3°/ LES DÉCHETS TRITIÉS
Si les déchets contaminés par le plutonium
constituent le souci principal des responsables de la gestion des
déchets de la DAM, la présence de tritium dans les installations
de fabrication ou de maintenance des armes nucléaires n'en pose pas
moins toute une série de problèmes souvent très difficiles
et parfois même impossibles à résoudre.
Si le tritium fait moins peur que le plutonium, ce n'est cependant pas une
raison suffisante pour en minimiser les dangers, comme c'est le cas assez
fréquemment chez les responsables d'installations qui produisent et qui
relâchent ce radionucléide.
Pour un non-spécialiste, le tritium présente toute une
série de particularités le distinguant des autres
éléments radioactifs. L'Institut de Protection et de
Sûreté Nucléaire (IPSN) vient heureusement de publier une
étude
16(
*
)
aussi
claire que concise, qui permet de mieux comprendre les problèmes que
posent les déchets tritiés et les rejets de tritium dans
l'environnement.
A/ La spécificité des déchets tritiés
Le tritium 3H est un isotope radioactif de l'hydrogène
qui a été découvert en 1934 par le célèbre
physicien Lord Rutherford.
Sa période de décroissance ou demi-vie est de 12,4 ans, ce
qui le distingue immédiatement du plutonium 239 dont la
période est de 24 000 ans. Le tritium est donc un
radionucléide à vie courte puisqu'il en disparaît chaque
année naturellement 5,6 % en formant de l'hélium 3. Cette
décroissance rapide constitue donc un élément plutôt
favorable pour la gestion des déchets qui contiennent du tritium en
éliminant toutes les incertitudes qui pèsent sur le stockage
à long terme. Le tritium est d'ailleurs très fréquemment
utilisé comme marqueur dans des expériences scientifiques en
raison de sa courte vie.
Second élément favorable, par rapport à d'autres
radionucléides : la force de pénétration de son
rayonnement bêta est très limitée, 5 mm dans l'air, ce
qui fait que les cellules des tissus humains ne sont pratiquement pas
atteintes, même à la suite d'un contact rapproché, tant
qu'il n'y a pas de pénétration à l'intérieur de
l'organisme.
Si certains tentent parfois de "banaliser" l'usage du tritium, c'est
aussi en
raison de son origine. Le tritium peut en effet, à la différence
du plutonium, avoir une origine naturelle. Produit par une réaction des
rayonnements cosmiques sur les atomes d'hydrogène de l'atmosphère
ou à l'intérieur même de la couche terrestre par
réaction de neutrons sur certaines roches, le tritium est présent
dans l'atmosphère, dans les eaux et même dans les espèces
vivantes et cela en l'absence de toute production résultant des
activités humaines.
Selon l'UNSCEAR, le Comité scientifique des Nations-Unies pour
l'étude des effets des radiations, le tritium naturel
représenterait de 2,8 à 3,7 kg, ce qui correspondrait,
compte tenu de sa décroissance naturelle, à une production
annuelle de 0,15 à 0,20 kg par an.
En réalité, le tritium présent dans l'environnement
provient surtout des activités humaines. Toujours selon l'UNSCEAR, les
seuls essais d'armes nucléaires dans l'atmosphère auraient
produit environ 650 kg de tritium qui serait en voie de disparition, les
derniers essais importants, à l'air libre, ayant eu lieu en 1963.
Depuis l'arrêt des essais, le tritium provient avant tout des
réacteurs, soit que ceux-ci soient utilisés pour la production
d'électricité, soit qu'ils soient spécialement
conçus pour produire ce radionucléide, en particulier pour des
usages militaires.
Il est très difficile de limiter les rejets de tritium par les
centrales, les usines de retraitement et les réacteurs
dédiés à cette production, car une des principales
spécificités du tritium par rapport à presque tous les
autres radionucléides est de se présenter sous trois formes
différentes :
- solide inclus dans des métaux, des produits organiques ou
minéraux,
- liquide essentiellement sous forme d'eau tritiée,
- gazeux sous forme de tritium gazeux ou encore de vapeur d'eau
tritiée.
Il faut toutefois noter que les déchets tritiés solides ou
liquides émettent en permanence des effluents gazeux, ce qui rend leur
stockage particulièrement difficile.
Comme il s'agit d'un radionucléide dont les rayonnements sont peu
pénétrants, à vie courte, qui peut être produit
naturellement et dont il est très difficile de limiter les rejets
gazeux, la tentation a toujours été très forte de ne pas
lui appliquer les mêmes normes de protection que pour les autres
éléments radioactifs et d'avoir une attitude beaucoup plus
laxiste vis-à-vis de sa dissémination dans l'environnement.
Il n'en demeure pas moins que le tritium, corps radioactif, présente
pour la santé humaine des dangers incontestables qu'il convient de ne
jamais oublier.
B/ Les dangers de la contamination interne par le tritium
Si, comme on l'a vu précédemment, la
pénétration des rayonnements émis par le tritium ne peut
atteindre que les cellules les plus superficielles de la peau, l'ingestion,
à l'intérieur du corps, de ce radionucléide pourrait avoir
des conséquences graves. En effet, à la suite d'absorption
d'aliments ou d'eau contaminés par le tritium, une partie de cet
élément peut passer dans le sang. Il en va de même en cas
d'inhalation de gaz tritié.
A l'heure actuelle, on ne semble pas disposer de données très
précises sur les conséquences sanitaires de l'ingestion ou de
l'inhalation de tritium :
"Il n'existe pas de données
épidémiologiques humaines à partir desquelles il serait
possible d'estimer, même approximativement, le risque de cancer chez
l'homme dû à l'exposition au tritium seul."
17(
*
)
Certaines études ont toutefois montré de façon très
nette que, chez des animaux, l'exposition ou l'injection de tritium
entraînait une importante augmentation des cancers.
L'estimation du risque de cancer chez l'homme exposé au tritium repose
donc, pour le moment, sur les résultats des expériences animales,
ces expériences ayant été conduites avec des doses
relativement faibles mais malgré tout très largement
supérieures aux expositions professionnelles non accidentelles ou aux
doses que pourraient recevoir les populations proches d'une installation
rejetant du tritium.
Le résultat de ces expériences mais aussi la
description
18(
*
)
de
deux cas de décès attribués à une exposition au
tritium, sans toutefois que ces décès soient dus à des
cancers, nous imposent d'appliquer strictement le principe de précaution
et de tout mettre en oeuvre pour réduire au maximum l'exposition au
tritium des travailleurs et des populations.
La Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) a, dans ses
recommandations, pris en compte les risques que pouvaient présenter
l'ingestion, l'inhalation ou l'absorption par la peau de tritium. Au fur et
à mesure que les connaissances sur les effets potentiels du tritium
s'affinaient, ces recommandations ont été ajustées.
L'appréciation de la validité des normes
préconisées par la CIPR est très difficile et même
pratiquement impossible pour un profane. La radioprotection, qui
intéresse pourtant l'ensemble des travailleurs du nucléaire et
les populations concernées, ne peut malheureusement être comprise
que par quelques spécialistes. La radioprotection fait en effet appel
à
"un ensemble unique et sophistiqué de concepts, de
principes, de techniques de prévention et de maîtrise des risques
radiologiques"
19(
*
)
qui
ne cessent d'évoluer pour inclure des situations d'exposition aux
rayonnements qui n'étaient pas assez prises en compte dans le
passé.
Les facteurs qui influencent la fréquence des cancers sont liés
aux caractéristiques de l'irradiation mais aussi à celles des
personnes exposées. Il faut donc tenir compte de la dose de radiation,
de la nature des rayonnements ionisants (alpha, gamma, bêta), du
débit selon lequel la dose a été délivrée
mais surtout de la partie du corps qui a été irradiée. A
cela il faut ajouter que la radiosensibilité diffère
également selon le sexe et l'âge, les jeunes enfants et les
adolescents étant plus sensibles aux effets des rayonnements que les
adultes dans la force de l'âge.
Quelle conclusion peut-on tirer de ces remarques sur la difficulté pour
le grand public d'avoir accès aux règles et aux normes de
radioprotection ?
A partir du moment où des installations civiles ou militaires manipulent
et donc ne peuvent éviter de rejeter du tritium, ce radionucléide
se retrouvera dans l'eau atmosphérique, dans les eaux de surface et dans
les nappes phréatiques proches de ces installations à des
concentrations supérieures à ce que l'on observe dans le reste du
territoire.
Il convient donc, dans ces zones concernées, de mettre en place des
dispositifs incontestables, pluralistes et publics, d'évaluation des
doses susceptibles d'être délivrées aux personnes
exposées.
Affirmer, comme le font les responsables des installations rejetant du tritium,
que les rejets sont très inférieurs aux autorisations qui leur
ont été accordées par décret ne suffit plus
à rassurer les populations concernées. Si, comme ils le
prétendent, il est impossible d'échapper aux rejets de tritium,
toutes les précautions doivent être prises pour en limiter au
maximum l'importance mais aussi pour en mesurer l'impact sur l'environnement et
la santé humaine.
Les autorités responsables des installations nucléaires,
qu'elles soient civiles ou militaires, doivent être conscientes que les
rejets de tritium dans l'environnement risquent de devenir dans les
années à venir un problème majeur et certainement un des
principaux axes de la contestation antinucléaire.
L'étude radioécologique qui va être conduite à La
Hague, sous la direction de l'Institut de Protection et de Sûreté
Nucléaire (IPSN) mais qui comprendra également des experts
étrangers et des représentants d'associations de protection de
l'environnement, constitue un exemple qui devrait peu à peu être
étendu à tous les sites, y compris ceux de la DAM, où des
rejets de radioéléments peuvent légitimement
inquiéter les populations avoisinantes, comme l'a d'ailleurs
demandé le Haut Commissaire à l'énergie atomique.
Il convient en effet d'évaluer sereinement et en toute
objectivité les doses de radioactivité reçues par les
populations, qu'elles soient d'origine nucléaire, médicale ou
naturelle, pour tenter d'instaurer un vrai débat sur des bases admises
par tous et avant que des situations de crise puissent se développer.
C/ La gestion des déchets tritiés
Le centre de Valduc, chargé de la production et de la
maintenance des sous-ensembles des armes nucléaires, est
particulièrement concerné par le problème des
déchets tritiés, à tel point qu'il a été
décidé d'y entreposer également ceux qui ont
été produits par les autres centres du CEA.
Par rapport à d'autres déchets contenant des
radionucléides, les déchets tritiés, qu'ils soient sous
forme solide ou liquide, présentent l'inconvénient majeur de
dégazer, c'est-à-dire de produire en continu des effluents gazeux
qui vont, en l'absence de confinement, se répandre dans
l'atmosphère environnante. Une fois dans l'atmosphère, le tritium
à l'état gazeux se transforme en grande partie en eau
tritiée en présence de l'air ou de la vapeur d'eau.
La classification des déchets va donc se faire en fonction de la teneur
en tritium des matériaux concernés, car il y a une
corrélation étroite entre cette teneur et le taux de
dégazage qui en résulte.
-- Les déchets à forte teneur en tritium sont, dans toute la
mesure du possible, traités pour en réduire à la fois le
volume et l'activité.
Le retraitement a aussi un intérêt économique car on a tout
intérêt à minimiser les pertes de tritium. En effet, depuis
l'arrêt de la production de plutonium, les réacteurs
Célestin de la COGEMA situés à Marcoule, qui produisent
également le tritium utilisé par la DAM, ne fonctionnent plus
qu'en marche alternée.
Les déchets métalliques sont fondus dans un four à vide
qui permet, en fin d'opération, de récupérer de l'eau
tritiée. Les lingots qui sont obtenus ne provoquent pratiquement plus de
dégazage mais ils restent quand même entreposés sur le site
de Valduc.
Les déchets organiques sont traités dans des installations
d'étuvage à la vapeur sèche qui permettent là aussi
de recueillir de l'eau tritiée. Ces déchets sont en final
compactés et conditionnés.
Ces opérations ont l'avantage de réduire le volume et
l'activité des déchets mais il faut bien voir qu'en contrepartie,
elles conduisent à un déchet liquide : de l'eau faiblement
tritiée (de 10 à 500 Curies au litre).
C'est là tout le paradoxe de la gestion des déchets
tritiés : il est souvent possible de les traiter et en quelque
sorte de les nettoyer, mais les techniques employées conduisent
obligatoirement à la production d'eau tritiée qui sera presque
aussi difficile à gérer. Il faut également se souvenir que
toutes ces opérations ne sont pas neutres sur le plan de la
radioprotection et qu'elles peuvent toujours entraîner des risques pour
les opérateurs chargés de les conduire.
-- Les déchets qui restent entreposés sur le site de Valduc
peuvent être classés en trois catégories distinctes :
· les déchets technologiques conditionnés en
fûts dont le taux de dégazage est relativement important (entre
1,85 et 55 Mégabecquerels par fût).
3 032 fûts de 100 et de 200 litres de cette
catégorie sont provisoirement entreposés sur le site de Valduc,
ce qui représente environ 580 m
3
;
· les déchets ayant un très faible taux de
dégazage (1,85 Mégabecquerels par fût), il s'agit en
grande partie de déchets technologiques dont l'activité est
à la limite de détection des moyens de mesure. Il y en a
actuellement 2 915 fûts de 100 et 200 litres à
Valduc, ce qui représente environ 550 m
3
;
· les ferrailles qui ont un très faible taux de
dégazage, leur activité surfacique étant comprise entre
3,7 et 37 Becquerels par cm
2
;
· les eaux tritiées représentent environ
800 litres.
Sont également entreposés à Valduc des huiles et des
mercures contenant du tritium.
Faute de solution de stockage définitive, tous ces déchets
restent provisoirement entreposés dans des bâtiments du centre de
Valduc :
· le bâtiment 055 construit sur une dalle de béton
avec un dispositif pour recueillir d'éventuelles eaux de ruissellement.
Il s'agit d'un hangar tout à fait ordinaire mais muni d'extracteurs
d'air surmontés de cheminées pouvant assurer un taux de
renouvellement de 15 volumes par heure. Selon la DAM, les rejets
atmosphériques de ce bâtiment représenteraient environ
10 % du total des rejets de tritium du centre de Valduc. Dans ce
bâtiment 055 sont entreposés 3 200 fûts ;
· le bâtiment 058, lui aussi construit sur une dalle de
béton avec un dispositif pour recueillir les éventuelles eaux de
ruissellement, est de construction plus simple et n'est pas doté de
moyens de ventilation artificielle. Les 3 200 fûts qui y sont
entreposés ont un taux de dégazage inférieur à ceux
du bâtiment 055 ;
· les ferrailles, 50 tonnes au total, sont simplement
déposées sur une aire bétonnée non
protégée mais les eaux de lixiviation sont cependant
régulièrement contrôlées ;
· les eaux tritiées restent entreposées dans des
flacons en polyéthylène à l'intérieur même
des bâtiments de production.
La DAM reconnaît que certains des fûts ainsi entreposés
"sont altérés"
et qu'il faudra les reconditionner.
Les critères d'acceptabilité des colis de déchets
tritiés par l'ANDRA sont très sévères et excluent
de fait pour le moment tout envoi vers le centre de stockage de l'Aube.
L'ANDRA impose en effet des normes très strictes qui portent à la
fois sur l'activité massique des colis et sur le taux de
dégazage. Le rayonnement bêta émis par le tritium
étant trop peu énergétique, on ne peut mesurer la
quantité de tritium qui serait contenue dans un colis ou dans un
fût de déchets. Il existe bien une méthode de mesure par
calorimétrie mais la limite de détection est 1 000 fois
plus élevée que la limite imposée par l'ANDRA.
A partir du moment où les colis sont composés
d'éléments hétérogènes dont la teneur en
tritium est très variable, il n'existe pas pour le moment de
méthode permettant de "caractériser" un colis ou un fût de
déchets tritiés pour lui permettre de rejoindre le centre de
stockage en surface de l'ANDRA. Il est en revanche possible de mesurer le taux
de dégazage mais cela ne répond qu'à une des deux
conditions posées par l'ANDRA. Des études sont en cours pour
mesurer la teneur en tritium d'un colis ou d'un fût mais elles n'ont
toujours pas donné de résultat probant.
Comme le reconnaît la DAM :
"Les déchets tritiés
n'ont pas aujourd'hui de solution d'entreposage définitif car nous ne
pouvons pas répondre aux conditions d'évacuation vers l'ANDRA,
les activités massiques de cet ordre ne pouvant pas être
mesurées."
Aucune évacuation n'ayant été jusqu'ici autorisée,
"les déchets tritiés solides produits par la DAM (85 %)
et par les autres centres du CEA (15 %) sont entreposés sur le site
de Valduc d'une façon réversible, généralement en
fûts métalliques dans des bâtiments ventilés dont les
rejets sont contrôlés en permanence. La capacité
d'entreposage actuelle des 3 entrepôts du site de Valduc est de
1 760 m3. Le stock accumulé depuis 1975 est de
1 250 m
3
et la production annuelle moyenne est de l'ordre
de 50 m
3
."
20(
*
)
Les responsables de la DAM estiment donc qu'ils ont de la marge et ne
s'inquiètent donc pas outre mesure, la solution de l'entreposage
à Valduc leur paraissant, pour le moment, ne pas poser de
difficultés majeures.
Il n'en demeure pas moins que le site de Valduc n'a pas le statut de centre
de stockage et qu'il faudra bien un jour ou l'autre trouver une destination
définitive pour l'ensemble des déchets tritiés.
A la demande de M. Dautray, le Haut Commissaire à l'Energie
Atomique, un groupe de travail sur "Le devenir des déchets
tritiés" a été mis en place. Il devrait présenter
bientôt des propositions relatives :
- aux moyens d'évaluer les quantités de tritium contenues
dans des colis ou des fûts,
- à la recherche d'"exutoires" pour les déchets
tritiés (rejets, entreposage, stockage, ...)
- à l'élaboration d'un inventaire détaillé de
ces déchets actuels ou à venir.
Pour le moment toutefois, et faute de mieux, la création d'un nouveau
bâtiment d'entreposage à Valduc est à l'étude.
Certains ont envisagé la création d'un centre de stockage
spécialement dédié au tritium, avec des moyens de
confinement qui permettraient de limiter le dégazage et surtout de le
contrôler régulièrement. Sur le plan du principe,
l'idée de la création d'un centre de déchets
tritiés est intéressante, tout comme celle de la création
d'un centre destiné aux déchets radifères. On oublie
toutefois le problème de la localisation.
Votre rapporteur, qui a
conduit la médiation pour l'implantation des laboratoires de l'ANDRA,
est bien placé pour savoir que les problèmes d'acceptation, par
les populations concernées, de toute installation en rapport avec les
déchets radioactifs ne sont pas simples mais qu'ils conditionnent la
faisabilité de tout projet de ce type.
Beaucoup de spécialistes regrettent toujours que l'immersion en mer des
déchets tritiés soit désormais interdite par la Convention
de Londres. La mer contenant naturellement du tritium, la dilution des
quantités contenues dans les déchets n'aurait eu,
paraît-il, aucune conséquence. Il est inutile de se lamenter sur
cette situation. L'immersion de déchets a été, à
juste titre, interdite ; il n'y a donc pas lieu de continuer à
discuter d'une solution qui est totalement et définitivement
écartée.
Votre rapporteur, alerté par des courriers et par certains ouvrages
comme celui de Bruno Barillot et Mary Davis
21(
*
)
, s'est inquiété des
pratiques qui auraient existé à Valduc, où des
déchets tritiés auraient été brûlés
à l'air libre sans précautions particulières. Selon
certains, cette technique quelque peu rudimentaire aurait conduit à
expédier dans l'atmosphère plusieurs milliers de Curies,
contaminant ainsi l'environnement avoisinant.
Sur place, votre rapporteur a constaté que cette pratique avait
cessé mais, sur les conditions dans lesquelles cette opération
avait été conduite et sur ses conséquences
éventuelles, il ne peut que s'en remettre à la note qui lui a
été fournie par la DAM :
"BRÛLAGE DE DÉCHETS TRITIÉS
Des déchets tritiés ont été brûlés sur
une aire aménagée, de 1968 à 1975.
43 opérations ont été effectuées. Elles ont
porté sur 335 m
3
de déchets divers.
Ces opérations s'accompagnaient de campagnes de mesures dans
l'environnement :
- contrôles atmosphériques,
- contrôles de végétaux,
- contrôles surfaciques du foyer après brûlage,
- contrôles des cendres,
- contrôles des eaux.
Des campagnes de mesures ont été réalisées
après l'arrêt des opérations, notamment en 1978 et 1981.
Aujourd'hui, l'activité de la nappe phréatique à
proximité immédiate du foyer est d'environ 4 000 Bq/l,
l'activité massique des végétaux prélevés
sur l'emplacement de brûlage varie entre 190 et 2 500 Bq/kg
frais.
ÉVOLUTIONS :
En terme de conséquence sanitaire pour un individu qui consommerait
toute l'année l'eau de la nappe prélevée au voisinage du
lieu de brûlage, l'équivalent de dose annuel engagé serait
de l'ordre de 0,07 mSv (7 mrem) soit l'équivalent de
10 jours supplémentaires d'irradiation naturelle.
L'activité de l'eau prélevée au voisinage du site de
brûlage est 40 fois supérieure à l'activité des
prélèvements effectués dans les nappes de l'environnement
du site de Valduc."
D/ Les rejets gazeux
Bien qu'il ne s'agisse pas à proprement parler de
déchets, ce rapport ne saurait passer sous silence le problème du
rejet de tritium sous forme gazeuse par les installations de la DAM.
C'est en effet la question qui préoccupe les populations proches de ces
installations même si elle n'est pas spécifique aux installations
militaires, les usines de retraitement étant également de plus en
plus souvent mises en cause pour l'importance de leurs rejets de tritium.
Comme cela a été souligné précédemment, les
déchets tritiés ont la particularité de produire, de
façon continue, des effluents gazeux et le tritium gazeux a
naturellement tendance à se transformer à son tour en eau
tritiée, qui va contaminer l'environnement proche de la source
d'émission. Il s'agit d'un phénomène physique contre
lequel on ne peut rien faire, la seule solution étant de se doter
d'équipements permettant de confiner le tritium sous toutes ses formes,
gazeuses ou liquides.
Les installations de la DAM que nous avons visitées sont toutes
équipées de barrières multiples destinées à
piéger le tritium à l'intérieur du système de
production ou de retraitement, et des efforts certains ont été
entrepris par les responsables de la DAM pour limiter au maximum les rejets de
gaz tritiés mais, selon les termes mêmes d'un de ces
responsables :
"On ne peut échapper aux rejets de
tritium."
Les pouvoirs publics ont pris en compte cette impossibilité d'assurer un
confinement total et ont par voie de conséquence autorisé, dans
certaines limites, les rejets d'effluents radioactifs gazeux.
Ainsi pour le centre d'étude de Bruyères-le-Châtel, dans la
région parisienne, dont les activités sont en voie de transfert
à Valduc, l'arrêté du 3 mai 1995 prévoit que
"l'activité annuelle des effluents gazeux rejetés par
l'ensemble des installations ne doit pas dépasser
1 850 Térabecquerels (50 Kilocuries) pour le
tritium"
.
22(
*
)
Ces rejets ne doivent pas comporter d'émetteurs alpha et
l'arrêté décrit avec précision les
équipements dont doit se doter le centre ainsi que les procédures
de contrôle qui doivent être mises en oeuvre.
Pour le centre de Valduc, un arrêté, également du
3 mai 1995, prévoit que
"l'activité annuelle des
effluents radioactifs gazeux rejetés par l'ensemble des installations du
centre ne doit pas dépasser :
1 850 Térabecquerels (50 Kilocuries) pour le tritium,
40 Térabecquerels (1 Kilocurie) pour les gaz autres que le tritium,
750 Mégabecquerels (20 Millicuries) pour les halogènes
gazeux et les aérosols,
75 Mégabecquerels (2 Millicuries) pour les
radioéléments émetteurs alpha"
.
23(
*
)
Contrairement au centre de Bruyères-le-Châtel dont les
installations nucléaires sont en cours de démantèlement,
le centre de Valduc, qui est lui en pleine activité, a été
autorisé à rejeter sous forme gazeuse quelques émetteurs
alpha, les quantités sont certes minimes mais les effets des
émetteurs alpha sur la santé humaine sont beaucoup plus graves
que ceux du tritium.
Bien entendu, les limites imposées par ces deux décrets
doivent être considérées comme un maximum qu'il faut
s'efforcer de ne pas atteindre, l'activité rejetée devant rester
toujours aussi basse que possible.
Le tableau ci-après
24(
*
)
montre bien qu'heureusement, les
rejets effectifs restent bien en deçà des limites
autorisées, en moyenne moins de 30 % des autorisations.
La DAM s'est engagée à réduire d'un facteur 2 les
rejets atmosphériques de tritium du centre de Valduc d'ici l'an 2000 par
rapport aux valeurs constatées en 1995, en passant de 21 600
à 10 800 Curies par an.
La question primordiale est de savoir si ces rejets gazeux, aussi faibles
soient-ils, vont avoir un impact sur l'environnement et par voie de
conséquence sur la santé humaine.
Les décrets du 3 mai 1995 relatifs aux rejets des centres de
Bruyères-le-Châtel et de Valduc prévoient, avec un grand
luxe de détails, les conditions dans lesquelles doit se faire la
surveillance de l'environnement.
Le point le plus intéressant dans cet ensemble de mesures, c'est que
l'Office de Protection contre les Rayonnements Ionisants (OPRI) a
compétence pour définir les conditions dans lesquelles
s'exerceront les contrôles. Si la surveillance est assurée par
l'exploitant lui-même, elle s'exerce toutefois dans le cadre d'un
programme réglementé et contrôlé par l'OPRI en
conformité avec les autorisations fixées par un
arrêté pour chacun des centres, et cela malgré le fait que
ces installations soient classées Installations Nucléaires de
Base-Secrètes (INB-S) et qu'elles échappent théoriquement
aux procédures applicables aux simples INB civiles.
Créé par un décret du 19 juillet 1994, l'OPRI, qui
succède à l'ancien SCPRI, comme l'avait demandé à
de multiples reprises l'Office parlementaire d'évaluation des choix
scientifiques et technologiques, est un établissement public à
caractère administratif placé sous la tutelle conjointe du
ministre de la Santé et du ministre du Travail. Cet organisme est
chargé de toutes les missions d'expertise, de surveillance et de
contrôle propres à assurer la protection des populations contre
les rayonnements ionisants.
Face à des campagnes d'insinuations qui cherchent à
déstabiliser l'OPRI et à jeter la suspicion sur la
sincérité de ses travaux, votre rapporteur tient à
réaffirmer que, jusqu'à preuve du contraire, il accorde toute sa
confiance aux dirigeants et aux personnels de l'OPRI pour faire passer les
impératifs de santé publique et de protection des populations
avant toute autre considération.
Pour chacun des sites, le programme de surveillance mis en oeuvre par les
responsables du centre sous le contrôle de l'OPRI comprend la
surveillance :
- de l'atmosphère,
- des eaux de surface et des eaux réceptrices,
- de la végétation,
- du lait recueilli dans les fermes voisines.
En cas de besoin, ces analyses de routine peuvent être
complétées par des mesures plus fines ou portant sur d'autres
composantes de l'environnement.
Pour un centre comme celui de Valduc où sont désormais
regroupées la majeure partie des activités de la DAM, les
résultats en 1996 étaient les suivants :
Pour le
tritium :
|
1996 |
Comparaison avec 1992 |
Eaux de surface
(en Becquerels par litre) |
99 |
122 |
Eaux réceptrices
(en Becquerels par litre) |
sans objet |
300 |
Végétation
(herbes,
thym,
salade, en Becquerels par kg) |
26 |
45 |
Lait
(en Becquerels par litre) |
64 |
91 |
Le principal radionucléide détecté au
voisinage du centre de Valduc, comme d'ailleurs autour de celui de
Bruyères-le-Châtel, est le tritium, mais le niveau moyen de
contamination des quatre éléments analysés
décroît régulièrement au fil des années.
Si les données relatives à la présence de tritium dans les
eaux réceptrices du centre de Valduc sont considérées
comme sans objet, c'est que ce centre n'a pas d'autorisation de rejets
d'effluents radioactifs liquides.
Comme nous avons pu le constater, un très gros effort a
été réalisé à Valduc pour éviter tout
rejet d'eau contaminée ou non à l'extérieur du
périmètre surveillé. Deux réseaux traitant
séparément les eaux contaminées et les eaux usées
des bâtiments non nucléaires ont été mis en place.
Les eaux susceptibles d'être contaminées sont envoyées vers
des installations de retraitement, où les éléments actifs
sont récupérés sous forme de boues alors que les eaux
restantes sont évaporées. Les eaux d'usage commun après
traitement dans une station biologique classique sont envoyées dans cinq
bassins d'épandage successifs, où elles s'évaporent peu
à peu. Il faut toutefois noter que les déchets gazeux qui
retombent sous forme d'eau tritiée contaminent légèrement
l'eau de ces bassins, de l'ordre de 300 Becquerels par litre, les eaux de
pluie pouvant parfois atteindre un niveau de 10 000 Becquerels par
litre.
Il y a quelque temps, une polémique avait commencé à se
développer au sujet d'une prétendue décharge
secrète de déchets radioactifs située à Pontailler
en Côte-d'Or. Renseignements pris, il est exact que 74 tonnes de
boues contaminées par différents radionucléides (Pu, Am,
U...) provenant des anciens bassins de décantation de Valduc ont
été déversées en 1987 dans une décharge de
classe 1. Cette opération avait été autorisée
par le SCPRI car elle ne concernait que des effluents très
légèrement contaminés (10 Becquerels par gramme au
maximum).
La décharge de Pontailler n'a rien de secret puisqu'elle figure à
la page 71 de l'inventaire de l'ANDRA (édition 1997) avec la
mention :
"74 tonnes de boues déposées en 1987 qui
contiennent des traces d'uranium et de transuraniens
(< 10 Becquerels par gramme)"
. En décembre 1992 et en
mars 1995, des contrôles radiologiques ont conclu qu'
"il n'y avait pas
de contamination observée"
. Ces deux contrôles ont
été effectués, non pas par des services officiels
dépendants de la DAM, mais par la CRII-RAD.