ANNEXE N° 2
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CONTRIBUTION DE LA CGT
La CGT
tient à rappeler que le droit de grève est un droit fondamental
des salariés, essentiel à toute société qui se veut
démocratique. Les conditions d'exercice de ce droit donnent une mesure
assez exacte du caractère plus ou moins démocratique des
régimes qui tentent de le réglementer.
L'histoire de notre pays, le progrès du droit du travail et du droit
syndical sont intimement liés aux mouvements sociaux, pesant
momentanément sur une partie de l'économie, de la production et
sur les Services Publics eux-mêmes.
Personne ne peut nier non plus que de nombreuses grèves ont pour objet
même, la défense, le développement ou l'amélioration
des Services Publics. Les grèves de 95 ont montré avec vigueur la
sympathie des usagers en dépit, des moyens considérables de
propagande, les présentant comme victimes, otages, pour les opposer aux
salariés des Services Publics.
La CGT, respectueuse de ce droit fondamental des salariés, s'oppose
à toute réglementation et même à forme de
négociation de ce droit parce qu'il n'appartient pas aux syndicats de
limiter ce droit des salariés qui peut s'exercer même sans
concertation préalable. C'est au contraire l'interdiction de licencier
ou de sanctionner tout salarié exerçant une action revendicative
qu'il faut assurer.
Un exemple :
Cinq salariés, quittant leur chantier brusquement à cause du vent
et de la pluie, vont se mettre à l'abri dans le café le plus
proche et refusent de reprendre leur travail en demandant à
bénéficier du chômage intempérie malgré les
injonctions du chef de cette agence Bouygues qui les licencie après pour
refus d'obéissance. La Chambre Sociale de la Cour de Cassation rejette
le pourvoi de la société en retenant les motifs de la Cour
d'Appel qui avait ordonné leur réintégration.
"
Ces salariés se sont retirés d'une situation
dangereuse, ont présenté des revendications et ont exercé
un droit de grève
".
C'est la première décision, sanctionnant par la
réintégration, la nullité du licenciement de
grévistes (Soc. 26.09.90 - CLGB - DO 90 p. 457).
La Cour de Cassation, puis le juge administratif, viennent même de
souligner qu'un salarié isolé, du privé ou du public, peut
exercer tout seul le droit de grève.
Le préavis de cinq jours instauré dans les Services Publics par
la loi de 1963, à l'origine en réalité pour freiner,
restreindre le droit de grève, a montré ses effets
particulièrement négatifs. Il n'a jamais servi à favoriser
des négociations positives sur les revendications ou les conflits
prévisibles. Cette disposition a conduit au contraire à accentuer
les contentieux sur les déclenchements des grèves, à
radicaliser ou globaliser ce qui pouvait être résolu souvent
sectoriellement. L'interprétation hasardeuse faite par la Chambre
Sociale (Soc. 2.02.98 -GFTE) limitant l'échelonnement des arrêts
de travail, aura l'effet pervers, encore là, d'obliger à
généraliser et arrêter complètement le service. Une
décision plus récente (Soc. 12.01.99 - SNCF c/x) vient de
pondérer cette aberration.
Les organisations syndicales n'ont pas à disposer du droit d'autoriser
ou non les salariés à faire grève, à se
défendre. Elles n'ont pas à policer la grève ni à
être tenues pour responsables de telles ou telles conséquences de
la grève avec des dérives que l'on a connues menant à la
répression contre les prétendus meneurs...
Les organisations syndicales ont pour mission de faciliter la défense
des intérêts des salariés, de favoriser l'expression
démocratique des revendications et des modalités d'actions pour
les faire aboutir, faire consolider les acquis par la négociation et le
progrès de la législation. Mais selon nous, il serait contre
nature qu'elles contribuent à limiter les droits de résister ou
de convaincre dont ont tant besoin les salariés (l'arrêt du 7 juin
1995 a d'ailleurs interdit les clauses conventionnelles limitant le droit de
grève).
C'est toute la prudence qu'a montrée le Conseil économique et
social dans son rapport et son avis sur la prévention et la
résolution des conflits du travail (10 et 11 février 1998 - JO,
avis et rapport du CES 18.02.98) quand il recommande de favoriser l'expression
des salariés et d'améliorer les relations sociales plutôt
que de réglementer à nouveau l'exercice de la grève dans
le secteur privé comme dans les services publics.
Aucun service minimum ne doit être instauré, ni par la voie
législative, ni par la voie réglementaire, encore moins par la
négociation avec les organisations syndicales, parce qu'il s'agirait de
priver du droit de grève des catégories entières de
salariés, voire de la majorité des salariés d'immenses
secteurs d'activité et parmi ceux qui peuvent exercer ce droit et faire
en sorte que dans notre pays, quelques centaines de milliers de salariés
du secteur public et 2 ou 3 millions de fonctionnaires ne se retrouvent pas
spoliés de statut et de ce droit élémentaire comme le sont
la majorité des salariés du privé et la totalité
des salariés précaires, à la merci de licenciement
disciplinaire ou de non renouvellement de contrat...
Les salariés du secteur public et les organisations syndicales qu'ils se
sont donné, se battent pour défendre la qualité de leur
statut, toujours intimement liée à la qualité et au
développement du service public. Souvent, ils ont une conscience
aiguë de l'intérêt général, anticipant les
risques que font courir à la société elle-même les
démantèlements, les privatisations, la déshumanisation des
services dans tous les domaines de l'environnement à la santé, de
la vie dans les campagnes à l'urbanisation, aux guettos des banlieues...
C'est en permanence qu'un service minimum ou la sécurité ne sont
pas assurés faute de personnels et de moyens dans la totalité des
services publics.
La CGT considère que ce sont les orientations choisies contre l'avis des
personnels, les méthodes autoritaires ou technocratiques de nombreuses
directions qui sont à la fois à l'origine des conflits et
à l'origine des l'aggravation des situations au cours même des
conflits dont peuvent être victimes les usagers eux-mêmes.
Dans la santé, comme dans le secteur de l'énergie, celui des
transports, des communications et bien d'autres, les salariés en lutte
savent organiser les mouvements de grèves afin que les services vitaux
soient assurés ; souvent ce savoir faire était
toléré par des directions. Ce savoir faire a conduit plus
récemment à adopter des modalités d'action ne portant
aucun préjudice aux usagers, bien au contraire (gratuité des
transports, des péages, basculement des compteurs en heures de nuit).
Mais, les pressions, les fausses réquisitions, les sanctions, les
mesures autoritaires unilatérales, le remplacement illégal des
grévistes ont conduit souvent à durcir les mouvements et à
les prolonger inutilement avec les contentieux bien stérilisants
à tout point de vue.
La proposition de loi montre d'abord que ses auteurs méconnaissent les
mouvements sociaux, leurs causes, leurs richesses, leur complexité,
leurs effets bénéfiques pour la vie démocratique et
sociale.
La proposition de loi revient non seulement à priver des centaines de
milliers de salariés de l'exercice du droit de grève mais
à nier l'essence même du droit de grève. La grève
coûte au salarié qui y est contraint mais a pour objet de faire
modifier des projets ou des situations par un rapport de force qui,
lui-même, va produire des droits nouveaux, des évolutions
positives.
La proposition de loi est irréaliste et ses auteurs en sont conscients
puisqu'ils confient, sans détours, sans aucun sens des
responsabilités, au gouvernement le soin de réglementer ce que la
Constitution a réservé au législateur.
Il est des plus étonnants de constater que les tenants du
libéralisme n'hésitent pas à envisager une inflation de
textes réglementaires (un service minimum dans la santé, un
service minimum dans les transports aériens (public -
privé ?), les Télécom, La Poste, l'énergie...)
qui deviendront inadaptés avant d'être adoptés et source de
contentieux infinis.
Cette proposition, enfin, a le mérite de rassembler le mouvement
syndical puisque les organisations les plus représentatives ont, chacune
à leur manière, vivement exprimé leur opposition à
ce qu'elle ait un avenir quelconque. Heureusement, l'histoire montre que nombre
de projets antérieurs similaires ont connu le même sort.
La CGT a déjà fait savoir qu'elle contribuera, si besoin est,
à ce que les salariés ne se fassent pas spolier d'un droit
élémentaire qui permet que la dignité, la
citoyenneté s'imposent sur tous les lieux de travail.