VIII - LE MAGNÉTISME À HAUT CHAMP ET LA RMN
Les champs magnétiques intenses et la résonance magnétique nucléaire ne font pas, dans notre pays, l'objet de TGE, au sens actuel de la nomenclature du ministère de la recherche.
Néanmoins, l'importance des technologies correspondantes dans la science moderne justifie que soient examinés non seulement les besoins de la recherche fondamentale sur le magnétisme mais aussi les besoins des laboratoires en matériels utilisant les champs magnétiques intenses.
1. Le magnétisme à haut champ
Les champs magnétiques intenses sont mis en _uvre dans un nombre considérable d'instruments scientifiques. On retrouve des aimants de puissance dans les accélérateurs de particules, comme par exemple ceux du CERN ou du GANIL, dans les synchrotrons et dans les instruments de résonance magnétique nucléaire ou de résonance paramagnétique électronique (RPE).
Au surplus, la France possède un excellent niveau dans la recherche fondamentale sur le magnétisme, qui a pu conduire l'Allemagne et l'institut Max Planck à s'allier au CNRS pour participer à Grenoble au Laboratoire des champs magnétiques intenses fondé par René PAUTHENET, avec le soutien de Louis NÉEL.
La France possède également au CEA et à l'IN2P3 des équipes d'ingénierie et de fabrication d'aimants de forte puissance et d'aimants supraconducteurs qui sont parmi les meilleures du monde, comme le montrent les débouchés obtenus au CERN et à DESY en Allemagne.
Enfin, la technologie moderne multiplie le recours aux études en champs magnétiques intenses. De fait, les recherches correspondantes ont des débouchés considérables, d'une part pour le développement de matériaux à faible résistivité et forte résistance magnétique ou supraconducteurs, d'autre part pour les méthodes de croissance pour la préparation de nouveaux matériaux.
On peut également citer l'impact des études à haut champ sur les systèmes électroniques bidimensionnels qui ont donné naissance aux lasers solides, aux transistors à effet de champ et à hautes fréquences. Ces études ont également une utilité considérable pour les nanotechnologies, notamment les sciences et technologies de l'information et de la communication.
Enfin on doit souligner les applications directes des études en champs magnétiques intenses par les techniques de RMN et de RPE dans le domaine des sciences du vivant.
Tous ces éléments concourent donc à ce que la communauté scientifique française poursuive ses recherches fondamentales dans cette discipline structurante et que l'on veille à développer les capacités de réalisation possédées par les grands organismes de recherche français.
1.1. La recherche française sur les champs magnétiques intenses
L'intérêt pour les champs magnétiques intenses s'accroît de plus en plus rapidement, comme le démontre le nombre toujours plus élevé de publications relatives à ce domaine. La France dispose de deux grands laboratoires, travaillant l'un sur les champs magnétiques intenses continus, le LCMI (Laboratoire des champs magnétiques intenses) à Grenoble et l'autre sur les champs pulsés à Toulouse.
Il existe plusieurs laboratoires dans le monde travaillant sur les hauts champs magnétiques continus, le LCMI étant l'un de tous premiers d'entre eux par ses résultats (voir tableau ci-après).
Tableau 3 : Les principaux centres de recherche sur les hauts champs magnétiques continus
rang |
Pays |
Centre de recherche |
puissance électrique continue |
champ magnétique maximum avec aimants classiques |
champ magnétique maximum avec aimants mixtes (classiques + supraconducteurs) |
1 |
Japon |
Tsukuba (NRIM) |
15 MW |
30 T dans 32 mm |
34 T dans 52 mm (40 T en construction) |
2 |
Etats-Unis |
Tallahassee (NHMFL) |
40 MW |
33 T dans 32 mm |
45 T dans 32 mm (en construction) |
3 |
France-Allemagne |
Grenoble (LCMI-CNRS-Max Planck) |
24 MW |
30 T dans 50 mm |
40 T dans 34 mm |
4 |
Japon |
Sendai (IMR) |
8 MW |
19,5 T dans 32 mm |
31,1 T dans 32 mm |
5 |
Russie |
Moscou |
6 MW |
18,3 T dans 28 mm |
24,6 T dans 28 mm |
6 |
Chine |
Hefei |
10 MW |
13 T dans 32 mm |
20,2 T dans 32 mm |
7 |
Pays-Bas |
Nimègue |
6 MW |
20 T dans 32 mm |
(30,4 T dans 32 mm en construction) |
8 |
Pologne |
Wroclaw |
6 MW |
19 T dans 25 mm |
|
9 |
Allemagne |
Braunschweig (TU) - Allemagne |
6 MW |
18,2 T dans 32 mm |
- |
10 |
Russie |
Krasnoyarsk |
8 MW |
15 T dans 36 mm |
- |
Le Laboratoire des Champs magnétiques intenses de Grenoble a pu créer à l'automne 2000 un champ de 58 Teslas pendant 20 millisecondes, en développant une méthode originale de stockage de l'énergie.
Ayant ainsi obtenu l'une des toutes premières performances mondiales avec la production d'un champ magnétique intense de 31,4 Tesla dans un diamètre de 32 mm, le LCMI achèvera en 2001 l'aimant hybride capable de produire un champ continu de 40 Tesla, permettant de faire des expériences très raffinées en champs intenses, en particulier des expériences de RMN que l'on ne peut pas faire en champs pulsés.
Au reste, les champs pulsés, relativement plus faciles et moins coûteux à produire, sont étudiés dans un nombre plus important de laboratoires situés dans le monde entier. En tout état de cause, il est possible d'atteindre des niveaux de champ magnétique plus élevés avec cette méthode.
En effet, si la limite actuelle des champs continus est de 50 Tesla, la barrière des 100 Tesla en champs pulsés semble à la portée des chercheurs.
Le laboratoire des champs magnétiques pulsés de Toulouse vise à créer un champ de 80 Tesla pendant 300 milliseconde, soit la troisième meilleure performance mondiale.
En l'occurrence, l'objectif recherché en augmentant l'intensité du champ magnétique est l'étude des transitions de phase induites par celui-ci dans les systèmes étudiés. On espère ainsi progresser en particulier dans la connaissance de la supraconductivité, notamment pour la production de champs magnétiques plus intenses.
1.2. La pérennité du LCMI
Le LCMI, créé par le CNRS, a vu la société Max Planck s'associer à lui en 1972, en raison du potentiel prévisible de ses résultats au niveau mondial. Mais cet institut allemand a annoncé son retrait en 2004, à la fin du contrat en cours de 10 ans.
L'engagement de la société Max Planck dans un projet de recherche est d'une manière générale étroitement lié à la personnalité du directeur de celui-ci, qui doit partir en retraite en 2001. Au surplus, la subvention allemande au LCMI est versée par le seul établissement de Stuttgart de la Société Max Planck pour qui elle est devenue une charge trop lourde, eu égard à ses autres activités de recherche.
Des éléments positifs existent toutefois dans cette sombre perspective. La poursuite de l'engagement allemand jusqu'en 2004 a pu être obtenue, et, par ailleurs, la Société Max Planck serait d'accord pour aller au delà à condition qu'au moins un troisième partenaire soit partie prenante au LCMI, de façon à réduire sa charge financière.
Selon la direction du LCMI, il est urgent que la France prenne l'initiative de rechercher de nouveaux partenaires et mette à profit son influence au niveau de l'Union européenne.
Parallèlement à cette recherche, il est indispensable de préparer un changement de structure juridique pour le LCMI. Pour le moment, le LCMI est géré selon une double comptabilité, française et allemande, et dispose de personnels gérés indépendamment les uns des autres par le CNRS et la Société Max Planck.
Pour accueillir d'autres partenaires, il semble nécessaire en tout état de cause de créer une société civile et d'y fondre le LCMI. A cette occasion, il serait logique que le CEA qui ne contribue pas pour le moment au budget du LCMI, soit 50 millions de francs par an au total, intègre la société civile et participe à son financement, le magnétisme faisant partie de ses domaines de compétences.
2. La RMN (résonance magnétique nucléaire)
Les méthodes d'analyse fine de la matière revêtent une importance capitale dans la recherche moderne, tant pour les sciences physiques que pour les sciences du vivant.
Dans ce dernier cas, les méthodes les plus importantes sont d'une part le rayonnement synchrotron, d'autre part les sources de neutrons et enfin la RMN (résonance magnétique nucléaire). Parmi ces trois méthodes, c'est sans doute la RMN qui possède actuellement la plus grande marge de progression.
Certains experts estiment que l'on est à la veille d'une révolution en RMN, qui la ferait concurrencer le rayonnement synchrotron. Certains scientifiques avaient d'ailleurs argué de ce fait, pour justifier l'abandon du synchrotron de 3 ème génération SOLEIL.
D'autres au contraire, pensent d'une part que la RMN, dont les progrès sont toutefois notables, doit effectuer des progrès considérables et au demeurant difficiles, avant de devenir une méthode réellement utilisable en biologie structurale, et, d'autre part, que la RMN, même après des progrès majeurs, sera davantage complémentaire du rayonnement synchrotron et des sources de neutrons que substituables à ces deux méthodes.
2.1. Les avantages de la RMN
Un atome spécifique soumis à un champ magnétique est soumis à une résonance dont la fréquence dépend de l'intensité du champ qui lui est appliqué, de son rapport gyromagnétique spécifique, de son moment cinétique propre (spin) et de son environnement électronique et nucléaire.
La résonance magnétique nucléaire (RMN) est donc une sonde locale qui a une spécificité chimique. Avec une résolution suffisante, la méthode permet de sélectionner l'espèce chimique étudiée et de recueillir des informations structurales y compris dynamiques, sur son environnement.
En conséquence, la RMN présente un intérêt exceptionnel pour l'étude des protéines et de leurs fonctionnalités. En effet, il est fondamental de connaître non seulement la structure de la molécule mais également comment varie cette structure selon sa fonctionnalité et donc son environnement.
Or la RMN permet de résoudre les structures dans un environnement solide ou liquide, ce qui met à sa portée l'étude des protéines membranaires par exemple. Au reste, pour les protéines qui ne cristallisent pas, en particulier les protéines membranaires et les protéines hétérogènes, la RMN est la seule méthode disponible. De plus, cette méthode permet également d'étudier les mouvements moléculaires et de les corréler à la cinétique chimique favorisée ou inhibée par les protéines. La RMN peut enfin servir à caractériser des complexes binaires ou ternaires et des protéines hétérogènes.
Compte tenu de ces atouts, la RMN connaît des développements constants à la fois méthodologiques et technologiques.
En augmentant les champs magnétiques appliqués, on augmente le déplacement chimique et la largeur de raie pour chaque transition, pour une espèce particulière comme l'atome d'hydrogène. Une autre technique intitulée RMN 2D, permet d'identifier les interactions entre deux espèces chimiques différentes, par exemple la liaison carbone-hydrogène. Il est également possible de faire aujourd'hui de la RMN 3D.
En tout état de cause, la RMN semble repousser régulièrement ses limites techniques par l'invention de nouvelles méthodes, de sorte que la taille des molécules qu'elle permet d'étudier s'accroît régulièrement. A cet égard, l'augmentation des champs magnétiques appliqués ne procure que des avantages.
Le " prix à payer " dans cette évolution vers des champs d'intensité plus élevée, c'est la qualité de ceux-ci. Il ne sert en effet à rien d'augmenter le champ magnétique si l'on perd de son homogénéité.
Les meilleurs spectromètres commerciaux sont actuellement à 800 MHz, ce qui permet l'utilisation de supraconducteurs pour fournir le champ correspondant. De fait, dans ces conditions, l'utilisation de la RMN est limitée à l'étude de molécules de poids moléculaire inférieur à 40 000 Dalton 3 .
En tout état de cause, le rayonnement synchrotron ne présente pas cette limitation et bénéficie d'une meilleure précision et d'une plus grande rapidité. Mais il est limité aux molécules cristallisées.
La RMN, quant à elle, est certes limitée à des poids moléculaires relativement faibles pour des protéines. Mais hormis cette limitation de poids moléculaire, la RMN présente l'avantage non seulement de pouvoir être appliquée à des molécules non cristallisables comme les protéines membranaires et disponibles en faible quantité, mais également d'ouvrir le champ des études dynamiques.
2.2. Les perspectives d'avenir de la RMN et les besoins de financement
Les technologies actuelles permettent d'ores et déjà de faire de la RMN à 900 MHz. Plusieurs pays ont déjà commandé des machines de ce type, dont l'Allemagne qui devrait être équipée de 2 exemplaires à la fin 2000. La France n'a pas encore, quant à elle, passé de commande.
Mais en réalité, il convient d'aller plus loin et de passer à 1 GHz, de manière à pouvoir étudier des molécules de poids moléculaire égal ou inférieur à 80 000 Dalton.
Le passage à 1 GHz représente de fait un saut technologique. De nouveaux matériaux supraconducteurs sont en effet nécessaires, ainsi que des techniques nouvelles. Le prix estimé d'un tel spectromètre devrait être de 15 millions de dollars, sans compter l'infrastructure nécessaire.
Il semble nécessaire d'approfondir les recherches sur la mise au point de spectromètres à 1 GHz.
La mise au point d'un spectromètre de RMN à 1 GHz à finalité biochimique nécessiterait des recherches sur 5 ans pour un investissement cumulé de l'ordre de 200 millions de francs.
Le prototype pourrait être installé à Grenoble, l'objectif étant la réalisation de 5 centres d'excellence en Europe dotés chacun dans un premier temps de spectromètres à 900 MHz puis ultérieurement d'une machine à 1 GHz. Un tel plan rejoindrait la stratégie américaine qui prévoit, elle, la création de 10 centres d'excellence pour la RMN équipés selon ce schéma.
Il reste une autre question, celle du sous-équipement des laboratoires français en instruments de RMN modernes. Au vrai, l'Europe souffre d'un retard important sur les Etats-Unis et la France d'un retard relatif à l'intérieur de l'Europe.
Tableau 4 : Nombre de spectromètres de RMN à haut champ en 1999
600 MHz |
800 MHz |
|
Amérique du Nord |
135 |
30 |
Japon |
33 |
21 |
Europe |
88 |
20 |
dont France |
12 |
2 |
Ainsi le parc européen ne représente que les deux tiers du parc américain. Quant à la France, elle ne dispose que de 14 % du parc européen pour les spectromètres à 600 MHz et 10 % du parc européen pour les spectromètres à 800 MHz.
Un effort d'équipement est à engager pour rattraper ce retard.
Toujours en tête de la course mondiale dans ce domaine, grâce à l'excellence de l'école française développée par Louis NÉEL récemment disparu, c'est d'une action globale en faveur du magnétisme dont la France a besoin.
A cet égard, le projet de création d'un centre pluridisciplinaire de RMN à hauts champs à Grenoble va dans la bonne direction et doit être soutenu.