EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale, portant
sur diverses professions relevant du ministère de la justice, la
procédure civile et le droit comptable
1(
*
)
, qui est aujourd'hui soumise au
Sénat, n'a plus qu'un lointain rapport avec la proposition de loi
présentée à l'origine par M. Gérard Gouzes
2(
*
)
, qui avait pour seul objet de
procéder à une clarification du texte de la loi du
31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de
sociétés des professions libérales, s'agissant de la
possibilité pour les professionnels libéraux de constituer des
sociétés d'exercice libéral (SEL) sous la forme de
société unipersonnelle à responsabilité
limitée.
En effet, les dispositions de l'article unique du texte initial ont depuis lors
été intégrées au sein de la loi du
23 juin 1999 renforçant l'efficacité de la
procédure pénale, ce qui a conduit l'Assemblée nationale
à supprimer l'
article 1
er
de la proposition de
loi. En revanche, celle-ci a été considérablement enrichie
au cours de son examen par l'Assemblée nationale, qui y a
inséré d'importantes dispositions relatives aux émoluments
perçus par les huissiers en matière de recouvrement de
créances, ainsi que diverses autres dispositions au caractère
quelque peu hétéroclite.
I. LES DISPOSITIONS RELATIVES AUX ÉMOLUMENTS PERÇUS PAR LES HUISSIERS DE JUSTICE EN MATIÈRE DE RECOUVREMENT DE CRÉANCES
Par
exception au principe général selon lequel les frais de
l'exécution forcée sont à la charge du débiteur,
l'
article 2
de la proposition de loi prévoit la
possibilité de mettre à la charge du créancier une partie
de ces frais, dans des conditions fixées par décret en Conseil
d'Etat.
Cette disposition a pour objet de permettre le rétablissement de la
perception par les huissiers d'un droit proportionnel de recouvrement à
la charge des créanciers. Ce droit avait été
instauré par les articles 10 à 12 du décret du
12 décembre 1996 portant fixation du tarif des huissiers, mais
ceux-ci ont récemment été annulés par un
arrêt du Conseil d'Etat daté du 5 mai 1999.
1. Le régime de rémunération des huissiers de justice résultant du décret du 12 décembre 1996
En
application de l'article premier de l'ordonnance n° 45-2592 du
2 novembre 1945 relative au statut des huissiers de justice, ainsi
que de l'article 18 de la loi n° 91-650 du
9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles
d'exécution, les huissiers de justice ont le monopole de
l'exécution forcée des décisions de justice et autres
titres exécutoires ; ils peuvent en outre procéder au
recouvrement amiable de toutes créances, sans toutefois jouir d'un
monopole en cette matière.
Selon l'article 32 de la loi du 9 juillet 1991
précitée, les frais de l'exécution forcée sont en
principe à la charge du débiteur, tandis que les frais de
recouvrement amiable (c'est-à-dire entrepris sans titre
exécutoire) restent à la charge du créancier.
La rémunération des huissiers de justice, comme celle des autres
officiers publics ou ministériels, résulte d'un tarif fixé
par les pouvoirs publics.
Ce tarif a été réformé par un décret
n° 96-1080 du 12 décembre 1996 qui avait notamment
pour objet de mettre en place un
partage des frais relatifs au recouvrement
forcé des créances entre le débiteur et le
créancier afin d'alléger les charges pesant sur le
débiteur
. Selon la Chancellerie, cette réforme n'a pas
entraîné de hausse de la rémunération globale des
huissiers.
Le régime de rémunération des huissiers résultant
du décret du 12 décembre 1996 comporte deux principaux
éléments.
• D'une part, l'huissier perçoit des
droits fixes
afférents à chaque acte, requête ou formalité qu'il
effectue (par exemple une signification, une saisie ou un commandement). Ces
droits fixes sont calculés par référence à un taux
de base (actuellement fixé à 10,50 F), le nombre de taux de
base relatif à chaque acte étant affecté le cas
échéant d'un coefficient multiplicateur variant en fonction du
montant de l'obligation pécuniaire relative à cet acte
(articles 6 et 7 du décret). En matière d'exécution
forcée, ils sont à la charge du débiteur.
• D'autre part, l'huissier qui recouvre une créance
perçoit des
droits proportionnels de recouvrement ou
d'encaissement
calculés sur les sommes recouvrées ou
encaissées.
- Le droit proportionnel de recouvrement ou d'encaissement
à la
charge du débiteur
n'est perçu qu'en matière
d'exécution forcée (article 8 du décret). Il est
calculé suivant un barème dégressif s'échelonnant
de 10 % jusqu'à 800 F à 0,3 % au-delà de
10 000 F, avec un plafond fixé à 250 taux de base
(soit 2 625 F).
- Le droit proportionnel de recouvrement ou d'encaissement
à la
charge du créancier
était perçu en matière de
recouvrement amiable comme en matière d'exécution forcée,
en application de l'article 10 du décret
3(
*
)
. D'un montant plus élevé
que celui pesant sur le débiteur, il est également calculé
suivant un barème dégressif, s'échelonnant de 12 %
jusqu'à 800 F à 4 % au-delà de 10.000 F,
avec un plafonnement fixé à 2.000 taux de base (soit
21.000 F).
Ce droit proportionnel à la charge du créancier, qui
n'était dû que si un résultat positif était obtenu
par l'huissier
4(
*
)
, était
exclusif de toute perception d'honoraires libres complémentaires.
Par ailleurs, les personnes morales de droit public délivrant des titres
qualifiés d'exécutoires en étaient
exonérées, en application de l'article 11 du
décret
1
.
En outre, l'huissier a droit à une indemnité de frais de
déplacement, ainsi qu'au remboursement des frais divers qu'il a
engagés. Dans certaines hypothèses, il est autorisé
à percevoir des honoraires libres, soit pour des actes tarifés en
cas d'urgence ou de difficultés particulières, soit pour des
prestations non tarifées (consultations juridiques par exemple).
Au terme de cette analyse rapide du régime tarifaire fixé par le
décret du 12 décembre 1996, il est à souligner
qu'en matière d'exécution forcée, la mise à la
charge du créancier d'un droit proportionnel de recouvrement a
constitué une innovation importante par rapport aux textes tarifaires
antérieurs ; en effet, auparavant la perception de droits mis
à la charge du créancier était limitée aux seuls
cas dans lesquels l'huissier avait au préalable engagé une
procédure de recouvrement amiable et obtenu grâce à ses
diligences la délivrance d'un titre exécutoire
5(
*
)
.
2. L'annulation par le Conseil d'Etat des dispositions du décret du 12 décembre 1996 relatives au droit proportionnel de recouvrement à la charge du créancier
La
légalité des dispositions du décret du
12 décembre 1996 a rapidement été
contestée, notamment par les organismes professionnels
représentant les avocats, qui ont saisi la juridiction administrative de
recours pour excès de pouvoir.
Statuant sur ces recours par un arrêt daté du
5 mai 1999, le Conseil d'Etat a constaté que la perception par
les huissiers d'un droit proportionnel dégressif à la charge des
créanciers, applicable même en cas de recouvrement forcé,
était contraire au
principe posé par l'article 32 de la
loi du 9 juillet 1991
portant réforme des
procédures civiles d'exécution, aux termes duquel "
les
frais de l'exécution forcée sont à la charge du
débiteur, sauf s'il est manifeste qu'ils n'étaient pas
nécessaires au moment où ils ont été
exposés
". En conséquence,
les articles 10
à 12 du décret
, relatifs au droit de recouvrement ou
d'encaissement à la charge du créancier,
ont été
annulés
par cet arrêt.
Depuis lors, les huissiers ne peuvent donc plus percevoir de droits
proportionnels à la charge des créanciers, qu'il s'agisse de
recouvrement forcé ou de recouvrement amiable.
Cette situation a entraîné une baisse importante de leur
rémunération qui représente, selon la Chambre nationale
des huissiers de justice, une minoration de 10 à 15 % des revenus
d'une très grande partie des offices, cette chute des produits
dépassant même 20 % dans certaines études.
3. Les dispositions de la proposition de loi : le rétablissement de la possibilité pour les huissiers de percevoir un droit proportionnel de recouvrement à la charge des créanciers, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, et la validation des droits perçus sur le fondement des dispositions annulées par le Conseil d'Etat
Face
à cette situation, l'
article 2
de la proposition de loi tend
à donner un fondement légal à la perception par les
huissiers d'un droit proportionnel de recouvrement à la charge des
créanciers. A cette fin, il tend à
modifier l'article 32
de la loi du 9 juillet 1991
précitée en
prévoyant, par exception au principe général de mise
à la charge du débiteur des frais de l'exécution
forcée, la possibilité de mettre partiellement à la charge
du créancier les droits proportionnels de recouvrement ou
d'encaissement, dans des conditions fixées par décret en Conseil
d'Etat.
Le Gouvernement a d'ores et déjà préparé un
avant-projet de décret
destiné à fixer ces
conditions.
Selon les informations communiquées à votre rapporteur, le
rétablissement du droit proportionnel à la charge du
créancier prévu par cet avant-projet de décret
s'accompagnerait de trois importantes modifications par rapport au
régime antérieurement prévu par le décret du
12 décembre 1996.
- Tout d'abord, la perception de ce droit serait expressément
limitée aux hypothèses où l'huissier est effectivement
mandaté aux fins d'effectuer un recouvrement ou un encaissement.
- Ensuite, le plafond serait sensiblement abaissé, passant de
21.000 F hors taxes à 10.000 F hors taxes, le barème
restant par ailleurs inchangé.
- Enfin, des exonérations seraient prévues au profit de
nouvelles catégories de créanciers.
L'exonération des personnes morales de droit public délivrant des
titres exécutoires, déjà prévue par le
décret du 12 décembre 1996, serait maintenue et
élargie au profit des organismes de droit privé habilités
à délivrer des titres exécutoires (organismes d'assurances
sociales notamment). En outre, seraient également
exonérées les personnes agissant en vertu d'un titre
exécutoire relatif à un litige prud'homal ou à une
créance alimentaire.
Ces différentes modifications auraient pour conséquence de
limiter sensiblement la portée du droit proportionnel susceptible
d'être mis à la charge du créancier, tant en ce qui
concerne son montant (du fait de la réduction de moitié du
plafond) que son champ d'application limité notamment par
l'exonération des créanciers concernés par un contentieux
prud'homal ou alimentaire. Selon la Chancellerie, elles participent de la
volonté de remédier à certains abus ou
inconvénients du système antérieur.
Par ailleurs, l'
article 7
de la proposition de loi tend à
valider les droits proportionnels de recouvrement à la charge des
créanciers perçus par les huissiers sur le fondement des
articles 10 à 12 du décret du
12 décembre 1996, antérieurement à leur
annulation par le Conseil d'Etat le 5 mai dernier.
Une mesure de
validation législative
apparaît en effet
nécessaire pour éviter la multiplication des actions en
répétition de l'indu qui risquerait de générer un
abondant contentieux et une forte insécurité juridique pour les
huissiers. En effet, en l'absence de validation, les créanciers seraient
fondés à réclamer le remboursement des droits
perçus par les huissiers entre l'entrée en vigueur du
décret du 12 décembre 1996 et son annulation partielle
par le Conseil d'Etat.
4. La position de votre commission des Lois : une adoption sans modification des dispositions de la proposition de loi
Il n'a
pas échappé à votre commission que la perception
systématique d'un droit proportionnel de recouvrement pesant sur le
créancier était susceptible de poser des problèmes de
principe en matière d'exécution forcée.
Cependant, consciente des graves difficultés auxquelles sont
actuellement confrontés les huissiers de justice du fait de l'annulation
partielle du décret tarifaire du 12 décembre 1996,
votre commission est soucieuse qu'il leur soit assuré une
rémunération suffisante lorsqu'ils procèdent à un
recouvrement forcé. En effet, il importe qu'ils puissent continuer
à exercer cette mission dans de bonnes conditions pour éviter
d'assister au développement du recours à des
sociétés de recouvrement privées qui n'offrent pas les
mêmes garanties que celles résultant du statut d'officier
ministériel des huissiers de justice.
Cette préoccupation conduit à envisager le rétablissement
de la possibilité d'une perception de droits mis à la charge du
créancier, car il apparaît difficilement envisageable d'alourdir
les droits pesant sur le débiteur, au demeurant fréquemment
insolvable.
En outre, votre commission constate que les modalités actuellement
envisagées par le Gouvernement pour le rétablissement du droit
proportionnel à la charge des créanciers en limitent sensiblement
la portée comparativement au régime antérieurement
fixé par le décret du 12 décembre 1996.
Aussi, soucieuse de permettre un règlement simple et rapide du
problème posé par l'annulation partielle du décret
tarifaire du 12 décembre 1996 et de mettre fin à
l'incertitude dans laquelle se trouvent actuellement plongés les
huissiers de justice, votre commission vous propose-t-elle d'adopter
sans
modification
les
articles 2 et 7
de la présente
proposition de loi.