b) Les applications
Trois applications peuvent être distinguées : le
cinéma, le cinéma d'animation, la télévision.
Le cinéma
Même si la description ci-dessus de l'utilisation des images de
synthèse au cinéma a été rapide, les quelques
exemples donnés illustrent la diversité des applications et les
potentialités. Cette utilisation qui paraît aujourd'hui tout
à fait courante et inévitable est même, pour certains,
salutaire :
"devant la concurrence des dernières
générations de jeux et l'impact des parcs de jeux, le
numérique est la dernière chance du cinéma
21(
*
)
"
.
Les applications au cinéma appellent trois observations.
En premier lieu, les effets spéciaux visibles ont
généré leur propre marché, ont attiré un
nouveau public et font aujourd'hui (en partie) le succès d'un film.
Force est de constater que les plus grands succès du cinéma
mondial depuis dix ans sont tous des films à effets spéciaux,
chacun faisant mieux que le précédent : de
Jurassic park
,
avec les animaux préhistoriques, à
Men in black
en 1997
avec les êtres venus d'ailleurs, en passant par
Ghost
et autres
Terminator
... Si ce marché est exponentiel aux États-Unis,
le marché français n'est pas pour autant à la
traîne. Même si les fantômes français sont un peu plus
modestes (
Fantôme avec chauffeur
) certains films à grand
succès ont utilisé les images de synthèse :
Le
cinquième élément
,
Les visiteurs
...
En second lieu, il faut se garder de limiter l'utilisation des images de
synthèse aux seuls films fantastiques. Les exemples cités
ci-dessus montrent que les effets spéciaux invisibles sont aussi
parfaitement adaptés à des films à budget relativement
modeste et même à des films d'auteurs. L'image de synthèse
permet de s'affranchir de contraintes de décor ou liées aux
conditions extérieures. Concernant le coût, il est difficile de
comparer un décor en bois et une maquette virtuelle. La qualité
exigée par le cinéma est telle que la confection d'une maquette
virtuelle est, il est vrai, très coûteuse, mais elle peut servir
une infinité de fois, tandis que le décor en bois ne sert qu'une
seule fois - surtout si, pour les besoins du film, il doit être
brûlé - tandis qu'en images de synthèse, une
explosion, un feu, peuvent être recommencés, ajustés,
autant de fois que le souhaite le réalisateur, avec plus ou moins de
brillance, plus ou moins d'éclat, plus ou moins de projections... Le
coût de réalisation d'une maquette numérique est
supérieur, mais son coût d'utilisation est inférieur car
les utilisations sont infinies. Chaque construction enrichit une sorte de
bibliothèque d'effets spéciaux dans laquelle les
réalisateurs puisent à leur gré. Tandis que la maquette
traditionnelle ne sert qu'une fois, la maquette virtuelle, elle, peut servir
à l'infini.
Enfin, la fascination pour l'image de synthèse au cinéma doit
avoir ses limites. Les producteurs, les créateurs, les
réalisateurs croient certainement que tout est possible, car tout est
possible. Mais l'important reste l'accueil par le public. Si les images de
synthèse ne garantissent pas, à elles seules, le succès
d'un film, elles y participent tout de même souvent. C'est même,
parfois, l'une des motivations majeures d'un réalisateur, comme ce fut
le cas de Jan Kounen réalisateur de
Dobermann
.
"Il n'y a pas
si longtemps, dans une lointaine province française, je rêvais de
faire un film où les trucages n'étais
(sic)
pas pourris.
Je vivais dans un pays au passé glorieux devenu le tiers monde du
trucage cinéma. Mais dieu Numérik traversa l'histoire du
cinéma. Grâce à lui j'ai pu, pour mon premier film, faire
les trucages dont je rêvais."
22(
*
)
C'est ainsi que, malgré une
critique détestable, le film
Dobermann
réalisa un score
tout à fait honorable avec 700.000 entrées. "Dieu
Numérik", puisque c'est ainsi que le réalisateur l'appelle, n'est
pas étranger à ce succès.
Le cinéma d'animation
Alors qu'
a priori
, le cinéma d'animation, qui repose sur la
décomposition du mouvement enregistré image par image, devait
être le terrain d'application privilégié des images de
synthèse, le succès est variable : l'image de
synthèse n'a supplanté ni le dessin animé, ni la maquette
animée. L'expérience de Walt Disney est sur ce point très
intéressante.
Après les succès planétaires de ses dessins animés
depuis plus de cinquante ans
23(
*
)
, Walt Disney s'est tout naturellement
tourné vers la technique des images informatiques à partir des
années 1980, jusqu'à la réalisation en 1995 de
Toy
Story
, premier film long métrage entièrement composé
en images de synthèse
24(
*
)
, qui a
bénéficié
des conditions de lancement d'un autre film de la compagnie. Or, le
succès du film, quoique réel, n'a pas été à
la hauteur des films précédents, notamment en Europe et, plus
particulièrement, en France. Walt Disney explique ce succès
relatif à la fois par une erreur de marketing et par les limites
techniques des images de synthèse. En effet, contrairement au public
américain très friand de nouveautés et de prouesses
technologiques, le public français n'a pas été sensible
à l'argument technique (le premier film réalisé en images
de synthèse), de surcroît perçu comme une nouvelle
tentative de colonisation culturelle américaine... Par ailleurs, l'image
informatique ne peut aisément être utilisée pour faire
passer une émotion, clef de la réussite d'un dessin animé,
car l'émotion se décrit, se dessine, se dépeint, se
photographie même, mais ne se modélise pas !...
Le film suivant,
Le bossu de Notre-Dame
, est revenu aux sources du
dessin animé. Les images de synthèse ne sont pas absentes mais,
au lieu d'être centrales dans la conception du film, n'ont
constitué qu'un moyen d'assistance pour certaines scènes :
10 % a été réalisé en images de
synthèse (les mouvements de foule, qui auraient nécessité
des dizaines d'heures de dessins ont été réalisés
en images de synthèse). Le film a retrouvé les performances
habituelles : il a fait 6,8 millions d'entrées, soit plus du double de
Toy Story
(2,7 millions d'entrées)
25(
*
)
.
La photographie
La photographie subit, elle aussi, la mutation informatique. La technique de
numérisation transforme une image en données chiffrées,
stockables dans la mémoire d'un ordinateur et communicables d'autant
plus facilement qu'elles ne nécessitent plus de support physique : le
grain de la pellicule est remplacé par le pixel sur l'écran.
Cette transformation entraîne une mutation du métier, mais offre
aussi une possibilité de création exceptionnelle, puisque tout
est permis : les juxtapositions les plus incongrues, les retouches de
formes et de couleurs, les reflets, la brillance. Si la photographie de
reportage reste encore - mais pour combien de temps - traditionnelle,
la photographie de création est bouleversée. L'image atteint une
qualité esthétique et de création inégalée.
Cet art nouveau est naturellement utilisé en publicité (affiches,
pochettes de disques...).
La télévision
Les utilisations des images de synthèse à la
télévision sont multiples. Il n'y a guère de
publicité, il n'y a pas de générique, qui n'y ait recours.
L'image de synthèse permet une créativité incomparable. Le
prochain générique de l'émission
Thalassa
réalisé par l'Institut national de l'Audiovisuel (INA) offre un
superbe exemple d'application. Outre la mutation des objets
- traditionnelle dans le générique de
l'émission - la modélisation des bancs de poissons virtuels
qui apparaissent après plusieurs transformations, a été
construite à la fois en partant de comportements observés et d'un
comportement aléatoire mais mathématique : chaque poisson a une
position, une vitesse, une direction de déplacement telles qu'il doit se
rapprocher le plus possible de son voisin, mais qu'il ne peut le heurter et
doit s'en éloigner aussitôt qu'il le frôle
26(
*
)
...
Le potentiel le plus important réside certainement dans les
possibilités de mélange réel/virtuel et dans la
substitution d'images en direct. Cette caractéristique est
utilisée depuis très longtemps, mais pour des applications
relativement mineures (émissions météo où le
présentateur est filmé sur fond bleu et où la carte
météo est ajoutée sur l'écran). Les applications
pourraient concerner la publicité (voir ci-après les applications
commerciales) et les studios : les studios virtuels, réalisés en
images de synthèse, et dans lesquels évolue le
présentateur filmé sur fond bleu. Les premiers studios virtuels
ont été utilisés lors de la retransmission des Jeux
olympiques d'Atlanta.