2. La pratique : un rituel sans portée
La commission d'enquête a pu constater au cours de ses travaux que la commission de surveillance ne remplit pas les missions qui sont les siennes. Le constat sur ce point est sans appel.
Devant la commission d'enquête, Mme Claude Faugeron, chercheur au CNRS, s'est exprimée en ces termes : " Je ne sais pas s'il est vraiment nécessaire de réactiver les commissions de surveillance : elles n'ont pas de continuité ; les membres se font représenter et, d'une fois à l'autre, les personnes changent. C'est aussi une messe, mais moins grande que le Conseil supérieur. Quand une institution a fait la preuve séculaire qu'elle ne marchait pas, je ne vois pas pourquoi continuer à la faire fonctionner ".
M. Ivan Zakine, ancien président du comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, s'est montré plus sévère encore : " La commission de surveillance est une grand messe d'une solennité extrême. Quand cela se fait, on fait une visite au pas de course -parce qu'on n'a pas le temps- de ce que le chef d'établissement veut bien nous montrer : des locaux bien astiqués et bien propres. La visite se termine au mess des surveillants devant un apéritif. Le résultat n'est qu'un rituel qui n'a pas véritablement apporté quelque chose ".
M. Philippe Maitre, chef de l'inspection des services pénitentiaires, a tenté, devant la commission d'enquête, d'expliquer cette inefficacité du contrôle exercé par la commission de surveillance : " (...) la commission de surveillance est composée des autorités administratives de haut niveau géographiquement très proches. Cette addition de proximités stérilise la capacité de critique de fonctionnaires, de magistrats, de représentants d'organisations extérieures qui seront appelés à se revoir et qui continueront à travailler ensemble ".
En 1999, M. Philippe Faure, préfet hors cadre, a élaboré, à la demande du Gouvernement, un rapport sur " les relations des préfets avec les services de l'administration pénitentiaire et les établissements qui en dépendent ". Ce rapport évoque longuement le fonctionnement des commissions de surveillance et met en évidence une série de dysfonctionnements qui ôtent toute efficacité aux commissions.
Tout d'abord, la commission de surveillance ne se réunit pratiquement jamais plus d'une fois par an, alors que cette réunion annuelle n'est qu'un minimum . Dans certains cas, il semble même que la réunion annuelle n'ait pas lieu. D'après les informations transmises à la commission d'enquête, la commission de surveillance de la maison d'arrêt de Basse-Terre en Guadeloupe ne s'est pas réunie en 1999. Aucune réunion de la commission de surveillance ne s'est tenue au centre pénitentiaire de Baie-Mahaut entre décembre 1996, date de son ouverture, et le 11 avril 2000.
Selon le rapport de M. Philippe Faure, les réunions de la commission de surveillance durent entre une heure et demi et trois heures. Elles comprennent un temps de visite de l'établissement. Comme l'ont indiqué un grand nombre de personnels aux délégations de la commission d'enquête visitant des établissements, les visites de la commission de surveillance sont très brèves et se font sous la conduite du chef d'établissement.
Il semble en outre que les commissions de surveillance n'utilisent pas la possibilité qui leur est offerte d'entendre toute personne susceptible d'apporter des informations utiles . De même, la possibilité pour les détenus d'adresser des requêtes au président de la commission n'est pratiquement jamais utilisée. Dans la mesure où la commission de surveillance ne se réunit qu'une fois par an, il n'existe aucun suivi des observations formulées au cours de la réunion précédente .
Dans son rapport, le préfet Faure ne porte cependant pas un jugement entièrement négatif sur les commissions de surveillance, observant que celles-ci peuvent jouer un rôle efficace dans les très petits établissements pénitentiaires comportant moins de cent détenus, notamment parce que le fonctionnement de la prison est moins complexe et que les problèmes y sont moins nombreux. L'observation est sans doute fondée, mais il est possible alors de s'interroger sur l'intérêt de commissions de surveillance qui n'interviendraient efficacement que dans les établissements n'ayant pas de difficultés réelles...
M. Philippe Faure formule quelques propositions destinées à améliorer le fonctionnement des commissions de surveillance. Il suggère en particulier qu'un ordre du jour soit fixé dans les convocations de la commission, que la visite de l'établissement ait lieu avant les débats, afin de susciter les questions, qu'un véritable tour de table soit organisé, surtout que soit largement utilisée la possibilité d'entendre des personnes susceptibles d'apporter des informations utiles à la commission.
Au fond, il est proposé aujourd'hui d'appliquer la loi et les règlements qui en découlent. Il n'est pas certain qu'il soit encore temps de sauver, sans modifier son organisation, la commission de surveillance, qui a fait preuve de son inutilité depuis des années, sinon des décennies.
La commission de surveillance n'exerce pas son rôle de contrôle des établissements pénitentiaires et il n'est pas évident que des modifications textuelles suffisent à modifier cette situation. D'ores et déjà, les pouvoirs de cette instance sont étendus et ses missions précisément définies. Il convient peut-être de rechercher du côté de la composition des commissions de surveillance les raisons de cet échec. Tandis que M. Philippe Maitre évoquait devant la commission d'enquête une " addition de proximités " stérilisant la capacité de critique, notre excellent collègue, M. José Balarello, a parlé de " conformisme à outrance ".
Quoi qu'il en soit, les commissions de surveillance constituent aujourd'hui un instrument de contrôle inadapté à la situation des établissements pénitentiaires.