CHAPITRE PREMIER
Les cultures de plantes transgéniques sont devenues
un enjeu économique primordial
L'enjeu économique mondial des plantes transgéniques se marque, après une phase d'essais, par le développement des cultures en plein champ au niveau mondial, par l'importante activité des entreprises présentes sur ce marché, par la croissance des problèmes commerciaux internationaux et par le problème de la situation des pays en voie de développement. Cet essor des plantes transgéniques pose également le problème du devenir de l'agriculture.
A - Des essais au champ aux cultures en plein champ
La situation actuelle est caractérisée par l'essor des cultures transgéniques dans le monde et par les hésitations de la France. Il convient donc sans tarder de se fixer des objectifs à long terme.
a - L'essor des cultures transgéniques
L'enjeu
économique des cultures transgéniques se traduit par
l'évolution qui a affecté ce secteur depuis 1986 où on est
passé des essais aux cultures en plein champ.
Pendant la période 1986 - 1997 ce furent à peu près 25 000
essais en champ portant sur plus de soixante espèces de
végétaux qui ont été conduits dans 45 pays, dont la
France. Le rythme de ces essais s'est considérablement
accéléré dans les deux dernières années de
la période. En effet sur ce total de 25 000 essais, 15 000, soit 60%,
ont été menés sur les dix premières années,
de 1986 à 1997, et 10 000, soit 40%, dans les deux dernières
années, 1996-1997. C'est aux Etats-Unis et au Canada que ces essais ont
été les plus nombreux : 72% du total. Notre pays a eu une
activité très importante dans ce domaine puisque la Commission du
génie biomoléculaire (C.G.B.) a autorisé de 1986 à
1996 la réalisation de plus de 3 000 essais (386
dossiers). Ces chiffres montrent bien, qu'à l'inverse de ce qu'affirment
les détracteurs des biotechnologies des plantes, des essais en plein
champ sont effectués depuis plus de dix ans. Ils montrent
également que les commissions qui ont pris des décisions
d'autorisation de mise en culture en France, en Europe, aux Etats-Unis et au
Canada ont bénéficié d'un retour d'expérience leur
permettant d'évaluer les risques en matière de santé ou
d'environnement.
Les tableaux suivants extraits du rapport pour l'année 1996 de la
Commission du génie biomoléculaire donnent une idée des
dossiers examinés par cette commission :
Année |
87 |
88 |
89 |
90 |
91 |
92 |
93 |
94 |
95 |
96 |
Total |
colza |
0 |
1 |
4 |
8 |
7 |
7 |
12 |
16 |
23 |
32 |
110 |
maïs |
0 |
0 |
0 |
0 |
5 |
6 |
11 |
15 |
21 |
44 |
102 |
tabac |
3 |
6 |
6 |
8 |
5 |
4 |
5 |
4 |
8 |
12 |
61 |
betterave |
1 |
0 |
1 |
4 |
7 |
5 |
7 |
7 |
9 |
12 |
53 |
pomme de terre |
1 |
0 |
0 |
1 |
3 |
1 |
2 |
4 |
1 |
1 |
14 |
melon |
0 |
0 |
0 |
1 |
1 |
3 |
1 |
2 |
0 |
3 |
11 |
tomate |
0 |
1 |
0 |
1 |
1 |
0 |
1 |
3 |
2 |
0 |
9 |
peuplier |
0 |
0 |
1 |
1 |
1 |
1 |
1 |
0 |
2 |
2 |
9 |
laitue |
0 |
0 |
1 |
0 |
1 |
0 |
0 |
0 |
1 |
3 |
6 |
tournesol |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
2 |
1 |
3 |
chicorée |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
1 |
2 |
3 |
vigne |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
1 |
1 |
2 |
soja |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
1 |
1 |
2 |
courgette |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
1 |
1 |
Total |
5 |
8 |
13 |
24 |
31 |
27 |
40 |
51 |
72 |
115 |
386 |
Nombre de dossiers examinés par caractère introduit
année |
87 |
88 |
89 |
90 |
91 |
92 |
93 |
94 |
95 |
96 |
total |
résistance aux herbicides |
3 |
4 |
6 |
14 |
15 |
15 |
20 |
21 |
34 |
36 |
168 |
résistance aux pestes |
0 |
0 |
2 |
3 |
5 |
4 |
9 |
11 |
16 |
46 |
96 |
mâle stérilité |
0 |
1 |
2 |
2 |
2 |
2 |
5 |
6 |
7 |
7 |
34 |
résistance aux virus |
1 |
1 |
1 |
4 |
5 |
3 |
4 |
5 |
4 |
6 |
34 |
autres |
1 |
2 |
2 |
1 |
4 |
3 |
2 |
8 |
11 |
20 |
54 |
Total |
5 |
8 |
13 |
24 |
31 |
27 |
40 |
51 |
72 |
115 |
386 |
Les
plantes les plus utilisées pour ces essais ont été : le
maïs, la tomate, le soja, le colza, la pomme de terre et le coton. Les
modifications introduites dans ces plantes ont concerné le plus
fréquemment : la tolérance aux herbicides, la résistance
aux insectes, l'amélioration de la qualité et la
résistance à des virus.
La République populaire de Chine a été, en 1990, le
premier pays à commercialiser une plante transgénique, un tabac
résistant à une virose. En 1994 la société
américaine Calgene a obtenu la première autorisation pour
commercialiser une tomate transgénique, appelée
" FlavrSavr ", conçue pour présenter une
résistance plus importante au phénomène de pourrissement.
En 1996, la superficie totale de cultures de plantes
génétiquement modifiées s'élevait à 2,8
millions d'hectares et en 1997 à 12,8 millions d'hectares, soit une
multiplication par 4,5.
Ces superficies se répartissaient ainsi (en millions d'hectares)
:
|
1996 |
%
|
1997 |
%
|
Etats-Unis |
1,5 |
51 |
8,1 |
64 |
Chine |
1,1 |
39 |
1,8 |
14 |
Canada |
0,1 |
4 |
1,3 |
10 |
Argentine |
0,1 |
4 |
1,4 |
11 |
Australie |
E |
1 |
<0,05 |
<1 |
Mexique |
E |
1 |
<0,03 |
<1 |
Source
: d'après
International service for the
acquisition of agri-biotech applications
On note sur ce tableau la part prépondérante des Etats-Unis
à la fois en valeur absolue et relative, ce pays augmentant encore cette
dernière en 1997. La progression du Canada est aussi importante, de 4
à 10% du total. Les chiffres concernant la Chine indiquent une
progression assez faible d'une année sur l'autre alors que le niveau de
départ était assez élevé. Les informations se font
assez rares sur ce pays et ne sont peut-être pas très fiables.
Mais malgré ces incertitudes, toutes les indications
révèlent que ce pays a pris de façon résolue le
tournant des cultures de plantes génétiquement modifiées.
Hors la situation de l'Australie et du Mexique qui ne paraît pas encore
significative, le cas de l'Argentine est très intéressant. En
effet celui-ci montre que ce grand pays agricole, qui fait partie des
" pays émergents ", semble avoir résolument fait le
choix des cultures transgéniques. Ce sera certainement dans le futur un
redoutable concurrent sur les marchés agricoles mondiaux. Autre
enseignement très important de ce tableau : l'absence totale de l'Europe
qui est pourtant une des grandes puissances agricoles de la planète et
qui devrait aspirer à le rester...
Les perspectives pour 1998 estiment à environ 26 millions d'hectares
les superficies occupées par les cultures transgéniques dans le
monde et à environ 60 millions d'hectares les mêmes superficies en
2000. Il s'agit donc là d'une perspective de croissance très
rapide, et ce, d'autant plus que les plantes de deuxième
génération améliorant les capacités de
résistance aux virus, les qualités gustatives ou nutritionnelles
sont à un stade d'élaboration très avancé.
La répartition serait la suivante, d'après
Rhône-Poulenc
Agro
et le
G.N.I.S.,
à ces deux périodes en
pourcentage du total des terres cultivées en plantes
transgéniques :
|
1998 |
2000 |
Amérique du Nord |
88% |
81% |
Amérique latine |
6% |
8% |
Asie |
6% |
10% |
Europe |
- |
1% |
Selon ces projections, l'ensemble de l'Amérique du Nord reste encore, et
de façon massive, prépondérante dans le total mondial,
l'Asie supplantant par contre l'Amérique latine. L'Europe reste
complètement étrangère à ce mouvement mondial et ne
parvient à apparaître, de façon fort timide, qu'en 2000 et
avec un pourcentage parfaitement insignifiant. C'est sans doute la
conséquence des interrogations qui demeurent chez les consommateurs dans
la mesure où aucun débat public n'est venu les éclairer
sur les enjeux des biotechnologies. C'est aussi la conséquence de
l'affrontement entre industriels et associations opposées aux O.G.M. Ces
chiffres m'inquiètent pour l'avenir de l'Europe en tant que grande
puissance agricole si les questions qui se posent aujourd'hui ne sont pas
rapidement tranchées. L'Europe est inexistante sur ces marchés du
futur.
Concernant les plantes les plus couramment modifiées, on peut noter
qu'une évolution s'est produite entre 1996 et 1997.
En 1996, le tabac était la principale culture transgénique et
représentait 35% du total, soit 1 million d'hectares, suivi par le coton
(27% du total et 0,8 million d'hectares), et le soja (18% du total), le reste
étant représenté par le colza (5%), les tomates (4%), les
pommes de terre (moins de 1%).
Par contre en 1997, les positions ont quelque peu évolué puisque
c'est le soja transgénique qui occupe la première place avec 40%
de la surface suivi par le maïs (25% des superficies), le tabac (13%), le
colza (10%), le coton (11%) et enfin les tomates (1%).
Les perspectives pour 1998 seraient de 15 millions d'hectares en 1998 pour le
soja, d'un peu plus de 8 millions d'hectares pour le maïs, d'environ 2,5
millions d'hectares pour le coton et le colza, les espèces
potagères représentant environ 0,5 million d'hectares.
Dans toutes ces perpectives c'est l'Amérique du nord qui se taille la
part du lion et qui pérennise sa prépondérance.
Cette situation m'apparaît extrêmement préoccupante.
Elle peut signifier à terme la complète disparition de nos pays
d'Europe de l'Ouest comme grands fournisseurs mondiaux de produits agricoles.
Cette conjoncture est d'autant plus inquiétante à un moment
où tous les experts mondiaux prévoient une croissance de la
pénurie de nourriture face à l'augmentation de la population de
la planète. Je crains en effet très fortement que les
réticences européennes envers les plantes transgéniques ne
constituent qu'une bataille d'arrière-garde qui risque de donner les
résultats de tout combat de ce type, à savoir le sacrifice et
l'anéantissement de la dite arrière-garde.
Ce qui est aujourd'hui choquant n'est pas l'interrogation du consommateur. Il
appelle à la prudence puisque certains lui affirment que des risques
demeurent. C'est l'incertitude de l'Union européenne qui est
préoccupante. En effet celle-ci est tétanisée, incapable
de décider en matière d'importations, d'information du
consommateur, d'autorisation de mise en culture alors que les Américains
se sont lancés comme des " bulldozers " dans les cultures du
soja ou du maïs dans le Middle-West. Car il n'y a en effet qu'une
alternative : ou il y a risque et il faut s'opposer avec détermination,
ou il n'y en a pas et il faut fixer très vite les objectifs à
atteindre.
Les modifications opérées par transgenèse sur les
végétaux avaient pour but, en 1997, de les rendre
auto-résistants aux virus pour 40% des superficies, aux insectes pour
37%, aux herbicides pour 23% et d'améliorer leurs qualités
agronomiques, tels que goût ou résistance au pourrissement, pour
moins de 1%.
La situation a également évolué sur ce plan en 1998 dans
la mesure où la première modification concerne la
résistance aux herbicides (57% des superficies) suivie par la
résistance aux insectes (31% des superficies) et la résistance
aux virus (14%), les modifications " qualitatives " ne
représentant toujours que moins de 1% des superficies.
Face à ce développement des cultures transgéniques chez
nos principaux concurrents sur les marchés agricoles, la France et
l'Europe font preuve de beaucoup d'hésitations.
b - Les hésitations de la France
La
France présente un caractère paradoxal du point de vue de ce
débat.
En effet comme il a été rappelé
supra
,
un
grand nombre d'expérimentations ont été autorisées
dans notre pays par la Commission du génie biomoléculaire
(C.G.B.), lesquelles se sont déroulées sans incident. La France
donnait ainsi l'impression, comme cela m'a été confirmé
aux Etats-Unis lors de ma mission, d'être un pays plutôt " en
pointe " sur ce dossier.
C'est sans doute en partie pour cette raison qu'au mois de novembre
1994, la société Novartis, qui s'appelait encore Ciba à
l'époque, a déposé dans notre pays un dossier de demande
d'autorisation de mise sur le marché pour un maïs
transgénique auto-résistant à la pyrale. Après un
avis favorable rendu par la C.G.B., la procédure d'autorisation et de
notification a débuté devant la Commission européenne. Au
terme du déroulement de la procédure européenne, la
décision d'autorisation de mise sur le marché était
adoptée et notifiée à la France.
C'est à ce moment qu'est intervenu un coup de théâtre.
En effet le 12 février 1997 le gouvernement français de cette
époque suspendait la mise en culture de cette variété de
maïs en France, sans toutefois en interdire l'importation et la
consommation en France. Cette décision dont on peut dire qu'elle
était quelque peu incohérente a suscité l'opposition des
agriculteurs. En effet ceux-ci notaient, avec quelque raison, qu'on leur
interdisait de disposer de ces variétés
a priori
plus
performantes tout en les laissant devoir affronter leur concurrence.
Il allait revenir au nouveau gouvernement issu des élections
législatives de 1997 de reprendre ce dossier. Le principe de
l'autorisation de culture était pris le 27 novembre 1997.
Le nouveau ministre de l'agriculture, M. Louis Le Pensec, décidait dans
un arrêté du 5 février 1998, d'inscrire au Catalogue
officiel des espèces et variétés de plantes
cultivées en France les trois variétés de maïs
transgéniques résistants à la pyrale de la marque
Novartis, nouvelle dénomination de la firme Ciba après sa fusion
avec Sandoz.
Comme il était précisé dans ce texte, cette inscription
n'est valable que pour une durée de trois ans à compter de la
date de cet arrêté.
Il me semble que cette décision était de bon sens et qu'il
était tout à fait nécessaire de revenir sur la
décision inconséquente de février 1997, qui mettait nos
agriculteurs dans une position particulièrement difficile.
Cet arrêté de février 1998 a couplé d'une
façon qui me semble tout à fait judicieuse l'autorisation
donnée à la culture du maïs transgénique à la
mise en place d'un système de biovigilance afin d'évaluer la
nouvelle situation.
Celle-ci me semble assez naturellement devoir prendre la suite des très
nombreuses expérimentations : ce sera ainsi un essai en grandeur
réelle qui permettra d'apporter au débat un grand nombre
d'importantes d'informations. Il apparaît que cela aura aussi le
très grand mérite de sortir d'une certaine forme de débat
qui a prévalu jusqu'ici. En effet on ne peut qu'être
consterné de voir que, jusqu'ici, ne s'échangeaient de
façon presque mécanique entre partisans et adversaires de ces
cultures des arguments qui restaient complètement théoriques.
Diverses estimations ont été faites sur l'avenir
économique des biotechnologies qui représenteraient un
marché de 100 milliards de dollars en 2000 dont 26 milliards pour les
médicaments, 16 milliards pour la chimie et 46 milliards pour
l'agriculture.
L'importance de ce dernier chiffre est la cause de l'importante activité
des entreprises du secteur.