MM. Yves Fréville et François Trucy

IV. LE MAINTIEN EN CONDITION OPÉRATIONNELLE ET LE TAUX DE DISPONIBILITÉ OPÉRATIONNELLE

A. LES CRÉDITS DE MAINTIEN EN CONDITION OPÉRATIONNELLE (MCO) : 3,38 MILLIARDS D'EUROS

La loi de programmation militaire pour les années 2003-2008 a visé à restaurer la disponibilité des matériels pour améliorer le niveau opérationnel des forces et garantir un niveau d'entraînement adapté des militaires. L'effort en vue de la restauration de la disponibilité des matériels s'est traduit par une augmentation significative des crédits dédiés à l'entretien programmé des matériels à partir de 2003 .

Les efforts financiers réalisés étaient nécessaires, dans l'attente des livraisons de matériels neufs, pour compenser :

- l'augmentation des prix contractuels à prestations égales (monopole industriel, hausse des coûts des matières premières, etc.) ;

- l'accroissement continu des besoins liés au MCO des systèmes d'information et de communication (95 millions d'euros en 2003 et 194 millions d'euros en 2007, 200 millions d'euros en 2008) ;

- le coût plus élevé du soutien des matériels nouveaux, dû à leur sophistication ;

- et l'utilisation intensive, en particulier en OPEX , de parcs vieillissants.

Source : rapport d'exécution 2007 de la loi de programmation militaire 2003-2008

Le tableau précédent présente les crédits de paiement consacrés à l'entretien programmé du matériel depuis les années 2003, soit en moyenne 3,06 milliards d'euros par an. En 2008, la dotation consacrée au MCO atteindra 3,387 milliards d'euros .

B. LES RÉSULTATS EN TERMES DE DISPONIBILITÉ TECHNIQUE

Le bon fonctionnement des matériels, traduit en taux de disponibilité technique, conditionne l'efficacité d'une armée moderne. Le maintien à un haut niveau de ce taux de disponibilité constitue un objectif du programme 178, « Préparation et de emploi des forces ». Il est assorti d'un indicateur. Cet indicateur est calculé au niveau de chacune des armées, compte tenu de l'hétérogénéité des équipements. Son évolution dans le temps est mesurée au regard des cibles fixées. Vos rapporteurs spéciaux ne sont pas certains que les règles de pondération entre équipements soient suffisamment affinées pour garantir une lecture aussi précise que nécessaire de la disponibilité globale des équipements.

L'accroissement des ressources consacrées à l'entretien programmé des matériels (EPM) depuis 2003, à l'appui d'une rationalisation du processus et des organismes liés au maintien en condition opérationnelle (MCO), a permis de maintenir une bonne disponibilité technique des matériels en opérations extérieures , soit 93 % pour les matériels terrestres et 85 % pour les aéronefs en 2006. La disponibilité des matériels en métropole a permis de préserver un taux d'activité et un niveau d'entraînement des forces compatibles avec le respect des contrats opérationnels des armées malgré les difficultés induites par le vieillissement des parcs.

Le taux de disponibilité technique opérationnelle (DTO) des matériels par force armée, détaillé dans le tableau suivant, présente les caractéristiques suivantes :

- armée de terre : le taux global de disponibilité des matériels terrestres, supérieur à 70 % depuis quelques années, et atteint 72 % au premier trimestre 2007. Rappelons que l'objectif fixé par la LPM est de 75 % . Le DTO s'établit à 59 % pour les aéronefs alors que l'objectif fixé par la LPM est de 62 % ;

- marine : en progression sensible depuis 2002, le taux moyen de disponibilité des matériels navals majeurs atteint 75 % au premier trimestre 2007, rejoignant ainsi l'objectif de la LPM. La disponibilité des aéronefs marine poursuit son redressement et atteint 59 % mais reste en deçà des 70 % prévus par la LPM. Le redressement est particulièrement net pour les 6 sous-marins nucléaires d'attaque dont la situation était très critique au début du siècle ;

- air : le taux de disponibilité des aéronefs majeurs de l'armée de l'air s'établit à 59 % au premier trimestre 2007, en léger fléchissement par rapport à 2006. L'objectif de la LPM, soit 75 % est loin d'être atteint. Ceci s'explique essentiellement par les exigences de maintenance des moteurs de l'aviation de chasse et par le vieillissement de certaines flottes (26 ans pour les cargos tactiques, 44 ans pour les ravitailleurs).

Source : rapport d'exécution 2007 de la loi de programmation militaire 2003-2008

C. LE NIVEAU DE DISPONIBILITÉ TECHNIQUE OPTIMAL

Le taux de disponibilité technique opérationnelle (DTO) des équipements de l'armée de terre, fixé à 80 %, a-t-il un sens en tant que tel ? Cet objectif a été fixé dans l'immédiat après guerre froide, sans référence possible. Est-il raisonnable, d'un point de vue militaire et d'un point de vue financier ? Permet-il de mesurer la performance des armées ? Vos rapporteurs spéciaux estiment que, pour prendre tout son sens, cet objectif devrait être mis en regard d'autres données d'activité, telles que l'obsolescence des parcs, le coût de l'entretien des matériels neufs très sophistiqués , la disponibilité de près de 100 % des équipements utilisés en OPEX , la sur-utilisation des matériels en raison de l'accroissement des interventions extérieures et de l'allongement de leur durée, mais aussi la capacité des armées et du tissu industriel à restaurer une disponibilité technique opérationnelle satisfaisante en un laps de temps très réduit en cas d'accroissement des risques, et enfin, la consommation annuelle de « points de DTO ». Un matériel non utilisé peut avoir une disponibilité technique excellente sans que cela soit signe de performance. A l'inverse, un matériel sur-utilisé, remis en état de fonctionnement à de multiples reprises en cours d'année et dont la disponibilité technique annuelle moyenne serait inférieure à l'objectif visé ne serait pas signe de contre-performance.

Or ce taux de DTO conditionne grandement l'objectif relatif au taux d'activité des armées, soit 96 jours d'activités pour l'armée de terre, mesuré par l'indicateur 6-1. Les objectifs qui mesurent la performance du présent programme sont donc interdépendants les uns des autres.

Lors de leurs auditions préparatoires à l'examen du projet de loi de finances pour 2008, vos rapporteurs spéciaux ont été sensibles aux argumentations selon lesquelles le DTO doit être maintenu à un taux élevé, proche de 100 %, en opérations extérieures, mais que son niveau en dehors des OPEX peut être inférieur, sans obérer pour autant la capacité des forces armées à remplir leurs contrats opérationnels. A titre d'exemple, il est parfaitement justifié de réduire le taux de disponibilité immédiate des chars Leclerc et de mettre « sous cocon » une part importante de leur parc si l'on n'en a pas l'usage à court terme.

La question est en fait de savoir en combien de temps les armées peuvent remplir leurs contrats opérationnels : pour projeter 50.000 hommes, il leur faut un an ; pour projeter 20.000 hommes, ce qui correspond aux situations d'OPEX, il leur faut deux à trois mois. La DTO n'a donc pas besoin d'être à son maximum en permanence. Il devrait donc être possible de distinguer un parc de matériels pour les OPEX d' un parc de matériels pour l'entraînement et des parcs en réserve . L'armée de terre et l'armée de l'air fonctionnent déjà sur ce modèle : certains parcs sont sanctuarisés afin de permettre de tenir les contrats opérationnels de dissuasion, le reste du matériel est considéré comme un seul pool d'entraînement dont la disponibilité n'a pas à être aussi élevée. Pour la marine, la question se pose en sens inverse. Peut-on, en généralisant la solution mise en oeuvre sur les sous-marins nucléaires (deux équipages se relayant sur le même navire) accroître la disponibilité des futures frégates ? L'une des clés de la prochaine LPM sera donc la définition d'un délai de réactivité pour tenir le contrat opérationnel qui aura été défini.

La nécessité de dégager des marges de manoeuvre financières influe, à juste titre, sur ce raisonnement.

Les forces armées en ont tiré les conséquences et modernisent et rationalisent la gestion de leur parc de matériel.

D. UNE GESTION MODERNISÉE DES PARCS DE MATÉRIELS ET DU MCO

La modernisation du MCO sera poursuivie en 2008 :

- par la consolidation du mode de contractualisation des marchés de soutien de la flotte maritime qui lie le coût à la disponibilité des équipements ;

- par l'optimisation des structures de maintenance aéronautique , notamment la mise en place d'une cellule intégrée de coordination de la maîtrise d'oeuvre des réacteurs (Cicomore) et la création du service industriel aéronautique (SIAé) ;

- par l'ajustement des programmes de maintenance aéronautique , en particulier sur les flottes en cours de retrait du service actif ;

- par une rationalisation de l'emploi des parcs des forces terrestres (projet PEGP).

1. La situation pour la marine : le service de soutien de la flotte

Rappelons que la marine nationale a créé le 28 juin 2000, en collaboration avec la DGA, le service de soutien de la flotte . Sa création a donné lieu à une nette amélioration du maintien en condition opérationnelle de la flotte, présentée dans le rapport d'information du 22 juin 2005 23 ( * ) .

Les deux grandes étapes de la réorganisation du MCO naval ont été d'une part la création, en juin 2000, du service de soutien de la flotte (SSF), d'autre part, la transformation de DCN en société de droit privé, en 2003.

Ces évolutions de structure se sont traduites par des progrès dans les modalités de réalisation du MCO. Le plus marquant a été la nouvelle politique de contractualisation globale mise en oeuvre par le SSF à partir de 2005, « CAP 2005 ». Elle a permis l'amélioration de la disponibilité technique en s'appuyant sur les principes suivants :

- responsabilisation des maîtres d'oeuvres sur l'ensemble de la plate-forme (notion de « maîtrise d'oeuvre d'ensemble ») ;

- lisibilité donnée à l'industriel par la pluriannualité des contrats de MCO ;

- rétribution des industriels sur des résultats et non sur les seules prestations (avec des modalités diverses selon les plates-formes, le résultat en question pouvant être une disponibilité globale ou une tenue en service d'installations).

Les résultats obtenus dans le cadre de CAP 2005 conduisent la marine à poursuivre cette démarche dans le cadre de « CAP 2008 », projet qui réunit les marchés de MCO qui débuteront à partir de l'été 2008.

2. La situation du matériel aéronautique : la création de nouveaux acteurs

La création de la structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la défense (SIMMAD) a permis d'améliorer le MCO dans l'aéronautique. De plus, au printemps 2004, un audit du MCO aéronautique a été réalisé par le contrôle général des armées avec l'aide d'un cabinet de consultants. Il a permis d'identifier des axes d'amélioration possibles. La mission de modernisation du MCO aéronautique, MMAé 24 ( * ) , mise en place à l'initiative de l'état-major de la marine doit poursuivre les réflexions initiées par l'audit afin de proposer au ministre des orientations nouvelles, y compris des modifications organisationnelles destinées à améliorer de façon importante les processus de soutien des matériels aéronautiques de la défense. La mission devait rechercher et mettre en place, avec les armées, la DGA, la SIMMAD et les industriels aéronautiques des méthodes innovantes relatives à l'obsolescence des matériels, l'harmonisation des systèmes d'information, etc.

Le maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques de la Défense se compose de deux grands volets : un volet opérationnel (mise en oeuvre, maintenance préventive légère et curative), au plus près des forces et sous leur pleine autorité ; un volet industriel , qui se caractérise par une plus grande profondeur d'intervention.

Le service industriel aéronautique (SIAé) a pour vocation de rassembler au sein d'une organisation unique l'ensemble des acteurs étatiques du MCO du volet industriel dans une logique de rationalisation et d'économies de moyens. Dès janvier 2008 , seront regroupées les entités suivantes : le service de la maintenance aéronautique (SMA), avec les trois ateliers industriels de l'aéronautique (AIA) de Clermont-Ferrand, Cuers et Bordeaux ; l'essentiel des activités du site d'Ambérieu pour l'armée de l'air ; l'atelier de réparation de l'aéronautique navale (ARAN) de Cuers-Pierrefeu ; les éléments de soutien aéronautique des détachements de Toul et Phalsbourg de la 15 ème base de soutien du matériel (BSMAT) ; l'activité de visite des Dauphin, Lynx et Panther de la base d'aéronautique navale de Hyères. S'ajouteront progressivement des activités d'entretien préventif actuellement réalisées dans les escadrons de soutien technique spécialisé (ESTS) de l'armée de l'air.

Service de soutien à vocation interarmées, le SIAé sera placé sous le régime du compte de commerce (comme les AIA du SMA aujourd'hui). Il regroupera environ 4.000 personnes dont 600 militaires, et affichera un chiffre d'affaire prévisionnel de 400 millions d'euros environ, soit environ 12 % du coût annuel du MCO aéronautique militaire .

3. La gestion des parcs de matériels terrestres en attente de rénovation

Dans le cadre de la modernisation du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres, l'armée de terre va adapter en profondeur ses modes de fonctionnement par la mise en place d'une politique d'emploi et de gestion des parcs (PEGP) . Celle-ci vise à mieux gérer l'emploi des matériels majeurs, en service courant, à l'entraînement et en opération pour, à terme, garder la maîtrise des coûts de soutien en service.

Cette adaptation est rendue nécessaire par :

- un cadre opérationnel nouveau (projection de volumes d'équipements limités par rapport aux parcs détenus, éloignement et multiplicité des théâtres d'opération extérieurs) ;

- l' augmentation inéluctable des coûts d'acquisition et d'entretien des équipements ;

- l'évolution de l'environnement du système de maintenance de l'armée de terre (finances, code des marchés publics, stratégies industrielles).

Le projet de PEGP propose de répartir tout ou partie des équipements en quatre parcs :

- le parc en service permanent (PSP), dans chaque formation, pour le service courant et la préparation opérationnelle au niveau inférieur à l'unité élémentaire (compagnie, batterie, escadron) ;

- le parc d'entraînement , dans certains camps, pour l'entraînement à partir du niveau de l'unité élémentaire ;

- le parc d'alerte , destiné à équiper les modules de forces projetés sur court préavis ;

- le parc de gestion , constitué des autres matériels conservés en remisage dynamique sous hygrométrie contrôlée pour les compléments de besoins et la souplesse de gestion des opérations de maintenance.

Cette politique d'emploi et de gestion des parcs sera mise en oeuvre progressivement entre 2008 et 2010. Elle a trois objectifs :

- assurer aux forces la disponibilité effective des équipements dont elles ont besoin pour s'entraîner et partir en opération ;

- faciliter la mise en oeuvre du processus de soutien en service des matériels adaptés à la limitation des budgets ;

- permettre à l'armée de terre un meilleur suivi de la mise en service de ses matériels neufs et le vieillissement de ses matériels anciens.

Ainsi un premier dispositif sera déployé à l'été 2008 avec la création des parcs en service permanent dans les régiments, d'un parc d'entraînement « blindés » pour les camps de Champagne et la centralisation de la gestion et du soutien des parcs de gestion.

De plus, une étude préparatoire à la création d'une structure de soutien chargée du MCO de l'ensemble des matériels terrestres des armées fera l'objet d'une décision avant fin 2007, et devra à terme permettre une rationalisation semblable à celle conduite dans le milieu aéronautique .

Préconisations de vos rapporteurs spéciaux

Vos rapporteurs spéciaux vous proposeront deux amendements sur les dépenses de fonctionnement de la mission « Défense » :

- l'un vise à améliorer la sincérité de la mission en renforçant la budgétisation des surcoûts liés aux opérations intérieures (OPINT). Alors que leur coût est évalué à 18,83 millions d'euros en année pleine, la dotation initiale n'est que de 90.000 euros, grâce à l'adoption d'un amendement de vos rapporteurs spéciaux l'année dernière. Cette démarche sera reconduite et amplifiée en 2008. Vos rapporteurs spéciaux vous proposent d'ajouter 270.000 euros sur ce poste budgétaire ;

- l'autre vise à tenir le Parlement informé de la réforme des dépenses dérogatoires au sein des armées, et des expérimentations qui auront lieu dans les unités en 2008.

Ces amendements sont présentés en annexe.

* 23 Rapport n° 426 (2004-2005) de M. Yves Fréville au nom de la commission des finances, « Maintien en condition opérationnelle de la flotte ».

* 24 Mission de modernisation du MCO aéronautique des armées