B. CONSÉQUENCES SOCIALES
1. Présentation
Avec l'image de synthèse, de nouveaux métiers
apparaissent, de nouvelles pratiques se mettent en place, bouleversant des
habitudes, des cloisonnements inhérents à toute profession. Peu
sont préparés à cette irruption du virtuel dans leur
métier, et encore moins à cette intrusion d'autres
spécialistes dans leurs corporations. Car, dans la plupart des cas,
l'arrivée de l'infographiste est vécue avec curiosité,
mais aussi méfiance, voire avec irritation, y compris dans les
métiers de l'image.
Il peut être utile de déterminer l'origine et la nature de ces
résistances et les moyens d'y porter remède.
a) Les résistances
Il existe en effet des
résistances
naturelles
à l'introduction des nouvelles techniques de
réalité virtuelle. Il y a tout d'abord des résistances
à l'introduction de toute nouvelle technique. Pour donner l'exemple de
la médecine, l'enthousiasme manifesté par les personnes
auditionnées, ne doit pas faire oublier qu'il s'agit dans tous les cas
de promoteurs convaincus, qui ne reflètent pas l'ensemble du corps
médical.
" Les expériences pilote menées avec des
médecins "avant-gardistes" ne doivent pas faire oublier la
résistance naturelle du corps médical.
(...)
Rien ne
prouve que le système de réalité virtuelle comme assistant
chirurgical s'imposera. "
60(
*
)
.
On ne peut nier non plus l'effet génération. Il a souvent
été dit que pour la première fois dans l'histoire des
Hommes, la nouvelle génération apprendrait moins de l'ancienne
que le contraire. Cela se vérifie pleinement dans les NTIC et, en
particulier, dans les images de synthèse, calculées,
manipulées, animées, vécues par une population jeune,
voire très jeune, qui intervient, par conséquent, dans
différents milieux sans en connaître les rites et, parfois
même en les bouleversant.
La rencontre entre professionnels d'expérience et infographistes prend
parfois des allures de confrontation, chacun parlant un langage
différent. Ce risque de décalage a été plusieurs
fois mentionné au cours du colloque organisé par l'OPECST le 9
octobre dernier.
Ensuite, l'introduction des systèmes de réalité
virtuelle dans un secteur implique un
partage du travail
, une
collaboration à laquelle tous les professionnels ne sont pas
préparés. Lorsque l'image de synthèse
pénètre dans un secteur d'activité (industrie,
architecture, médecine...), le métier change car l'image de
synthèse mêle plusieurs compétences. Le monde technique
rejoint le monde de la communication, le praticien manuel s'appuie sur
l'ingénieur, le technicien collabore avec l'artiste. Une
coopération s'établit entre deux mondes qui, jusque là,
s'ignoraient. L'image de synthèse apprend à composer, à
travailler ensemble. Cela ne va pas toujours sans difficulté. L'image de
synthèse peut même être vécue comme une intrusion
dans une compétence exclusive, une menace de dépossession, voire
un risque de déclassification.
Autre obstacle, et non des moindres, au delà de l'investissement
financier, nécessaire à la maîtrise de ces techniques,
c'est le coût global d'intégration qu'il faut prendre en
considération. Pour prendre l'exemple de l'hôpital, l'utilisation
de la réalité virtuelle suppose une intégration dans un
système qui n'a pas été conçu pour cela, qui impose
des personnels supplémentaires spécifiques pour la maintenance et
le fonctionnement.
Enfin, indépendamment de la question centrale liée au
risque de manipulation des images et des informations, il ne peut être
nié que cette technologie entraîne des changements dans
la
façon d'appréhender son travail
. Deux exemples peuvent
être donnés : le journalisme sportif et la photographie.
L'image de synthèse et le journalisme sportif
Il a déjà été indiqué quel pouvait
être le rôle des images de synthèse à la
télévision. L'image de synthèse permet de reconstruire un
jeu, analyser des déplacements de joueurs, comprendre les tactiques.
Elle permet donc d'expliquer, ce qui répond à une demande de plus
en plus forte du public. Les journalistes doivent s'adapter à cette
nouvelle technique. Jusque là sélectionnés avant tout pour
leurs qualités de communicants, ils doivent aussi démontrer leurs
qualités pédagogiques. Le journaliste ne se contentera plus de
commenter, mais devra aussi travailler à partir de l'écran, en
manipulant les images de synthèse, sélectionner les plans qui lui
permettront d'expliquer le mieux possible. S'il ne peut le faire, il devra
accepter de partager l'antenne avec un spécialiste qui, lui, saura faire
ce travail. Une évolution est d'ores et déjà
entamée avec le commentaire partagé entre un journaliste sportif
et un ancien champion. L'étape suivante sera celle où
l'infographiste sera à son tour à l'écran.
L'image de synthèse et la photographie
" Si elles fascinent par leur efficacité, les voies ouvertes par
le numérique ne manquent pas d'inquiéter les photographes. La
lecture de l'image sur écran est de nature différente de celle
qui s'opère sur un objet physique, notamment le tirage sur papier qui
est bien souvent l'état le plus abouti des volontés
esthétiques d'un créateur.
(...)
D'un point de vue
professionnel, le numérique va obliger les photographes, dès la
prise de vue, à opérer des choix extrêmement clairs. Soit
choisir le numérique pour pouvoir transmettre immédiatement le
résultat d'un travail et se situer alors nettement dans le cadre d'un
témoignage en compétition avec celui de la
télévision, soit s'en tenir à la technologie classique et
s'inscrire davantage dans la perspective de la durée, de la
mémoire, de l'histoire. Ce choix va concerner essentiellement les
reporters photographes et les témoins de l'actualité
"chaude". "
61(
*
)
. En
d'autres termes, sans même évoquer pour l'instant le point crucial
de la pratique de l'information, la photographie du réel n'est pas
obsolète, mais prend un autre sens.