait pu être confondue avec d'autres affections nerveuses touchant les bovins.