3. Résistances : Rôles des différents acteurs
- Des résistances " corporatistes " classiques
Le recours aux NTIC dans la pédagogie rencontre des résistances dans le milieu de l'Éducation nationale. Du fait de quelques réflexes corporatistes, les analyses divergent singulièrement selon les responsabilités des acteurs. Les uns dénonceront la frilosité des enseignants, leur faible motivation et disponibilité à se former ; d'autres critiquent les fonctionnements administratifs attentistes et dissuasifs, qui aboutissent à l'acquisition de matériels périmés sans fonction multimédia. D'autres encore rappellent, pour la contester, l'organisation hiérarchique et la structuration par discipline et, condamnent un corps d'inspecteurs généraux trop rétifs, selon eux, à toute nouveauté.
La somme de toutes ces difficultés ne favorise pas une spontanéité pour l'introduction de ces nouveaux outils et leur apprentissage dans la vie ordinaire des écoles, collèges et lycées.
Certains schémas d'analyse peuvent éclairer les décideurs. Le plan IPT n'est plus une référence opposable, sauf pour éviter de reproduire les mauvaises conditions de son introduction [83] ; l'échec des tentatives à l'usage la télévision est une autre source d'enseignements pour mieux faire et, en même temps, valoriser des méthodes interactives au lieu d'une réception passive d'images, de sons et de textes. Pour Luc FERRY : " depuis 1960, la critique à l'égard de l'image, et notamment de la télévision, est particulièrement féroce dans tout le système intellectuel français. On ne pourra jamais citer tous les intellectuels qui ont critiqué avec violence la télévision notamment par rapport à l'écrit : Cette contestation radicale, bien au delà de la " raison ", a, de toute évidence, produit des effets sur le monde enseignant. La réponse serait donc de mettre en place toute une nouvelle critique intelligente de l'image (télévisuelle, cinématographique...), notamment en relevant les usages possibles dans des finalités pédagogiques. Si ce préalable n'est pas fait, il sera très difficile de convaincre les enseignants de se former à l'outil multimédia qui recourt de façon importante à l'image " [84] .
Des projets pédagogiques intègrent pourtant les nouvelles techniques de communication : ils ne sont pas portés simplement par quelques " technofans " [85] ; ils sont décidés, choisis, élaborés par des enseignants conscients d'une évolution bénéfique pour eux et leurs élèves ; ils n'hésitent pas à y consacrer du temps, comme le firent autrefois les premiers enseignants, puis les " hussards de la République ". Ces enseignants motivés acquièrent spontanément la formation nécessaire pour élaborer des projets pour leurs élèves. Ils deviennent vite enthousiastes et prosélytes. Cette attitude d'anticipation, si elle reste trop solitaire, si elle ne trouve ni appui ni encouragement et ne gagne pas, vite, toutes les communautés enseignantes, et les collectivités en charge de participer aux financements, ne pourra pas durer. Ce serait tragique de n'en garder qu'un souvenir éclairant dans un moment de la vie de l'Éducation nationale, comme le sont trop restées les initiatives des écoles pratiquant la pédagogie Freinet. Ces novateurs se lasseront devant des obstacles persistants et, plus encore, devant l'absence d'une reconnaissance institutionnelle de leur travail [86] . L'ardeur initiale, le temps pris sur ses loisirs s'étiolerait : " Pourquoi doit-on, dans l'Éducation nationale, innover sur son temps de loisir ?" demande un enseignant sur le forum " Apprentic "
L'insuffisante formation continue des enseignants est un obstacle de plus à l'introduction de l'ordinateur communicant ; sa maîtrise primaire décourage d'autant plus qu'elle trouve peu d'aide dans l'école. En matière de pratiques pédagogiques, cette lacune est d'autant plus fortement ressentie que même pendant le parcours en IUFM, les futurs enseignants n'ont pas de développement clair et utile des possibilités offertes par ces nouveaux moyens pour leurs activités futures.
La première difficulté, se servir, avec aisance et efficacité de l'ordinateur, est d'autant plus délicate à vaincre que la vanité s'en mêle, interdisant les tentatives, l'âge avancé de l'enseignant n'étant souvent qu'un prétexte (sans qu'aucune statistique sérieuse ne l'étaye, on évoque une barrière culturelle très forte au delà de 45 ans pour savoir utiliser un ordinateur). Cette peur de ne pas être à la hauteur de sa tâche, de ne pas savoir maîtriser l'ordinateur, donc de ne pas être le maître respecté, admiré et même craint de ses élèves, constitue un blocage certain. La crainte de la situation d'infériorité face à des élèves déjà familiarisés à ces outils est un frein important à l'origine d'un attentisme de protection. L'abstraction, l'interactivité, la virtualisation sont d'autres phénomènes susceptibles d'entraîner un rejet des appareils, une exclusion du personnel enseignant : " Les systèmes doivent être conçus pour les technopathes. " [87] Pour éviter cette phobie à l'encontre de la technologie, pour éliminer tout affolement, tout effroi devant la panne qu'il faut pouvoir gérer en présence d'élèves peu bienveillants, tout doit être mis en oeuvre en terme de formation et d'ergonomie, seules conditions pour vaincre une résistance, réelle et justifiée, des enseignants.
Tous ces éléments -institutionnels, ergonomiques, administratifs- sont autant d'éléments de blocages ; l'origine en est humaine, donc difficile à résoudre. Faut-il parier sur les professeurs de demain pour y bien parvenir tout en formant, cahin-caha, ceux d'aujourd'hui ?
- Un environnement culturel peu favorable :
Les difficultés rencontrées par le monde enseignant prennent leurs arguments dans un environnement sociétal souvent inquiet et critique. Si Internet est à la mode, ce n'est pas toujours pour en vanter les mérites mais plus souvent pour en dénoncer les risques. Cette attitude de la presse, de quelques intellectuels de nature pessimiste, reproduit le discours sur la télévision des années 1970. Luc FERRY n'a certainement pas tort d'en rappeler l'effet désastreux sur les enseignants comme sur les parents.
Cette façon de procéder -toute française- crispe les positions. Le scepticisme et la critique informent mal des réalités des réseaux : ils les déforment pour mieux assurer leurs arguments. En contrepartie, les thuriféraires ont tendance à affirmer de façon excessive, avec lyrisme, leurs certitudes positives : il en fut de même lors de la survenue de tous moyens nouveaux de communication depuis que l'homme a parlé, a su écrire, peindre ou danser : les uns y voient perversité et dangers, les autres l'avenir et chances.
Les enseignants ont-ils tendance à être trop prudents, à se retrancher derrière les poncifs ? Est-ce raisonnable et juste de considérer Internet comme un réseau dominé par les informations relatives au terrorisme, à la pédophilie, à la pornographie ? Faudrait-il protéger les " têtes blondes des enfants " en leur en interdisant l'accès ? L'histoire des sociétés démontre, depuis Adam et Eve, que cette façon de faire est vaine quand elle n'est pas incitative envers le fruit défendu.
Le discours laudatif ne contribue pas davantage à convaincre : " La nouvelle écriture " 88, la révolution de l'information, l'explosion du nombre de serveurs accessibles sur les réseaux, ne deviennent pas arguments audibles dans un contexte de peur et de méfiance. Faut-il souscrire aux propos critiques de Paul VIRILIO qui refuse toute propagande en faveur d'Internet et cherche d'abord à déterminer quel sera " l'accident spécifique d'Internet " [89] ? Faut-il au contraire souscrire au propos de Joël de ROSNAY [90] ?