5. L'arrestation de certains des assassins présumés du préfet Erignac

a) Une arrestation bienvenue

Le mercredi 19 mai 1999, les présidents des trois groupes de l'opposition déposent à l'Assemblée nationale une motion de censure qui doit faire l'objet d'une discussion le mardi 25 mai, à l'issue du week-end de la Pentecôte. Le vendredi 21 mai, le préfet Bonnet doit être entendu par le juge Cambérou en charge de l'instruction de l'affaire des paillotes. C'est dans ce contexte qu'interviennent les interpellations successives de Mathieu Filidori, le mercredi 19 mai, puis, le vendredi 21 mai, de certains membres présumés du commando ayant abattu le préfet Erignac.

Devant la commission, les enquêteurs et les juges ont réfuté la thèse selon laquelle le dépôt de la motion de censure aurait pu avoir une incidence quelconque sur le déclenchement de l'opération. Un très haut fonctionnaire de la police nationale, interrogé sur cet « heureux concours de circonstances », s'est indigné, estimant ce propos « blessant ».

Votre commission estime cependant vraisemblable qu'il y ait eu précipitation dans les interpellations . Apparemment, les enquêteurs ne disposaient en effet d'aucun élément nouveau à l'encontre de Mathieu Filidori qui, soupçonné d'avoir rédigé les textes de revendication des attentats de Strasbourg, Vichy et Pietrosella, avait déjà été mis en examen et incarcéré en juin 1998, dans le cadre de l'information judiciaire n° 1337, en marge de l'affaire Erignac, pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, et libéré par la chambre d'accusation le 10 novembre 1998.

Le vendredi 21 mai, neuf personnes sont appréhendées, à savoir Alain Ferrandi, Pierre Alessandri, Didier Maranelli et Marcel Istria, ainsi que trois de leurs compagnes et deux autres militants nationalistes. Les principaux suspects sont ensuite conduits dans les locaux de la DNAT, rue des Saussaies à Paris.

Les enquêteurs obtiendront les aveux de trois des personnes gardées à vue en faisant tomber leurs alibis. Ils s'appuieront pour cela sur les communications passées de téléphone portable à téléphone portable dans les instants qui ont précédé l'assassinat, entre un portable localisé à proximité de la préfecture et un autre dans le secteur de l'assassinat, sachant que l'un de ces appareils avait pour utilisateur Alain Ferrandi, déjà sous surveillance policière depuis le mois de décembre 1998.

A la suite de l'assassinat du préfet, la DNAT avait en effet fait bloquer les facturations émises par les diverses sociétés sous-traitantes des opérateurs de téléphones portables, permettant ainsi la reconstitution du trafic téléphonique.

Les enquêteurs ont souligné le caractère long et minutieux de cette reconstitution, compliquée par le fait que les portables étaient au nom de personnes morales. Une personne entendue par la commission a cependant mis en doute les diligences réellement effectuées à cet égard, estimant qu'« on ne met pas quinze mois » pour exploiter des listes de communications téléphoniques. Le préfet Bonnet, pour sa part, a considéré que « les portables ont été la présentation technologique d'une enquête qui, en réalité, repose exclusivement sur les renseignements qui ont été communiqués dans mes notes ».

Compte tenu de ces informations, la commission, tout en se félicitant de l'élucidation de l'affaire, ne peut s'empêcher de soulever des interrogations sur la motivation réelle du choix de la date de déclenchement des opérations d'interpellation des suspects.

b) Le « loupé » de la fuite d'Yvan Colonna

Dans la nuit du vendredi au samedi, la compagne de Didier Maranelli reconnaît avoir fourni un faux alibi à son compagnon. Les aveux de Maranelli interviennent dans la nuit du samedi au dimanche. Il donne alors le nom des membres du commando, et il désigne Yvan Colonna comme l'assassin du préfet. L'interpellation d'Yvan Colonna, et de deux autres membres présumés du commando est alors décidée pour le dimanche matin.

Or, le 23 mai au matin, si la DNAT interpelle effectivement Joseph Versini et Martin Ottavioni, Yvan Colonna est selon les dires de son frère « parti aux chèvres » quand les policiers se présentent dans son village à Cargèse. Depuis, il est en fuite.

Un juge chargé de l'instruction a admis devant la commission que la fuite d'Yvan Colonna était un « loupé ».

Il est en effet inexplicable que son interpellation n'ait pas été décidée plus tôt , ne serait-ce que le samedi .

Les frères Colonna, Yvan et Stéphane, avaient fait l'objet de surveillance de la part du RAID et des renseignements généraux. La police pensait donc à une implication possible de leur part.

Les enquêteurs affirment qu'ils n'avaient aucune charge réelle contre Yvan Colonna au moment de la première vague d'interpellations, le vendredi 21 mai. Il n'était en effet pas concerné par le trafic de téléphone portable.

Mais dans la nuit du vendredi au samedi, la compagne de Didier Maranelli a précisé qu'Yvan Colonna était venu boire un café avec son compagnon le lendemain même de l'assassinat. M. Roger Marion, et le juge Laurence Le Vert qui suit sur place les interrogatoires, ne jugent pas opportun d'interpeller Yvan Colonna à ce moment là, mais Roger Marion, conscient d'être en présence d'un « indice », demande aux renseignements généraux de « resserrer le dispositif » sur lui.

Le Journal Le Monde publié le samedi après-midi, apparemment plus au fait que les enquêteurs, cite « d'autres figures qui n'ont pas été inquiétées » dans l'entourage de Alain Ferrandi, dont les frères Colonna.

Le samedi après-midi, à Cargèse, Yvan Colonna proteste de son innocence devant les caméra de TF 1. Le reportage est diffusé au journal de 20 heures.

Le dimanche matin, quand les policiers de la DNAT, conduits par les renseignements généraux viennent l'arrêter, Yvan Colonna s'est enfuit.

Devant la commission, M. Roger Marion a estimé que les charges pesant sur Yvan Colonna étaient trop faibles pour envisager son interpellation avant que son nom ait été livré par Didier Maranelli.

Il semble cependant que le manque d'effectifs disponibles à la DNAT pour conduire les interrogatoires ait pu contribuer à différer l'interpellation. M. Roger Marion a indiqué à la commission que les personnels de la DNAT étaient répartis pendant le week-end de la Pentecôte entre la Corse, où ils avaient pour mission de vérifier les alibis et de procéder à d'éventuelles nouvelles arrestations, et les locaux du service à Paris, où se déroulaient des interrogatoires. Pour préserver le secret de l'opération, le SRPJ local et le RAID n'y ont en effet aucunement été associés, ainsi que ces services l'ont affirmé à la commission.

La commission ne peut, en tout état de cause, que partager l'avis d'un juge d'instruction parisien estimant que « l'on aurait pu ratisser un peu plus large à la fin, surtout que certains avaient ratissé très large auparavant ».

c) La mise en cause du service des renseignements généraux par M. Roger Marion

M. Roger Marion a mis en cause devant la commission l'efficacité des renseignements généraux à qui il avait demandé de « resserrer le dispositif » autour d'Yvan Colonna : « Croyez-vous que les renseignements généraux, qui surveillent les frères Colonna depuis deux mois, sont capables de dire dans quelle maison précise a dormi Yvan Colonna cette nuit là après sa conférence de presse et s'il a dormi dans une maison ? ».

Le responsable local d'un autre service de police a cependant insisté devant la commission sur la difficulté de la tâche impartie aux renseignements généraux : « A Cargèse, surveiller quelqu'un sans se faire remarquer est très difficile. C'est un tout petit village, dans une zone plutôt hostile aux services de sécurité. Surveiller quelqu'un qui se sait surveillé et qui s'attend à être interpellé est impossible ! Il faut presque faire de la protection rapprochée et suivre la personne pas à pas ! Autant l'arrêter tout de suite ! ».

Devant la commission d'enquête, au delà de la mise en cause de leur efficacité, M. Roger Marion a accusé les renseignements généraux d'avoir prévenu Yvan Colonna de la surveillance dont il était l'objet. S'il en avait la certitude, pourquoi ne pas avoir saisi la justice ?

Comme il ne l'a pas fait, pourquoi avoir, sous serment, et à l'issue d'échanges particulièrement vifs avec les commissaires du Sénat, mis en cause aussi gravement un autre service de police devant la commission ? 61 ( * )

Pour sa part, M. Démétrius Dragacci a affirmé devant la commission que M. Roger Marion avait essayé d'accréditer l'idée qu'il serait en partie responsable de la fuite d'Yvan Colonna en soulignant les liens de ce dernier avec « le cousin d'un ancien responsable de la police en Corse » 62 ( * ) .

Quoiqu'il en soit, et au delà de ces mises en causes que la commission juge quelque peu nauséabondes, le succès de l'enquête apparaît considérablement terni par la fuite de l'assassin du préfet Erignac .

* 61 Voir annexe n° 1

* 62 Cette version semble avoir été développée devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale .

Page mise à jour le

Partager cette page