EXAMEN DES ARTICLES
PREMIÈRE PARTIE :

DE LA RÉFORME DES CAISSES D'ÉPARGNE
TITRE PREMIER :

DISPOSITIONS PERMANENTES
CHAPITRE PREMIER :

LE RÉSEAU DES CAISSES D'ÉPARGNE

ARTICLE PREMIER

Les missions des caisses d'épargne

Commentaire : Cet article définit les missions du réseau des caisses d'épargne et pose le principe de l'affectation d'une partie des ressources des caisses au financement de projets d'économie locale et sociale.

A. LE DROIT EXISTANT


A l'heure actuelle, l'article premier de la loi n° 83-557 du 1 er juillet 1983 portant réforme des caisses d'épargne et de prévoyance détermine dans les termes suivants les missions des caisses d'épargne :

" Les caisses d'épargne ont pour objet la promotion et la collecte de l'épargne ainsi que le développement de la prévoyance pour satisfaire, notamment, les besoins collectifs et familiaux. "

La promotion et la collecte de l'épargne, notamment à travers le livret A, était en effet la mission exclusive des caisses d'épargne jusqu'en 1965, date à laquelle elles ont été autorisées à offrir des produits d'épargne-logement. Le réseau est ainsi le deuxième collecteur d'épargne en France, derrière le Crédit agricole, avec un encours de 1.412 milliards de francs de dépôts. Les caisses d'épargne comptent 26 millions de détenteurs de livret A (30 % des dépôts et placements gérés) et possèdent près de 40 % du marché pour le livret jeune et le livret d'épargne populaire.

Quant au développement de la prévoyance, il est assuré par Ecureuil Vie qui distribue, à travers le réseau commercial des caisses d'épargne, des produits d'assurance vie et de capitalisation conçus par elle et dont la gestion est confiée à la Caisse nationale de prévoyance (CNP). Les primes nettes collectées en 1998 se sont élevées à 39 milliards de francs pour un encours total de 185,2 milliards de francs, ce qui fait d'Ecureuil Vie le troisième acteur français de l'assurance vie avec un portefeuille de 2,7 millions de contrats et une part de marché de 6,2 %.

Enfin, dès lors que l'épargne collectée par les caisses d'épargne sert, pour ce qui concerne l'épargne placée sur les livrets A, au financement du logement social, et pour le reste au financement des collectivités territoriales, des petites entreprises et des particuliers, il n'est pas inexact de dire que les caisses d'épargne contribuent à la satisfaction des besoins collectifs et familiaux. Elles sont d'ailleurs à cet effet habilitées à faire des opérations de banque au profit des personnes physiques et morales.

En 1991, l'Assemblée nationale a souhaité préciser, contre l'avis du Sénat, que les caisses d'épargne " utilisent leurs ressources relevant de l'activité bancaire et commerciale du réseau au profit, notamment du financement de l'économie locale et sociale en appui aux collectivités territoriales " 10( * ) .

Votre commission des finances avait alors estimé, sous la plume de son rapporteur général, M. Roger Chinaud, que cette précision n'apportait rien, en droit positif par rapport à la formulation initiale de l'article premier de la loi du 1 er juillet 1983 qui prévoit que les caisses concourent " notamment " à la satisfaction " des besoins collectifs et familiaux " , dans la mesure où l'emploi de l'adverbe " notamment " avait précisément pour objet de laisser ouvert le champ des compétences des caisses d'épargne. Rien n'exclut donc que les caisses concourent au financement de l'économie locale et sociale sur la partie de leurs ressources qu'elles gèrent en propre 11( * ) . M. Chinaud faisait d'ailleurs observer que la présence d'élus locaux dans les conseils d'orientation et de surveillance des caisses d'épargne avait précisément pour objet de marquer l'orientation de ces établissements vers la satisfaction des besoins locaux.

B. LES DISPOSITIONS DU PRÉSENT ARTICLE

1. Un " affichage " de l'objet social des caisses d'épargne sans portée concrète


• En premier lieu, le présent article étend au réseau tout entier - c'est-à-dire aux caisses, aux futurs groupements locaux d'épargne et aux futurs organes centraux - des missions qui étaient initialement dévolues aux seules caisses d'épargne.

• Mais surtout, le présent article croit utile d'élargir, ou plutôt d'afficher plus explicitement, les missions des caisses d'épargne. Il commence par préciser que " le réseau des caisses d'épargne remplit des  missions d'intérêt général " , ce qui n'a qu'une portée normative limitée dès lors que le présent projet n'impose pas d'obligations en conséquence de ce principe.

Une fois ce principe général posé, le texte ajoute :

" Le réseau des caisses d'épargne participe à la mise en oeuvre des principes de solidarité et de lutte contre les exclusions. "

Là aussi, on cherche vainement la portée pratique de cette déclaration qui ne se traduit par aucune disposition contraignante pour les caisses d'épargne. Elle répond comme en écho aux dispositions de l'article premier de la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions qui prévoit que " la lutte contre les exclusions est un impératif national fondé sur le respect de l'égale dignité de tous les êtres humains et une priorité de l'ensemble des politiques publiques de la nation. " Le sixième alinéa de cet article fait obligation aux caisses d'épargne, en tant qu'acteurs de l'économie solidaire, de lutter contre les exclusions.

Après avoir rappelé la mission de promotion et de collecte de l'épargne traditionnellement allouée aux caisses d'épargne, le texte poursuit :

" [Le réseau] contribue à la protection de l'épargne populaire et au financement du logement social ".

Une fois encore, le premier membre de cette phrase n'apporte rien en droit positif. Il suffit de lire le rapport de M. Raymond Douyère sur le présent projet de loi 12( * ) : " l'ensemble de la réglementation bancaire est destinée à assurer la protection de l'épargne. Les caisses d'épargne étant soumises à la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit, dite loi bancaire, elles doivent contribuer de facto à la protection de l'épargne. "

Le financement du logement social par les caisses recouvre en revanche une réalité concrète puisque les caisses sont chargées de distribuer le livret A dont les fonds, centralisés auprès de la Caisse des dépôts, servent à financer des programmes sociaux.

2. Une affectation des ressources des caisses d'épargne qui prête à confusion

Enfin, le présent article reprend, en la modifiant légèrement, la disposition de la loi de 1983 qui tend à orienter une partie des ressources des caisses vers le financement de l'économie locale et sociale . Un deuxième alinéa dispose ainsi que, " dans les conditions fixées par l'article 6 de la présente loi, les caisses d'épargne et de prévoyance  utilisent une partie des ressources relevant de leur activité bancaire et commerciale pour le financement de projets d'économie locale et sociale ".

L'utilisation dans cet alinéa du terme " ressources " concomitamment avec la référence à l'article 6 pose un sérieux problème d'interprétation. En effet, les ressources d'un établissement bancaire sont les fonds dont elle dispose pour exercer son activité bancaire. La formule précisant que les ressources, dont l'emploi est suggéré, sont celles relevant de l'activité bancaire et commerciale des caisses laisse a priori entendre qu'il s'agit de toutes les ressources collectées par les caisses autres que les fonds d'épargne centralisés à la Caisse des dépôts et consignations. Un tel alinéa viserait donc à préciser que l'octroi de prêts, financés sur ressources autres que l'épargne réglementée, pour financer le développement local et social, entre dans les attributions des caisses d'épargne. Une telle interprétation est implicitement corroborée par l'insertion d'une telle disposition dans un article définissant l'objet social des caisses d'épargne. C'est également cette interprétation qu'avait retenue votre commission des finances lors de l'examen de la deuxième réforme des caisses d'épargne de juillet 1991.

Toutefois, une telle interprétation est contredite par la référence à l'article 6 du présent projet qui prévoit qu'une partie du résultat net comptable des caisses d'épargne doit être, après constitution des réserves légales et statutaires, affectée au financement de projets d'économie locale et sociale. En effet, l'article 6 ne fait pas référence aux " ressources " des caisses mais aux " sommes disponibles après imputation sur le résultat net comptable des versements aux réserves légales et statutaires ". Or, il y a bien une différence sémantique et économique entre les ressources d'un établissement bancaire et son résultat net comptable, différence que l'Assemblée nationale ne paraît pas avoir relevée.

Si l'interprétation précédemment donnée par le Sénat est la bonne, alors les dispositions du deuxième alinéa sont inutiles.

Mais elles sont également superflues si l'on retient l'interprétation de l'Assemblée nationale, pour deux raisons :

- d'une part, l'article 6 indique de façon très explicite l'usage qui doit être fait des excédents d'exploitation des caisses d'épargne ; il est inutile de le répéter ici ;

- d'autre part, l'article 16 de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération - qui s'appliquera désormais aux caisses d'épargne en vertu de l'article 3 du présent projet - dispose déjà que les coopératives peuvent affecter une partie de leurs excédents d'exploitation, sous forme de subvention, " soit à d'autres coopératives ou unions de coopératives, soit à des oeuvres d'intérêt général ou professionnel ". Ce texte, plus général, englobe bien les intentions du législateur.

Consciente de la valeur symbolique d'un tel alinéa, votre commission ne vous propose pas de le supprimer mais de le clarifier en précisant que l'obligation de financer des projets d'économie locale et sociale porte sur les résultats nets et non sur les ressources bancaires.

C. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE


L'Assemblée nationale a assez profondément modifié le texte initial du présent article.

Elle a tout d'abord, sur proposition de son rapporteur, adopté un amendement de précision. En effet, il est plus exact, comme le propose M. Raymond Douyère, d'écrire que le réseau des caisses d'épargne " contribue à la collecte de fonds destinés au financement du logement social " plutôt que de laisser entendre que le réseau finance lui-même le logement social au travers des ressources qu'il collecte sur les livrets A. En effet, les caisses d'épargne se contentent de collecter des fonds qui sont centralisés auprès de la Caisse des dépôts et consignations, en contrepartie d'une commission égale à 1,2 % de l'encours collecté. Elles n'en ont pas l'usage.

Puis, sur l'initiative de son groupe communiste, elle a souhaité compléter l'énumération des missions du réseau des caisses d'épargne en précisant que ce dernier " contribue à l'amélioration du développement économique local et régional et à la lutte contre l'exclusion bancaire et financière de tous les acteurs de la vie économique sociale et environnementale. "

Cet ajout appelle deux commentaires :

- En premier lieu, on peut noter un certain nombre de redondances : par exemple, la lutte contre l'exclusion est déjà mentionnée dans la deuxième phrase du premier alinéa du présent article, même si son objet est plus large que la seule " lutte contre l'exclusion bancaire et financière " ; de même, le deuxième alinéa du présent article mentionne déjà la participation des caisses d'épargne au " financement de projets d'économie locale et sociale " , ce qui, en tout état de cause, " contribue à l'amélioration du développement local et régional ".

- En second lieu, dès lors que les députés ne déclinent pas, dans le texte de la loi, les principes qu'ils établissent par des dispositions contraignantes pour les caisses d'épargne, qui tireraient les conséquences de la mission qui leur est assignée (par exemple l'obligation pour une caisse de fournir des instruments de paiement à tous leurs clients), de tels principes n'ont aucune valeur en droit positif et n'ont pas à figurer dans un texte de loi. Votre commission vous proposera de les supprimer .

Enfin, pour donner satisfaction à tous les courants de sa majorité plurielle, l'Assemblée nationale a adopté un amendement tendant à élargir le champ des projets que les caisses sont tenus de financer sur une partie de leurs ressources. Il pourra ainsi s'agir de projets " contribuant à la protection de l'environnement et au développement durable du territoire ".

Au total, le présent article illustre la propension de la loi à sortir du champ normatif que lui assigne l'article 34 de la Constitution pour entrer dans celui de la pétition de principe ou de la déclaration d'intention. Un tel détournement s'effectue au détriment de la nécessaire concision législative.

Dans le cas présent, l'hypocrisie gouvernementale n'aura échappé à personne. En posant des principes généraux et non normatifs sans les traduire par des dispositions contraignantes pour les caisses d'épargne, le gouvernement fait plaisir à sa majorité plurielle sans risquer de handicaper les caisses d'épargne dans la compétition qui les oppose aux autres établissements bancaires de l'économie solidaire.

Votre commission considère pour sa part qu'il y a lieu d'éviter de créer de tels handicaps, dès lors que les caisses d'épargne ont vocation à devenir des établissements coopératifs comme les autres.

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi amendé.

ARTICLE 2

La définition du réseau des caisses d'épargne

Commentaire : Le présent article définit le réseau des caisses d'épargne comme l'ensemble formé par les caisses d'épargne et de prévoyance, les groupements locaux d'épargne, la Caisse nationale des caisses d'épargne et de prévoyance et la Fédération nationale des caisses d'épargne et de prévoyance.

Le présent article 2 est amené à se substituer à l'article 2 de la loi du 1 er juillet 1983 portant réforme des caisses d'épargne qui dispose :

" Les caisses d'épargne et de prévoyance constituent entre elles, et en association avec la Caisse des dépôts et consignations, un réseau financier dont le chef de réseau est le Centre national des caisses d'épargne et de prévoyance. "

Désormais, le réseau des caisses d'épargne formera une architecture à trois étages :

A la base, des sociétés coopératives dénommées " groupements locaux d'épargne " seront l'échelon local d'expression et de participation des sociétaires, qu'ils soient clients, salariés, collectivités territoriales ou personnes morales. Les parts sociales constitutives du capital des GLE seront détenues par les sociétaires.

Ces groupements locaux d'épargne se partageront le capital social des caisses d'épargne (voir commentaire de l'article 21) qui seront également des sociétés coopératives. Ils constitueront donc les sociétaires des caisses d'épargne, au même titre que les caisses locales du Crédit agricole sont les sociétaires des caisses régionales du Crédit agricole. Toutefois, les caisses d'épargne exerceront en retour une sorte de tutelle sur les GLE. Ainsi, c'est la caisse d'épargne qui, dans ses statuts, peut prévoir de déroger au statut de la coopération en proportionnant le nombre de voix dont dispose chaque GLE à l'assemblée générale au nombre de parts qu'il détient. C'est également l'assemblée générale de la caisse d'épargne qui fixe le niveau de rémunération des parts sociales détenues par les sociétaires des GLE, et non celle du GLE (voir commentaire de l'article 8).

Enfin, la Caisse nationale des caisses d'épargne et de prévoyance coiffera l'édifice en constituant l'organe central du réseau (voir commentaire des articles 10, 11 et 12). L'article 11 du présent projet de loi prévoit que les caisses d'épargne sont affiliées de plein droit à la future Caisse nationale ainsi que, dans des conditions fixées par décret, les établissements de crédit contrôlés par les caisses ou les établissements dont l'activité est nécessaire au fonctionnement du réseau.

La Caisse nationale sera issue de la fusion entre l'actuel Centre national des caisses d'épargne et de prévoyance (CENCEP) et la Caisse centrale des caisses d'épargne et de prévoyance (CCCEP) et sera constituée sous forme de société anonyme détenue à 60 % par les caisses d'épargne.

Le réseau comprendra par ailleurs une Fédération nationale des caisses d'épargne et de prévoyance (FNCEP) qui sera l'organe politique de représentation des caisses d'épargne (voir commentaire de l'article 15).

On constate que dans cette architecture, il n'est plus fait mention de la Caisse des dépôts et consignations. Bien que celle-ci soit appelée à demeurer dans le capital de la future Caisse nationale, cette participation résultera d'un pacte d'actionnaires et non de la loi, afin d'émanciper la Caisse nationale de la tutelle législative et réglementaire. La Caisse nationale pourra donc faire évoluer son tour de table en fonction de sa stratégie de développement et des partenariats qu'elle souhaitera conclure.

La seule référence à la Caisse des dépôts qui demeure dans le présent texte est, à l'article 7 qui prévoit que les sommes déposées sur le premier livret des caisses d'épargne sont centralisées auprès d'elle.

Votre commission vous proposera de supprimer la référence dans le présent article aux groupements locaux d'épargne qu'elle vous proposera de ne pas créer, afin de simplifier le processus de transformation des caisses d'épargne en sociétés coopératives.

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter le présent article ainsi modifié.

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