EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est appelé, dans le cadre normal de la procédure
parlementaire, à réexaminer le projet de loi relatif à
l'élection des sénateurs.
Le Sénat considère depuis longtemps que les évolutions
démographiques de la France depuis 40 ans, en particulier son
urbanisation, justifie une adaptation des modalités de l'élection
de ses membres.
Une analyse approfondie a été menée en son sein depuis
plusieurs années déjà, et avait débouché sur
toute une série de propositions de lois
dont plusieurs de ses
membres avaient pris l'initiative avant même le dépôt du
projet de loi du Gouvernement, lequel revient en deuxième lecture devant
la Haute Assemblée.
La Constitution précisant les attributions des assemblées et leur
place dans les institutions qui n'est pas identique,
le choix des
règles électorales ne peut être opéré
indépendamment des fonctions ainsi attribuées à chaque
organe représentatif, ce qui impose des bases particulières et
différentes pour l'élection des députés et des
sénateurs du fait de leurs responsabilités respectives.
En effet, l'existence du Gouvernement est conditionnée par une
majorité à l'Assemblée nationale, devant laquelle il est
responsable et à qui le " dernier mot " peut être
donné en matière législative en cas de désaccord
persistant entre les deux assemblées (sauf pour les projets de lois
constitutionnelles ou organiques relatifs au Sénat).
L'Assemblée nationale, contribuant de façon déterminante
aux orientations de la politique du pays, doit donc être élue sur
des "
bases essentiellement démographiques
", selon la
formule du Conseil Constitutionnel. L'expérience en a stabilisé
le mode de scrutin majoritaire comme étant le plus apte à
dégager une majorité de Gouvernement.
En revanche, le Sénat peut, sans affecter le fonctionnement normal des
institutions, avoir une majorité politique différente, voire
même se répartir d'une manière originale dans son mode de
raisonnement et de vote (ce fut et ce peut être encore le lieu où
peuvent se dégager des "Majorités d'idées" chères
au Président Edgar FAURE)
Le principe "
essentiellement démographiques
" ne s'impose donc pas
de la même manière et avec la même rigueur au Sénat
dont le régime électoral doit, certes, comporter cette
référence constitutionnelle
1(
*
)
mais au sein d'un mode de scrutin
susceptible de traduire l'apport que constitue la manière
rapprochée dont notre peuple exerce sa souveraineté : la gestion
des collectivités locales. L'article 3 de la Constitution ne
caractérise pas aussi simplement qu'une analyse sommaire pourrait le
faire penser la responsabilité des représentants du peuple
souverain.
Le Sénat, qui doit représenter les collectivités
territoriales comme le prescrit l'article 24 de la Constitution, doit le
faire non de manière formelle mais de façon authentique, en
reflétant la réalité si diverse de toutes les communes de
France, des moins peuplées aux plus peuplées, et c'est
l'expérience qu'acquièrent leurs élus dans l'exercice de
leurs responsabilités qui doit apporter une contribution
déterminante au travail parlementaire tant législatif que de
contrôle du Gouvernement
La richesse potentielle de cet apport n'est pas exclusivement liée
à l'importance de la population de la commune. Elle découle aussi
du rôle plus ou moins important de structuration spatiale,
économique et sociale qu'elle a par rapport à son environnement
ou de la capacité de maintien d'une originalité de vie face
à des métropoles voisines envahissantes voire dominatrices.
C'est d'ailleurs la raison, pour ne prendre que cet exemple, de l'interdiction
faite à toute commune, même représentant plus de la
moitié de la population d'une communauté de communes, d'y obtenir
la majorité des sièges au Conseil.
Votre rapporteur a illustré, en première lecture,
l'intérêt et l'efficacité de "
l'autre
regard
", celui du Sénat, par lequel il joue un
rôle
de modérateur
et de stabilisateur
, rôle facilité
par son élection au suffrage universel indirect par les élus
locaux. Qui peut dire sans crainte qu'aucune dérive de nos institutions
fondamentales n'aurait pu se produire sans l'amortisseur que constitue le
Sénat face aux modes ou émotions, si légitimes
soient-elles, nées de l'instant et du circonstanciel ?
Le Sénat trouve le moyen d'exercer sa spécificité dans les
institutions par l'originalité de son
recrutement, appuyé sur
la démocratie locale
, dont le fondement se trouve renforcé
par la décentralisation.
Le fonctionnement des Institutions ne nécessitant nullement l'existence
d'une majorité de gouvernement au Sénat, tous ses membres ne sont
pas élus au scrutin majoritaire,
la pluralité de ses
régimes électoraux contribuant à l'enrichissement de sa
représentativité
.
Les sénateurs élus au scrutin majoritaire, plus proches de leurs
électeurs et plus indépendants des partis, siègent donc
avec des sénateurs élus au scrutin proportionnel dans les parties
du territoire les plus urbanisées, où les élections
municipales sont plus politisées.
Si l'évolution démographique peut conduire à une
modification de la répartition entre les sièges pourvus selon
l'un ou l'autre des modes de scrutin, encore convient-il de maintenir un
certain équilibre entre eux, précisément pour conserver la
richesse de la représentation du Sénat.
En tout état de cause, le principe d'égalité du
suffrage, prescrit par l'article 3 de la Constitution,
certes
applicable aux élections sénatoriales
,
doit être
combiné avec d'autres principes constitutionnels, comme ceux de
l'article 24 de la Constitution (représentation des
collectivités territoriales par le Sénat) et de son
article 72 (égalité des collectivités
territoriales).
Aussi,
ce principe d'égalité s'applique-t-il d'abord aux
collectivités elles-mêmes, afin d'assurer une
représentation équilibrée du territoire
,
nécessaire à la poursuite d'une décentralisation
authentique et d'une véritable politique d'aménagement du
territoire.
Le choix d'une représentation qui s'enracine dans la
démocratie locale ne saurait sans volonté de caricature
être assimilé à un mode de scrutin dont la seule
caractéristique serait d'être archaïque.
C'est à ces conditions que le Sénat conservera sa place propre et
appréciée dans les institutions, et non par un rapprochement de
ses principes d'élection sur ceux de l'Assemblée nationale.
Telle a été, en deuxième lecture comme en première
lecture, la préoccupation principale de votre rapporteur qui a tenu
à mesurer le plus précisément possible l'impact des
dispositions proposées, au plan national, mais aussi département
par département (voir ci-après et annexes).
I. LA POSITION DU SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE : ADAPTER LE RÉGIME ÉLECTORAL DU SÉNAT AUX ÉVOLUTIONS DÉMOGRAPHIQUES SANS REMETTRE EN CAUSE SA PLACE DANS LES INSTITUTIONS
Loin
de s'opposer par principe à toute réforme, le Sénat a
considéré que les évolutions démographiques de la
France depuis 40 ans, en particulier son urbanisation, justifiaient une
adaptation de son régime électoral.
Après analyse approfondie, le Sénat a donc adopté des
propositions dont plusieurs de ses membres avaient pris l'initiative avant
même le dépôt du projet de loi du Gouvernement.
Il a considéré que
le choix des règles
électorales ne pouvait être opéré
indépendamment de la fonction attribuée à l'organe
représentatif, ce qui exclut l'élection des sénateurs sur
des bases identiques à celles des députés
, les
attributions des assemblées et leur place dans les institutions
n'étant pas identiques.
Ces différences ont déjà été
évoquées dans le préambule du présent rapport. Il
convient d'en approfondir les implications.
C'est dans cet esprit que le Sénat n'a pas souhaité rapprocher
les principes d'élection des sénateurs de ceux des
députés, ce à quoi tend le projet de loi initial en fixant
la composition du collège électoral sénatorial sur des
bases uniformes et exclusivement démographiques (un
délégué du conseil municipal par tranche de
500 habitants).
Un tel rapprochement ne pourrait se justifier que si, parallèlement, les
missions des assemblées étaient elles-mêmes
rapprochées, ce que nul ne propose.
Le Sénat a considéré que la transformation du
Sénat en " Assemblée nationale
bis
" -qui
pourrait résulter de l'adoption du projet de loi- remettrait ni plus ni
moins en cause l'intérêt du bicamérisme lui-même.
L'Assemblée nationale, contribuant de façon déterminante
aux orientations de la politique du pays, doit donc être élue sur
des "
bases essentiellement démographiques
", selon la
formule du Conseil constitutionnel
2(
*
)
et avec un mode de scrutin susceptible
de permettre l'émergence d'une majorité stable de gouvernement.
De pareilles caractéristiques ne s'imposent pas d'une manière
comparable au Sénat dont le régime électoral comporte
certes une base démographique, mais doit d'abord et avant tout
représenter les collectivités territoriales elles-mêmes, la
population étant alors représentée à travers ces
collectivités.
Le Sénat doit représenter les collectivités
territoriales de façon authentique en reflétant de manière
significative toutes les communes de France pour apporter sa contribution,
déterminante, au travail législatif et de contrôle du
Parlement.
La composition du collège électoral sénatorial, pour
permettre aux communes les moins peuplées de peser d'un poids suffisant,
intègre donc une pondération favorable aux communes les moins
peuplées qui ne doit pas être effacée, même si elle
doit être aménagée en fonction de l'évolution
démographique du pays, contrairement à ce que propose le projet
de loi en retenant un critère exclusivement démographique
(représentation uniforme des conseils municipaux,
déterminée uniquement en fonction de la population).
Les propositions de loi sénatoriales comme le texte adopté en
première lecture par la Haute Assemblée cherchaient
précisément à éviter cette erreur.
En effet, si le principe d'égalité du suffrage, prescrit par
l'article 3 de la Constitution est
certes applicable aux
élections sénatoriales, ce principe d'égalité
s'applique en la matière aux collectivités elles-mêmes. Il
faut donc raisonner par observation simultanée et combinée des
principes constitutionnels de l'article 3 (égalité du
suffrage), comme de l'article 24 (représentation des
collectivités territoriales par le Sénat) et de l'article 72
(égalité des collectivités territoriales).
Il est possible ainsi de surcroît d'assurer une représentation
équilibrée du maillage du territoire
, nécessaire
à la poursuite d'une décentralisation authentiquement
vécue ainsi que d'une véritable politique d'aménagement du
territoire.
En conséquence, le Sénat a refusé la composition du
collège électoral sénatorial sur des bases exclusivement
démographiques, comme le proposait le projet de loi, alors que
l'Assemblée nationale est élue sur des bases essentiellement
démographiques.
Ouvert à un aménagement de son régime électoral
pour tenir compte de l'urbanisation du pays,
le Sénat a
abaissé de 30.000 habitants à 9.000 habitants le seuil
à partir duquel les communes disposeraient de
délégués supplémentaires, à raison d'un
délégué par tranche de 700 habitants (au lieu de
1.000) en sus de 9.000 habitants
.
Cette proposition, qui entraînerait une progression raisonnable de la
proportion des délégués n'appartenant pas aux conseils
municipaux (de 8 % à 19 %), permettrait d'améliorer la
représentation des villes de plus de 30.000 habitants, et dans une
moindre mesure, de celles entre 9.000 et 30.000 habitants (dont la
participation aux collèges électoraux correspondrait à
leur place dans la population), tout en contenant la baisse du poids relatif
des petites communes.
Le Sénat a en outre décidé de
maintenir les modes de
scrutin en vigueur pour l'élection des délégués des
conseils municipaux
et d'abaisser de cinq à quatre
sièges
(au lieu de trois sièges dans le projet de loi)
le seuil à partir duquel serait appliqué
le mode de scrutin
proportionnel pour l'élection des sénateurs
, afin d'assurer
un
équilibre
entre les deux modes de scrutin,
aussi bien en
nombre de sièges qu'en termes de population
représentée
.
Enfin, comme le prévoyait le projet de loi initial, le Sénat a
décidé de généraliser la possibilité de
vote par procuration
pour l'élection des
délégués des conseils municipaux, de prévoir, dans
les départements soumis au scrutin proportionnel, que
chaque liste
comporte au moins deux noms de plus qu'il y a de sièges à
pourvoir
, d'aménager les conditions de présentation des
candidatures au premier et au deuxième tour et d'instituer
l'émargement
de la liste électorale par les grands
électeurs.