N°
281
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 24 mars 1999
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS DÉCLARATION D'URGENCE, relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale ,
Par M.
Daniel HOEFFEL,
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
MM.
Jacques
Larché,
président
; René-Georges Laurin, Mme Dinah
Derycke, MM. Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Georges Othily, Michel Duffour,
vice-présidents
; Patrice Gélard, Jean-Pierre Schosteck,
Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest,
secrétaires
;
Nicolas About, Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José
Balarello, Jean-Pierre Bel, Christian Bonnet, Robert Bret, Guy-Pierre Cabanel,
Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière,
Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye,
Gérard Deriot, Gaston Flosse, Yves Fréville, René Garrec,
Paul Girod, Daniel Hoeffel, Jean-François Humbert, Pierre Jarlier,
Lucien Lanier, François Marc, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jacques
Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Simon Sutour, Alex
Türk, Maurice Ulrich.
Voir les numéros :
Assemblée nationale
(
11
ème législ.) :
1155
,
1355
,
1356
et T.A.
249
.
Sénat : 220
(1998-1999).
Collectivités territoriales. |
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS
Après avoir entendu M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur, le mardi 16 mars, la commission des
Lois, réunie le mercredi 24 mars 1999, sous la présidence de
M. Jacques Larché, président, puis de M.
René-Georges Laurin, vice-président, a examiné sur le
rapport de M. Daniel Hoeffel le projet de loi relatif au renforcement
et à la simplification de la coopération intercommunale.
Dans la continuité de ses travaux antérieurs, la commission des
Lois a rappelé son attachement au principe de la réduction du
nombre des catégories d'établissements publics de
coopération intercommunale et de la simplification du régime
juridique de l'intercommunalité. Elle a souligné l'importance de
favoriser une intercommunalité de projet.
Sur la proposition de son rapporteur, la commission des Lois a adopté
les principales modifications suivantes :
• en ce qui concerne les nouvelles
communautés
d'agglomération
(chapitre 1
er
), la commission
propose au Sénat :
- de prendre en compte, pour leur création, les communes
chefs-lieux
de département
afin de répondre
à la situation de départements qui, ne remplissant pas les
conditions de seuils exigées, ne pourraient créer de structures
de ce type (article 1
er
) ;
- de remédier à l'approche rigide des
compétences
de ces communautés d'agglomération qui résulte du projet
de loi en supprimant certaines compétences telles que l'eau ou
l'assainissement ou le développement durable, en prévoyant une
approche plus réaliste d'autres compétences (par exemple les
ordures ménagères) et en permettant une
dévolution
progressive
des compétences pendant la période d'unification
des taux de la taxe professionnelle (article 1
er
) ;
- de veiller à ce que les compétences des communautés
d'agglomération comme celles des communautés urbaines
(chapitre II) soient harmonisées avec les missions reconnues aux
départements en matière de
politique de la ville
et
d'
action sociale
.
• Tout en souhaitant que la réflexion sur cette importante
question puisse être approfondie, la commission a considéré
que la procédure de
désignation directe des
délégués
des communautés urbaines prévue
par l'Assemblée nationale était en l'état
inapplicable
(article 8).
• En ce qui concerne le régime des
communautés de
communes
(chapitre III), se prononçant pour une
réduction des écarts constatés en matière de
dotation globale de fonctionnement avec les communautés
d'agglomération et communautés urbaines, la commission propose en
outre au Sénat d'
adapter les critères
prévus pour
faire bénéficier les communautés de communes d'une
dotation globale de fonctionnement majorée (article 11).
• En ce qui concerne les
dispositions communes
, la commission
propose au Sénat :
- d'
encadrer le pouvoir d'initiative reconnu au préfet
pour la
création d'établissements publics de coopération
intercommunale en exigeant l'avis préalable de la commission
départementale de la coopération intercommunale dont le
rôle serait renforcé (articles 21 et 28) ;
- d'
associer les conseils municipaux
à la procédure de
transformation d'un établissement public de coopération
intercommunale (article 27) ;
- de
supprimer les procédures dérogatoires
d'extension
du périmètre des établissements publics
de coopération intercommunale prévue par l'Assemblée
nationale ;
- de prévoir une délibération expresse des conseils
municipaux sur des procédures qui concernent directement les
intérêts des communes, en
supprimant les procédures
d'approbation tacite
;
- de ne pas retenir les conditions plus restrictives introduites par
l'Assemblée nationale pour le retrait d'une commune ou la dissolution
d'un établissement public de coopération intercommunale ;
- de mieux préciser les règles relatives aux
organes
délibérants
en clarifiant les conditions applicables aux
réunions de plein droit qui doivent faire suite au renouvellement des
conseils municipaux, les conditions de représentation des communes
n'ayant pas désigné leurs représentants au sein de
l'organe délibérant, l'obligation faite au président de
rendre compte des travaux du bureau et des délégations, de
même que les conditions dans lesquelles l'organe délibérant
peut se réunir à huis clos ;
- de mieux
préserver les droits d'une commune
pour des
décisions d'un établissement public de coopération
intercommunale qui la concernent seule.
• La commission propose au Sénat de supprimer des dispositions
qui reviendraient à une désignation directe du maire
délégué dans les communes associées
(article 46 quinquies) et de préciser les règles
relatives à l'utilisation des équipements collectifs (article 46
septies).
• En liaison avec la commission des Finances, elle suggère au
Sénat de clarifier les règles relatives à
l'élimination des déchets afin de lever les difficultés
relatives à la perception de la taxe ou de la redevance sur les ordures
ménagères (article 46 sexies).
Mesdames, Messieurs,
De longue date, les communes ont su mettre en commun leurs moyens humains et
techniques en vue d'une gestion plus rationnelle des services publics locaux.
Plus récemment, la même démarche leur a permis de
promouvoir des actions en faveur de l'aménagement de l'espace et du
développement économique.
La coopération intercommunale est ainsi bien ancrée dans la vie
locale. Elle constitue une ardente obligation compte tenu de la
diversité communale, originalité source de complexité mais
aussi richesse de notre organisation territoriale.
La France comptait 36.763 communes (36.551 en métropole) au
recensement général de 1990. La très grande
majorité des communes a moins de 2.500 habitants. Le tiers d'entre
elles a un nombre d'habitants inférieur à 200.
Force est de constater que les différentes tentatives menées dans
le passé pour réduire le nombre des communes se sont toutes
traduites par des échecs. La situation de la France contraste ainsi avec
celle de nombre de ses partenaires européens qui, pour certains comme
l'Allemagne ou la Belgique, ont conduit avec succès des politiques de
fusion ou de regroupement obligatoire des communes ou, pour d'autres comme les
Pays-Bas, ont réduit progressivement le nombre de leurs communes.
Mais pour utiles qu'elles soient, les comparaisons avec la situation des Etats
voisins doivent être conduites avec prudence. Chaque Etat a une
organisation administrative qui est le produit de son histoire et de sa
culture. Même si les expériences menées dans les autres
Etats en vue d'une plus grande efficacité de la gestion publique sont
riches d'enseignements, toute tentative pour ériger dans ce domaine un
modèle européen auquel il conviendrait de se conformer serait
vouée à l'échec.
La diversité et la forte identité de nos communes constituent une
richesse
dans un monde où l'accélération de la
circulation de l'information et l'abaissement des frontières rendent
d'autant plus nécessaires la valorisation des
repères de
proximité
. Foyers de démocratie, nos communes, parce qu'elles
constituent le niveau d'administration le plus proche des citoyens, peuvent
promouvoir une gestion de proximité qui est la mieux à même
d'assurer la cohésion sociale et territoriale.
En s'associant au sein de structures intercommunales, les communes assument de
manière plus efficace cette mission essentielle. Des formules syndicales
classiques -qui se sont elles-mêmes beaucoup diversifiées- aux
établissements publics à fiscalité propre, la
coopération intercommunale préserve la diversité communale
en offrant aux communes un cadre plus cohérent pour l'exercice de
certaines compétences et la mise en oeuvre des nécessaires
solidarités.
Inexorablement, le dynamisme de la coopération intercommunale s'est
conjugué avec une
multiplication des structures
que la
diversité des missions exercées ne paraît pas justifier. En
outre, cette superposition des structures s'est traduite par une
complexité croissante
des règles juridiques applicables.
Cette situation
n'est pas acceptable
. Elle nuit à
l'efficacité de l'action publique. Elle complique la tâche des
élus locaux soucieux de prendre en charge de la manière la plus
efficace les besoins de nos concitoyens.
Fidèle à sa vocation constitutionnelle, le Sénat s'est
fait, à plusieurs reprises, l'écho des légitimes
préoccupations des élus locaux face à la complexité
excessive du cadre juridique actuel.
Telle fut notamment sa démarche lors de l'examen de la loi du
4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le
développement du territoire dont l'article 78 -conformément
au voeu du Sénat- a défini les pistes de réflexion en vue
d'une
réduction du nombre de catégories
et d'une
simplification
du régime juridique de l'intercommunalité.
De même, le Sénat a veillé à ce que face à la
forte progression de la dotation globale de fonctionnement (DGF) des
groupements, les critères de répartition mis en oeuvre permettent
d'encourager une véritable intercommunalité de projet. Tel fut
l'objet de la loi n° 93-1436 du
31 décembre 1993 complétée par la
loi n° 96-241 du 26 mars 1996, qui ont apporté,
dans ce domaine, une clarification utile.
Le Sénat a également apporté sa pleine contribution
à la remise en ordre des textes applicables aux structures
intercommunales. L'entrée en vigueur, en 1996, du code
général des collectivités territoriales -dont la
cinquième partie entièrement consacrée à la
coopération locale contient un livre relatif à la
coopération intercommunale- a permis une
première
clarification
du droit en vigueur, en définissant notamment certains
principes communs aux différentes catégories.
Souhaitant approfondir cette démarche, le groupe de travail de votre
commission des Lois sur la décentralisation a, sous la présidence
de M. Jean-Paul Delevoye, président de l'Association des Maires de
France, mis en évidence le " maquis " actuel de la
coopération intercommunale et défini les voies et moyens d'une
nécessaire simplification
1(
*
)
.
Ces réflexions ont trouvé un écho dans les travaux
conduits sous la précédente législature par
M. Dominique Perben alors ministre de la fonction publique, de la
réforme de l'Etat et de la décentralisation, qui se sont traduits
dans le projet de loi relatif au développement de la coopération
intercommunale, déposé au Sénat le 23 avril 1997.
*
Le
présent projet de loi, même s'il s'en distingue sur certains
aspects non négligeables, reprend néanmoins pour une bonne part
les conclusions des travaux antérieurs, notamment quant à
l'objectif de simplification du régime juridique des
établissements publics de coopération intercommunale.
Mais dans sa version initiale soumise à l'Assemblée nationale, il
entendait mettre essentiellement l'accent sur
l'organisation urbaine
à travers la création de
nouvelles communautés
d'agglomération
bénéficiant d'
incitations
financières
par le biais de la DGF.
Les travaux de l'Assemblée nationale ont incontestablement permis un
rééquilibrage du dispositif au profit des autres structures
intercommunales qui, si elles ne sont pas nécessairement
créées dans les agglomérations, n'en jouent pas moins un
rôle essentiel dans le " maillage " du territoire et la prise
en charge des besoins sociaux.
De manière symbolique, ce rééquilibrage s'est traduit dans
l'intitulé même du projet de loi initialement relatif à l'
"
organisation urbaine et la simplification de la coopération
intercommunale
" et désormais consacré "
au
renforcement et à la simplification de la coopération
intercommunale
".
Pour autant, les travaux de l'Assemblée nationale
n'ont pas permis
d'aboutir à un équilibre satisfaisant
entre les
différentes catégories d'établissements publics de
coopération intercommunale qui ont pourtant des caractéristiques
très proches. A l'inverse, certaines modifications adoptées par
l'Assemblée nationale peuvent être de nature à compliquer
inutilement le dispositif et à rendre plus difficiles les
évolutions progressives des structures intercommunales.
Dans ces conditions, votre commission déplore le choix du Gouvernement
de faire examiner ce texte essentiel pour la vie de nos collectivités et
l'organisation du territoire, selon une
procédure d'urgence
que
rien ne justifie. Force est de constater que l'Assemblée nationale ne
pourra se prononcer sur les travaux du Sénat avant la réunion
d'une commission mixte paritaire. La procédure retenue ne permettra pas
en outre les indispensables ajustements d'un dispositif complexe, ajustements
qui auraient été possibles dans le cadre de lectures successives
par les deux assemblées.
Par ailleurs, la discussion quasi concomitante du présent projet de loi
et du projet de loi relatif à l'aménagement et au
développement durable du territoire ne peut que compliquer un peu plus
le travail du Parlement. Ces deux textes comportent, en effet, des dispositions
connexes en particulier pour ce qui concerne l'organisation des pays et des
agglomérations.
Le présent projet de loi fait, en outre, l'objet d'un avis de votre
commission des Finances, sur le rapport de notre excellent collègue,
Michel Mercier. Votre commission des Lois s'en est remise à la
commission des Finances pour vous présenter les dispositions
financières du projet de loi, contenues dans le titre II à
l'exception de l'
article 61
relatif à la composition du
comité des finances locales.
I. LA COOPÉRATION INTERCOMMUNALE : UN PROCESSUS INDISPENSABLE MAIS PERFECTIBLE
A. UNE RÉPONSE ADAPTÉE À LA DIVERSITÉ COMMUNALE
1. La diversité communale : une spécificité française
a) L'émiettement communal
Par le
grand nombre de ses communes, la France occupe incontestablement une
place
originale
dans l'Union européenne.
La très grande majorité des communes comptent moins de
2.500 habitants
.
103
communes ont plus de
50.000 habitants
.
25.249
communes ont moins de
700 habitants
. Ce phénomène a eu tendance à
s'accentuer au fil du temps : le
tiers
des communes comptent moins
de
200 habitants
(10.763 au total) contre 25 % il y a
quarante ans et 12 % il y a un siècle.
Les quelque
32.000
communes
de moins de 2.000
habitants
regroupent
26 %
de la population française.
Répartition démographique des communes de
métropole
selon le recensement de 1990
Strates démographiques |
Nombre de communes |
Nombre d'habitants |
Communes dont la population est : |
Nombre de communes |
Nombre d'habitants |
0 à 49 |
1.087 |
37.263 |
|
|
|
50 à 99 |
2.995 |
224.847 |
|
|
|
100 à 199 |
6.681 |
985.016 |
> 100 habitants |
32.469 |
57.422.614 |
200 à 299 |
4.886 |
1.200.786 |
|
|
|
300 à 399 |
3.522 |
1.218.757 |
|
|
|
400 à 499 |
2.403 |
1.070.581 |
|
|
|
500 à 699 |
3.675 |
2.160.290 |
> 500 habitants |
14.977 |
52.947.474 |
700 à 999 |
2.934 |
2.439.647 |
|
|
|
1.000 à 1.499 |
2.628 |
3.181.744 |
> 1.000 habitants |
8.368 |
48.347.537 |
1.500 à 1.999 |
1.346 |
2.312.537 |
|
|
|
2.000 à 2.499 |
905 |
2.011.241 |
> 2.000 habitants |
4.394 |
42.853.256 |
2.500 à 2.999 |
593 |
1.626.590 |
|
|
|
3.000 à 3.499 |
421 |
1.358.055 |
> 3.000 habitants |
2.896 |
39.215.425 |
3.500 à 3.999 |
290 |
1.084.220 |
|
|
|
4.000 à 4.999 |
446 |
1.982.159 |
|
|
|
5.000 à 5.999 |
316 |
1.727.517 |
> 5.000 habitants |
1.739 |
34.790.991 |
6.000 à 8.999 |
488 |
3.544.585 |
|
|
|
9.000 à 9.999 |
94 |
896.724 |
|
|
|
10.000 à 19.999 |
445 |
6.231.927 |
> 10.000 habitants |
841 |
28.622.165 |
20.000 à 29.999 |
161 |
3.957.742 |
|
|
|
30.000 à 49.999 |
132 |
5.130.019 |
> 30.000 habitants |
235 |
18.432.496 |
50.000 à 79.999 |
54 |
3.289.189 |
> 50.000 habitants |
103 |
13.302.477 |
80.000 à 99.999 |
13 |
1.153.888 |
|
|
|
100.000 à 199.999 |
25 |
3.405.215 |
> 100.000 habitants |
36 |
8.859.400 |
200.000 à 299.999 |
6 |
1.337.208 |
|
|
|
plus de 300.000 |
5 |
4.116.977 |
> 300.000 habitants |
5 |
4.116.977 |
|
|
|
|
|
|
TOTAL METROPOLE |
36.551 |
57.684.724 |
(moins de
|
(35.710) |
(29.062.559) |
|
|
|
(plus
de
|
(841) |
(28.622.165) |
L'histoire administrative depuis 1789 a été
marquée par les tentatives de
regroupement communal
.
Devant l'Assemblée Constituante, Thouret, Sieyès et Condorcet
plaidèrent pour la création de quelque
6.500
grandes
municipalités, alors que Mirabeau défendit au contraire la
transformation en communes des
44.000 paroisses
de l'Ancien
Régime.
Cette dernière position l'emporta avec la création d'une
municipalité dans chaque ville ou paroisse, le nombre total étant
cependant réduit de 44.000 à
38.000
.
Néanmoins, cette organisation administrative fut vite contestée
et différents projets cherchèrent à refondre les
circonscriptions afin de réduire le nombre des communes.
La Constitution de l'An III (1795) distingua trois catégories de
communes selon leur taille. Elle créa des municipalités de canton
regroupant les communes de
moins de 5.000 habitants
.
L'expérience se solda par un
échec
.
Cet échec pesa fortement sur les différentes tentatives de
regroupements entreprises au XIXème siècle, notamment sous la
IIIème République, dont aucune ne put aboutir. Il en fut
ainsi des projets Villèle (1821), Vivien (1837) et Barrot (1851), qui
tendaient à la création d'un conseil cantonal à rôle
consultatif. De même, échoua la tentative de création d'une
nouvelle unité administrative -le canton-, dotée de la
personnalité civile qui avait été proposée par la
commission de décentralisation administrative (1871), les projets
Gambetta (1881) et Gobbet (1882). Enfin, la relance de l'idée de
municipalités de cantons (projet Lennessan, 1883) ne put pas davantage
aboutir.
Si l'on met à part une loi de Vichy en date du
28 février 1942, qui instituait des comités
départementaux de coordination des services municipaux et
départementaux chargés de recenser les communes dont la faiblesse
de la population et des ressources justifiait la suppression et
prévoyait la constitution d'associations de communes facultatives ou, le
cas échéant, obligatoires, il fallut attendre la
Vème République
pour que de nouvelles solutions
globales soient recherchées.
Entre 1958 et 1970, différents textes ont ainsi cherché à
favoriser des regroupements. Les résultats furent néanmoins
limités
:
298 fusions
intéressant
635 communes
sur un total de 37.708 (en 1968) furent
réalisées pendant cette période.
Une nouvelle impulsion au regroupement communal résulta de la
loi du
16 juillet 1971
sur les fusions et regroupements de communes.
Cette loi a prévu l'établissement par département d'un
plan de regroupement par voie de fusion ou à défaut dans le cadre
d'établissements de coopération. Une commission
départementale fut créée, composée de quatre
conseillers généraux et de dix maires, élus par leurs
pairs, présidée par le président du conseil
général. Il s'agissait d'organiser le mouvement d'association des
communes de façon à éviter les superpositions inutiles.
Au 15 septembre 1972, les
91
plans de fusions publiés
par les préfets -la région parisienne n'était pas
concernée- proposaient :
1.492
syndicats à vocation
multiple regroupant
12.979
communes ;
12.500
communes
assurant seules leur développement ;
307
districts pour
3.245
communes ;
22
communautés urbaines pour
354
communes. Enfin,
3.482
communes élargies se
substituaient soit par fusion, soit sous forme de communes associées
à
9.761
communes.
Nombre de fusions intervenues de 1971 à 1977
Années |
Nombre
|
Nombre de communes regroupées |
Fusions-associations |
Fusions simples |
||
|
|
|
Nombre |
Communes regroupées |
Nombre |
Communes regroupées |
1971 |
19 |
43 |
14 |
33 |
5 |
10 |
1972 |
528 |
1.336 |
441 |
1.144 |
87 |
192 |
1973 |
193 |
466 |
149 |
367 |
44 |
99 |
1974 |
76 |
154 |
59 |
124 |
17 |
30 |
1975 |
9 |
19 |
5 |
10 |
4 |
9 |
1976 |
9 |
20 |
6 |
14 |
3 |
6 |
1977 |
4 |
7 |
2 |
4 |
2 |
3 |
Source : Direction générale des
collectivités locales
Cependant, dès 1975, le nombre de fusions a régressé. En
1978, le nombre des communes a recommencé à s'accroître
(36.385 contre 36.380 en 1977). La procédure est ensuite tombée
en désuétude, peut-être paradoxalement au moment même
où elle aurait pu produire des résultats significatifs.
De 1975 à 1995, la création de
212
communes a plus
que contrebalancé la suppression de
51
communes. De plus, un
grand nombre de communes ont choisi la formule de la fusion-association, qui
permet de conserver un maire délégué
(
754
communes associées étaient
dénombrées lors des élections municipales de 1995).
Cet échec traduit l'attachement à
l'identité
communale
, le découpage géographique étant un
héritage de la Révolution et, au-delà, des paroisses de
l'Ancien Régime.
Plusieurs raisons d'
ordre technique
peuvent également expliquer
cet échec : la fusion ne requérant qu'une majorité
simple des conseils municipaux sans consultation de la population, certaines
fusions ont été acquises à des majorités trop
étroites pour engager durablement les destinées des communes
intéressées ; les communes associées se sont
estimées sous-représentées dans le conseil municipal de la
commune regroupée ; la gestion du patrimoine foncier et forestier a
paru également susciter des controverses ; enfin, la globalisation
des concours de l'Etat (DGF, DGE) puis la réforme de la fiscalité
locale de 1980 ont pu atténuer le sentiment de la
nécessité du regroupement communal.
Il s'y ajoute le fait que beaucoup de fusions ont été
engagées non pas autour de projets communs mais pour
bénéficier de la majoration des subventions de 50 % pour
réalisation d'équipements.
En 1976, le rapport "
Vivre ensemble
" établi par
M. Olivier Guichard avait envisagé le regroupement en
communautés urbaines ou en communautés de communes de la
quasi-totalité des communes, ce regroupement devant constituer un
préalable au transfert de compétences de l'Etat vers les
communes. Cette proposition ne connut pas de traduction concrète.
Notre ancien collègue Lionel de Tinguy exprimait, en ces termes, les
réticences qu'avaient pu susciter la pratique de regroupement
imposé, dans le rapport qu'il établit au nom de votre commission
des Lois sur le projet de loi relatif au développement des
responsabilités des collectivités locales
2(
*
)
présenté en 1979 par
M. Christian Bonnet :
"
Le fait que d'autres pays n'aient pas eu le même respect pour
la liberté des habitants de leurs petites communes n'est pas un motif
suffisant pour les irriter et violer ainsi ce que l'on peut presque appeler des
droits de l'homme (...). Le regroupement autoritaire, qui est néfaste
pour la vie professionnelle et familiale, ne l'est pas moins pour la vie
civique
.
"
Tous les pays qui ont réalisé des fusions de communes
ont constaté que l'intérêt des habitants, leur
participation tant aux scrutins qu'à la vie locale étaient moins
grands après la fusion qu'avant. En France, alors que le taux de
participation aux élections municipales est très
élevé, spécialement quand la commune est petite ou
moyenne, ce taux décroît en règle générale
avec la dimension de la commune
".
b) Le nombre des communes : une situation originale en Europe
Tous les
Etats européens ont engagé, dans les années 1960-1970, des
réformes tendant à réduire le nombre de leurs communes.
Ces politiques ont donné des résultats variables comme
l'illustrent des données reproduites dans le pré-rapport relatif
à l'intercommunalité établi en 1996 par la Direction
générale des collectivités locales.
Evolution du nombre de communes (1968-1978)
PAYS |
|
|
|
Population moyenne par commune après la réforme |
France |
1971 |
37.708 |
36.394 |
1.491 |
Grande-Bretagne |
1974-1975 |
1.549 |
522 |
103.693 |
R.F.A. |
1968-1970 |
24.438 |
8.414 |
7.134 |
Italie |
1970 |
8.032 |
8.066 |
6.973 |
Espagne |
1978 |
8.150 |
8.150 |
4.631 |
Belgique |
1975 |
2.359 |
596 |
16.523 |
Pays-Bas |
1951 |
1.010 |
775 |
16.875 |
Danemark |
1967 |
1.387 |
277 |
17.823 |
En
Allemagne
, la réorganisation territoriale, menée entre
1968 et 1978, s'est traduite par une division par trois du nombre des communes
mais aussi par une réduction de moitié du nombre des Kreise
(structure équivalente à l'arrondissement français).
L'Allemagne est ainsi passée de
24.438
communes en 1965
(dont 11.000 avaient moins de 500 habitants) à
8.414
après la réforme. Dans le Land très peuplé de
Rhénanie du Nord-Westphalie le nombre de communes a été
divisé par 6.
En
Belgique
, après l'échec des fusions volontaires de
communes engagées par une loi du 14 février 1961, une
procédure de fusions obligatoires conduite à partir de la loi du
30 décembre 1975 a réduit de 2.359 à
596
le nombre des communes.
Aux
Pays-Bas
, la fragmentation communale -très limitée
initialement- s'est réduite progressivement de 1851
(1.209 communes) à 1950 (1.012 communes). La loi sur les
fusions adoptée en 1951 a eu un effet accélérateur, le
nombre de communes passant de 1.012 à 702 entre 1951 et 1993 (soit une
diminution de 30 %).
En
Espagne
, les communes furent regroupées au XIXème
siècle. S'il existe une procédure de fusion, elle ne s'est
néanmoins traduite par aucun mouvement de réduction du nombre des
communes.
En
Italie
, après plusieurs tentatives qui ont cherché
à encourager la coopération intercommunale, une loi du
8 juin 1990 sur la nouvelle organisation des collectivités
locales a créé l'union des communes.
En
Grande-Bretagne
, la fusion des collectivités territoriales a
été réalisée dans le cadre de la réforme
générale des collectivités locales survenue en 1972 (1974
pour l'Ecosse) et entrée en vigueur en 1974-1975.
Les fusions autoritaires opérées à cette occasion ont eu
pour effet de réduire le nombre des collectivités locales de
1.520 à
522
, le nombre des districts passant de 1.243 à
412
.
Si, par le nombre de ses communes, la France se trouve dans une situation
originale en Europe, il serait néanmoins erroné de tirer des
expériences des Etats voisins la conclusion qu'il existerait un
" modèle européen " auquel il conviendrait de se
conformer.
Chaque Etat a, en effet, une organisation administrative tirée de son
histoire et de sa culture. Si la France s'interroge sur l'efficacité de
son organisation territoriale, d'autres Etats qui ont conduit des politiques
très volontaristes se demandent si une approche trop systématique
n'a pas nuit à la démocratie et à l'autonomie
locales.
2. La coopération intercommunale : une réponse adaptée
La
coopération intercommunale s'est progressivement affirmée comme
une réponse adaptée à l'émiettement communal. De la
prise en charge commune des services publics, elle a évolué vers
des formules plus ambitieuses tendant à faciliter la mise en oeuvre de
projets d'aménagement et de développement économique.
La
loi du 22 mars 1890
créa le
syndicat de
communes
. Cet établissement public permet d'adapter la gestion
communale, soit aux nécessités techniques
(électrification, adduction d'eau), soit à certaines
activités qui, par leur nature, débordent les limites
territoriales des communes (transport, urbanisme, assainissement).
Sous l'effet de la croissance économique et du développement
urbain, de nouvelles structures furent créées dans les
années cinquante.
Un
décret du 20 mai 1955
institua les
syndicats
mixtes.
Ceux-ci permettent aux communes et départements de
s'associer entre eux, ainsi qu'avec des établissements publics locaux.
L'ordonnance n° 59-29 du 5 janvier 1959
a
autorisé la création de
syndicats à vocation multiple
(SIVOM
). Ces syndicats peuvent être chargés de plusieurs
missions : adduction d'eau, lutte contre l'incendie, construction et
gestion d'installations sportives, de locaux scolaires, de crèches, de
maisons de retraite ou encore, transport de personnes.
Cette ordonnance a, en outre, assoupli le régime de création des
syndicats à vocation unique -qui était subordonnée
à l'accord unanime de toutes les communes concernées-, en
introduisant la règle de la
majorité qualifiée
(deux tiers au moins de conseils municipaux représentant plus de la
moitié de la population ou l'inverse). Cette règle de
majorité qualifiée fut, par la suite, étendue à la
création de syndicats à vocation multiple
(loi n° 70-1297 du 31 décembre 1970).
La
loi n° 88-13 du 5 janvier 1988
a par la
suite institué un " syndicalisme à la carte ". Elle a
permis à une commune de n'adhérer à un syndicat que pour
une partie seulement des compétences exercées par celui-ci.
Dans le but de répondre au problème posé par les
agglomérations,
l'ordonnance n° 59-30 du
5 janvier 1959
institua, pour sa part,
les districts
urbains
. Cette formule fut ensuite étendue aux zones rurales par la
loi du 31 décembre 1970 déjà citée.
Le district constitue une forme de
coopération plus
intégrée
que le syndicat de communes.
En premier lieu, outre les compétences dont il est doté par la
décision institutive, ou ultérieurement, il exerce des
compétences obligatoires déterminées par la loi : la
gestion des services de logement, des centres de secours contre l'incendie, et
des services assurés par les syndicats associant les mêmes
communes que lui.
En second lieu, le district peut être doté d'une fiscalité
propre. Cette fiscalité est additionnelle aux quatre taxes directes
locales. En outre, elle permet au district de bénéficier d'une
attribution de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Cette
fiscalité optionnelle est devenue obligatoire depuis 1995.
La loi n° 66-1069 du 31 décembre 1966 a, par la
suite, créé
la communauté urbaine
, nouvelle
structure destinée à répondre aux problèmes
posés par les grandes agglomérations.
La communauté urbaine constitue une forme très
intégrée de coopération. Pas moins de
onze
domaines
de compétences doivent lui être obligatoirement
transférés, parmi lesquels l'établissement des documents
d'urbanisme, la création et l'équipement des zones d'habitation,
des zones industrielles ou artisanales et des zones portuaires, la lutte contre
l'incendie, les transports urbains, l'eau, l'assainissement, la voirie, les
lycées et les collèges. Elle est, en outre, dotée,
dès l'origine, d'un régime de fiscalité propre. Elle
bénéficie également d'attributions fortes de la dotation
globale de fonctionnement (DGF).
Réservée à l'origine aux communes de plus de
50.000 habitants, la communauté urbaine peut, depuis la loi
d'orientation du 6 février 1992, être
créée dans les communes de plus de
20.000 habitants
.
La loi du 31 décembre 1966 a créé d'office
quatre communautés urbaines dans de grandes agglomérations
(Bordeaux, Lille, Lyon et Strasbourg). Huit autres agglomérations se
sont dotées de cette structure de coopération (Brest, Cherbourg,
Le Creusot-Montceau-Les-Mines, Dunkerque, Le Mans, Nancy, Arras et
Alençon).
Les syndicats d'agglomération nouvelle
-qui résultent de
la loi n° 83-636 du 13 juillet 1983- ont, pour leur
part, une vocation plus particulièrement orientée vers la
programmation et l'investissement dans les domaines de l'urbanisme, du
logement, des transports, des réseaux divers, des voies nouvelles et du
développement économique.
En créant deux nouvelles structures -
les communautés de
communes et les communautés de villes
-, la
loi n° 92-125 du 6 février 1992 d'orientation
relative à l'administration territoriale de la République, a
entendu axer la coopération intercommunale sur le développement
économique et l'aménagement de l'espace.
Les
communautés de communes
assurent de
plein droit
des
compétences dans ces deux domaines. En outre, elles doivent exercer des
compétences relevant d'au moins l'un des quatre groupes
énumérés par la loi (environnement ; logement ;
voirie ; équipements culturels et sportifs, équipements de
l'enseignement primaire).
Les
communautés de villes
-qui regroupent les communes d'une
agglomération de
plus de 20.000 habitants
- exercent de
plein droit
les compétences en matière
d'aménagement de l'espace et de développement économique.
Elles doivent, en outre, exercer les compétences relevant d'au moins
l'un des quatre groupes énumérés par la loi
(environnement ; logement ; voirie et transports urbains ;
équipements culturels et sportifs, équipements de l'enseignement
primaire).
Par ailleurs, la loi du 6 février 1992 dote ces nouvelles
structures d'un régime fiscal destiné à favoriser une
coopération plus intégrée.
Outre un régime de base constitué par une fiscalité
additionnelle aux quatre taxes directes locales, les communautés de
communes peuvent opter pour deux autres régimes. D'une part, si elles
créent ou gèrent une zone d'activités économiques,
elles peuvent décider d'unifier le taux de taxe professionnelle
sur
le territoire de la zone
. D'autre part, elles peuvent opter pour un taux de
taxe professionnelle unique
sur l'ensemble du territoire de la
communauté. Elles doivent alors renoncer à la perception d'une
fiscalité additionnelle sur les trois autres taxes.
Les
communautés de villes
sont pour leur part substituées
aux communes membres pour la fixation du taux de la taxe professionnelle sur
tout le territoire de l'établissement public et pour sa perception.
La même loi a institué dans chaque département des
commissions départementales de la coopération
intercommunale
chargées d'établir et de tenir à jour
un état de la coopération intercommunale, de formuler toute
proposition tendant à renforcer celle-ci et d'élaborer un
schéma départemental
.
Présidée par le préfet -lequel est assisté d'un
rapporteur et de deux assesseurs élus parmi les maires-, la commission
départementale comprend des représentants des maires (60 %),
des établissements publics de coopération intercommunale
(20 %), du conseil général (15 %) et régional
(5 %).
La commission départementale devait établir -dans un délai
fixé à un an à compter de la promulgation de la loi puis
prolongé
jusqu'au 31 décembre 1993
- un projet de
schéma compte tenu des propositions que les communes pouvaient formuler
dans les six mois suivant la publication de la loi, et en conformité
avec elles lorsqu'elles étaient concordantes. Le projet de schéma
devait comporter des propositions de création ou de modification de
communautés de communes, de communautés de villes, de
communautés urbaines, de districts ou de syndicats de communes.