B. LA MISE EN oeUVRE PARTICULIÈRE DU PRINCIPE D'ÉGALITÉ DU SUFFRAGE POUR L'ÉLECTION DES SÉNATEURS
1. L'Assemblée nationale et le Sénat exercent une même souveraineté nationale
Le
Sénat, comme l'Assemblée nationale, représente de
manière indivisible la totalité du peuple français, la
France étant une
République indivisible
(article 1
er
de la Constitution).
Selon l'article 3 de la Constitution, "
la souveraineté
appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie
du référendum
".
A cet égard, la Constitution n'opère aucune distinction entre
les représentants du peuple, qu'ils soient membres de l'une ou de
l'autre assemblée du Parlement.
Le même article, tout en prévoyant que "
le suffrage peut
être direct ou indirect dans les conditions prévues par la
Constitution
", ajoute qu'il est "
toujours universel,
égal et secret
".
Le parlementaire, qu'il soit député ou sénateur, exerce un
mandat représentatif de la Nation entière, et pas seulement des
électeurs de sa circonscription ou de son département
d'élection.
La représentation de la totalité de la population par les
députés est assurée par l'existence de circonscriptions
couvrant l'ensemble du territoire français, étant
précisé que les Français résidant à
l'étranger peuvent également participer aux élections
législatives s'ils ont été inscrit sur la liste
électorale d'une commune de rattachement, dans les conditions
fixées par l'article L. 12 du code électoral.
Le Sénat représente, lui aussi, la totalité de la
population française vivant dans ses différentes
collectivités territoriales. La représentation des
Français établis hors de France par le Sénat,
explicitement prévue par l'article 24 de la Constitution, permet
à la Haute Assemblée d'être représentative de
l'ensemble du peuple français.
Votre rapporteur a déjà exposé que le régime
d'élection des députés sur des bases essentiellement
démographiques prenait aussi les caractéristiques du territoire
en considération (au moins deux députés par
département, circonscription en principe constituée de
territoires continus et respectant, sauf exception, les limites cantonales...).
Dans tous les cas, la représentation des citoyens s'effectue donc
inévitablement à travers les territoires dans lesquels ils
vivent.
Le Sénat est plus particulièrement élu dans le cadre des
circonscriptions territoriales (départements, collectivités
d'outre-mer). Il assure la représentation des collectivités
territoriales, constituées à la fois d'un territoire et d'une
population.
Le Sénat a donc une vocation spécifique à
représenter les populations en tant qu'elles s'insèrent dans des
communautés administratives gérées par des élus
locaux.
2. Egalité des collectivités territoriales et représentation équilibrée du territoire
Le
suffrage indirect est destiné à permettre la
représentation des collectivités territoriales en tant que
telles, ce qui n'empêche pas une prise en compte de leur population,
à la condition que, dans les faits, les critères
démographiques n'annihilent pas l'obligation constitutionnelle pour le
Sénat de représenter les collectivités.
L'obligation constitutionnelle pour le Sénat de représenter les
collectivités territoriales s'appuie sur une tradition
républicaine remontant à 1875, justifiée par
l'impératif d'assurer au Parlement -à côté de la
représentation des populations en tant que telles à
l'Assemblée nationale- une représentation spécifique des
nombreuses collectivités réparties à travers un vaste
territoire, ce qui constitue une caractéristique particulière de
notre pays.
Cette nécessité, issue au départ de la tradition
centralisatrice de la France, certes toujours présente, trouve un
nouveau fondement avec la mise en oeuvre des lois de décentralisation et
le développement d'une politique d'aménagement du territoire.
Une décentralisation authentique, c'est-à-dire ne cachant pas une
"
recentralisation rampante
", ne peut être conduite par
l'Etat sans participation des collectivités territoriales.
Le Sénat a toujours su faire preuve d'une certaine indépendance,
refusant des positions strictement partisanes
, en particulier dans
l'examen des textes intéressant les collectivités territoriales,
intégrant dans son analyse les réalités de la vie locale,
les impératifs de libre administration, conditionnée par des
ressources propres suffisantes.
Les difficultés budgétaires de l'Etat peuvent en effet
conduire tout gouvernement, dans les faits, à tenter de
transférer aux collectivités certaines compétences sans
les ressources correspondantes et donc à "
asphyxier
"
à terme la démocratie locale.
A travers la représentation des collectivités territoriales, le
Sénat "
prend en compte les éléments de permanence
et de stabilité inscrits dans la géographie administrative de la
France
", selon l'expression du président
Jacques Larché, dans son rapport sur le projet de loi relatif
à l'élection des sénateurs en 1991
23(
*
)
.
Ces éléments de permanence et de stabilité apparaissent
particulièrement nécessaires dans une société qui
se modifie de plus en plus rapidement sans toujours prendre le temps utile pour
préserver des repères indispensables.
Par nature, le Sénat représente des collectivités
humaines, en tant qu'elles vivent dans des territoires et, à ce titre,
est en phase avec l'intérêt renouvelé pour la politique
d'
aménagement
du territoire
.
L'aspect rural d'une partie de son corps électoral traduit un espace
national dans lequel figurent des " bourgs-centres " dont le
développement demeure nécessaire pour
enrayer la
désertification du pays, dont on sait qu'elle a pu contribuer à
de forts déséquilibres dans les zones urbaines
.
A cet égard,
le Sénat, loin de fixer exclusivement son
attention sur l'espace rural, cherche aussi à assurer un
équilibre entre les différentes parties du territoire
, en
particulier en se préoccupant aussi de l'
aménagement
des zones urbaines
, comme il a pu le montrer, notamment, lors de
l'examen de la loi d'orientation n° 95-115 du 4 février 1995
pour l'aménagement et le développement du territoire, à
l'occasion de laquelle le rapporteur de la commission des Affaires
économiques, M. Gérard Larcher, évoquait la
nécessité d'un "
équilibre du
territoire
".
Pour être satisfaisante et efficace,
la représentation des
collectivités au Sénat ne saurait se limiter à une
participation formelle au sein d'un collège électoral
constitué exclusivement sur la base de leur population,
car toutes
les collectivités doivent, quelle que soit leur taille, peser d'une
manière significative pour l'élection des sénateurs.
Des collèges électoraux constitués sur une base
exclusivement démographique, les départements
représentés uniquement en proportion de leur population
entraîneraient
de facto
une minoration du poids des
collectivités les moins peuplées alors que,
précisément, leur taille justifie une représentation
renforcée.
Il serait paradoxal que le Sénat soit élu selon des
critères
exclusivement
démographiques quand
l'Assemblée nationale l'est selon des critères
essentiellement
démographiques.
Il est donc indispensable que la représentation des collectivités
territoriales au Sénat tienne compte de leur situation et que, en
particulier, les moins peuplées d'entre elles bénéficient
d'un poids supérieur à celui qui résulterait uniquement de
leur importance démographique.
Telle est la condition d'une véritable politique d'aménagement du
territoire.
Comme le disait notre collège, M. Jacques Larché,
président et rapporteur de la commission des Lois lors de l'examen du
projet de loi relatif à l'élection des sénateurs en
1991 : "
le mode d'élection des sénateurs constitue
en fait la sauvegarde spécifique de cette différence de
représentation entre les deux assemblées du Parlement qui
concourent toutes deux, mais selon des modalités différentes,
à l'expression d'une souveraineté nationale aussi indivisible que
la République elle-même
"
24(
*
)
.