B - L'importante activité des entreprises du secteur
L'importante activité des entreprises du secteur se caractérise par une réorganisation et un développement importants ainsi que par l'essor de petites structures.
a - Une réorganisation et un développement importants des entreprises du secteur
Historiquement ce sont des entreprises chimiques qui les
premières se sont intéressées à ce secteur des
plantes transgéniques. Ainsi, de ce point de vue, l'évolution de
la firme américaine Monsanto est-elle emblématique.
Cette firme, fondée en 1901 sur la production de saccharine, a
bâti sa réputation et sa fortune sur la commercialisation mondiale
d'un produit herbicide, le glyphosate, bien connu sous sa dénomination
commerciale, " RoundUp ". Le tournant vers la biologie s'est produit
en 1985 avec le rachat de la société pharmaceutique Searle.
Depuis une quinzaine d'années, cette firme a investi une somme d'environ
deux milliards de dollars dans la création de plantes résistantes
à son produit herbicide en utilisant la transgénèse.
Depuis le début de 1996, Monsanto a investi deux milliards de dollars
supplémentaires, soit environ 11,6 milliards de francs, dans le
"
genetic engineering ".
Depuis 1995, Monsanto a également procédé à des
opérations de croissance externe en rachetant un certain nombre de
sociétés de biotechnologies comme Calgene, Asgrow et 40% de
DeKalb Genetics. Monsanto a ensuite acquis le contrôle total de cette
dernière société en se portant acquéreur des 60%
restants.
Cette croissance dans ce domaine a abouti à la fin de 1996 à la
scission de l'entreprise qui a abandonné son métier historique,
la chimie, pour se consacrer exclusivement aux " sciences du
vivant ", la branche " chimie " étant isolée dans
une société indépendante cotée en bourse et
attribuée à des actionnaires distincts de ceux de Monsanto.
Le dernier événement concernant Monsanto a été, au
début du mois de juin 1998, sa prise de contrôle par American Home
Products. Cette opération a été motivée par la
difficulté qu'éprouvait Monsanto à croître seul du
fait des coûts croissants de la recherche dans ce secteur.
Ce nouveau
groupe entendait dépenser chaque année un
milliard de
dollars en actions de recherche dans les biotechnologies
agricoles
.
Ce chiffre donne une idée de l'enjeu de ce secteur pour le XXIème
siècle.
Cette politique de " recentrage " des entreprises sur les
" sciences de la vie " est d'ailleurs devenue courante dans ce
secteur.
On peut citer à cet égard l'exemple de Novartis. Cette entreprise
est issue de la fusion en 1996 de Ciba-Geigy et de Sandoz. Novartis a
immédiatement, comme cela m'a été indiqué lors de
ma visite dans cette entreprise, divisée ses activités en trois
unités différentes : protection de la santé, nutrition et
agrochimie. On peut souligner d'ailleurs que le point commun de ces divisions
est l'emploi dans chacune de celles-ci des techniques génétiques.
Du Pont avait de son côté adopté dans un premier temps une
attitude plutôt attentiste mais a finalement rejoint ses concurrents. En
effet cette firme a racheté à la fin de l'année 1997 une
participation de 20% dans Pioneer Hi Bred ainsi que la société
Protein Technologies International. Mais à la différence de
Monsanto qui s'est d'abord focalisée sur les plantes résistantes
aux insectes (coton) et aux herbicides (maïs), Du Pont s'est
concentré sur le développement de végétaux à
fort pouvoir nutritionnel pour les animaux ou les êtres humains ou
présentant des caractéristiques qui en facilitent la
transformation. Il semble que cette firme vise le long terme où
l'intérêt principal des plantes transgéniques
résidera la création de produits à très forte
valeur ajoutée. Le " recentrage " de cette
société s'est ainsi marqué par le retrait de sa filiale
pétrolière Conoco.
A l'heure où les géants américains de l'agrochimie se
battent à coup de millions de dollars pour s'approprier les
technologies-clefs des biotechnologies végétales, on ne peut que
dresser, en le regrettant beaucoup, un bilan fort mitigé de l'action
dans ce domaine de l'industrie française.
En effet, M. Alain Chalandon, directeur de Rhône-Poulenc Agro, m'a
lui-même déclaré que son entreprise avait de fait peu
développé les organismes génétiquement
modifiés. Il a expliqué cette politique par la diminution des
crédits de recherche de 1992 à 1997, conséquence de la
réforme de la politique agricole commune qui a entraîné une
baisse d'activité du secteur. Il a cependant fait observer qu'un nouveau
départ avait été pris de façon vigoureuse à
partir de septembre 1997.
Concernant Limagrain, M. Alain Catala, directeur du groupe, m'a indiqué
que l'investissement était de l'ordre de 50 millions de francs par an
dans les biotechnologies, et que ce groupe avait été sur le point
de racheter Calgene en 1990. Si on compare ce chiffre avec les futures
dépenses du groupe American Home Products rappelées plus haut, on
se rend compte, avec une grande inquiétude, que ces sommes ne paraissent
pas du tout être à la mesure de l'enjeu des plantes
transgéniques du futur.
Il faut noter cependant que Limagrain a créé en partenariat avec
la coopérative Pau-Euralis, Sofiprotéol et Unigrains, la
société Biogemma.
Biogemma a annoncé à la fin de l'année dernière la
création avec Rhône-Poulenc Agro d'une société mixte
détenue à parité, Rhobio. L'objectif est d'associer les
compétences complémentaires développées par les
partenaires. C'est ainsi que Rhône-Poulenc Agro apportera ses
compétences dans le domaine de l'identification et de l'insertion des
gènes, Biogemma fournissant ses qualifications en matière de
semences et de création végétale.
Il semble cependant que les entreprises françaises aient pris conscience
de l'importance des biotechnologies végétales même si l'on
peut déplorer le retard avec lequel elles mettent en place les
structures adéquates. De plus, si l'on compare le niveau des
dépenses effectuées avec celles engagées par les groupes
américains, les comparaisons apparaissent complètement hors de
proportion. Le titre en forme de boutade de la revue " Courrier
International " présentant Monsanto comme le
" Microsoft " du génie génétique s'impose de
façon évidente, ce qui est très inquiétant pour
l'avenir, compte tenu de la masse critique de dépenses
nécessaires sans cesse croissantes pour rester dans la course aux
nouvelles constructions génétiques.
Une certaine inadaptation des structures des entreprises françaises
tient au fait que ce sont les petites structures qui paraissent amener le
progrès en la matière.
b - Le développement de petites structures
On
assiste dans ce domaine à un phénomène qui n'est pas sans
rappeler l'explosion des petites sociétés informatiques il y a
vingt-cinq ou trente ans. Il y a en effet actuellement, essentiellement aux
Etats-Unis, dans ce domaine une multiplication des petites entreprises.
Celles-ci sont créées sur des idées à l'initiative
de chercheurs. Mais des structures plus importantes comme les
Universités sont également parties prenantes dans ces
créations, comme j'ai pu le voir en visitant un certain nombre de
celles-ci au cours de ma mission aux Etats-Unis.
En effet, ces Universités, à l'exemple de l'Université
d'Etat de l'Iowa, fonctionnent comme structures d'accueil en mettant à
la disposition des petites entreprises non seulement des bâtiments, mais
aussi tout un ensemble de services comme secrétariat, personnel de
gestion, matériel informatique... et aussi assistance juridique, dans la
perspective de prise et de défense de brevets. Ces
" incubateurs " d'entreprises favorisent les transferts de
technologie.
Mais ces Universités sont aussi des acteurs de la recherche dans la
mesure où elles parrainent la création dans leur sein de
sociétés dites
start up
. C'est ainsi qu'à
l'Université de l'Etat de Caroline du Nord que j'ai visitée, deux
ou trois de ces petites sociétés sont créées par
an, avec deux personnes à temps plein pour les aider. Cette
Université dispose de sommes variant de plusieurs millions à
plusieurs dizaines de millions de dollars en provenance de l'exploitation des
brevets déposés par l'Université, pour aider des projets.
Ces sommes ne sont certes pas très importantes mais, ainsi que l'a fait
remarquer M. Alain Coléno, aux Etats-Unis on obtient facilement du
capital. M. Alain Coléno a bien marqué les différences de
conception entre les Etats-Unis et la France concernant ces sortes
d'entreprises. Ainsi, outre Atlantique, la rémunération du ou des
créateurs de l'entreprise est faite par le prix de sa revente en cas de
succès. Les prix peuvent alors atteindre des sommets compte tenu de la
concurrence des grandes entreprises qui sont perpétuellement à
l'affût de procédés innovants. Un autre mouvement facilite
grandement la naissance et le fonctionnement de ces structures : c'est le
financement direct par les grandes entreprises. En effet, comme l'a fait
observer M. Claude Fauquet, les grandes entreprises trouvent là une
liberté d'esprit et, par conséquent de créativité
intellectuelle, qui leur fait parfois défaut, compte tenu de leur
taille. Elles font ainsi en quelque sorte des paris parfois couronnés de
succès, parfois perdus, sur d'éventuelles découvertes.
On peut penser que ce système donne de bons résultats en
créant une atmosphère propice à la
créativité et à l'inventivité. Les réussites
américaines en la matière peuvent tout à fait donner
matière à réflexion aux Européens et à notre
pays en particulier même s'il ne convient évidemment pas de
transposer tel quel, ces mécanismes. Il convient cependant de noter,
comme l'a fait M. Alain Coléno, que la dimension " création
d'emplois " n'est pas du tout présente aux Etats-Unis alors qu'en
France, l'accent est mis sur la création d'entreprise à long
terme avec des créations d'emplois stables et la recherche de
prêts bancaires. Aux Etats-Unis la longévité de ces petites
entreprises est assez souvent brève : après avoir fait une
découverte et l'avoir brevetée, ces petites entités sont
disputées entre les grands groupes et absorbées par l'un d'entre
eux.
Nous évoquerons plus loin les récentes mesures d'ordre juridique,
fiscal et social que le ministre de la recherche vient de proposer afin
d'obvier à une partie des défauts du système
français dans ce domaine.
Cette différence de développement entre les Etats-Unis et
l'Europe est certainement à la base du problème existant dans ce
domaine dans les relations économiques internationales.