V - LE LASER MEGAJOULE
Le Laser MegaJoule est un très grand investissement technologique, en cours de construction, destiné au programme de simulation lié à la Défense nationale.
En tant que tel, le Laser MegaJoule n'est pas un très grand équipement répertorié pour le moment dans la nomenclature des TGE de la direction de la recherche du ministère de la recherche.
S'il s'agit d'un outil qui participe au maintien de la capacité de dissuasion après la suppression des essais nucléaires, son utilisation pour la recherche civile est toutefois envisagée.
Le principe d'une utilisation du laser MegaJoule pour des recherches civiles relatives à la fusion contrôlée par confinement inertiel ainsi que les conditions de mise en place d'un tel programme sont actuellement explorés.
C'est dans cette perspective que le cas du Laser MegaJoule est traité dans la suite.
1. Le Laser MegaJoule pour l'étude de la fusion avec confinement inertiel
Le Laser MegaJoule, dont la construction a commencé au CESTA-CEA près de Bordeaux, devrait être opérationnel en 2008 et atteindre ses performances nominales en 2010.
Grâce à ses 240 faisceaux, le Laser MegaJoule pourra déposer une énergie de 1,8 MJ en quelques milliardièmes de seconde sur une cible centimétrique, recréant ainsi à une échelle réduite les conditions de pression et de température de la fusion thermonucléaire. La puissance de l'ensemble des faisceaux pourra atteindre 600 000 Gigawatts.
Le Laser MegaJoule représente l'un des trois maillons développés pour suppléer les enseignements des essais nucléaires.
Le premier autre maillon est l'appareil de radiographie éclair géant AIRIX, installé à Moronvilliers (Marne) qui sert à radiographier avec un flash de rayons X d'une durée de quelques milliardièmes de secondes, l'explosion de matériaux lourds non nucléaires servant d'amorce aux armes nucléaires.
Le deuxième maillon est l'ensemble constitué par un supercalculateur en cours d'installation au centre du CEA-DAM d'Ile-de-France de Bruyères-le-Châtel et par les logiciels de simulation numérique des armes nucléaires. Le coût total du programme de simulation s'élève à 15 milliards de francs, dont 10 milliards de francs pour les investissements matériels et 5 milliards de francs pour le développement. Un millier de chercheurs et ingénieurs de la DAM du CEA y travaillent 3 .
La construction et l'utilisation du laser MegaJoule répondent ainsi au premier chef à des objectifs militaires liés à la simulation des armes nucléaires.
Mais il est prévu dans ce cadre qu'une partie des 600 tirs annuels soient utilisés pour l'étude de la fusion par confinement inertiel.
Il s'agit là d'un domaine d'étude complémentaire de celui de la fusion contrôlée avec confinement magnétique, où l'on utilise des tokamaks (voir plus haut).
Un dispositif tel que le Laser MegaJoule peut en effet permettre de, créer pour un volume de matière très faible, de l'ordre du centimètre cube, les conditions de la fusion.
En effet, l'absorption du rayonnement laser par une cible de deutérium et de tritium conduira à des températures de plusieurs millions de degrés et des pressions de plusieurs millions de bars, d'où la compression brutale des matériaux fusibles et le déclenchement de la fusion nucléaire, le temps de réaction étant limité par le temps de dégradation de la cible, lui-même fonction de l'inertie de la matière. Le gain attendu entre l'énergie fournie, soit 2 MJ, et l'énergie de fusion, est d'un facteur 10, le tout pour des quantités de matière très réduites.
La fusion par confinement inertiel ne fait à l'heure actuelle l'objet d'aucun programme financé de recherche civile, sauf aux Etats-Unis, ce qui a pour conséquence un retard important de cette voie de recherche par rapport à la fusion par confinement magnétique, la seule explorée dans bien des cas et en particulier au CEA.
2. Le Laser MegaJoule, un équipement potentiellement fédérateur pour les recherches sur les lasers de puissance
Au delà des études sur la fusion proprement dite, une installation comme le Laser MegaJoule pourrait constituer un outil d'une grande utilité pour d'autres types de recherches.
En premier lieu, le Laser MegaJoule présente un intérêt considérable pour la physique fondamentale, au regard de questions comme la dynamique des implosions et les équations d'état, l'étude des interactions rayonnement-matière.
Pour d'autres disciplines comme l'astrophysique, un tel dispositif permet la simulation d'événements violents comme l'explosion de supernovae. Les conditions technologiques de mise en _uvre d'un tel équipement étant très complexes, les recherches correspondantes sont d'un intérêt majeur pour d'autres projets comme par exemple le projet VIRGO de détection des ondes gravitationnelles (voir plus haut).
De fait les équipes de recherche intéressées par l'utilisation du Laser MegaJoule sont très nombreuses, situées principalement à l'Ecole Polytechnique, à Orsay, au CEA ainsi qu'en Europe.
Au reste, il existe en France une communauté de plus en plus importante de chercheurs s'intéressant à la technologie et aux applications générales des lasers de puissance. Cette communauté est encore peu structurée mais elle est en croissance rapide, comme en témoigne l'exploitation de l'installation LULLI, qui est quatre fois plus demandée qu'elle ne peut offrir d'accès.
Un débat existe sur les débouchés des travaux actuels sur les lasers de puissance qui ouvrent des perspectives inattendues. Un autre débat s'est engagé sur les perspectives des lasers à rayons X et leur intérêt comparé à d'autres techniques.
Pour certains experts, les lasers à électrons libres, qui représentent la prochaine génération de synchrotrons, devraient garder la prééminence par rapport aux lasers à rayons X, tant en longueurs d'ondes qu'en puissance de crête intégrée en flux par stéradian.
Au surplus, une nouvelle voie existe par ailleurs pour les lasers à rayons X et les sources X incohérentes qui reposent sur la technologie du bombardement de cibles métalliques par des lasers ultra brefs.
En outre les développements actuels des lasers ultra brefs permettent d'envisager la mise au point de sources gamma pulsées.
Au demeurant, comme le montre le montage de sources lasers sur les lignes de lumière des synchrotrons, ces technologies sont bien davantage complémentaires que concurrentes.
Ainsi donc, le domaine des lasers de puissance " fourmille d'innovations " et se révèle très attractif pour les étudiants et les jeunes chercheurs.
Si le ministère de la Défense souhaite que les installations du Laser MegaJoule soient utiles à la recherche civile, ce qui est un atout pour un grand nombre de chercheurs intéressés par les lasers de puissance, il reste que l'organisation pratique pour l'accès aux expériences et la délimitation du périmètre classé " secret défense " s'avèrent complexes à mettre au point et souvent dissuasives pour des scientifiques de la recherche fondamentale et pour la coopération internationale.