M. Michel Charasse
SECTION II. L'AIDE PUBLIQUE
FRANÇAISE AU DÉVELOPPEMENT,
UN PÉRIMÈTRE PLUS
VASTE QUE LA MISSION BUDGÉTAIRE
I. ÉVOLUTION RÉCENTE DE L'APD FRANÇAISE ET PERSPECTIVES POUR 2008
A. UN COUP D'ARRÊT À L'EFFORT DE PROGRESSION DE L'AIDE
Entre 2000 et 2006, l'APD française globale (donc en incluant l'aide apportée aux collectivités d'outre-mer à statut particulier) a progressé de près 90 % pour s'établir à 8.446 millions d'euros, soit 0,47 % du RNB. Par rapport à 2005, l'année 2006 a en particulier été marquée par le maintien des allègements de dette à un très haut niveau (près du tiers de l'aide) et une diminution prononcée (- 29,3 %) des contributions aux fonds multilatéraux.
Pour la première fois depuis sept ans, les estimations en exécution pour 2007 prévoient une diminution de l'APD à hauteur de 605 millions d'euros , essentiellement en raison de la forte baisse des allègements de dettes et de l'aide-programme, pour une part du RNB qui passerait de 0,47 % à 0,42 %. Ces estimations se révèlent inférieures de plus de 1,3 milliard d'euros aux prévisions qui figuraient dans le document de politique transversale (DPT) annexé au projet de loi de finances pour 2007. L'objectif d'une aide se situant à 0,50 % du RNB en 2007 ne sera donc pas tenu ; en outre le second objectif de 0,7 % du RNB a été reporté à des temps plus lointains ( 2015 au lieu de 2012 ), renforçant les incertitudes sur sa réalisation.
L'évolution escomptée en 2008 (cf. tableau ci-après) table sur une progression de 931 millions d'euros , principalement au profit de l'aide bilatérale, pour atteindre un ratio de 0,45 % du RNB (0,46 % en incluant la contribution internationale sur les billets d'avion), ce qui ne permettrait toujours pas d'atteindre l'objectif annoncé en 2002. Les refinancements et allègements de dette augmenteraient de 56 % et l'aide-projet de 21 %.
La fiabilité de ces prévisions est toutefois fortement sujette à caution , compte tenu des écarts constatés dans le passé entre prévision et exécution, en particulier en 2007, et rien ne garantit que ce ratio de 0,45 % sera effectivement atteint, d'autant qu'il repose notamment sur des prévisions d'annulations et de refinancements massifs de dette au profit de la République démocratique du Congo et de la Côte d'Ivoire , dont le caractère reste hautement aléatoire 5 ( * ) .
Votre rapporteur spécial s'inquiète de cette évolution - certes liée à des contraintes budgétaires majeures - qui confirme ses inquiétudes de la fin 2006, comme la difficulté pour le budget de l'Etat de « tenir la distance » et de respecter des engagements sur le long terme. Avec la diminution progressive des allègements de dette et l'essoufflement des annonces des bailleurs internationaux, la capacité de la France à se positionner et à demeurer l'un des leaders mondiaux de l'aide éprouve ses limites.
Evolution de l'effort français d'aide publique au développement (au sens du CAD) depuis 2000 (en millions d'euros) |
||||||||||
2000 |
2006 |
PLF 2007 |
2007 (1) |
PLF 2008 |
Part de l'APD 2008 |
Evolution 2007/2008 |
||||
1. Aide bilatérale (dont outre-mer) (2) |
3.069 |
6.310 |
6.173 |
5.191 |
6.052 |
69 % |
861 |
16,6 % |
||
Coopération technique (3) |
N.D. |
2.235 |
1.949 |
2.254 |
2.244 |
25,6 % |
-10 |
-0,4 % |
||
Aide-projet (AFD + FSP) (4) |
N.D. |
345 |
664 |
583 |
706 |
8 % |
123 |
21,1 % |
||
Dont : - FSP (CP) |
N.D. |
149,5 |
172,7 |
164,1 |
132 |
1,5 % |
-32,1 |
-19,6 % |
||
- Collectivités territoriales |
N.D. |
54 |
61 |
60 |
61 |
0,7 % |
1 |
1,7 % |
||
Aide-programme |
N.D. |
244 |
612 |
201 |
200 |
2,3 % |
-1 |
N.S. |
||
Dont ajustement structurel AFD |
N.D. |
-80 |
236 |
-80 |
-60 |
N.S. |
N.S. |
N.S. |
||
Allègements et refinancements de dettes |
520 |
2.703 |
2.142 |
1.288 |
2.020 |
23 % |
732 |
56,8 % |
||
Dont - Coface |
294 |
2.029 |
1.265 |
917 |
655 |
7,6 % |
-262 |
-28,6 % |
||
- Compte de consolidation |
N.D. |
776 |
761 |
178 |
795 |
9,1 % |
617 |
x 3,5 |
||
Divers (5) |
N.D. |
783 |
806 |
865 |
882 |
10,1 % |
17 |
2 % |
||
Dont Mayotte et Wallis-et-Futuna |
168 |
226 |
229 |
345 |
351 |
4 % % |
6 |
1,7 % |
||
2. Aide multilatérale |
1.384 |
2.136 |
3.007 |
2.650 |
2.720 |
31 % |
70 |
2,6 % |
||
Dont : - Aide européenne |
859 |
1.544 |
1.592 |
1.501 |
1.592 |
18,1 % |
91 |
6,1 % |
||
dont FED |
N.D. |
663 |
692 |
696 |
725 |
8,3 % |
29 |
4,2 % |
||
- Institutions et fonds multilatéraux |
525 |
592 |
1.415 |
1.149 |
1.128 |
12,9 % |
-21 |
-1,8 % |
||
Total APD |
4.453 |
8.446 |
9.181 |
7.841 |
8.772 |
100 % |
931 |
11,9 % |
||
Contribution sur billets d'avion (CIS) |
0 |
45 |
200 |
170 |
170 |
|||||
APD (CIS inclus) rapportée au RNB |
0,32 % |
0,47 % |
0,50 % |
0,43 % |
0,46 % |
|||||
(1) : Prévision d'exécution à fin septembre 2007. Chiffres également provisoires pour l'exercice 2006. (2) : Les crédits aux collectivités d'outre-mer à statut particulier sont ventilés à hauteur de 50 % sur la coopération technique, d'environ 30% sur l'aide programme et de 20 % sur l'aide projet. (3) : Les dépenses de coopération technique relèvent essentiellement du MAEE. Elles recouvrent les dépenses d'assistance technique, les bourses d'études, les missions d'experts et les coûts des établissements culturels. (4) : l'augmentation de l'aide-projet est principalement liée à l'accroissement des prêts de l'AFD. (5) : La rubrique « Divers » comprend les coûts administratifs, les dépenses d'aide aux réfugiés (estimation de 439,7 millions d'euros en 2008), et certaines dépenses éligibles à l'APD afférentes aux opérations extérieures de l'armée française (environ 71 millions d'euros en 2008). |
||||||||||
Source : document de politique transversale « Politique française en faveur du développement » annexé au projet de loi de finances pour 2008 et ministère de l'économie, des finances et de l'emploi |
Outre le caractère contestable de l'inscription de certaines dépenses en APD (cf. infra ), deux conditions paraissent aujourd'hui réunies pour que la France dévie durablement de sa trajectoire d'augmentation de l'APD à l'horizon 2012-2015, avec l'achèvement progressif des initiatives d'annulation de la dette et la probable érosion à moyen terme de l'effet de levier des prêts de l'AFD, qui génèrent aujourd'hui un flux d'aide positif pour un coût budgétaire limité, mais constitueront des flux nets négatifs au moment des remboursements.
B. UNE AIDE EN PARTIE ARTIFICIELLE ?
Outre sa diminution récente, notre APD est loin de se traduire intégralement par des actions de coopération sur le terrain et clairement identifiées comme françaises , si l'on considère les éléments suivants pour 2008 :
- après avoir connu une forte augmentation pendant 10 ans, l'aide multilatérale se stabilise à un haut niveau et représenterait plus du tiers de l'APD en 2007 et 31 % en 2008 ;
Part de l'aide multilatérale et des allègements de dette dans l'effort français d'APD |
|||||||||||
1996 |
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
||
Part de l'aide multilatérale |
23 % |
31 % |
38 % |
34 % |
28 % |
34 % |
28 % |
25 % |
34 % |
31 % |
|
Part des allègements de dette (aide bilatérale) |
13 % |
12 % |
10 % |
20 % |
29 % |
21 % |
33 % |
32 % |
16 % |
23 % |
|
Part du multilatéral dans l'APD hors allègements de dette |
26 % |
35 % |
42 % |
42 % |
39 % |
43 % |
44 % |
37 % |
40 % |
40 % |
|
N.B : prévisions pour 2007 et 2008. Source : document de politique transversale |
- l'aide aux deux collectivités d'outre-mer ( Mayotte et Wallis-et-Futuna ) comptabilisée en APD connaît une forte progression (+ 55 % par rapport à 2006) mais ne correspond pas à l'acception commune de l'aide au développement, qui concerne les Etats étrangers ;
- les refinancements et annulations de dette représenteraient encore près du quart de l'aide , après que leur montant en 2007 se révèle nettement inférieur aux prévisions (soit une évolution inverse à celle de 2006). Ce canal d'aide relève de mesures macroéconomiques (à l'exception des contrats de désendettement-développement prenant la forme d'une aide-programme) et laisse planer le doute sur leur remplacement à moyen terme ;
- l'écolage et l'aide aux réfugiés , constatés ex post , représenteraient 1,29 milliard d'euros en 2008, soit 14,7 % de l'APD globale , mais ne se traduisent pas par une aide sur le terrain et leur comptabilisation en APD , dont les modalités ne sont d'ailleurs pas explicitées dans le document de politique transversale, sont contestables. Ces deux composantes font figure de variable d'ajustement commode pour afficher un volume « décent » d'APD. Les critiques déjà formulées par votre rapporteur spécial sur les imprécisions méthodologiques, les graves lacunes de l'information du Parlement et l'absence de cadre stratégique demeurent valables.
C. VENTILATION SECTORIELLE ET GÉOGRAPHIQUE
Ainsi que l'illustrent les tableaux ci-après, la France a consacré en 2006 les deux tiers de son APD à l'Afrique dont 57 % à l'Afrique subsaharienne, conformément aux orientations fixées par le CICID.
APD de la France par type d'activité (prévisions pour 2007-2008)
(en millions d'euros)
Source : document de politique transversale annexé au projet de loi de finances pour 2008
Répartition de l'aide française bilatérale brute par groupe de revenu en 2005 (en millions de dollars) |
||
Pays les moins avancés (PMA) |
2.004 |
26,4 % |
Pays à faible revenu (PFR) |
2.010 |
26,4 % |
Revenus intermédiaires tranche inférieure (PRITI) |
1.910 |
25,1 % |
Revenus intermédiaires tranche supérieure (PRITS) |
584 |
7,7 % |
Non ventilés |
1.094 |
14,4 % |
Total aide bilatérale pays APD |
7.602 |
100 % |
Source : CAD, OCDE |
Ventilation géographique de l'aide française en 2006 |
|||||||||
Afrique subsaharienne |
Afrique du nord |
Moyen-Orient |
Europe |
Extrême Orient |
Asie du sud |
Amérique latine |
Océanie |
Non spécifié |
|
57 % |
9 % |
12 % |
4 % |
6 % |
1 % |
4 % |
1 % |
6 % |
|
Source : document de politique transversale annexé au projet de loi de finances pour 2008 |
Les dix principaux pays bénéficiaires de l'APD bilatérale française en 2006 (en millions d'euros) |
|||
Nigeria |
1.620 |
Algérie |
166 |
Irak |
615 |
Tunisie |
162 |
Maroc |
235 |
Vietnam |
122 |
Sénégal |
221 |
Afrique du Sud |
117 |
Cameroun |
198 |
Chine |
109 |
Source : document de politique transversale |
* 5 Prévues pour mi 2006, puis fin 2006, puis pour l'année 2007, ces annulations ne sont toujours pas intervenues du fait de l'absence d'accord avec le FMI.