N° 541
N° 179
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ASSEMBLÉE NATIONALE
SÉNAT
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
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Enregistré à la Présidence de l'Assemblée
nationale Annexe au Procès-verbal de la séance
le 15 décembre 1997 du 17 décembre 1997
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OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION
DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES
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RAPPORT
sur
L'ÉVOLUTION DE LA RECHERCHE
SUR LA GESTION DES DÉCHETS NUCLÉAIRES
À HAUTE ACTIVITÉ
par
M. Christian BATAILLE,
Député
Tome II : Les déchets militaires
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Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale
Déposé sur le Bureau du Sénat
par M. Jean-Yves LE DÉAUT, par M. Henri REVOL,
Président de l'Office.
Vice-Président de l'Office.
Énergie
INTRODUCTION
Dans le premier rapport de l'Office que j'avais
consacré à la gestion des déchets nucléaires
à haute activité
1(
*
)
, j'avais
annoncé que, devant
l'ampleur de la tâche qui m'avait été confiée, je
renonçais à traiter du problème des déchets
d'origine militaire.
J'étais toutefois parfaitement conscient que cette question allait un
jour ou l'autre donner lieu à un débat et j'avais pris soin de
noter en préambule que :
"le nucléaire militaire
produit des déchets pour lesquels des problèmes de gestion se
posent à l'évidence [...] et il faudra un jour que les
responsables s'expliquent sur ce qu'ils ont fait et sur ce qu'ils vont faire
des déchets qui résultent du programme nucléaire militaire
français et le Parlement ne devra pas, à notre avis, rester
inactif dans ce domaine."
Depuis cette date, la reprise, en 1995, des essais nucléaires
français mais aussi les nouvelles alarmantes venues de l'ex-URSS ont
contribué à donner une importance nouvelle à ce
problème qui n'intéressait, jusque-là, en France, qu'un
cercle très restreint de spécialistes et d'opposants aux armes
nucléaires.
Alors qu'aux Etats-Unis, la gestion et surtout le nettoyage des sites
nucléaires militaires constituent un enjeu politique primordial, en
France, les élus mais aussi l'ensemble de la population n'attachaient
guère d'importance à ce sujet. Cette quasi-indifférence
qui a prévalu pendant très longtemps paraît d'autant plus
étonnante que l'implantation des laboratoires souterrains de l'Agence
nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) a
suscité et suscite encore des débats passionnés.
Il faut bien reconnaître que chercher à s'informer sur le
programme nucléaire militaire français n'est pas chose facile
à partir du moment où les responsables des Armées ou de la
Direction des Applications Militaires (DAM) du Commissariat à l'Energie
Atomique, pour des raisons évidentes, maintiennent un maximum
d'informations sous le "secret défense".
Ce secret est-il toujours justifié ? Il est bien difficile à
un profane de porter une appréciation sur ce sujet. S'il apparaît
évident qu'il y a quantité de données qui ne peuvent
être rendues publiques, à une époque où les risques
de dissémination des armes nucléaires n'ont jamais
été aussi sérieux, il n'en demeure pas moins que l'usage
du secret défense a certainement été un peu trop extensif
surtout quand il s'agissait de la protection de l'environnement ou de la
santé publique. Aujourd'hui, toutefois, les rejets des INB-S sont
publiés et consultables sur le serveur Magnuc.
D'autres pays, et en particulier les Etats-Unis, ont eu ces dernières
années une conception beaucoup moins restrictive du secret
défense, même quand la révélation de certaines
affaires risquait d'entacher gravement la réputation de leurs
organisations militaires.
Il est évident, et nous reverrons cette question notamment dans le
chapitre consacré aux essais nucléaires, qu'un certain nombre de
dossiers pourraient désormais être ouverts sans danger.
Je dois toutefois à la vérité de souligner dès le
début de ce rapport que j'ai reçu de tous les responsables, aussi
bien des Armées que du CEA, un accueil parfait et qu'à
l'évidence, certains d'entre eux considéraient que la visite d'un
parlementaire leur fournissait l'occasion de montrer enfin ce qu'ils avaient
fait pour gérer aussi correctement que possible les déchets
nucléaires produits par leurs installations.
Toutes les questions posées ont reçu des réponses
même si, parfois, on nous a demandé de ne pas en faire état
publiquement par la suite. Mais ces questions étaient-elles les bonnes
et couvraient-elles toute l'ampleur du problème ? Il est
très difficile de le savoir quand il s'agit, comme c'est le cas pour le
présent rapport, du premier document parlementaire sur la question. Sans
base de référence et de départ et pratiquement sans
documentation préalable, il est en effet très difficile de savoir
si certains aspects du dossier n'ont pas échappé à notre
enquête et si tous les problèmes nous ont bien été
signalés.
Je pense toutefois qu'un certain climat de confiance s'est peu à peu
établi et que les responsables du programme nucléaire militaire
français ont bien compris, surtout depuis l'arrêt définitif
des essais nucléaires, que la France devait, à son tour, admettre
qu'un certain degré de transparence était nécessaire et
qu'il devrait être désormais possible de discuter du
problème des déchets nucléaires calmement et sans
controverses inutiles.
Comme cela avait été le cas pour mes précédents
rapports sur les déchets nucléaires civils, j'ai tenté
d'aborder ce dossier sans aucun parti pris ni a priori. Dans un rapport de
l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et
technologiques, il n'était, bien entendu, pas question de porter un
jugement sur le programme nucléaire français. Il appartient
à d'autres instances parlementaires de juger si la fabrication des armes
nucléaires et les essais réalisés sur ces armes
étaient moralement, scientifiquement, économiquement et surtout
politiquement justifiés.
Dans le cadre de cette étude, une seule question a véritablement
retenu notre attention : comment gérer, dans les meilleures
conditions possibles, les déchets générés par la
fabrication des armes nucléaires ?
Que le programme de dissuasion nucléaire ait été une
erreur ou une réussite ne change rien à cette donnée
fondamentale : aujourd'hui, les déchets existent et il faut
s'assurer qu'ils n'auront de conséquences dommageables, ni pour
l'environnement, ni pour la santé humaine.
L'arrêt définitif des essais nucléaires va réduire
de façon considérable la production des déchets mais n'y
mettra pas fin totalement. Le maintien en l'état des armes existantes
nécessite des opérations qui doivent être
régulièrement répétées et qui
entraînent la production de déchets plus ou moins actifs.
Ce premier rapport parlementaire consacré aux déchets d'origine
militaire sera loin d'être totalement exhaustif. Certains aspects ont
été volontairement laissés de côté pour le
moment. C'est le cas par exemple :
- de certains effluents liquides ou gazeux qui peuvent être
rejetés par les différentes installations militaires,
- des stockages de matériels déclassés (boussoles,
viseurs, ...) faiblement radioactifs mais qui ne peuvent être
acceptés dans les centres de stockage de l'ANDRA en raison de la
présence de radium et surtout de tritium,
- des déchets et des combustibles usés provenant de la
propulsion nucléaire des sous-marins. Malgré une très
intéressante visite à l'Ile Longue, j'ai estimé que
les problèmes liés au démantèlement des
réacteurs des sous-marins concernaient avant tout les commissions de la
Défense des deux assemblées.
Qu'on ne voie dans cette limitation -que j'espère provisoire- du champ
d'étude une quelconque autocensure ; il s'agit en
réalité, beaucoup plus prosaïquement, d'un problème
de temps et de moyens.
Fidèle à la méthode qui a été la mienne
jusqu'ici, je me suis en effet efforcé, dans un domaine aussi sujet
à polémiques, de ne pas porter de jugement sur des faits que je
n'ai pas constatés moi-même ou sur des personnes que je n'ai pas
rencontrées.
Ce qui importait avant tout dans cette première étude,
c'était de montrer qu'il était possible, à un
non-militaire, de commencer à explorer un domaine qui avait pratiquement
échappé jusque-là aux investigations et au contrôle
du Parlement.
Aux Etats-Unis, le nettoyage des installations nucléaires militaires et
la gestion des déchets qui s'y trouvent est devenu un enjeu politique de
premier plan et, depuis une dizaine d'années, le Département de
l'Energie et le Congrès s'affrontent sur ce thème.
Il aurait donc été singulier que le Parlement français
reste totalement en dehors de ce débat. Il reste désormais
à souhaiter que cette première tentative d'exploration d'un
sujet, ô combien difficile !, soit jugée comme telle et
qu'elle ouvre la voie à d'autres travaux qui viendront la
compléter et peut-être même la corriger.
La seconde partie du rapport est plus particulièrement consacrée
à l'étude des déchets qui pourraient subsister sur les
sites des essais nucléaires après la décision de la France
d'arrêter définitivement l'expérimentation, en vraie
grandeur, de ses bombes atomiques.
A cette fin, je me suis rendu avec mes collègues Claude Birraux,
député UDF de Haute-Savoie, et Serge Poignant,
député RPR de Loire-Atlantique, à Mururoa et à
Fangataufa en passant par Tahiti, où nous avons pu rencontrer les
autorités civiles et militaires de la Polynésie française.
Les responsables militaires et ceux de la Direction des Applications Militaires
du CEA nous ont fourni des réponses très circonstanciées
à toutes les questions que nous leur avons posées mais, là
aussi, comme cela a été précédemment indiqué
pour les sites de la Métropole, peut-être n'avons nous pas
posé les bonnes questions, faute de pouvoir confronter les informations
officielles avec d'autres sources de renseignements.
J'avais volontairement retardé la publication du compte rendu de
cette mission, dans l'espoir de pouvoir disposer des rapports des experts de
l'Agence Internationale de l'Energie Atomique qui ont longtemps
enquêté sur le Centre d'Expérimentations du Pacifique.
Malheureusement, la publication de ces rapports n'est toujours pas intervenue
et elle n'est maintenant annoncée que pour le courant de l'année
1998.
Toutes les observations et les recommandations sur le CEP
présentées dans ce rapport le sont donc sous réserve des
résultats du travail d'expertise et d'enquête entrepris par l'AIEA
et pourraient être revues au cas où ces résultats ne
correspondraient pas aux renseignements qui nous ont été fournis.
Je dois enfin préciser que les conclusions que j'ai émises sur
l'impact des essais nucléaires français dans le Pacifique me sont
personnelles et ne sauraient en rien engager les deux autres collègues
qui ont participé à cette mission.