II. EXAMEN DU RAPPORT PAR LA DÉLÉGATION

La délégation s'est réunie le mercredi 24 janvier 2001 pour l'examen du présent rapport.

Résumé du rapport

Les principaux aspects du traité de Nice

Le traité de Nice a pour objet de rendre les institutions européennes plus légitimes et plus efficaces dans la perspective de l'élargissement de l'Union, qui va passer de quinze à vingt-sept membres.

1. La Commission européenne

•  Les règles de composition de la Commission sont réformées en trois étapes :

- jusqu'au 1 er janvier 2005, les règles actuelles continueront à s'appliquer (les " grands " Etats membres désignent deux commissaires, les autres en désignent un seul) ;

- du 1 er janvier 2005 jusqu'à la fin du processus d'élargissement en cours avec douze pays, il y aura un commissaire par Etat membre ;

- lorsque ce processus sera achevé, c'est-à-dire après l'adhésion du 27 ème membre, le Conseil décidera à l'unanimité de plafonner le nombre des membres de la Commission à un chiffre inférieur à 27. Les Etats membres auront par rotation le droit de désigner un commissaire sur une base strictement égalitaire.

•  Le président de la Commission et le collège des commissaires seront désormais nommés à la majorité qualifiée par le Conseil.

•  Le président de la Commission sera désormais doté de larges pouvoirs. Il répartira les responsabilités au sein de la Commission et pourra remanier cette répartition. Il aura un pouvoir hiérarchique sur les commissaires, et pourra mettre fin aux fonctions d'un des membres de la Commission, après autorisation du collège statuant à la majorité simple.

2. Le Conseil de l'Union européenne

Le traité de Nice modifie les conditions dans lesquelles le Conseil prend ses décisions.

La pondération des votes est revue dans le sens d'un rééquilibrage. Les nouvelles règles, qui entreront en vigueur au 1 er janvier 2005, augmentent le nombre de voix des Etats les plus peuplés, tout en continuant à accorder aux Etats les moins peuplés un nombre de voix nettement supérieur à leur poids démographique.

Les règles pour obtenir la majorité qualifiée sont modifiées. Le pourcentage de voix nécessaire pour obtenir la majorité qualifiée va légèrement augmenter, passant de 71,3 % à 73,9 % des voix. Une mesure ne pourra être adoptée que si elle est approuvée par une majorité des Etats membres. Enfin, une clause de vérification démographique est mise en place : si un Etat membre le demande, il sera nécessaire de s'assurer que la majorité qualifiée représente bien au moins 62 % de la population de l'Union.

Le vote à la majorité qualifiée s'appliquera à de nouvelles matières. Au total, vingt-huit articles des traités sont concernés. L'unanimité reste la règle en matière de fiscalité, de sécurité sociale et de culture.

3. Le Parlement européen

La composition du Parlement européen est revue. Dans l'Union de vingt-sept Etats, il comptera 732 membres. Les Etats les plus peuplés auront un député pour 800 000 habitants environ. La répartition des sièges continuera à favoriser les Etats les moins peuplés.

Par ailleurs, les pouvoirs du Parlement sont sensiblement accrus. D'une part, la procédure de codécision (dans laquelle le Parlement européen a les mêmes pouvoirs que le Conseil) s'appliquera à presque toutes les nouvelles matières où le Conseil statuera à la majorité qualifiée. D'autre part, le Parlement européen reçoit le pouvoir de saisir la Cour de justice dans les mêmes conditions qu'un Etat membre.

4. La Cour de justice

La juridiction communautaire est profondément réformée.

La Cour de justice restera formée d'un juge par Etat membre. Mais elle comprendra désormais plusieurs formations. Elle pourra siéger en chambres (composées de 3 ou 5 juges), en grande chambre (composée de 11 juges) ou en assemblée plénière.

Les compétences du Tribunal de première instance sont élargies, notamment, à certaines catégories de recours préjudiciels. En contrepartie, des chambres juridictionnelles pourront lui être adjointes pour connaître en première instance de certaines catégories de recours. Les chambres juridictionnelles seront créées par décision du Conseil statuant à l'unanimité.

5. Les coopérations renforcées

Le mécanisme des coopérations renforcées, destiné à permettre à certains Etats membres d'avancer plus rapidement dans l'intégration européenne sur des sujets précis, a été entièrement revu dans le traité de Nice. Toutefois, comme auparavant, une coopération renforcée ne pourra être lancée qu'en dernier ressort, s'il est avéré qu'il n'existe pas d'autre solution.

Alors qu'une coopération renforcée devait jusqu'à présent concerner la majorité des Etats membres, désormais elle devra réunir au moins 8 Etats membres, quel que soit le nombre d'Etats membres de l'Union.

Dans le pilier communautaire, les Etats membres perdent leur pouvoir de veto au déclenchement d'une coopération renforcée. En revanche, l'accord de la Commission européenne reste indispensable ;  de plus, l'avis conforme du Parlement européen devient nécessaire si la coopération renforcée porte sur un domaine couvert par la procédure de codécision.

Les coopérations renforcées sont introduites dans le deuxième pilier (politique extérieure et de sécurité commune). Cependant, dans ce domaine, les Etats membres disposent d'un pouvoir de veto. Les coopérations renforcées ne pourront pas s'appliquer aux questions de défense.

C'est dans le troisième pilier (coopération en matière de justice et d'affaires intérieures) que la procédure est la plus souple : ni l'accord de la Commission, ni celui du Parlement européen ne sont requis, tandis que les Etats membres perdent leur pouvoir de veto.

6. Les points annexes

Le traité sur l'Union européenne prend désormais en compte le risque de violation des droits fondamentaux par un Etat membre, et non plus seulement le cas d'une violation avérée. Un nouveau paragraphe est ajouté à l'article 7 du traité pour permettre de faire face à ce type de situation.

Le traité reconnaît par ailleurs le rôle d'Eurojust pour le développement de la coopération judiciaire.

Enfin, il est modifié pour tenir compte des développements de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD).

7. La déclaration sur l'avenir de l'Union

La déclaration sur l'avenir de l'Union qui clôt le traité retient quatre thèmes pour la prochaine conférence intergouvernementale, qui aura lieu en 2004 :

- la délimitation des compétences entre l'Union et les Etats membres et le principe de subsidiarité ;

- le statut de la Charte ;

- la simplification des traités ;

- le rôle des Parlements nationaux dans l'architecture européenne.

Compte rendu sommaire du débat
consécutif à la présentation du rapport

M. Hubert Haenel :

Quel jugement porter sur le nouveau texte ? Il ne revient pas à la délégation pour l'Union européenne de se prononcer, dans un sens ou dans un autre, sur le point de savoir s'il convient ou non de ratifier le traité de Nice ; ce sera, le moment venu, la responsabilité de la commission des Affaires étrangères. Ce qui est plutôt notre tâche, c'est d'apporter une information objective sur le contenu du traité et, aussi, des éléments d'appréciation.

Pour ouvrir le débat, je souhaiterais faire quelques observations.

Le traité de Nice est très critiqué. C'est un traité qui aborde des questions institutionnelles et qui, donc, met en jeu les conceptions que chacun a de la construction européenne. Or, le traité de Nice est un compromis : personne ne peut y retrouver " sa " conception de l'Europe. Donc personne n'est satisfait. Beaucoup de critiques soulignent que le traité ne va pas assez loin, qu'il aurait fallu doter l'Union d'une Constitution, revoir les institutions de fond en comble.

Mais ce n'était pas le mandat de la Conférence intergouvernementale (CIG). Elle avait une liste précise de questions à traiter ; elle a pu ajouter quelques points supplémentaires, mais il n'y aurait pas eu d'accord entre les Etats membres si l'on avait voulu changer complètement de mandat en cours de route. Les questions à traiter étaient difficiles, parce qu'elles concernaient, finalement, la place de chaque pays au sein de l'Union. Et il faut garder à l'esprit que le traité d'Amsterdam n'avait pu leur apporter de solution.

Les gouvernements avaient donc très peu de marge de manoeuvre. On peut prendre le problème par n'importe quel bout, on ne pouvait guère arriver à un résultat final très différent. On est arrivé, en réalité, à un point d'équilibre : c'était ce traité ou rien.

Or, un échec aurait été très grave. On a souligné qu'il aurait pu provoquer une crise de confiance dans l'euro. Surtout, il aurait provoqué à coup sûr une crise sérieuse entre les Etats membres, ainsi qu'avec les pays candidats, parce qu'un échec aurait bloqué le processus d'élargissement. Est-ce qu'après une crise de ce type, le contexte aurait été plus favorable à une réforme ambitieuse ? C'est possible, mais on ne peut jouer l'avenir de l'Europe sur un coup de dés.

J'ajouterai que tous les traités européens ont provoqué les mêmes commentaires sévères et désabusés. Le traité d'Amsterdam avait été accueilli par un déluge de critiques. Celui de Maastricht avait été vertement critiqué par le Parlement européen dans la résolution qu'il lui avait consacrée. Si l'on remonte jusqu'à l'Acte unique, qui a eu l'importance que l'on sait pour le développement de la Communauté , on voit que la plupart des jugements concluaient que sa portée était très faible. Il faut donc savoir prendre un peu de recul.

La question principale, maintenant, est de savoir si, après le traité de Nice, les institutions de l'Union sont plus légitimes et plus efficaces, et surtout mieux à même de faire face à l'élargissement.

Pour ce qui est de la Commission européenne , le traité de Nice est, en réalité, profondément réformateur. Certes, le plafonnement du nombre de commissaires est fixé à un horizon lointain et un peu théorique, mais au fond là n'est pas l'essentiel. Bien des gouvernements fonctionnent de manière efficace avec 30 ou 35 membres ; l'important est qu'il y ait un chef de gouvernement qui assure l'unité d'action de son équipe. Or, ce sera le cas de la Commission après Nice : son président aura les moyens d'une véritable autorité, puisqu'il répartira les responsabilités, pourra demander sa démission à un commissaire, et disposera d'un pouvoir hiérarchique. De plus, le président sera choisi à la majorité qualifiée : rien n'obligera désormais les chefs d'Etat ou de gouvernement à s'aligner sur le plus petit dénominateur commun. Tout cela constitue une évolution très profonde. Les chefs d'Etat et de gouvernement ont voulu rendre à la Commission sa place dans le triangle institutionnel.

Pour ce qui est du Conseil, les nouvelles règles améliorent sa légitimité, mais risquent de ne pas renforcer son efficacité. La nouvelle pondération des voix est un progrès, même s'il s'agit d'un progrès relativement modeste, dans le sens d'une meilleure représentativité. La clause de " vérification démographique " va dans le même sens : sans réforme, on aurait pu prendre des décisions, dans l'Union élargie, avec une majorité de voix représentant à peine 50 % de la population. Désormais, on pourra exiger qu'une mesure recueille l'assentiment des représentants de 62 % de la population. C'est une sécurité pour les " grands " Etats, en premier lieu l'Allemagne, mais en réalité pour tous les Etats les plus peuplés. Les " petits " Etats ont obtenu, en contrepartie, une clause stipulant que toute décision devra être approuvée par une majorité d'Etats membres. Cela permettra, le cas échéant, à une coalition de " petits " Etats représentant moins de 12 % de la population de bloquer une décision. L'hypothèse est bien entendu un peu extrême, mais elle montre que le système n'écrase pas, loin de là, les Etats les moins peuplés. Dans l'ensemble, la légitimité du Conseil sort plutôt renforcée du nouveau traité. Sa représentativité se trouve améliorée, sans que les " petits " Etats puissent se juger marginalisés.

En revanche, si l'on prend le critère de l'efficacité, le bilan est plus incertain. La procédure de décision sera plus lourde qu'auparavant. Les décisions du Conseil devront toujours respecter deux critères : majorité des Etats membres, majorité qualifiée en nombre de voix, auxquels pourra s'ajouter un troisième critère : majorité démographique de 62 % . De plus, la majorité qualifiée sera un peu plus difficile à obtenir puisqu'il faudra près de 74 % des voix pour l'atteindre, au lieu de 71 % aujourd'hui. Par ailleurs, la procédure de codécision avec le Parlement européen s'appliquera à de nouveaux domaines, devenant pratiquement la procédure de droit commun. Tout laisse donc à penser que le processus de décision sera, dans l'ensemble, plus lent qu'aujourd'hui.

Certes, un autre élément va dans le sens d'un progrès, c'est l'augmentation du nombre des domaines où le Conseil statuera à la majorité qualifiée. L'avancée n'est pas aussi grande qu'on aurait pu l'espérer dans l'absolu, mais beaucoup de progrès avaient déjà été réalisés par les traités précédents, et l'on atteignait un " noyau dur " de matières sensibles pour certains Etats, y compris le nôtre. Le gain n'est donc pas négligeable. Il faut ajouter que dans un certain nombre de cas, il sera possible de passer à la majorité qualifiée sans réviser le traité. C'est le cas, depuis le traité d'Amsterdam, de la plupart des dispositions concernant la libre circulation des personnes, les visas, l'asile et l'immigration. Le traité de Nice a d'ores et déjà décidé d'un passage à la majorité qualifiée pour bon nombre de ces dispositions, mais la possibilité subsistera pour les autres. De plus, cette possibilité est étendue à certains aspects de la politique sociale. Finalement, on peut dire qu'il n'y a qu'un progrès limité dans le sens de l'efficacité. Le Conseil décidera plus souvent à la majorité qualifiée, mais la procédure de décision sera plus lourde.

Il est vrai que l'efficacité repose en grande partie sur un bon équilibre des institutions . Depuis quelques années, cet équilibre est en évolution. Le rôle du Conseil européen s'est beaucoup affirmé, de même que celui du Parlement européen ; en revanche, le Conseil des ministres, et surtout la Commission, se sont retrouvés plus en retrait. Qu'en sera-t-il après Nice ?

Il est difficile de savoir si le Conseil européen , qui fonctionne sur la base du consensus, pourra pleinement jouer son rôle quand il comptera vingt-sept membres. Le Conseil européen est en effet une institution étrange. Puisque son fonctionnement repose sur le consensus, chaque Etat devrait y compter autant qu'un autre, quelle que soit sa taille ; mais, de fait, il n'en va pas ainsi et chaque Etat y pèse de son véritable poids sur la scène européenne et internationale. L'augmentation du nombre des participants troublera-t-elle ce subtil mécanisme ? Il n'y a pas de raison déterminante de le penser et l'on peut donc estimer que le Conseil européen continuera de jouer un rôle moteur au sein de l'Union.

Pour ce qui est de la Commission , les négociateurs du traité ont voulu aller dans le sens d'un rétablissement de son rôle. Mais la solution retenue - en pratique, un commissaire par Etat membre - n'est pas sans risque. Ne peut-on craindre que chaque Etat se sente en quelque sorte représenté par " son " commissaire ? La Commission serait alors, dans le processus de décision, le seul lieu où les Etats seraient représentés de manière égalitaire, ce qui est d'ordinaire, dans un système fédéral, le rôle traditionnellement dévolu à la deuxième Chambre, et non pas à un organe exécutif.

La contrepartie - et elle est importante - réside dans le pouvoir hiérarchique conféré au président de la Commission, le traité précisant nettement que " les membres de la Commission exercent les fonctions qui leur sont dévolues par le président sous l'autorité de celui-ci ", et le président ayant au surplus la possibilité de remanier la distribution des responsabilités au sein de la Commission en cours de mandat. Mais une des caractéristiques souvent soulignées de la Commission tient à son caractère collégial. Cette collégialité sera-t-elle compatible avec un tel renforcement des pouvoirs du président sur les membres de la Commission ? La seule mention, dans le traité, que le Président de la Commission " décide de son organisation interne afin d'assurer la cohérence, l'efficacité et la collégialité de son action " ne donne-t-elle pas à penser que cette collégialité sera désormais plutôt entendue dans le sens d'une solidarité de la Commission vis-à-vis des autres institutions ? N'y a-t-il pas là l'ébauche d'un changement profond ?

Le Conseil risque, quant à lui, d'être affaibli par l'alourdissement du processus de décision. Il lui sera difficile d'entretenir un dialogue équilibré avec le Parlement européen, qui, pour sa part, ne subira pas de nouvelles contraintes.

Finalement, les nouvelles règles devraient permettre au Parlement européen de poursuivre sa montée en puissance. C'est pourquoi il me paraît regrettable que le traité de Nice ne contienne aucune disposition pour mieux encadrer les travaux du Parlement européen, je pense aux pouvoirs financiers et à une meilleure distinction entre la législation européenne proprement dite et les textes de caractère technique.

Au total, on peut estimer que, après le traité de Nice, le processus de décision gagnera en légitimité, mais ne sera sans doute guère plus efficace qu'aujourd'hui, et que l'équilibre entre les institutions restera très fragile.

Ce résultat était relativement prévisible, et c'est pourquoi certains avaient beaucoup insisté sur les coopérations renforcées pour que les Etats les plus allants puissent constituer une sorte d'avant-garde. Le nouveau régime des coopérations renforcées est certes plus souple qu'auparavant, surtout pour le troisième pilier. Mais il reste tout de même très contraignant. Même avec les yeux de la foi, il est difficile d'y voir une véritable alternative aux lourdeurs de l'Union. C'est seulement dans les domaines de la justice et des affaires intérieures et dans certains domaines de la PESC que les coopérations renforcées seront véritablement en mesure de jouer sans rencontrer des rigidités très fortes.

Si je voulais risquer une appréciation d'ensemble, je serais tenté de dire que le traité de Nice contient des progrès réels, mais limités par rapport au véritable défi que constitue l'élargissement.

Je crois donc que la première conséquence que nous devons tirer du traité de Nice, c'est la nécessité de faire preuve de beaucoup de vigilance dans la négociation de l'élargissement. L'adhésion doit se faire sur la base de règles précises et raisonnables, car, une fois l'élargissement réalisé, il sera difficile d'effectuer des ajustements.

La deuxième conséquence, c'est que l'Europe aura plus que jamais besoin d'un couple franco-allemand qui fonctionne, et qu'une relance dans cette direction serait certainement bienvenue.

M. Aymeri de Montesquiou :

L'ambition assignée à la Conférence gouvernementale était d'abord d'améliorer l'efficacité des institutions. Or, la capacité de décision sera sans doute plutôt affaiblie. Il y a là, me semble-t-il, un échec.

Je m'interroge sur l'équilibre qui prévaudra dans la grande Europe. Les pays du Nord de l'Europe ont beaucoup poussé à l'élargissement et nous avons nous-mêmes été sensibles à l'argument que, laissés en lisière de l'Union, les pays d'Europe centrale et orientale auraient risqué de passer sous la domination économique et politique de puissances extérieures à l'Europe. Mais, compte tenu de l'influence allemande en Europe centrale, la position de l'Allemagne dans l'Europe élargie sera très forte.

De plus, le renforcement des compétences du Parlement européen va s'accompagner d'une nouvelle répartition des sièges donnant un très grand poids à l'Allemagne. Il y aura là un levier d'influence d'une grande portée. J'ai été député au Parlement européen, et j'ai constaté que, dans cette assemblée, les députés allemands, comme les britanniques et les espagnols, parvenaient à travailler efficacement et à dépasser leurs clivages, ce qui n'était pas le cas des français.

Déjà peu influents, les députés français vont être maintenant moins nombreux, ce qui va réduire encore leur influence. Il est vrai que la population de l'Allemagne justifie une plus forte représentation, mais elle paraît appelée à diminuer d'ici dix ou vingt ans. Le traité prévoit-il un correctif pour le cas où cette hypothèse se réaliserait ?

M. Xavier de Villepin :

J'ai été étonné par la sévérité de la presse allemande vis-à-vis de ce traité, alors que l'on estime généralement que l'Allemagne est au contraire fort bien servie. D'une manière générale, la réaction allemande m'intrigue. A la demande de l'Allemagne, l'acte final de la Conférence prévoit de traiter en priorité, dans les prochaines années, le problème de la répartition des compétences, apparemment pour protéger celles des Etats et des régions, et, quelques semaines plus tard, le chancelier allemand réclame une Constitution pour l'Europe, cela de plus à un moment où les perspectives d'échéances électorales en France ne prêtent guère à un tel débat. Je discerne mal le but poursuivi.

J'ai aussi certains regrets en considérant le résultat de la CIG. L'écart entre l'Allemagne et la France au Parlement européen me paraît un problème. L'impossibilité de lancer des coopérations renforcées en matière de défense me paraît dommageable. Je me demande encore pourquoi, dans la négociation, nous avons été si opposés au système de la double majorité car nous aurions sans doute pu ainsi éviter ce considérable accroissement relatif des députés européens allemands.

Enfin, je souhaiterais avoir des précisions sur les termes exacts du compromis qui a été entériné à Nice sur la fiscalité de l'épargne. S'il se confirme que son application est subordonnée à un accord avec la Suisse, je crains que nous soyons encore loin du but.

M. Robert Del Picchia :

La Suisse reste toujours aussi réticente ! Et l'approbation d'un accord de ce type par la Suisse supposerait de franchir un véritable parcours d'obstacles institutionnel !

Sur le traité, je regrette que les dispositions concernant Eurojust soient si peu ambitieuses. Par ailleurs, j'ai noté que la nouvelle pondération des votes n'entrerait en vigueur qu'au 1 er janvier 2005. Cela ne signifie-t-il pas qu'il n'y aura pas d'adhésion avant cette date ? Enfin, quel est le calendrier prévu pour la ratification ?

M. Xavier de Villepin :

Je rappelle que si un seul parlement national refuse de ratifier le traité, il ne pourra entrer en vigueur.

M. Hubert Haenel :

Il est vrai que le poids de l'Allemagne dans l'Europe élargie est un problème. Mais ne devions-nous pas accepter de reconnaître ce poids accru pour que le couple franco-allemand puisse être relancé ?

Pour ce qui est du nombre des députés européens, il n'existe, dans le traité, aucun mécanisme correctif en cas de baisse de la population d'un pays ; cela signifie qu'il faudrait une nouvelle négociation et un nouveau traité pour procéder à un réajustement. Mais il faut noter que la diminution du nombre des députés européens français n'interviendra pas dès le prochain renouvellement du Parlement européen, mais qu'elle sera progressive, en fonction des nouvelles adhésions.

Pourquoi la France s'est-elle opposée au système de la double majorité ? Parce que ce système cumulait pour nous les inconvénients. Dans ce système, il faut une majorité d'Etats et une majorité de la population. Le critère de la majorité d'Etats est très favorable aux " petits " Etats : il permet à une coalition regroupant moins de 12 % de la population de l'Union de bloquer la décision. Le critère de la majorité de la population donne un poids plus grand à l'Allemagne qu'à la France, sans contrepartie. Au contraire, en mettant l'accent sur la pondération des votes, nous avons pu conserver sur ce point l'égalité avec l'Allemagne. Mais la France a dû accepter, dans le traité de Nice, que la repondération des votes se combine avec les critères de la double majorité : il faudra aussi une majorité des Etats membres, et, si un gouvernement le demande, une majorité démographique de 62 %. C'est pourquoi le nouveau système de décision est si compliqué.

Enfin, c'est la Grande-Bretagne qui a refusé que des coopérations renforcées puissent être mises en oeuvre en matière de défense. Je précise toutefois que des coopérations renforcées resteront toujours possibles dans ce domaine, dès lors qu'elles s'effectueront en dehors des traités. C'est ce que nous avions appelé les " coopérations parallèles " lors de nos travaux, en 1999, sur la réforme des institutions de l'Union européenne.

M. Xavier de Villepin :

On a beaucoup dit que la Grande-Bretagne se montrait désormais très " allante " en matière de défense européenne. Mais cette disposition semble s'affaiblir avec le temps, comme le montre le choix d'une alliance avec les Etats-Unis pour les chasseurs de nouvelle génération.

M. Maurice Blin :

La Grande-Bretagne n'a jamais vraiment accepté l'EADS (European Aeronautic Defence and Space Company) (3 ( * )) . A-t-elle d'ailleurs jamais abandonné sa traditionnelle politique du balancier ? Pour préserver les intérêts britanniques, n'a-t-elle pas tendance à jouer tantôt l'Europe contre les Etats-Unis, tantôt le contraire ? Je crois que le Royaume-Uni n'aurait pu accepter les coopérations renforcées en matière de défense que si elle avait eu l'assurance d'être chef de file.

Mais que la Grande-Bretagne participe aux côtés des Etats-Unis aux études sur le JSF 1 (Joint Strike Fighter one) (4 ( * )) n'est pas encore décisif. La question principale est de savoir si elle construira cet avion avec les Etats-Unis. Ce serait grave, car, pour la nouvelle génération de chasseurs, il est nécessaire que l'Europe surmonte la division née de la concurrence entre le Rafale et l'Eurofighter. Il est vrai que, pour l'ATF, le Royaume-Uni est parvenu à conserver un pied dedans, et un pied dehors... Sa position est très forte, car dans le domaine de la défense, on ne peut se passer de lui.

M. Robert Del Picchia :

La Grande-Bretagne est le seul pays européen à augmenter son budget de défense.

M. Maurice Blin :

Je crois que nous sommes en train de commettre une grave erreur politique en diminuant notre propre budget de défense.

M. Hubert Haenel :

Je m'associe à ce jugement.

Pour ce qui est d'Eurojust, le traité officialise son existence, mais n'apporte aucune précision supplémentaire. Des orientations claires font toujours défaut et la mise en place effective se fait attendre. Par rapport aux attentes des citoyens, les progrès sont dérisoires.

Le traité de Nice définit la pondération des voix au Conseil, à compter du 1 er janvier 2005, pour les quinze Etats membres actuels et pour les nouveaux Etats membres. Si certains candidats adhéraient à l'Union avant cette date, il reviendrait aux traités d'adhésion de prévoir des dispositions transitoires pour la pondération de leurs voix au Conseil jusqu'au 1 er janvier 2005.

Enfin, en ce qui concerne le calendrier de ratification, nous savons seulement que la signature du traité est prévue pour le 26 février. Le traité pourra-t-il être ratifié en France avant l'été ? C'est possible puisqu'il ne semble pas y avoir de difficulté constitutionnelle. Mais la question est entre les mains du Gouvernement.

*

A l'issue du débat, la délégation a approuvé le rapport.

LE TRAITÉ DE NICE

Le Conseil européen de Cologne (juin 1999) avait décidé le lancement d'une Conférence intergouvernementale en l'an 2000 afin de réformer les institutions de l'Union européenne dans la perspective de l'élargissement.

Cette conférence intergouvernementale a débouché sur un accord lors du Conseil européen de Nice, le 9 décembre 2000.

Le traité de Nice modifie les règles de composition de la Commission européenne et accroît les pouvoirs de son président. Il élargit le domaine où le Conseil décide à la majorité qualifiée, et modifie le nombre de voix attribué à chaque Etat membre lors des votes. L'organisation de la Cour de justice et les règles de composition du Parlement européen sont également revues. Enfin, le traité de Nice redéfinit le régime des " coopérations renforcées " permettant à certains Etats membres d'avancer plus rapidement dans l'intégration.

* (3) La société EADS est issue de la fusion entre Aerospatiale-Matra (France), Construcciones Aeronautic (Espagne) et Daimler-Chrysler-Dasa (Allemagne).

* (4) Le JSF 1 est un projet anglo-américain d'avion polyvalent.

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