ANNEXE 3
ETUDE D'IMPACT DU PROJET DE LOI
PROJET
DE LOI RELATIF
À L'ACTION PUBLIQUE EN MATIÈRE PÉNALE
ET
MODIFIANT LE CODE DE PROCÉDURE PÉNALE
- ETUDE D'IMPACT -
I.-
ANALYSE DE L'IMPACT JURIDIQUE ET ADMINISTRATIF
A.-
Législation applicable (état et historique) et
intérêt des solutions retenues
1.-
Les rapports entre le Garde des Sceaux et l'organisation
hiérarchique du ministère public
Conformément aux dispositions de l'article 5 de
l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958
modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature,
les magistrats du Parquet sont placés sous l'autorité du Garde
des Sceaux, ministre de la justice.
En application de cette disposition, l'article 36 du code de
procédure pénale accorde aujourd'hui au Garde des Sceaux non
seulement la faculté de dénoncer au procureur
général territorialement compétent les infractions
à la loi pénale dont il peut avoir connaissance mais
également le pouvoir d'enjoindre à ce magistrat, par instructions
écrites et versées au dossier de la procédure, d'engager
ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction
compétente des réquisitions écrites que lui-même
juge opportunes.
Le Garde des Sceaux, responsable ministériel et donc autorité
publique, se voit par conséquence reconnaître par le droit positif
le droit de donner au ministère public des instructions de toute nature
dans le cadre de procédures particulières.
Certains ont au surplus soutenu la thèse selon laquelle, bien que
l'article 36 du code de procédure pénale ne fasse
expressément référence qu'à des instructions de
poursuites, les dispositions générales de l'article 5 du
statut de la magistrature permettaient au Garde des Sceaux d'adresser aux
parquets des instructions de classement sans suite des procédures
pénales.
Cet état de fait juridique a permis dans le passé des
interventions directes du politique dans des affaires considérées
comme " sensibles ". Certaines d'entre elles,
révélées par les médias à l'opinion
publique, ont indubitablement suscité en son sein, un soupçon
profond à l'égard des responsables publics et des doutes sur le
caractère impartial de leurs instructions.
Le projet de loi proposé aujourd'hui par le Gouvernement permettra de
mettre fin au temps du soupçon et de réhabiliter l'institution
judiciaire dont l'indépendance et l'impartialité ne pourront plus
être contestées.
Ce texte s'inscrit dans une évolution législative constante qui a
tendu à encadrer les interventions du Garde des Sceaux,
représentant de l'exécutif, dans le cheminement des affaires
judiciaires, et à assurer leur publicité et donc leur
transparence.
La loi du 24 janvier 1993 avait ainsi complété l'article 36
du code de procédure pénale afin de préciser que les
instructions du ministre de la justice devaient toujours être
écrites.
Le législateur avait ensuite manifesté sa volonté d'un
surcroît de transparence modifiant à nouveau l'article 36 par
la loi du 24 août 1993, afin de préciser que le ministre de la
justice ne peut enjoindre au procureur général d'engager ou de
faire engager des poursuites que par des instructions non seulement
écrites mais également versées au dossier de la
procédure.
C'est ce texte encore aujourd'hui en vigueur que le présent projet de
loi a l'intention de modifier dans le sens d'une plus grande transparence de
l'intervention ministérielle dans la mise en mouvement ou l'orientation
de l'action publique.
Ainsi, le Garde des Sceaux ne pourra dorénavant plus donner
d'instructions de quelque nature que ce soit dans les dossiers particuliers.
Ses interventions en matière pénale se feront désormais,
d'une part, par l'élaboration et la diffusion des orientations
générales de la politique pénale, d'autre part, par la
possibilité, exceptionnelle et subsidiaire, de mettre lui-même en
mouvement l'action publique.
Afin de donner corps à la volonté du Gouvernement d'agir en
matière judiciaire dans un souci constant de transparence, le Garde des
Sceaux présentera chaque année au Parlement une
déclaration sur sa politique judiciaire, informera la
représentation nationale des orientations générales de
politique pénale qui auront été adressées aux
juridictions et fera connaître aux parlementaires le nombre et la
qualification juridique des infractions pour lesquelles il aura lui-même
mis en mouvement l'action publique.
Le présent projet de texte aura donc un impact important sur le droit
positif actuel puisqu'il modifie profondément, non seulement le texte
même du code de procédure pénale, mais également
l'esprit présidant aux rapports entre le Garde des Sceaux et le
ministère public.
2.-
Rôle des procureurs généraux et des procureurs de la
République
Les dispositions du projet précisant les attributions des procureurs
généraux et des procureurs de la République, notamment en
ce qui concerne la mise en oeuvre des orientations générales de
la politique pénale, sont présentées dans l'exposé
des motifs.
3.-
La motivation des classements sans suite
Le droit positif en vigueur ne crée nulle obligation à la charge
du ministère public de motiver ses décisions de classement sans
suite d'une plainte ou d'une dénonciation. L'article 40 du code de
procédure pénale, dont la rédaction sur ce point date de
la loi du 30 décembre 1985, dispose seulement que le procureur de la
République avise le plaignant du classement de l'affaire ainsi que la
victime lorsque celle-ci est identifiée.
Cependant, de nombreux parquets ont développé depuis plusieurs
années des pratiques de motivation et de notification des classements
sans suite.
L'on comprendra toutefois que le dispositif légal puisse engendrer
frustration et incompréhension chez un justiciable qui se voit notifier
une décision de justice dans pouvoir connaître le motif de
celle-ci.
Aussi, dans un souci de transparence et afin de rapprocher l'institution
judiciaire du justiciable, est-il proposé de créer une obligation
de motivation à la charge du procureur de la République. Celui-ci
fera connaître au justiciable qui lui aura adressé une plainte ou
une dénonciation les raisons de droit et de fait qui l'ont conduit
à prendre une décision de classement.
Ce dispositif, qui ne pourra s'appliquer qu'aux procédures dans
lesquelles une personne est susceptible d'être mise en cause,
reconnaît de fait aux justiciables un droit nouveau.
4.-
Le recours contre les classements sans suite
L'article 40 du code de procédure pénale définit le
pouvoir dit " d'opportunité des poursuites " reconnu au
procureur de la République : ce magistrat reçoit les
plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur
donner. Il peut donc procéder, même lorsque les
éléments constitutifs d'une infraction sont réunis
à leur classement, c'est à dire choisir de ne pas leur donner de
suites pénales s'il l'estime opportun. Son appréciation doit se
fonder notamment sur des considérations relatives à l'ordre
public et à la paix sociale.
Certains ont été amenés à penser, au vu notamment
d'exemples précis ayant défrayé la chronique
médiatique, que ce pouvoir accordé au procureur de la
République était exorbitant. Certains classements ont pu
paraître inspirés plus par un souci de satisfaire aux voeux ou aux
intérêts du pouvoir en place que par une stricte volonté de
préserver l'ordre public ou la paix sociale.
La situation actuelle n'étant manifestement pas satisfaisante car
inspirant le soupçon envers le ministère public, une modification
du droit positif apparaît nécessaire. Il est donc
créée une voie spéciale de recours qui sera ouverte aux
personnes intéressées, à l'exception de tous ceux qui ont
qualité pour se constituer partie civile et qui peuvent donc agir par
voie de dépôt de plainte avec constitution de partie civile ou de
citation directe devant le tribunal correctionnel.
Ce nouveau dispositif permettra sans nul doute d'éviter ou, tout au
moins, de limiter le risque qu'une erreur manifeste d'appréciation ou un
choix de complaisance ne conduise à un deni de justice ou à une
absence coupable d'application de la loi pénale.
5.-
Le contrôle de l'autorité judiciaire sur la police
judiciaire
Les articles 12 et 41 du code de procédure pénale disposent
respectivement que la police judiciaire est exercée sous la direction du
procureur de la République et que celui-ci dirige l'activité des
officiers et agents de la police judiciaire dans le ressort de son tribunal.
Néanmoins, malgré la clarté des textes qui fondent le
contrôle de l'autorité judiciaire sur les activités de
police judiciaire, il est apparu que ledit contrôle avait parfois pour
des motifs de nature différente, des difficultés à
s'exercer.
Aussi est-il introduit dans le code de procédure pénale un
certain nombre de dispositions qui viennent compléter les
articles 12 et 41 et précisent, d'une part l'étendue du
pouvoir de contrôle du procureur de la République et d'autre part,
les obligations à la charge des officiers de police judiciaire.
B.-
Impact au regard de l'objectif de simplification
administrative
Le présent projet de texte aboutit de fait à un certain
renforcement de la complexité administrative, à rebours de
l'objectif de simplification recherchée en la matière, puisqu'il
amène la création d'une nouvelle commission -la commission des
recours- chargée d'examiner la recevabilité des recours
exercés par des justiciables contre les classements sans suite.
Les objectifs de la réforme exigent toutefois la création de ces
commissions.
Il convient en outre d'observer que ces commissions seront composées de
magistrats du Parquet des cours d'appel, et qu'il appartient d'ores et
déjà aux procureurs généraux d'examiner les
contestations qui pourraient leur être adressées par des
justiciables estimant non justifiée une décision de classement
sans suite prise par un procureur de la République, même si cette
possibilité est peu usitée en pratique.
II-
IMPACT SOCIAL, ECONOMIQUE ET BUDGÉTAIRE
A.-
Impact des dispositions sur la société au regard des
principes démocratiques et républicains
1.-
Les rapports entre le garde des sceaux et l'organisation
hiérarchique du ministère public
Les nouveaux rapports entre le garde des sceaux et l'organisation
hiérarchique du ministère public tels qu'ils sont définis
par le projet de loi sont fondés sur le respect des principes de
légitimité et de transparence, ce qui renforcera la confiance des
justiciables dans l'institution judiciaire.
2.-
La motivation des classements sans suite
L'obligation de motiver les classements sans suite, outre le fait qu'elle
correspond à une évolution constante qui a touché depuis
un certain temps l'ensemble des pratiques de l'administration, donnera un
surcroît de légitimité aux décisions du Parquet.
Une décision dont le justiciable connaît et comprend les
fondements est plus facilement acceptée. Cette mesure accroît la
transparence de l'action du ministère public et renforce ainsi
crédibilité et sa légitimité et satisfait ainsi aux
exigences d'une société démocratique.
3.- L
es recours contre les classements sans suite
Les dispositions du projet de loi en la matière devront permettre
d'éviter que des erreurs manifestes d'appréciation des magistrats
du ministère public ou des choix contestables inspirés par des
motifs inavouables ne conduisent à des dénis de justice ou
à des absences coupables d'application de la loi pénale.
Quoiqu'il en soit, la création d'une voie de recours contre les
décisions de classement du ministère public, qui évoque
d'une certaine manière la règle du double degré de
juridiction et permet donc un nouvel examen d'une situation donnée,
apparaît comme un progrès de nature démocratique, qu'il
soit considéré en terme de droits nouveaux accordés aux
citoyens ou perçu comme un nouvel instrument de contrôle de
l'activité d'une autorité étatique.
4.-
Le renforcement du contrôle de la police judiciaire sur
l'autorité judiciaire
L'activité de police judiciaire, faisant courir par nature des risques
aux libertés fondamentales, doit être étroitement
dirigée, surveillée et contrôlée par les magistrats
de l'ordre judiciaire, institués gardiens des libertés
individuelles par l'article 66 de la Constitution.
Un renforcement du contrôle de la police judiciaire par l'autorité
judiciaire s'inscrit donc naturellement dans une perspective d'application plus
ferme des principes démocratiques et républicains.
B.-
Effets micro-économiques et macro-économiques du projet
de loi
Néant.
C.-
Conséquences budgétaires du projet de loi
1) Le rôle accru des procureurs généraux n'augmentera pas
la charge globale de leur travail, mais rendra nécessaire, dans chaque
Parquet général, la présence d'un secrétaire
général qui leur permettra d'utiliser des instruments de
contrôle des politiques pénales dans leur ressort.
Il conviendra donc de créer 35 postes de secrétaires
généraux.
2) La motivation des classements sans suite
En 1995, 1 145 291 classement sans suite concernaient des
procédures dans lesquelles l'auteur était connu.
Il est estimé que dans 30 % de ces affaires, il n'y a pas de
victimes (par exemple infractions à la réglementation technique,
violation des règles du code de la route sans victime...).
La motivation des classements sans suite ne concernerait donc que 801 704
procédures.
30 minutes étant nécessaires à la formalisation de la
décision, cela équivaut (sur la base du temps moyen de travail
annuel des magistrats de 1 716 heures) à 234 emplois
équivalents temps plein (234 ETP =
801 714 x 30 mn/60 mn/1716).
Il conviendra donc de créer 234 ETP de magistrats.
Doit s'ajouter le coût de l'envoi, par lettre simple, des avis de
classement.
3) Le nombre des recours contre les classements sans suite est difficile
à évaluer.
Le poids des procédures initiées sur
" dénonciation " et classées sans suite peut être
estimé à 5 % de l'ensemble des affaires, soit
32 000 affaires.
Même si les recours devront être limités -d'autant que
chaque recours devant la commission devra être
précédé d'un recours devant le procureur
général -il faut prendre en compte l'hypothèse de saisines
infondées, qui, en tout état de cause, nécessiteront un
examen par un personnel attaché à la commission.
Aucun moyen nouveau en terme de magistrats ne paraît nécessaire,
les effectifs actuels des parquets généraux devant permettre
d'assurer la gestion de cette mesure. Il est par contre indispensable de
prévoir, pour ces commissions des recours, un secrétariat
général qui sera chargé de la mise en état des
dossiers.
Compte tenu de la compétence régionale des commissions, un
demi-poste de greffier par cour d'appel, soit au total 17 postes, est de
nature à répondre à ces besoins.
Il conviendra donc de créer 17 postes de greffiers (ce qui
correspond à 2,69 MF, plus 0,39 MF au titre de
l'accompagnement des créations d'emploi, dont 0,255 MF non
reconductible).
4) Le renforcement du contrôle de la police judiciaire suppose un
renforcement des moyens, notamment des magistrats des cours d'appel.
35 emplois de magistrats devront ainsi être répartis entre les
cours d'appel au regard du volume de l'activité judiciaire des services
de police et de gendarmerie.
Le coût est donc de 35 magistrats du 1
er
grade (2 du I-2, 33
du I-1), soit 13,37 MF, plus 1,16 MF d'accompagnement des
créations d'emplois, dont 0,875 MF d'accompagnement des
créations d'emplois, dont 0,875 MF non reconductible.