IV. LES OUTILS D'UNE POLITIQUE DE L'EAU GLOBALE,
COHÉRENTE ET CONCERTÉE

15. Intervention de M. Pierre HERISSON , sénateur de Haute-Savoie

Au sein de l'AMF, nous souhaitons éviter un certain nombre d'écueils contenus dans l'avant-projet de loi. Nous avons noté par exemple que ce projet confère un caractère facultatif aux SAGE et qu'il risque de mener à une recentralisation de la politique de l'eau. Bien entendu, nous sommes bien conscients de la nécessité d'un cadre européen unique, cependant nous privilégions les principes d'une gestion de proximité à travers les SAGE et les SDAGE.

A. LES INSTRUMENTS ÉCONOMIQUES DE GESTION DE L'EAU EN EUROPE

16. Intervention de Mme Sophie TREMOLET , consultante, National Economic Research Associates

Les instruments économiques de gestion de l'eau ont récemment été placés au centre de la politique de gestion de l'eau en Europe par le biais de la directive cadre. Je vais donc rappeler les spécificités de ces instruments économiques, décrire leurs avantages et leurs inconvénients respectifs, que ce soit en Europe ou en France et, en dernier lieu, évoquer les implications pour le projet de loi français.

1. Spécificités des instruments économiques

Pour parvenir à une meilleure gestion de la régulation gouvernementale, les pouvoirs publics peuvent utiliser plusieurs types d'instruments : les normes, les règlements, les accords volontaires et les instruments économiques tels que les écotaxes et les marchés de permis négociables. Ces deux derniers outils partagent une même caractéristique : ils ont plutôt vocation à inciter les comportements des acteurs qu'à interdire. Bien entendu, seule la combinaison de tous ces instruments permet d'optimiser l'efficacité de la politique de l'eau.

• Les écotaxes

Les écotaxes, bien connues en France, consistent à faire payer une taxe à l'usager sur les prélèvements d'eau et sur les rejets d'eau usée. Ce système nourrit trois types d'objectifs.

Tout d'abord, il doit réussir à modifier le comportement de l'usager par incitation. Le niveau de la taxe doit donc être assez élevé pour réduire l'activité nuisible.

Par ailleurs, le système vise également à l'indemnisation. Le niveau de la taxe doit donc refléter le coût des prélèvements excessifs pour la société. Il me semble important de noter que la directive cadre est à mi-chemin entre ces deux principes.

Enfin, ce système de taxation peut avoir pour objectif de recouvrir les coûts de remise en état de l'environnement, si cela est possible. Ce principe a prévalu pour la fixation des niveaux des redevances des agences de l'eau en France.

Les écotaxes sont moins rigides que les normes, ce qui permet à l'usager d'identifier la meilleure solution technique de réduction de la pollution ou de réduction des prélèvements selon ses méthodes de production. De plus, les écotaxes ont l'avantage de générer des revenus, nommés le " second dividende ". Selon l'orthodoxie économique, ces revenus ne devraient pas être affectés, mais le bon sens veut parfois que ces ressources retournent à leur secteur d'origine.

Toutefois, il est difficile de fixer le niveau de la taxe pour tous les consommateurs en fonction de leurs caractéristiques propres. Du reste, l'impact social de ces écotaxes peut également être critiqué : l'écotaxe peut en effet avantager ceux qui ont les moyens de se dédouaner.

• Les marchés de permis négociables

Ces marchés consistent à allouer des droits de prélèvement ou de pollution aux usagers, sachant que le niveau total de droits alloués correspond au niveau maximal de prélèvement ou de pollution autorisé par le régulateur. Une fois que ces droits sont alloués, les usagers sont libres de les échanger entre eux, dans le respect des règles fixées par le régulateur.

Ces marchés ont un certain nombre d'avantages. Ils permettent notamment une flexibilité maximale et tous les usagers peuvent en bénéficier en fonction de leurs intérêts propres. Quand l'usager pollue ou prélève peu, il peut revendre ses droits : cette opération génère un revenu pour lui. Quand, en revanche, l'usager pollue ou prélève au-delà des droits qui lui sont accordés, alors il est forcé de racheter des droits. Ce dispositif permet d'atteindre une réduction de pollution déterminée au moindre coût pour la société.

Toutefois, il est relativement complexe de fixer le mécanisme d'allocation initial de ces droits. D'autre part, ceux-ci peuvent être relativement difficiles à réguler et peu de pratiques probantes existent actuellement, du fait de ces difficultés.

2. Inventaire de l'utilisation des instruments économiques dans le domaine de l'eau en Europe

Les systèmes de taxes sur les prélèvements existent aujourd'hui dans huit pays européens ainsi que dans tous les pays candidats à l'accession à l'Union européenne appartenant à l'OCDE. Il existe ainsi, en Europe, deux types de taxes de prélèvement :

- les taxes nominales liées à un système de permis, d'un niveau généralement assez faible, donc peu incitatif ;

- les écotaxes qui varient en fonction du volume consommé avec l'intention de modifier le comportement du consommateur ;

En France, les redevances sur les prélèvements ont été critiquées par le Commissariat au Plan : elles ont été jugées plutôt comme des mutuelles plutôt que comme des taxes incitatives.

Les taxes sur la pollution de l'eau sont bien connues en France depuis longtemps. En revanche, elles sont moins répandues et plus récentes dans le reste de l'Europe. Elles sont présentes dans cinq pays européens et dans deux pays candidats à l'Union européenne. De même, on relève deux types de taxes sur la pollution de l'eau : amendes contre les infractions aux normes et taxes sur les rejets destinées à recouvrir les coûts environnementaux ou liées à la gestion du système. Certains pays octroient des remises aux usagers si ceux-ci utilisent des méthodes effectives pour réduire leur pollution. Généralement, l'objectif de modification des comportements prévaut sur l'objectif de financement par les taxes.

La pratique des marchés de droits de prélèvements est inexistante en France. Quelques expériences existent toutefois en Europe, notamment en Espagne. En Angleterre, un processus de consultation est en cours à ce sujet. La mise en place de ces marchés a été extrêmement positive en Australie. Elle a permis d'orienter les cultures vers une plus haute valeur ajoutée et a diminué les besoins en eau.

Enfin, les marchés de droits de pollution n'existent pas vraiment en Europe. Ils sont en effet très difficiles à organiser, la pollution étant plus complexe à caractériser que les consommations d'eau.

En conclusion, il paraît clair que la France est aujourd'hui bien avancée sur la question des écotaxes. Pourtant, elle n'a pas lancé de réflexion sur d'autres instruments économiques, tels que les marchés de permis négociables. Ils pourraient constituer, dans certains cas bien définis, un mécanisme plus flexible d'allocation des ressources. La réforme des redevances à venir sera sans doute intéressante. Toutefois, l'assiette de calcul devrait être simplifiée pour s'orienter davantage en faveur des effets incitatifs.

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