2. L'absence de solution au problème de la fixation des taux administrés
En juin
1998, le gouvernement avait mis en place un dispositif destiné à
faciliter l'ajustement des taux d'intérêt de l'épargne
administrée, en particulier celui du livret A. Un comité
consultatif des taux réglementés était créé,
et le gouvernement s'était engagé à ce que le taux du
livret A reste supérieur d'un point à l'inflation, mais
inférieur d'un demi-point aux taux de marché à court terme.
Ce dispositif ne fonctionne pas : il n'a pas allégé le
gouvernement de la contrainte d'opinion publique - au demeurant
légitime- qui pèse sur de telles décisions.
Dans le cas présent, cette situation va accroître la
difficulté à placer les parts sociales des caisses
d'épargne dans le public. En effet, la plupart des clients des caisses
vont, pour devenir sociétaires, procéder par arbitrage entre leur
livret A et les parts sociales. Si celles-ci ne peuvent leur offrir un
rendement de 3 % net d'impôt avoir fiscal inclus, ils n'auront aucun
intérêt à en souscrire.
3. L'absence d'évaluation ou de projections financières
En
contrepartie du maintien d'un privilège qui ne saurait
représenter l'avenir de l'exploitation des caisses d'épargne,
celles-ci doivent subir de lourdes contraintes financières, dont
l'innocuité présumée par le gouvernement et
l'Assemblée nationale ne résulte d'aucun calcul économique
sérieux.
Du côté de leurs
fonds propres
, les caisses
d'épargne ont dû subir un prélèvement de
5 milliards de francs, prévu par la loi de finances pour 1999.
Elles devront également financer la restructuration de leur caisse de
retraites (article 29 du projet de loi).
La Caisse générale de retraites : les options en présence
Le
régime de retraite complémentaire géré par la
CGRPCE, créé le 1
er
janvier 1952, est un régime
de retraite à prestations définies. A la différence de la
plupart des régimes complémentaires dits " à
cotisations définies " - c'est-à-dire dont les
prestations sont égales aux cotisations versées par les
actifs - les prestations versées par la CGRPCE sont
calculées indépendamment des ressources dont dispose le
régime ce qui a pour conséquence que son équilibre
financier n'est pas nécessairement assuré dans le long terme.
Ainsi, si le régime est actuellement dans une situation très
favorable compte tenu des recrutements massifs effectués par les caisses
d'épargne ces 15 dernières années (le nombre de cotisants
est passé de 3.000 en 1952 à plus de 35.000 aujourd'hui pour
3.900 retraités), les études des actuaires (cabinet SPAC
mandaté par la CGR, cabinet Winter mandaté par le CENCEP,
étude du syndicat unifié du personnel des caisses
d'épargne et rapport de la commission de l'IGF-IGAS) montrent que dans
moins de dix ans, les prestations seront supérieures aux cotisations et
que le régime pourrait être en cessation de paiement entre 2015 et
2020, sauf à réduire massivement les prestations ou à
procéder à des embauches substantielles. En effet, s'il y a
aujourd'hui 8 cotisants pour un retraité à la CGR, ils seront
moins de trois cotisants pour un retraité en 2010 et moins de deux en
2020.
Il est possible de chiffrer le montant du " passif social " de la
CGRPCE si rien n'était fait. En prenant pour hypothèse un
rendement de 2,5 % (pour des réserves qui s'établissaient
à 9.500 millions de francs au 31 décembre 1997), la
différence entre les engagements de la CGR (qui sont connus s'agissant
d'un régime à prestations définies) et les recettes
actualisées serait ainsi comprise entre 39 et 48 milliards de francs, ce
que le Groupe n'aurait pas les moyens de financer.
En conséquence, le CENCEP propose l'intégration du régime
de la CGRPCE à l'AGIRC et à l'ARRCO et la
" cristallisation " des droits acquis : les droits acquis
jusqu'à la date de la cristallisation seraient intégralement
garantis et, tous les salariés, anciens et nouveaux, cotiseraient
désormais à l'AGIRC et à l'ARRCO.
Le CENCEP propose en outre d'affecter le surcroît de cotisations
acquitté par les salariés des caisses d'épargne à
un régime supplémentaire par capitalisation qui complétera
les prestations de l'AGIRC et de l'ARRCO.
Une autre solution consisterait à fermer le régime de la CGR
à une date déterminée : les salariés actifs
à la fermeture continueraient de cotiser dans les mêmes conditions
qu'auparavant et leurs pensions seraient liquidées conformément
au règlement de la CGRPCE ; les nouveaux salariés
cotiseraient directement à l'AGIRC et à l'ARRCO. Cette solution
présenterait l'inconvénient de faire coexister deux
catégories de salariés et d'amplifier le
déséquilibre de la CGR en continuant à assurer pendant
plusieurs décennies des prestations de retraite très
supérieures aux cotisations reçues.
Le coût en fonds propres du provisionnement des charges de retraite sera
massif, mais son ordre de grandeur reste incertain à ce jour :
- dans la meilleure hypothèse, celle de la
cristallisation
des droits des salariés des caisses à aujourd'hui, ce
coût est de 13,2 milliards de francs (les caisses d'épargne
ont déjà provisionné 1,695 milliard de francs en 1997 et
7,556 milliards de francs en 1998) ;
- en cas de
fermeture de la Caisse
avec maintien des droits des
salariés actuellement en activité, le coût
s'élèverait à 20 milliards de francs ;
- Si
aucune évolution
ne devait intervenir, le coût
s'élèverait alors à une somme comprise entre 39 et
48 milliards de francs.
Dans la meilleure des hypothèses, le ratio européen de
solvabilité des caisses d'épargne serait ainsi ramené de
16,4 % à 11,7 %. Mais qui peut aujourd'hui être
sûr du dénouement du problème des retraites, compte tenu
des difficultés multiples qui surgissent dans le franchissement de tels
obstacles ?
L'évaluation de la
fraction des fonds propres
que les
caisses d'épargne devront mettre sur le marché ne résulte
d'aucun calcul économique, mais d'une estimation purement
forfaitaire : la somme des dotations statutaires des caisses, égale
à 18,9 milliards de francs (voir commentaire de l'article 21 du
présent projet de loi). Il est sans précédent qu'une loi
prévoie précisément le montant d'une mise sur le
marché, qui plus est sans expertise préalable et impartiale, et
seulement à l'issue d'une négociation entre l'administration et
l'entreprise concernée.
Si la mutualisation des caisses d'épargne ne peut certes s'assimiler
à une privatisation, ni les parts sociales (ne donnant pas droit
à l'actif net) à des actions, il n'en demeure pas moins que la
fraction des fonds propres à mettre sur le marché doit
résulter d'une expertise sérieuse et prudente, prenant en
considération les perspectives d'exploitation de la banque en fonction
d'un éventail de stratégies déterminées et ne pas
se contenter d'observer si le ratio européen de solvabilité
satisfait à la norme prudentielle de 8 %.
Il sera en effet nécessaire de rémunérer cette fraction de
fonds propres : le montant de parts à mettre sur le marché
ne peut se désintéresser du potentiel de résultats
distribuables. En outre, pour se conformer aux nouveaux ratios prudentiels
européens, les caisses d'épargne devront probablement requalifier
certaines provisions d'assurance qui figurent à l'heure actuelle dans
les fonds propres.
Le gouvernement devrait se souvenir qu'une banque peut perdre très vite
un volume de fonds propres important. Il a été mis en garde
à ce sujet par la Commission bancaire.
Du côté de leurs
résultats
, les caisses
d'épargne, aujourd'hui dépourvues de contrainte
3(
*
)
, vont soudain subir deux fortes
pressions contradictoires : la nécessité de
rémunérer les fonds propres détenus par leurs
sociétaires, et celle d'affecter une fraction importante de leur
résultat à des actions d'intérêt
général (voir commentaire de l'article 6 du présent projet
de loi).
Avec un rendement de 4,5 %, la rémunération du capital
social pourrait coûter annuellement, à l'issue de la montée
en charge, environ 850 millions de francs. Par ailleurs, le
prélèvement sur le résultat affecté aux actions
d'intérêt général devrait, selon les souhaits de
l'Assemblée nationale, être égal au tiers des sommes
disponibles après mises en réserve. Les mises en réserve
ne peuvent être inférieures au tiers du résultat
distribuable,
mais la capacité des caisses à mettre en
réserve sera d'autant plus faible qu'elles devront
rémunérer davantage leurs sociétaires
. Donc, plus
elles rémunéreront les sociétaires, plus elles devront
également satisfaire à leurs obligations d'intérêt
général.
En outre, les provisions constituées pour la caisse de retraites devront
être rémunérées chaque année afin de
maintenir leur niveau actuariel.
En 1998, le résultat des caisses d'épargne s'est établi
à 2,3 milliards de francs. Si elles avaient dû verser
850 millions de francs de dividendes et 500 millions de francs
à des actions d'intérêt général, elles
n'auraient pu conserver que moins d'un milliard de francs (dont
770 millions de francs pour la mise en réserve obligatoire). Encore
convient-il de préciser qu'une telle simulation a été
effectuée sur le fondement de la mouture initiale du projet de loi,
avant que la contrainte de financement de l'intérêt
général soit fortement renforcée par l'Assemblée
nationale.
D'après le syndicat national de l'encadrement des caisses
d'épargne (SNE-CGC), si la réforme était intervenue en
1997, les caisses auraient du distribuer 57 % de leur résultat net
et n'auraient donc pu consacrer que 43 % de ce résultat au
renforcement de la structure financière du groupe. Les simulations
effectuées par le SNE reposent sur un taux de rémunération
des parts sociales de 3 % et ont été effectuées avant
que le texte du projet de loi soit amendé par les députés.
Elles révèlent en outre que huit caisses sur trente-quatre
auraient été dans l'impossibilité de verser un franc de
dividende social en raison d'un résultat insuffisant et que onze caisses
auraient dû ramener leur capacité d'autofinancement à
zéro pour financer les projets d'intérêt
général.
Les charges pesant sur les résultats seront d'autant plus lourdes que
les caisses d'épargne n'ont pas une vocation particulière
à assumer des actions d'intérêt général,
telles que la lutte contre les exclusions à laquelle les contraint le
projet de loi, ainsi que l'a montré l'étude récente de la
confédération du logement et du cadre de vie
4(
*
)
: les agences des caisses
d'épargne se comportent comme n'importe quelle banque vis-à-vis
des clients disposant de faibles revenus, cherchant comme les autres à
les écarter de leur clientèle.
Au total, le ratio de solvabilité des caisses d'épargne sera
sévèrement obéré, leur capacité à
renforcer leurs fonds propres amputée de moitié, alors que les
progrès de leur rentabilité ne sont encore qu'à
l'état de promesses et que la consolidation financière de leur
régime de retraites n'est pas achevée
. Votre rapporteur ne
peut que constater que le gouvernement n'agit pas avec toute la prudence
nécessaire, et s'appuie sur un raisonnement statique, alors qu'il
faudrait adopter une vision dynamique.