b) Les comédiens face à l'image de synthèse
Cinq situations peuvent être distinguées.
Premier cas,
la figuration
. Le numérique permet de
reconstituer une foule en partant d'un noyau de vingt ou trente
comédiens, multipliés à l'infini. La technique est
parfaitement au point et est couramment utilisée (
Braveheart
,
Beaumarchais
...). L'avantage est incontestable, mais l'emploi n'est
nullement menacé car depuis longtemps déjà le
cinéma, même riche, n'a plus les moyens de "s'offrir" les
figurants des films à grand spectacle des années soixante
(
Cléopatre
,
Ben Hur
...). Le numérique permet de
faire revivre une situation révolue.
Deuxième cas,
l'animation de personnages de
synthèse
. L'une des difficulté de "création" des
personnages de synthèse réside dans l'animation réaliste
des personnages, en particulier les déplacements et les expressions du
visage, tous deux extrêmement difficiles à modéliser. La
marche par exemple est un geste faussement simple qui fait intervenir le poids,
la taille, la morphologie du marcheur, la dynamique, la vitesse, les
résistances fluides et du sol... La modélisation implique de
suivre, démonter, analyser un très grand nombre de
paramètres, sans que le résultat soit parfaitement satisfaisant.
Cette difficulté peut être contournée en cherchant à
calquer les mouvements -réels- d'un personnage existant. L'un des
procédés consiste à appliquer sur le corps d'un
comédien des pastilles munies de capteurs. Le mouvement réel de
l'acteur est ensuite analysé, puis appliqué au personnage en
images de synthèse sur écran.
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)
Il s'agit là, naturellement,
d'un changement radical du travail de comédien, limité en
l'espèce à n'être plus qu'un support de capteurs de
mouvements, de surcroît au profit d'une image !...
Ce changement est même caricatural puisque, tandis que, jusqu'à
présent, l'image de synthèse était un outil au service de
l'homme pour montrer ce que le cinéma ne pouvait faire, l'homme, cette
fois, passe au service de l'image de synthèse pour compenser une
insuffisance technique, une limite de la modélisation, pour donner
à l'image une touche de "vie" ou, au moins, de réalisme qui,
parfois, lui manque encore. La simulation des expressions des visages repose
sur d'autres techniques. L'acteur est muni d'un casque sur lequel est
fixé une caméra qui filme le visage. Le visage est divisé
en trois zones : le front, les yeux, la bouche. Les traits, les
déformations, sont filmés, analysés, puis reproduits sur
le visage de quelqu'un d'autre, personnage de synthèse ou réel.
Dans le film
Babe
, les mouvements des lèvres des personnes ont
été filmés, analysés, puis reproduits sur les faces
des animaux qui ainsi "parlent" comme des humains.
Troisième application,
la numérisation du
comédien
. Le comédien n'est plus seulement au service de
l'image de synthèse, il est happé par elle ; il est "englouti"
par la technique. Le comédien est scannérisé,
numérisé, mis en mémoire. L'acteur vivant peut alors
céder sa place à son clone, un personnage en images de
synthèse, utilisable à la guise du réalisateur comme
n'importe quelle autre base de données.
Tel est du moins le fantasme. Certes, quelques comédiens
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)
se sont ainsi fait
scannérisés et modélisés, mais les films
réalisés avec ces personnages de synthèse restent des
prototypes et n'ont pas trouvé de distributeurs.
Quatrième application,
les clones
.
Encadré n°18
LES CLONES
Le clone est le personnage réalisé en images de
synthèse sur le modèle et à l'image d'un personnage
réel, vivant ou disparu. Le clone n'est qu'une image sur un
écran, mais cette image est le double presque parfait de quelqu'un.
Parfois, même, plus parfait puisque, contrairement à l'image du
miroir, le clone vit sur l'écran indépendamment de son
modèle et que, de surcroît, il vit indéfiniment.
La première étape consiste à fabrique le double en image
de synthèse, c'est-à-dire à saisir les données qui
permettront de réaliser l'image. Notamment le visage qui est à la
fois l'élément phare du clone et le plus difficile à
modéliser. Toutes les techniques de reconstitution consistent à
repérer un certain nombre de points caractéristiques (nez,
bouche, front...) ; en général 160 points ou 200 polygones, mais
cela peut aller jusqu'à 50 polygones pour la seule bouche.
La saisie peut s'opérer soit sur un personnage vivant, scanné
à 512 intervalles répartis de façon uniforme dans
360° pour faire totalement le tour, soit à partir de photographies.
L'une des méthodes est de partir de deux photos de profil et d'une photo
de face mises bout à bout en continu, sous forme de bande (voir image).
Les points caractéristiques sont relevés, puis
modélisés. La modélisation est également possible
à partir d'une seule photo. Lorsque le portrait est de trois-quarts,
cela facilite les choses car, par un jeu de miroir, on peut reconstituer
l'autre profil, ce qui permet d'utiliser la technique précédente.
Lorsque le personnage est saisi, il devient une banque de données
utilisable comme toute autre banque de données. Les surfaces sont
ensuite "peintes" ou "habillées" par un processus de
texturage. Un
logiciel d'animation de bouche permet de faire parler le personnage.
N'importe qui, vivant ou disparu, peut donc avoir son clone. Le clone de
La
Joconde
a été réalisé en utilisant le jeu de
miroirs (le portrait de trois-quarts gauche a été
répliqué en portrait trois-quarts droite, ce qui a permis de
réaliser le clone. Il est même envisagé de réaliser
une émission historique avec les "vrais" -vrais-faux- personnages de
l'époque, clonés grâce aux portraits réalisés.
Cinquième application,
la "star" virtuelle
. Dans
cette étape ultime, le comédien "de chair et d'os" a disparu. Un
acteur virtuel l'a remplacé, non seulement comme accessoire dans un
décor, mais bel et bien comme le héros central d'un film, d'une
série.
Un acteur virtuel est constitué :
d'un squelette informatique, composé d'un ensemble de segments,
d'une enveloppe, composée de surfaces attachées au
squelette,
d'un logiciel d'animation et du squelette pour le faire bouger,
d'un logiciel d'animation de l'enveloppe pour réaliser les
expressions faciales,
d'un logiciel d'animation des yeux.
Dès le début des années 1990, plusieurs films ont ainsi
été réalisés aux États-Unis où le
comédien -réel- était le partenaire -faire-valoir- d'un
personnage tiré de bandes dessinées. L'étape suivante,
apparue en Asie, est celle où le héros est un personnage en
images de synthèse. Une société française a
même réalisé une série T.V. en chinois
entièrement en images de synthèse.
La première vedette entièrement virtuelle est née au
États-Unis. Il s'agit d'une femme, Lara Croft. Le personnage chante,
danse, est habillé en images de synthèse par les plus grands
couturiers et la société qui l'a créée vend des
C.D. par milliers
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)
.
Les changements paraissent si radicaux qu'ils ont naturellement pu provoquer
des réactions de la part des comédiens, inquiets d'être un
jour concurrencés par leurs doubles de synthèse... Il y a,
là encore, une grande part de fantasme. Depuis que le cinéma
parlant existe, des comédiens ont prêté leur voix à
d'autres comédiens, voire à de simples dessins, sans jamais
apparaître à l'écran, mais sans non plus
"disparaître", ou sans que leur carrière ait eu à en
souffrir. Les quelques exemples d'animation de personnages de synthèse
resteront aussi limités que les prêts de voix de dessins
animés et n'auront vraisemblablement pas d'autres conséquences.
Quant aux stars virtuelles, il ne s'agit ni plus ni moins que d'un
"
business
", apparemment profitable, mais parallèle, qui n'a
rien
à "voir" avec le métier de comédien. C'est tout simplement
un nouveau marché qui s'ouvre. Ce n'est pas demain que le public
s'émerveillera pour un Gérard Depardieu virtuel. La guerre entre
l'acteur et son clone n'aura pas lieu.