ANNEXE 5
Une contribution déterminante du Sénat
au
travail du Parlement
Le
pouvoir reconnu à l'Assemblée nationale de statuer
définitivement, si le Gouvernement le demande, sur les dispositions
restant en discussion d'un projet ou d'une proposition de loi ne signifie pas
que le Sénat n'apporte pas une part décisive à
l'élaboration de la loi.
Tout d'abord, le "
dernier mot
" ne peut être
donné à l'Assemblée nationale sur les projets de loi
constitutionnelle et sur les projets de loi organique relatifs au
Sénat.
Ainsi, les
Traités de Maastricht et d'Amsterdam
, dont la
ratification a nécessité une révision préalable de
la Constitution, n'auraient-ils pas pu être ratifiés sans l'accord
du Sénat sur les révisions nécessaires. Ainsi la
révision ouvrant la voie à la parité a-t-elle
été adoptée par le Congrès dans la rédaction
proposée par le Sénat en deuxième lecture.
Même lorsque la majorité politique à l'Assemblée
nationale est différente de celle du Sénat, l'Assemblée
nationale ne statue pas en dernier ressort sur tous les textes, puisque, au
cours de l'année 1999, sur 109 textes adoptés
définitivement (53 textes, hors conventions internationales), 11
seulement l'ont été sans l'approbation du Sénat.
La navette parlementaire permet donc le plus souvent aux deux assemblées
de parvenir à un accord, avec ou sans recours à la commission
mixte paritaire.
En 1999, 44 % des amendements adoptés par le Sénat ont
été ensuite repris par l'Assemblée nationale
. Certains
de ces amendements, pour revêtir un
caractère technique
,
n'en n'ont pas moins d'importance, car ils contribuent de manière
déterminante aux conditions de mise en oeuvre des textes ou à
leur lisibilité.
Ainsi en a-t-il été récemment lors de l'examen des lois
organique et ordinaire n° 99-209 et n° 99-210 du
19 mars 1999 relative à la
Nouvelle-Calédonie
où l'analyse juridique attentive du Sénat, se traduisant par la
réécriture ou l'écriture de très nombreux
articles
, s'est imposée à l'Assemblée nationale.
La qualité de la participation du Sénat au travail
législatif de
codification
(par exemple, code
général des collectivités territoriales) pourrait aussi
être citée à ce titre.
L'apport du Sénat à l'élaboration des lois ne se limite
pas à un travail technique, aussi important soit-il.
La discussion sur les projets de loi relatifs aux
collectivités
territoriales
est naturellement marquée de l'empreinte du
Sénat.
Pour prendre un exemple récent, grâce au Sénat, la loi
n° 99-291 du 15 avril 1999 relative aux
polices municipales
comporte des dispositions facilitant un partenariat équilibré
entre l'Etat et les collectivités territoriales pour la coordination des
services de la police nationale et des polices municipales.
De même, la loi n° 96-987 du 14 novembre 1996
relative à la mise en oeuvre du
pacte de relance pour la ville
comporte de nombreuses dispositions résultant des travaux du
Sénat, ponctués par le rapporteur de la commission des affaires
économiques, notre collègue M. Gérard Larcher.
L'impact des travaux du Sénat sur le contenu des lois ne se limite
d'ailleurs pas à celles concernant les collectivités
territoriales.
Ainsi, dans l'examen d'une proposition de loi adoptée par
l'Assemblée nationale, tendant principalement à renforcer les
incitations fiscales aux dons en faveur des associations, le Sénat
a-t-il pris l'initiative d'instaurer un
contrôle de la Cour des
comptes sur les associations faisant appel à la
générosité publique
. Une actualité
récente a démontré la pertinence de cette disposition,
insérée dans la loi n° 96-559 du 24 juin 1996.
Certaines lois importantes sont dues à l'initiative de sénateurs,
comme, par exemple, celle sur la
prestation spécifique
dépendance
, issue d'une proposition de loi de notre collègue
M. Jean-Pierre Fourcade, faisant suite à une proposition de M.
Lucien Neuwirth (loi n° 97-60 du 24 janvier 1997), ou celle
sur le
bracelet électronique
(proposition de loi de
M. Guy Cabanel, devenue loi n° 97-1159 du
19 novembre 1997).
La loi sur les
fonds de pension
n'est certes pas formellement issue de
la proposition de loi de notre collègue, M. Philippe Marini,
déposée en 1992 et rapportée ensuite par les commissions
compétentes en juin 1993.
Pourtant, les principales dispositions de la loi n° 97-277 du 25 mars
1997, issues d'une proposition de loi adoptée par l'Assemblée
nationale, sont inspirées du premier texte adopté à
l'initiative du Sénat.
C'est encore plus vrai de la loi n° 99-477 du 9 juin 1999 visant à
garantir le droit à l'accès aux
soins palliatifs
dont la
paternité revient pour une très large part à notre
excellent collègue M. Lucien Neuwirth, auteur de l'une des
propositions de loi à l'origine de ce texte.
L'extension de
l'aide juridictionnelle aux mineurs dans le cadre de la
médiation pénale
résulte également d'un
amendement du Sénat lors de l'examen de la loi n° 98-1963
du 18 décembre1998 relative à l'accès au droit et
à la résolution amiable des conflits. On pourrait multiplier les
exemples...
A contrario
, la prééminence législative de un
projet de loi adopté définitivement n'a pas empêché
le Sénat de faire obstacle à des textes ou à des
dispositions mettant en cause des principes constitutionnels ou dont les
objectifs rencontraient l'hostilité d'une large partie de l'opinion
publique,
le cas échéant en saisissant le Conseil
constitutionnel.
Ainsi en a-t-il été
en 1971
, lorsqu'un projet de loi
remettait en cause la
liberté d'association
, le Conseil
constitutionnel ayant été saisi par le président
Alain Poher, et
en 1977
au sujet des conditions de
fouille
des
véhicules
(saisine du Conseil constitutionnel par plus de
60 sénateurs).
Dans les deux cas, la concordance des majorités politiques dans les
deux assemblées n'a donc pas empêché le Sénat de
veiller efficacement au strict respect de droits fondamentaux remis en cause
par un projet de loi adopté définitivement.
Si le Sénat n'a pu faire obstacle au vote par l'Assemblée
nationale de la loi de
nationalisation en 1982
, certaines de ses
objections, concernant la juste et préalable indemnisation, ont
été retenues par le Conseil constitutionnel, également
saisi. D'une certaine façon, bien qu'adoptée sans son accord,
cette loi a néanmoins été marquée de l'empreinte du
Sénat.
Approuvé par une large partie de l'opinion publique, le Sénat
a contraint, en 1984, le Gouvernement à renoncer à son projet de
loi concernant l'enseignement privé.
Il reste aujourd'hui à savoir
si certaines interrogations
soulevées par le Sénat
, lors de la discussion des lois sur la
réduction à
35 heures
de la durée hebdomadaire
du travail, sur les
emplois-jeunes
ou sur le
PACS
, non prises en
compte à l'Assemblée nationale,
ne finiront pas par
prévaloir à moyen terme.
Le travail de réflexion et de contrôle du Sénat, dont la
grande qualité est souvent reconnue, concourt aussi à certaines
modifications législatives, soit en débouchant directement sur le
dépôt d'une proposition de loi, soit en guidant les
délibérations du Sénat sur des projets de loi qui lui sont
présentés.
Peuvent être cités en particulier les lois de juillet 1996
sur la
réglementation des télécommunications
et
sur l'entreprise nationale France
Télécom
, dont les
dispositions sont fortement inspirées d'un rapport d'information de
notre collègue, M. Gérard Larcher, publié en
mars 1996
18(
*
)
.
De même, le rapport d'information de nos collègues,
MM. Claude Huriet et Charles Descours sur la
sécurité sanitaire
19(
*
)
, a-t-il été à la
source de la loi n° 98-535 du 1
er
juillet 1998 relative au
renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la
sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme.
Ce texte a institué deux agences de sécurité sanitaire,
l'une sur les produits de santé, l'autre sur les aliments.
Après l'annonce en février 1996 par le président de la
République du projet de réforme du
service national
, un
rapport d'information de notre collègue,
M. Serge Vinçon a été publié en mai de la
même année
20(
*
)
. Ses
propositions, destinées à adapter l'appareil de défense
à la professionnalisation des armées, ont été
reprises, pour l'essentiel, dans les projets de loi déposés au
Parlement au printemps puis à l'automne 1997 et figurent en bonne place
dans la loi n° 97-1019 du 28 octobre 1997.
Le travail approfondi d'un groupe de travail constitué à
l'initiative de notre collègue, M. Jacques Larché,
président de la commission des Lois, a permis d'écarter, dans le
code pénal, la
responsabilité pénale pour des faits
d'imprudence
si l'auteur a accompli "
les diligences normales
compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses fonctions ou de
ses missions, de ses compétences ainsi que du pouvoir ou des moyens dont
il disposait
" (loi n° 96-393 du 13 mai 1996).
A la suite de l'adoption d'une directive communautaire sur
l'organisation
juridique des places financières
, les travaux d'un groupe de travail
présidé par notre collègue, M. Philippe Marini,
publiés en juillet 1994
21(
*
)
ont été à la
source d'une action menée durant plusieurs années par le
Sénat pour obtenir du Gouvernement qu'il dépose un projet de loi
tendant à transposer cette directive et pour que les dispositions
retenues soient pleinement satisfaisantes.
Le dépôt, puis l'examen par la commission des Finances du
Sénat d'une proposition de loi s'inspirant des conclusions du groupe de
travail a conduit le Gouvernement à élaborer un avant-projet de
loi tendant à une transposition "
à minima
",
puis, devant les objections exprimées par la même commission, un
projet plus complet qui devait encore subir, au cours de la procédure au
Sénat, des modifications importantes que l'Assemblée nationale a
ensuite retenues pour l'essentiel (loi n° 96-597 du 2 juillet 1996).
La réflexion approfondie d'un groupe de travail présidé
par notre collègue, M. Alain Lambert
22(
*
)
, a permis à la commission des
Finances de concevoir une politique cohérente en matière de
fiscalité immobilière
qui s'est traduite dans de
nombreuses dispositions intégrées dans divers textes entre 1993
et 1998 à l'initiative ou sur l'inspiration du Sénat.
Une activité régulière de réflexion de la
commission des Lois, sur les questions de la
justice
, a permis au
Sénat d'adopter ensuite des dispositions importantes et retenues dans
les textes de loi.
A la source des positions de cette commission, les rapports d'information sur
la
présomption d'innocence
23(
*
)
, de son président,
M. Jacques Larché, et celui de MM. Charles Jolibois
et Jacques Bérard
24(
*
)
, ou encore celui de
MM. Pierre Fauchon et Charles Jolibois sur les
moyens de la
justice
25(
*
)
.
Ces travaux ont permis au Sénat de diagnostiquer de longue date
l'asphyxie de la justice et la nécessité de ne pas adopter de
nouvelles réformes sans prévoir les moyens nécessaires
pour les mettre en oeuvre (par exemple, sur la question de la
collégialité des juges d'instruction pour la mise en
détention ou sur l'institution d'un deuxième degré de
juridiction en matière d'assises).
Ces travaux qui s'inscrivent dans la continuité de ceux de
MM. Arthuis et Haenel marquent l'intérêt de la Haute
assemblée pour cette question. Ils ont permis de préparer
l'examen par la commission des Lois, puis par le Sénat des divers
projets de loi sur la justice adoptés, en instance ou en
préparation.
Parmi les dispositions législatives déjà adoptées
à l'initiative du Sénat et traduisant ces travaux sur la justice,
on peut citer la création des
assistants de justice
ou encore le
développement des
pouvoirs d'injonction du juge administratif
(loi n° 95-125 du 8 février 1995).
On remarquera enfin que les travaux du Sénat ont pu permettre une
évolution de la réflexion sur des sujets de société
comme
la prise en charge de
la douleur
26(
*
)
dont les premières traductions
législatives (obligation légale pour les établissements
hospitaliers et sanitaires et sociaux de prendre en charge la douleur) ont
été suivies de plusieurs autres (loi du 9 juin 1999
précitée sur les
soins palliatifs
).
Il arrive aussi que des propositions de loi adoptées par le
Sénat soient bloquées à l'Assemblée nationale,
faute d'être inscrites à son ordre du jour.
Ainsi en a-t-il longtemps été, par exemple, de la proposition de
loi de notre collègue M. Nicolas About sur la
prestation
compensatoire
en matière de divorce adoptée par le
Sénat le 25 février 1998 et qui n'a été
examinée par l'Assemblée nationale que le
23 février 2000. La proposition de loi de notre
collègue M. Alain Vasselle relative à une meilleure
prise en charge de la maladie d'Alzheimer demeure, en revanche, en instance
à l'Assemblée nationale.
L'image que certains ont tenté de diffuser d'un Sénat refusant
systématiquement toute réforme apparaît donc totalement
erronée.
Si la Haute Assemblée s'est légitimement opposée, parfois
avec succès, à des textes mettant en cause des principes
essentiels de notre démocratie, elle s'est, en revanche,
fréquemment trouvée à la source de réformes
importantes pour la vie des Français, aussi bien lorsque sa
majorité politique correspondait à celle de l'Assemblée
nationale que dans le cas contraire.
A contrario
, la discordance des majorités des deux
assemblées a parfois bloqué des initiatives sénatoriales
attendues dans le pays que l'Assemblée nationale refusait d'inscrire
à son ordre du jour.
La contribution du Sénat à l'élaboration des lois, loin de
se limiter à des dispositions de caractère technique ou
même aux textes concernant les collectivités territoriales,
embrasse l'ensemble du champ législatif.