(2) Le refus d'un « plan protéines » par la Commission européenne
La septième proposition de la Commission européenne prévoit la possibilité, pour les exploitations intégralement affectées à l'agriculture biologique, de cultiver des légumineuses fourragères sur les terres gelées en contrepartie des aides communautaires.
A l'heure actuelle, les terres gelées -quel que soit le mode de production retenu, biologique ou non- ne peuvent être affectées qu'à des productions à usage non alimentaire.
Selon la Commission européenne, cette nouvelle dérogation applicable aux terres gelées permettrait, dans les exploitations concernées, de reconstituer de manière naturelle la fertilité des sols. La liste des cultures éligibles n'est pas précisée : elle serait fixée dans un texte d'application. Toutefois, la Commission a d'ores et déjà précisé qu'elle n'envisageait d'accepter que les cultures dont la liste figure dans le règlement « fourrages séchés », pour sa partie concernant les fourrages séchés au soleil. Les productions éligibles seraient donc : luzerne, sainfoin, trèfle, lupins, vesces, mélilot, jarosse et serradelle, séchés autrement qu'artificiellement et moulus. Les surfaces concernées, à l'échelle de l'Union, pourraient être de 50 à 60.000 hectares.
La mesure ainsi proposée est de portée très restreinte et ne peut donc contribuer significativement à résoudre le problème de l'approvisionnement de l'agriculture communautaire en protéines végétales.
En outre, dans la mesure où elle réserve le bénéfice de la dérogation aux exploitations entièrement affectées à la culture biologique, la proposition exclurait une large part des exploitations françaises ayant adopté ce mode de production, car beaucoup de celles-ci conservent une activité « non biologique » dans un de leurs secteurs de production.
Enfin, il est paradoxal que la dérogation ne soit accordée qu'à la condition d'utiliser les terres gelées exclusivement pour la culture de légumineuses fourragères, car, dans le mode de production biologique, il est au contraire conseillé de semer en mélange des protéagineux et des céréales.
La commission d'enquête considère que cette proposition est sans commune mesure avec l'objectif de réduire le déficit communautaire en protéines végétales et demande le lancement d'un « plan protéines ».
En réalité, la Commission européenne ne semble guère disposée à proposer un tel plan. Dans un document de travail sur l' « offre et la demande de plantes riches en protéines dans l'Union européenne à la suite de la crise de l'ESB », en date du 16 mars 2001, elle estime, en effet, que pour répondre à la demande supplémentaire en protéines, qui serait de l'ordre de 1 à 1,5 million de tonnes, la meilleure solution serait l'importation de quantités supplémentaires de soja.
Or, l'Europe est déjà dépendante à 75 % en protéines végétales, et à 97 % pour le soja.
Ce document a suscité, à juste titre, des réactions indignées et unanimes des syndicats agricoles, ainsi que des réactions négatives du Parlement européen et des Etats membres.
En effet, le raisonnement de la Commission repose sur plusieurs points contestables.
Tout d'abord, la Commission évalue à seulement 1,5 million de tonnes les besoins supplémentaires en protéines végétales. Or, les importations européennes de graines et de tourteau de soja ont déjà augmenté de 700.000 tonnes d'équivalent tourteau de soja sur les deux premiers mois de 2001 par rapport à l'an dernier. Les chiffres de la Commission seraient donc largement sous-estimés.
Par ailleurs, le calcul de la Commission fondé exclusivement sur le coût financier néglige d'autres facteurs, comme l'environnement, la biodiversité ou la traçabilité (avec les OGM notamment).
De plus, le raisonnement économique lui-même est sujet à caution, puisqu'il ne prend pas en compte les variations importantes des cours.
Or, si ces dernières années on a assisté à une forte progression de l'offre en soja entraînant une baisse des cours favorables à l'importation à bas prix, la situation peut s'inverser très rapidement en fonction des politiques agricoles mises en place aux Etats-Unis, au Brésil ou en Argentine.
Enfin, la Commission européenne ne semble pas tenir compte du risque de dépendance économique de l'Europe en matière de protéines végétales.
Ainsi, M. Yves Dronne, chercheur à l'INRA, a déclaré lors du colloque sur « les enjeux européens de la filière oléagineuse », le 22 mars dernier : « l'Union européenne se doit d'assurer sa sécurité d'approvisionnement par le moyen et le long terme. Elle doit pour cela préserver ses filières oléagineuses et protéagineuses face au « rouleau compresseur » que constitue le soja à l'échelle mondiale ».
Pour le chercheur, une filière oléoprotéagineuse communautaire apparaît comme un « bien public » à la fois pour les producteurs, les consommateurs et les citoyens.
La commission d'enquête ne peut que partager l'appréciation portée par M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture, lors de son audition : « Je suis très choqué de la manière dont la Commission a pris le problème. Dans un premier temps, elle a arrêté une « mesurette » sur le bio et les oléoprotéagineux ou les protéagineux bio sur la jachère, une mesure qui n'est pas mauvaise en soi mais qui n'est pas du tout à la hauteur du problème ; en nous promettant, pour le dernier Conseil de l'agriculture, un plan digne d'intérêt parce qu'elle reconnaissait que cette mesure n'était qu'une mesurette, sachant qu'in fine, le dernier Conseil de l'agriculture nous a dit : « on a bien tout compté : cela n'a pas de sens de faire un plan protéines : mieux vaut importer ».
« Pourquoi est-ce choquant ? Parce que, pour moi c'est la négation de la Politique agricole commune. On dit : « on est dans une telle situation qu'il vaut mieux acheter à l'extérieur ». C'est l'absence totale de volontarisme, de régulation, de solidarité et d'action.
« Le gouvernement français ne peut pas se satisfaire de cette situation et de cette proposition ; il l'a fait savoir et le refera savoir avec force. »
La commission d'enquête demande donc un véritable « plan protéines » européen.