N° 182
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001
Annexe au procès-verbal de la séance du 11 janvier 2001 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation pour l'Union européenne sur la transposition des directives communautaires,
Par M. Hubert HAENEL,
Sénateur.
(1) Cette délégation est composée de : M. Hubert Haenel, président ; Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. James Bordas, Claude Estier, Pierre Fauchon, Lucien Lanier, Aymeri de Montesquiou, vice-présidents ; Nicolas About, Hubert Durand-Chastel, Emmanuel Hamel, secrétaires ; MM. Bernard Angels, Robert Badinter, Denis Badré, José Balarello, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Jean Bizet, Maurice Blin, Xavier Darcos, Robert Del Picchia, Marcel Deneux, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Jean-Paul Emin, André Ferrand, Jean-Pierre Fourcade, Philippe François, Yann Gaillard, Daniel Hoeffel, Serge Lagauche, Louis Le Pensec, Paul Masson, Jacques Oudin, Mme Danièle Pourtaud, MM. Simon Sutour, Xavier de Villepin, Serge Vinçon, Henri Weber.
Union européenne.
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Le Financial Times du 27 décembre dernier révélait à ses lecteurs que Lord Falconer, le ministre chargé de superviser la mise en oeuvre des directives au Royaume-Uni, avait tenu au cours des derniers mois des séminaires au cours desquels il avait exhorté les fonctionnaires britanniques à ne pas faire preuve de trop de zèle dans la transposition de la législation communautaire, leur expliquant qu'il est préférable de risquer un recours devant la Cour de Justice que d'entraver l'industrie par une réglementation européenne excessivement lourde.
Aux yeux de beaucoup de nos partenaires, la France paraît experte à ce jeu. Dans le tableau d'affichage du marché intérieur que publie chaque semestre la Commission européenne depuis novembre 1997, notre pays est en effet passé de la dixième à la onzième place, puis à la treizième et enfin, avec le dernier tableau d'affichage rendu public en novembre 2000, à la quatorzième place. Seule la Grèce accuse aujourd'hui un déficit de transposition supérieur au nôtre. Encore convient-il d'ajouter que la France, avec 89 lettres de mise en demeure pour 1998-1999, arrive au premier rang pour le nombre des procédures d'infraction !
Ainsi que le souligne la Commission dans les commentaires de son tableau d'affichage : " En France, les transpositions partielles se combinent aux transpositions en retard, ce qui suggère des difficultés récurrentes dans le processus de transposition. "
Cette situation a été longuement évoquée à la tribune du Sénat, puis de l'Assemblée nationale, en octobre et décembre derniers, à l'occasion de l'examen du projet de loi portant habilitation du Gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives communautaires et à mettre en oeuvre certaines dispositions du droit communautaire .
Comme le signalait alors le ministre des Relations avec le Parlement, " au 30 septembre 2000, notre pays comptait " un stock " de 176 directives à transposer, dont 136 étaient, à cette date, à proprement parler " en retard " de transposition (...). Parmi ces directives, certaines remontent au début des années quatre-vingt. "
Et le ministre d'énumérer alors les conséquences déplorables d'un tel état de fait :
- la création d'une forte insécurité juridique, puisque la jurisprudence développée par la Cour de Justice permet l'application de certaines dispositions des directives dès la fin du délai de transposition, même si cette dernière n'a pas été faite ;
- la fragilisation de la position de la France vis-à-vis de la Commission et de nos partenaires lorsqu'une nouvelle directive est en cours de négociation alors même que nous n'avons pas encore achevé la transposition de la directive précédente sur ce même sujet ;
- enfin, la multiplication des procédures contentieuses et le risque, à terme, d'être condamné au versement d'amendes ou d'astreintes.
I. LES PROPOSITIONS FORMULÉES LORS DES DÉBATS SUR LE PROJET DE LOI D'HABILITATION
Au cours des débats parlementaires, plusieurs intervenants ont regretté que le projet de loi autorisant le Gouvernement à transposer certaines directives par ordonnances ne s'accompagnât d'aucune proposition ni d'aucun engagement du Gouvernement de nature à assurer que les dysfonctionnements qui avaient conduit à ces retards ne dureraient pas.
Ainsi que je le soulignais moi-même dans la discussion générale sur le projet de loi :
" La plus grande carence de ce projet de loi est qu'il ne s'accompagne d'aucune mesure pour que la situation qu'il veut assainir ne se reproduise pas. Le Parlement était en droit d'attendre de votre part, Monsieur le Ministre, l'engagement que cela ne se renouvellera pas et la façon de procéder.
Les mêmes causes ayant les mêmes effets, si rien n'est fait, les directives non transposées vont recommencer à s'amonceler, jusqu'à une prochaine loi d'habilitation. "
Il m'avait semblé nécessaire de mettre l'accent sur ce point car le ministre délégué chargé des Affaires européennes, lors de son audition le 17 octobre par les commissions du Sénat, avait expliqué les retards dans l'application du droit communautaire " par des comportements internes à l'administration et par la lenteur de la procédure parlementaire " , et s'était seulement déclaré " ouvert à la recherche de solutions qui permettraient d'éviter de reproduire le retard actuel " . Et le ministre des Relations avec le Parlement n'avait pas cru nécessaire, lors de sa présentation du projet de loi à la tribune du Sénat le 25 octobre, d'avancer l'ombre d'une proposition de réforme.
Le Gouvernement ayant été sollicité par de nombreux orateurs lors des débats au Sénat et à l'Assemblée nationale, le ministre des Relations avec le Parlement devait cependant avancer certaines interrogations - à défaut de propositions - devant l'Assemblée nationale le 5 décembre :
" Pour l'avenir, il faudra trouver de nouvelles procédures car la situation que le Gouvernement vous demande de régler par cette habilitation ne doit plus se renouveler.
Faudra-t-il, comme en Allemagne, imaginer une procédure de discussion accélérée permettant d'introduire un même texte de transposition simultanément dans les deux chambres ?
Faudra-t-il, comme en Italie, habiliter chaque année en bloc l'exécution des obligations communautaires dans des secteurs multiples ?
Faudra-t-il prévoir pour les projets de loi transposant des directives une saisine pour avis de votre délégation pour l'Union européenne, comme le propose son président, M. Alain Barrau, ou bien encore appliquer davantage la procédure d'examen simplifiée, qui a été introduite dans le règlement de l'Assemblée en mai 1991 mais qui reste sous-utilisée ?
Le débat est ouvert, ici comme dans les autres pays de l'Union, jusque même en Grande-Bretagne où la Chambre des communes, la mère de tous les parlements, autorise pourtant des délégations législatives afin que le Gouvernement transpose par voie réglementaire des textes communautaires de nature technique.
Plus profondément, ce débat montre qu'il faut s'interroger sur la place que la représentation nationale doit prendre dans la mise en oeuvre du droit communautaire.
Les réponses que nous pouvons apporter ont sûrement à être recherchées dans le domaine du règlement de l'Assemblée. Peut-être ont-elles aussi une dimension constitutionnelle ? Cette réflexion doit être menée. Elle nous concerne tous parce qu'elle porte sur la façon de répondre aux exigences de la construction juridique communautaire dans laquelle nous sommes engagés et aussi de mieux garantir pour l'avenir les prérogatives du Parlement. "
Par ailleurs, dans le cours du débat, M. Alain Barrau, faisant valoir qu'il était de sa fonction de président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne de " faire des propositions pour essayer de ne plus être collectivement confrontés à cette situation " , énuméra plusieurs réformes " pour éviter que la situation actuelle ne se reproduise, de manière quasi-mécanique, dans quelques années " .
Il évoqua d'abord rapidement des améliorations à rechercher dans les modalités de préparation des textes de transposition par le pouvoir exécutif :
- révision des procédures et renforcement du rôle du Secrétariat général du comité interministériel (SGCI),
- remède à apporter aux insuffisances dans la préparation des projets de loi,
- inclusion systématique, dans les projets de loi, de la transposition des directives ayant un rapport avec ces projets.
Puis il développa deux suggestions relatives à l'intervention du Parlement :
- la création d'une commission permanente compétente sur les questions européennes.
" Cette commission suivrait depuis l'origine, secteur par secteur, le développement des procédures juridiques correspondant aux politiques communautaires. Elle pourrait être, sous réserve de l'évocation du débat en séance publique et en prévoyant bien sûr l'intervention des autres commissions permanentes, l'instance chargée de préparer et d'adopter les résolutions que tel ou tel des projets d'acte communautaire rendrait souhaitable d'adopter.
Elle pourrait également donner son avis sur les projets ou propositions de loi pour lesquels un problème de transposition du droit communautaire viendrait à se poser. Enfin, elle examinerait naturellement de plein droit les projets de loi de transposition au fond. "
Conscient du délai nécessaire à la révision constitutionnelle permettant de mettre en place une telle commission, M. Alain Barrau proposa alors une autre solution s'inscrivant dans le cadre juridique actuel : un renforcement du rôle des délégations pour l'Union européenne.
- la modification de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires de manière à permettre aux délégations pour l'Union européenne de chaque assemblée de se saisir pour avis des projets et propositions transposant les textes européens dans notre droit.
" Si ce texte de proposition de loi était adopté, ce qui est tout à fait possible dans le cadre constitutionnel actuel, la délégation pourrait s'attacher, dans l'examen des projets de loi de transposition, à vérifier qu'ils touchent tous les domaines et toutes les règles dont les directives européennes devaient imposer l'adaptation. Ainsi, elle remplirait, une fois de plus, le rôle de veille, de réflexion et d'alerte que lui reconnaît la loi, cette fois-ci non pas en amont de l'adoption de la directive sur la plan européen, comme l'a institué la révision de l'article 88-4 de la Constitution à laquelle nous avons procédé, vous vous en souvenez, il y a quelques mois, mais en aval après l'adoption des directives elles-mêmes au niveau européen. "
Enfin, le ministre des Relations avec le Parlement revint sur le sujet lors de l'examen au Sénat, le 21 décembre, des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi autorisant le recours aux ordonnances :
" Il est indispensable qu'une réflexion soit menée dans les deux chambres du Parlement sur les modalités de transposition des directives européennes. En effet, elles sont nombreuses, le travail parlementaire ne permet pas de les examiner une par une, et il faut donc envisager une révision des procédures.
De premières améliorations pourraient être recherchées dans les modalités de préparation des textes de transposition par le pouvoir exécutif. Il faudrait, dans ce cadre, envisager, à l'échelon des commissions ou des délégations pour l'Union européenne, un examen en amont, dès que les directives ont été signées, de façon qu'elles n'arrivent pas en bloc sur le bureau des assemblées.
Il faut inclure la dimension européenne dans tous les projets de loi. Il faut également intégrer la nécessité d'inscrire à l'ordre du jour les transpositions, fût-ce par le biais de textes spécifiques. "
Il est intéressant de constater que la plupart des propositions formulées - et surtout celles exprimées par le Gouvernement - semblent reposer sur l'idée que la cause principale du retard des transpositions de directives tient à l'encombrement chronique de l'ordre du jour des assemblées parlementaires.
Dès lors, et les propos du ministre des Relations avec le Parlement paraissent aller en ce sens, une référence, un modèle vient à l'esprit : la transposition des directives en Italie.