B. UNE POLITIQUE DE RÉTABLISSEMENT DE L'ETAT DE DROIT PROGRESSIVEMENT REJETÉE PAR LA POPULATION CORSE

Les circonstances de la prise de fonction du préfet Bonnet, le 13 février 1998, soit une semaine après l'assassinat de son prédécesseur en Corse, ainsi que les instructions alors reçues par les plus hautes autorités de l'Etat, le conduisent légitimement à adopter une attitude très ferme.

Cette fermeté s'exerce dans tous les domaines de son action, et produit d'abord des résultats indéniablement positifs. Cependant, la concentration des pouvoirs au sein d'un cercle étroit d'hommes qu'il a lui-même choisis, comme la dégradation de ses relations avec les responsables politiques et judiciaires de l'île, ainsi que l'isolement né de son style d'autorité, suscitent des réticences de plus en plus importantes au sein de la population et des élus locaux. Après les élections territoriales 64 ( * ) du mois de mars 1999 -les précédentes avaient été annulées par le Conseil d'Etat-, qui traduisent une forte progression des listes nationalistes, l'action du préfet va se concentrer sur l'application des décisions de justice concernant diverses constructions implantées illégalement sur le domaine public maritime.

1. Une nécessaire action de redressement

Convaincu que, selon ses propres termes « l'application de la loi est le fondement de toute politique de sécurité », le préfet Bonnet va s'appuyer sur les différentes missions d'inspection envoyées de Paris, renforcer le contrôle de légalité, et utiliser d'une manière inédite et répétée l'article 40 du code de procédure pénale.

a) L'application rigoureuse de la loi en matière d'utilisation des fonds publics

Plusieurs responsables préfectoraux ont fait observer, devant la commission, que l'inégale situation des Corses devant la loi engendrait un fort sentiment d'injustice et alimentait l'incivisme quotidien : pourquoi le citoyen corse paierait-il ses impôts ou ses contraventions, alors que l'actualité de l'île illustre l'impunité dont jouissent certains délinquants, dirigeants nationalistes et notables de l'île?

(1) L'intervention des inspections

Plusieurs inspections (IGF, IGAS...) ont été effectuées dans de nombreuses structures dont la mauvaise gestion avait été relevée par le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur l'utilisation des fonds publics en Corse, présidée par Jean Glavany. Ainsi le Crédit Agricole, les chambres régionale et départementales de l'agriculture, la Mutualité sociale agricole, la Caisse d'Allocations familiales, la Caisse de Développement économique (CADEC) ont-elles fait l'objet de contrôles, aboutissant le plus souvent à une procédure judiciaire.

(2) Le renforcement du contrôle de légalité

Déjà entrepris par le préfet Erignac, ce contrôle a été renforcé par son successeur : les déférés sont passés en Corse-du-Sud, de 35 en 1997 à 130 en 1998 tandis que la passation des marchés publics a fait également l'objet d'une surveillance plus étroite.

b) La réaction contre certaines complaisances
(1) La détention d'armes

S'agissant de la détention illégale et du port d'armes, un responsable préfectoral a rapporté à la commission l'exemple suivant : « en 1990, un terroriste est interpellé par une patrouille de CRS et conduit au commissariat d'Ajaccio. Là, il exhibe un carnet d'adresses mentionnant le nom d'un préfet. Aussitôt libéré, et son arme rendue, il la recharge à la porte du commissariat » .

De 1996 à 1998, le nombre de constatations de port et détention d'armes prohibées a chuté en Corse de 210 à 182, alors que l'augmentation de ces délits au plan national était de près de 12 %.

La société Bastia Sécurita , qualifiée par le rapport Glavany d' « officine sociale de la Cuncolta, et n'employant que des nationalistes patentés », s'est progressivement imposée comme la seule entreprise « fiable » sur le marché des transports de fonds en Corse. Elle pratiquait, de ce fait, des tarifs exorbitants et finançaient le FLNC-Canal historique, François Santoni en étant d'ailleurs le directeur commercial.

Des perquisitions ont été menées, en octobre 1998, dans les trois agences principales de la société qui ont conduit le préfet de Haute-Corse à en suspendre les activités en janvier 1999. La société sera ultérieurement dissoute, en dépit d'un ultime chantage à l'emploi tenté par ses salariés.

* 64 Liste nationaliste conduite par M. Talamoni : 16,76 % des voix, et 8 sièges (contre 5 en 1998).

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