d) Discussion critique
Cette vision alarmiste n'est pas partagée par tous, et
certains considèrent qu'il y a, là encore, comme devant toute
nouvelle technologie, une grande part de fantasmes. Il convient de faire la
part entre les faux débats nourris souvent d'
a priori
et les
vrais risques.
L'image et les jeux vidéo
La prétendue vulnérabilité des plus jeunes serait en
partie discutable. Pour le psychanalyste Serge Tisseron, l'enfant parvient
parfaitement à découpler le monde imaginaire et le monde
réel. De la dînette avec "vente" de cailloux, aux petits soldats,
derrière des cubes de carton, l'enfant joue tout en sachant que c'est de
la fiction et prévient son interlocuteur de sa règle du
jeu :
" On disait que c'était ...
", une
formule magique pour entrer dans le jeu comme un mot de passe pour
accéder à l'ordinateur.
L'analyse du comportement de l'enfant face au magnétoscope confirme
cette distance qu'il a par rapport à l'image puisque l'enfant,
très souvent, arrête la cassette, la reprend, recule, revisionne,
exactement comme il ferait avec un livre. L'enfant se construit dans un monde
d'images en sachant qu'il est faux. Mais il peut en parler avec l'adulte.
D'ailleurs, il parle souvent spontanément du film qu'il a vu. C'est
quand l'échange n'est plus possible que les difficultés peuvent
surgir.
Parmi les exemple de "faux procès" intentés aux jeux,
l'accusation portée, il y a quelques années, selon laquelle
l'abus de jeux vidéo provoquerait des crises d'épilepsie.
L'affaire est aujourd'hui parfaitement élucidée. Il semble qu'il
y ait eu une confusion entre les facteurs de risques et les
révélateurs du fond épileptique lui-même,
liés à la photosensibilité. Mais la " menace "
avait néanmoins entraîné entre temps, une réaction
d'ordre réglementaire.
105(
*
)
La société virtuelle
Selon le sociologue Leo Scheer, la société est d'ores et
déjà entrée dans l'ère virtuelle sans attendre
l'image de synthèse. La technique numérique ne fait
qu'accélérer une dérive antérieure. Dans les
différents médias, les genres autrefois parfaitement
définis et séparés, tendent à se mêler :
fiction qui prend les apparences du reportage, émission de
télévision où l'information se mêle au
divertissement, recherche maximale de réalisme, reconstitution pour
revivre un événement... Jusqu'aux sondages qui expriment, eux
aussi, un certain glissement vers la société virtuelle, puisqu'on
ne se contente pas de demander à l'électeur virtuel le nom du
candidat pour lequel
il va
voter, mais aussi la façon dont,
selon lui
,
les Français
vont voter. Ainsi, chacun
constitue un élément d'une société réelle et
projette l'image d'une société virtuelle aussi importante, sinon
plus, que la société réelle, car le message martelé
sur les
intentions
de vote et surtout sur les chances de succès
supposées
d'un candidat, finit par façonner le
comportement réel de chacun.
Les interrogations qui subsistent
Ces controverses inéluctables et nécessaires
révèlent deux données fondamentales.
La première, qui est tout à fait naturelle est que,
si tout le
monde pressent une révolution numérique, personne ne sait
exactement ce qu'elle sera
. On devine, on craint, on espère, mais au
fond, on tâtonne. Il ne peut en être autrement s'agissant d'un
exercice qui consiste à se projeter dans le futur. Les réflexions
sur ce sujet sont cependant rares. S'il est admis qu'il est dangereux de
laisser la science aux seuls chercheurs, il paraît également
critiquable que ces derniers abandonnent la réflexion de fond aux seuls
institutionnels (politiques, administrations) tant parce que ces questions sont
aussi les leurs, que parce que les intéressés potentiels ne s'en
saisissent pas toujours. Il serait sain que le Commissariat
général du Plan, le Conseil économique et social (CES)
soient saisis de ces dossiers. Conformément à l'article 70 de la
Constitution, le CES peut être consulté par le gouvernement sur
tout problème de caractère économique et social. Un
dossier béant s'ouvre devant nous.
La seconde donnée fondamentale est
le décalage entre le rythme
des techniques et l'évolution de nos mentalités
. Les
premières se développent extrêmement rapidement et,
même toutes les analyses conduisent à des remises en cause de nos
comportements. Mais lorsqu'il s'agit de changer effectivement, nos actes
restent dépendants de notre culture acquise, de mentalités
anciennes. Un exemple suffit à illustrer ce dédoublement :
Le Monde , mercredi 2 avril 1997 |
|
Le Monde , jeudi 3 avril 1997 |
Trucages , par Alain Rollat |
|
Pitié pour les cognes , par Alain Rollat |
" TOUS les professionnels du cinéma vous le diront : le perfectionnement des ordinateurs rend si facile la manipulation des images que la science du trucage devient accessible à n'importe qui. Grâce aux outils numériques, (...) on peut faire dire n'importe quoi à n'importe quel film. " (...) |
|
(...) Il s'en fallut de peu, l'autre jour, qu'un face-à-face entre deux cortèges (...) ne dégénérât en bataille rangée. Nous pouvons en témoigner sur la foi des images (...) " |
Ainsi, après qu'un journaliste eut admis et écrit qu'il ne fallait surtout plus croire aux images, le même journaliste, le lendemain, faisait le contraire. Ce cas de dédoublement entre la pensée lucide et le réflexe humain ne devrait pas être isolé.