III. L'ANALYSE DE LA COMMISSION DES LOIS
A. L'ACTUALITÉ DES PRINCIPES DE BASE DU RÉGIME ÉLECTORAL SÉNATORIAL
Votre
commission des Lois a confirmé les principes sur lesquels le
Sénat a fondé ses positions de première lecture.
Le Sénat participe à l'exercice de la souveraineté
nationale au sens de l'article 3 de la Constitution et représente
les collectivités territoriales aux termes de l'article 24 de la
loi fondamentale.
La conciliation de ces deux principes constitutionnels conditionne une
différenciation suffisante de la Haute assemblée, indispensable
pour assurer un caractère effectif au bicamérisme. Elle permet
une représentativité complémentaire des deux
assemblées.
A côté de la représentation indifférenciée de
la population par les députés, qui doit être assurée
sur des bases
essentiellement démographiques
5(
*
)
(la représentation des
députés intègre aussi d'autres éléments -
représentation minimale de chaque département, respect des
limites cantonales), doit être garantie celle, spécifique, des
collectivités territoriales par le Sénat.
Pour ne pas être vidée de toute signification, cette
représentation des collectivités ne peut se limiter à une
simple technique électorale selon laquelle ces
collectivités
seraient réduites à des circonscriptions
dont le poids dans
le corps électoral serait déterminé sur des bases
exclusivement démographiques.
Votre rapporteur avait souligné, en première lecture, qu'il
serait paradoxal de fonder la représentation du Sénat sur des
bases plus démographiques que celles de l'Assemblée nationale.
Les collectivités territoriales représentées au
Sénat regroupent des solidarités particulières d'habitants
exprimées et gérées par des assemblées élues.
Selon l'expression de J.P. Duprat
6(
*
)
, les collectivités territoriales
sont "
des communautés humaines, dotées d'une
personnalité juridique et déterminées par des
intérêts de proximité et les affinités qu'elles
créent
".
Ces intérêts sont gérés par des assemblées
locales élues sur des bases essentiellement
démographiques
7(
*
)
et non
par les habitants eux-mêmes.
Les élus locaux chargés de prendre en charge ces
intérêts doivent donc fonder la représentation des
collectivités à travers le suffrage universel indirect, ce qui
justifie la position du Sénat de maintenir un lien entre l'effectif du
conseil municipal et le nombre de délégués d'une
commune.
Introduire une stricte proportionnalité entre le nombre de
délégués et le nombre d'habitants, comme le propose le
projet de loi, viderait de toute substance la représentation des
collectivités par le suffrage universel indirect, sauf à se
limiter à une représentation purement formelle.
Une représentation sur des bases uniquement démographiques des
collectivités reviendrait à nier la nécessaire prise en
compte d'autres principes d'intérêt général
et, en premier lieu, celui d'une représentation spécifique et
significative de toute collectivité, quelle que soit sa taille, comme le
prescrit l'article 24 de la Constitution.
En effet, une progression strictement linéaire de la
représentation des collectivités gommerait les diverses
préoccupations de gestion liées aux caractéristiques
propres des différentes collectivités, celles d'une ville de
100.000 habitants ne pouvant être réduites à une
multiplication linéaire de celles d'une commune de quelques centaines
d'habitants.
Une prise en compte exclusive du nombre d'habitants pour la
représentation des communes entraînerait un écrasement du
poids relatif des petites communes dans le corps électoral
sénatorial et ne permettrait pas à celles-ci de
bénéficier, sauf sur un plan formel, de la représentation,
à laquelle elles ont constitutionnellement droit.
La prise en considération de toutes les collectivités dans leur
diversité exige en conséquence, pour les communes, une
représentation basée sur le nombre des élus responsables
de ces collectivités, même si un correctif démographique
doit être apporté au profit des grandes villes, dont le
Sénat propose le renforcement.
La composition du collège électoral sénatorial repose
donc sur l'une des spécificités de notre démocratie, la
participation active des citoyens à la vie de leurs 36.000 communes.
Loin d'être archaïque, cette représentation trouve, au
contraire, une justification nouvelle avec la décentralisation,
tardivement mise en oeuvre et encore incomplète.
Cette décentralisation, qui se heurte encore aujourd'hui à une
forte
tradition jacobine qui, elle, est sans aucun doute conservatrice
,
suscite le développement d'une
démocratie locale
,
permettant la prise des décisions concernant la vie quotidienne et les
solidarités de proximité par des élus plus proches des
citoyens.
Pour ne pas se limiter à un aspect formel, cette démocratie
locale implique la participation des élus de proximité à
la détermination de la politique du pays, dont on ne saurait ignorer
l'impact sur la vie des Français dans leurs collectivités.
Ainsi, la représentation spécifique des collectivités
territoriales dans une assemblée parlementaire apparaît-elle
indispensable à la poursuite d'une décentralisation authentique
et pour éviter toute tentation de "
recentralisation rampante
".
La représentation ainsi entendue des collectivités territoriales
contribue à une composition du Sénat de nature différente
de celle de l'Assemblée nationale afin de permettre au Sénat de
porter un "
autre regard
" sur les questions soumises au Parlement.
La pluralité des modes de scrutin pour l'élection des
sénateurs permet aussi à notre assemblée d'apporter ce
regard différent, indispensable à notre démocratie.
Le scrutin majoritaire
a été institué dans les
départements les moins peuplés, leur faible densité
démographique constituant une caractéristique à prendre en
compte.
Il facilite une
plus grande proximité entre l'élu et
l'électeur
, assure
une certaine indépendance des
sénateurs par rapport aux partis politiques
, les grands
électeurs utilisant largement leur droit de panacher entre les candidats
et les listes en présence, et permet à un grand nombre des
membres du Sénat de disposer d'un recul suffisant pour assumer
pleinement leur rôle constitutionnel de représentation des
collectivités territoriales.
Le scrutin majoritaire facilite aussi l'
émergence de
personnalités mieux ancrées dans le tissu social
et donnant
au Sénat une légitimité différente de celle de
l'Assemblée nationale, plus politisée et plus sensible aux
courants d'opinion, éphémères par nature
8(
*
)
.
Ce mode de scrutin
favorise (on pourrait dire : est une condition
essentielle de ?) l'indépendance dont le Sénat sait faire preuve
et lui permet plus aisément d'adopter des positions non
partisanes,
ce qui est rendu possible par la présence au
Sénat de
législateurs dont l'élection ne doit rien aux
partis.
Non seulement ce mode de scrutin doit être préservé, mais
une modification du plafond au dessous duquel il est appliqué ne doit
pas avoir pour conséquence de remettre en cause de manière
préjudiciable l'équilibre institué entre ces deux modes de
scrutin.
Pour autant, l
e scrutin proportionnel se
justifie dans les
départements les plus peuplés
, dont la densité
démographique constitue aussi une caractéristique à
prendre en considération pour leur représentation au Sénat.
En effet, l'anonymat qui règne dans les grandes villes conduit à
une nature moins personnelle et plus partisane du scrutin sénatorial,
s'appuyant lui-même sur des scrutins locaux ayant
généralement les mêmes caractéristiques.
Au demeurant, le Sénat est et demeure une assemblée parlementaire
politique dont le recrutement ne peut exclure, par principe, une
compétition électorale politisée.
Il convient donc de parvenir à un équilibre, aussi bien en
termes de sièges que de population représentée, entre les
deux modes de scrutin, de nature à mieux garantir leur
pluralité.
Enfin, votre commission des lois a estimé que la nécessaire
progression de la représentation des plus grandes villes ne devait pas
avoir pour conséquence une
trop forte augmentation du nombre des
délégués qui ne sont pas conseillers municipaux
,
toujours dans le souci de sauvegarder une représentation réelle
et non formelle des collectivités.