B. UN DISPOSITIF AGGRAVÉ
L'Assemblée nationale a estimé que le suffrage
universel indirect ne devait pas conduire à des distorsions trop
manifestes de représentation, principe qui a également
inspiré le Sénat qui a adopté, en première lecture,
un aménagement de son régime électoral pour tenir compte
des évolutions démographiques de notre pays depuis 40 ans.
Mais elle a, en fait, comme le projet initial du Gouvernement d'ailleurs,
délaissé la notion de représentation des
collectivités locales pour celle de représentation des habitants
des collectivités locales.
1. L'élection des délégués des conseils municipaux
L'Assemblée nationale a aggravé le principe du
projet
de loi initial selon lequel
les communes seraient représentées
sur des bases exclusivement démographiques
, ne laissant une
représentation renforcée par rapport à la population que
pour les plus petites communes, alors qu'une politique d'aménagement du
territoire supposerait aussi un rééquilibrage au profit des
villes moyennes.
En effet, les députés ont prévu un barème uniforme
de représentation des communes à raison de
un
délégué pour 300 habitants
ou fraction de ce
nombre (au lieu de 1 pour 500 dans le texte initial) ce qui entraînerait
une augmentation de 55 % du nombre des délégués
(article 1
er
).
L'Assemblée nationale
n'a donc aucunement pris en
considération
la proposition du Sénat de
rééquilibrer le barème de représentation au profit
des plus grandes villes tout en préservant
, grâce au maintien
du lien entre la représentation des communes et l'effectif de leur
conseil municipal, l'influence des communes moins peuplées (suppression
de l'article 1
er
bis).
Le barème de représentation retenu par les
députés entraînerait une hausse de 55 % du corps
électoral sénatorial
, les délégués non
conseillers municipaux passant de 8 % actuellement à 30 % (21 %
selon le texte initial).
Par rapport au texte initial
, seules les communes de moins de 3.500
habitants verraient leur influence diminuer (39% de
délégués au lieu de 43% et de 49% actuellement).
Par rapport à la situation actuelle
, la représentation des
communes de moins de 20.000 habitants régresserait (65% au lieu de 80%),
à l'inverse de celles de plus de 20.000 habitants (35% au lieu de 20%).
Les communes de 3.500 à 20.000 habitants auraient désormais un
poids dans le corps électoral inférieur à celui de leur
population (25,6 % de délégués pour 27,50% de la
population), alors qu'actuellement la tendance est inverse (30,7% de
délégués).
Notons au passage le paradoxe supplémentaire généré
par le fait qu'une telle inflation du nombre des délégués
des communes, composé significativement de non élus
prédésignés de fait par des partis politiques sans grandes
possibilités de choix par les conseils municipaux,
va aboutir
à atomiser de manière drastique l'influence déjà
réduite des conseillers généraux et régionaux,
pourtant élus au suffrage universel direct.
Paradoxe renforcé du fait qu'ils sont eux aussi représentants et
gestionnaires de collectivités territoriales de plein exercice, au
rôle renforcé chaque jour - du moins en principe - et qu'elles
rentrent, elles aussi, dans le champ de l'article 24 de la Constitution ....
Cette ignorance par le projet de loi d'un tel phénomène ne peut
qu'ouvrir à terme la remise en cause de l'ensemble du dispositif.
Poursuivant son objectif d'extension du champ d'application de la
représentation proportionnelle, l'Assemblée nationale a
abaissé le seuil de partage entre les deux modes de scrutin pour
l'élection des délégués des communes dans les
collèges électoraux sénatoriaux
.
Le mode de
scrutin majoritaire
,
à deux tours au lieu de
trois
, serait limité aux communes où le même mode de
scrutin est applicable pour les élections municipales, soit celles de
moins de 3.500 habitants
actuellement,
ou moins de
2.000 habitants
si une disposition du projet de loi tendant à
favoriser l'égal accès entre les femmes et les hommes aux mandats
était adoptée dans sa rédaction de l'Assemblée
nationale (au lieu de 9.000 habitants actuellement ou de
1.000 habitants selon le texte initial) (article 2).
Dans les communes dont le nombre de délégués est
égal ou inférieur à l'effectif du conseil municipal, les
délégués et les suppléants seraient élus
au sein de ce conseil
4(
*
)
,
cette proposition confirmant une pratique assez
généralisée (article 1
er
).
Le
nombre des suppléants serait minoré
en
conséquence de l'augmentation massive des titulaires, pour faciliter la
constitution des listes de candidats
(article 1
er
bis A).
Dans les autres communes
(
plus de 3.500 ou de 2.000 habitants,
concernant 66 ou 75 % de la population
selon les
hypothèses
), les députés ont décidé que
le
scrutin proportionnel
serait appliqué, alors qu'il ne l'est,
actuellement, qu'à partir de 9.000 habitants (1.000, selon le
projet de loi initial), et
la
règle du plus fort reste serait
remplacée par celle de la plus forte moyenne
(article 3).
L'Assemblée nationale a confirmé l'assouplissement des
possibilités de
vote par procuration
pour l'élection des
délégués, dans toutes les communes, quelle que soit leur
population, celui-ci étant actuellement admis de façon
restrictive dans les communes de plus de 9.000 habitants.
Elle a supprimé la possibilité pour un
délégué membre de droit du collège électoral
au titre de deux mandats d'être remplacé, minorant ainsi la
représentation de certaines communes, ou réduisant encore plus
l'influence déjà laminée des conseils
généraux et régionaux
(articles 1
er
bis B et 18).
2. L'élection des sénateurs
L'Assemblée nationale a rétabli les dispositions
du
projet de loi initial limitant l'application du mode de
scrutin majoritaire
pour l'élection des sénateurs aux départements comptant
jusqu'à 2 sénateurs
et étendant celle du scrutin
proportionnel à tous les autres départements, soit près de
70 % des sièges, en l'état actuel de la répartition
des sièges entre les départements (articles 5 et 6).
La proportion des sièges concernés par l'un ou l'autre des modes
de scrutin serait inversée par rapport à la situation actuelle
(32 % des sièges attribués à la représentation
proportionnelle).
Ce faisant, elle a donc écarté la proposition plus
équilibrée du Sénat (seuil d'application de la
proportionnelle à partir de 4 sièges) qui permettrait
à environ la moitié de la population d'être
représentée selon chacun des modes de scrutin (55% des
sièges attribués au scrutin majoritaire).
Or il s'agit là d'une innovation majeure en ce qui concerne la vie
politique de notre pays.
D'une part elle va mettre de fait la plupart des sénateurs dans une plus
grande dépendance des partis.
D'autre part elle réduit encore la possibilité de voir le
Parlement s'enrichir de la présence de personnalités
indépendantes élues sur leurs qualités propres, qu'il est
d'ailleurs plus facile de repérer dans les départements ruraux
que dans ceux plus peuplés.
L'argument d'équilibre développé au Sénat en
première lecture garde toute sa force par rapport à celui que
l'on peut qualifier de simpliste de la primauté de la proportionnelle
"chaque fois et aussi loin qu'il est possible"
.
3. Dispositions diverses
L'Assemblée nationale a confirmé les dispositions de caractère plus technique adoptée par le Sénat en première lecture, concernant la présentation de deux candidats de plus que de sièges à pourvoir pour les élections se déroulant au scrutin proportionnel, un aménagement du délai de dépôt des candidatures, une obligation de déclaration de candidature au second tour, un aménagement du calendrier des opérations préparatoires à l'élection et l'émargement de la liste électorale par le grand électeur au moment de son vote.
4. Le financement des campagnes
Enfin,
l'Assemblée nationale a
inclus
les élections
sénatoriales dans
le dispositif relatif au financement des
campagnes électorales
(article 1
er
A).
Un
plafond de dépenses électorales
exposées par
les
candidats ou pour leur compte dans l'année
précédant le scrutin, autres que celles directement prises en
charge par l'Etat, serait institué et
fixé uniformément
à 100.000 F
(par candidat dans les départements comptant
un ou deux sénateurs et à la même somme par liste dans les
autres départements), alors que pour les autres élections, le
plafond varie en fonction de la population.
Les autres dispositions sur la
transparence financière
des
comptes de campagne (tenue et présentation des comptes par un mandataire
financier, régime juridique et fiscal des dons...)
seraient
également transposées
aux élections
sénatoriales.
En revanche, le
remboursement forfaitaire
par l'Etat des dépenses
de campagne engagées par le candidat ou pour son compte dans la limite
de 50 % du plafond, prévu pour les autres scrutins,
ne serait
pas ouvert aux candidats aux élections sénatoriales
. (!) Il
s'agit pourtant du corollaire traditionnel et considéré comme
facteur d'égalité....
Par ailleurs, la sanction
d'inéligibilité
, en cas de
manquement aux règles sur la transparence, ne serait pas prévue,
celle-ci relevant d'ailleurs d'une loi organique.