ANNEXE
V :
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE PRÉSENTÉE
PAR M. AYMERI DE MONTESQUIOU TENDANT À PERMETTRE À LA FRANCE
DE RESPECTER LES DÉLAIS DE TRANSPOSITION DES DIRECTIVES
COMMUNAUTAIRES
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Alors que s'est achevée la présidence française de l'Union européenne, notre pays demeure en 12ème position dans le tableau de suivi des directives : cent soixante-seize directives sont encore en attente de transposition, la date de transposition étant dépassée pour 136 d'entre elles et la plus ancienne remontant à 1981. On ne peut que regretter cette situation, la France apparaissant sous cet aspect peu respectueuse de la législation communautaire.
Pourtant, la primauté du droit communautaire sur le droit interne a été admise dans l'arrêt Costa/Enel du 15 juillet 1964 qui signalait : "issu d'une source autonome, le droit né du traité ne pourrait donc, en raison de sa nature spécifique originale, se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu'il soit, sans perdre son caractère". Les juges nationaux sont les garants de cette primauté.
On doit parallèlement signaler que le droit dérivé unilatéral a une importance de plus en plus grande en droit interne. Si les règlements s'appliquent dès leur publication dans tous leurs éléments directement à l'égard des citoyens, les directives, en revanche, sont obligatoires à l'égard des seuls Etats et doivent par conséquent être transposées pour devenir effectives à l'égard des citoyens.
A propos des directives, plusieurs remarques doivent être formulées :
- Tout d'abord, les institutions communautaires ont adopté des directives d'un contenu de plus en plus précis au point de ne laisser aucune marge d'appréciation aux instances nationales. La directive est devenue ainsi un texte comportant un nombre considérables d'articles et, en définitive, dans certains cas, se suffisant à lui-même. Son introduction dans l'ordre interne se résume parfois à une reproduction du texte communautaire, habillé selon les formes internes. Au demeurant, même dans ces conditions, la France ne satisfait pas à ses obligations.
- Certaines sont d'ailleurs si précises que la Cour de Justice des Communautés Européennes a considéré, face à la lenteur de transposition de certains États, qu'à l'identique des règlements, elles pouvaient être invoquées directement par le citoyen alors même qu'elles n'avaient pas été transposées (décision Van Duyn c/Home office du 4 décembre 1974).
- Néanmoins, au niveau interne, le Conseil d'Etat ne fait pas la même interprétation en se référant aux termes précis du traité. Ce dernier donnant aux directives une force obligatoire à l'égard des seuls États, il refuse l'effet direct de celles-ci à l'égard des actes individuels (CE 22 décembre 1978 Cohn-Bendit, CE 13 décembre 1985 Zadkine).
Cependant, si les États restent libres tant que l'échéance d'application n'est pas atteinte (5 avril 1979, Ministère public/Ratti), passé ce délai, les citoyens peuvent intervenir à l'égard de l'Etat défaillant.
Plusieurs voies de droit sont ouvertes pour en obtenir l'application.
- Les ressortissants peuvent ainsi contester la légalité des mesures réglementaires au regard des dispositions d'une directive ignorée par l'Etat (CE 28 septembre 1984 Confédération nationale).
- Ils peuvent également s'opposer en utilisant toute voie de droit à l'application d'une règle de droit national contraire à une directive, notamment l'exception d'illégalité.
- Ils peuvent parallèlement inviter les autorités dotées du pouvoir réglementaire à prendre les mesures d'application d'une directive ou à rectifier les règles devenues obsolètes suite à l'adoption d'une directive.
- Au demeurant et surtout, l'Etat peut voir sa responsabilité engagée vis-à-vis de ses nationaux pour non transposition d'une directive (CJCE 19 novembre 1991 Francovich et Bonifaci/République italienne ).
Or, en pratique, malgré ce dispositif relativement protecteur, les gouvernements, et les gouvernements français en particulier, tardent à faire transposer les directives.
Pour combler le retard, des moyens ont été mis en oeuvre.
- Les projets de loi portant Diverses Dispositions d'Adaptation au Droit Communautaire ont été créés. Ils permettent de réunir sous un même projet de loi la transposition de directives touchant aux mêmes secteurs.
- L'utilisation des ordonnances pour prendre des mesures législatives dans l'urgence, en l'espèce pour transposer de nombreuses directives, a été demandée par le Gouvernement. Même si ce moyen demeure exceptionnel, il apparaît aller à l'encontre de l'article 34 de la Constitution, la compétence législative relevant du seul Parlement. En effet, le retard pris pour la transposition ne doit pas entraîner le dessaisissement du Parlement par l'Exécutif : " Nemo auditur propriam turpitudinem allegans " .
Devant l'insuffisance de résultats et l'inadéquation des procédés, la France ayant reculé dans le tableau de transposition des directives ces deux dernières années, il apparaît indispensable de prévoir un nouveau dispositif permettant une transposition des directives dans les délais requis. La France, pionnière de l'Europe, ayant oeuvré pour faire avancer l'intégration européenne, ne doit plus être montrée du doigt pour ignorance du droit communautaire.
L'Exécutif ne remplissant pas ses engagements communautaires avec satisfaction, le Parlement doit être en mesure de pallier sa carence afin que la France ne figure plus parmi les mauvais élèves européens.
Un tiers des directives à transposer présente un caractère législatif. Lorsque le Gouvernement tarde à faire transposer une directive relevant de la compétence du Parlement, celui-ci doit être amené à l'examiner automatiquement.
Ce nouveau dispositif possède deux avantages touchant à ses moyens et à sa finalité:
- respect des prérogatives du Parlement : il permet un déroulement normal de la procédure législative. Les textes feront l'objet d'un véritable débat.
- efficacité : il instaure une inscription automatique de projets de loi tendant à transposer les directives. Une échéance étant fixée pour chaque texte, la France ne connaîtrait plus de retard important.
C'est pour ces différentes raisons, qu'il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, d'adopter la présente proposition de loi constitutionnelle.
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
Article unique
Dans le titre XV de la Constitution, après l'article 88-4, il est ajouté un article 88-5 ainsi rédigé :
" Tout projet de loi tendant à transposer les dispositions de nature législative d'une directive adoptée en application des traités visés au présent titre doit être déposé devant le Parlement et inscrit à l'ordre du jour prioritaire six mois au moins avant l'expiration du délai fixé par cette directive pour sa transposition.
A défaut, toute proposition de loi ayant le même objet est inscrite de droit à l'ordre du jour prioritaire. "
LA TRANSPOSITION DES DIRECTIVES Le simple constat que deux tiers des textes pour lesquels il y a un retard de transposition ont un caractère réglementaire et non législatif montre clairement que le retard dans les transpositions a avant tout une cause administrative et non une cause parlementaire. Une circulaire du Premier ministre, publiée au Journal officiel en 1990, puis, sous une forme améliorée, en 1998, définit avec minutie les règles de conduite que devrait respecter l'administration française pour assurer une bonne transposition des directives. Mais cette circulaire reste inappliquée. Par ailleurs, pour beaucoup de textes de transposition appelant l'intervention du Parlement, le retard provient du manque de volonté et de courage du Gouvernement qui semble se dérober devant des arbitrages qui ne sont pourtant que la conséquence nécessaire des compromis qu'il a accepté. |