B. UN NÉCESSAIRE APPROFONDISSEMENT DU CONTENU SOCIAL DU PROJET DE LOI
1. Les lacunes du projet de loi initial n'ont été corrigées que partiellement à l'Assemblée nationale
a) Les lacunes du projet de loi initial
•
La revalorisation des retraites agricoles
L'absence de toute disposition relative à la revalorisation des
retraites agricoles, dans le projet de loi déposé à
l'Assemblée nationale, a été critiquée, tant la
question de ces retraites reste centrale. Seul l'exposé des motifs
précise : "
les mesures législatives
nécessaires à la revalorisation par étapes progressives
des pensions de retraites les plus faibles seront proposées d'ici la fin
de la législature
".
Le Conseil économique et social a souhaité qu'un calendrier de
revalorisation soit adopté dans le cadre de la loi d'orientation.
Il convient de rappeler les efforts déjà réalisés
depuis 1994 pour revaloriser les retraites agricoles.
La
revalorisation des petites retraites des non-salariés agricoles :
un
effort continu depuis 1994
La loi
du 18 janvier 1994 (décret d'application n° 94-714 du 18 août
1994) a permis la prise en compte pour le calcul de la retraite proportionnelle
des chefs d'exploitation, de tout ou partie des années pendant
lesquelles ils ont été aides familiaux, ces années donnant
lieu à l'attribution de points de retraite gratuits. Pour les
exploitants déjà retraités avant 1994, la carrière
a été reconstituée fictivement ; pour ceux
retraités à compter de 1994, le nombre de points gratuits est
calculé en fonction de leur carrière réelle. Pour en
bénéficier, l'intéressé doit justifier d'un minimum
de 17,5 années de chef d'exploitation et de 32,5 années de
non-salarié agricole.
Le décret n° 95-289 du 15 mars 1995 portant application de
l'article 71 de la loi de modernisation agricole a rendu possible le cumul des
droits propres et des droits dérivés pour les veufs et les
veuves. L'interdiction de cumul a été levée par tiers sur
trois ans de 1995 à 1997 : la retraite personnelle peut ainsi être
cumulée avec une pension de réversion correspondant à 54 %
de la retraite proportionnelle du décédé et d'un tiers de
la retraite forfaitaire dudit décédé en 1995, des deux
tiers en 1996, et de la totalité à partir de 1997. Quant aux
veufs et veuves déjà titulaires d'une pension de réversion
avant 1995 et s'étant acquis des droits à une retraite
personnelle, ils bénéficient d'une majoration forfaitaire de
6.000 francs mise en place par tiers sur trois ans de 1995 à 1997.
La loi de finances pour 1997 a instauré un ensemble de mesures
concernant les chefs d'exploitation, et les autres actifs, conjoints et aides
familiaux (décret d'application n° 97-163 du 24 février
1997). Une majoration forfaitaire de 1.000 francs en 1997 et de 1.500 francs
à compter de 1998 a été accordée aux conjoints,
aides familiaux et chefs d'exploitation ayant une carrière courte (moins
de 17,5 ans), à condition d'avoir liquidé leur retraite avant
1998 et de justifier d'un minimum de 32,5 années de
non-salarié agricole.
Pour les chefs d'exploitation à carrière longue, retraités
avant 1997, des majorations de points ont été accordées
pour les bénéficiaires justifiant de retraite d'au moins 32,5
années d'activité non salariée agricole, dont au moins
17,5 années en tant que chef d'exploitation. Pour les chefs
d'exploitation retraités depuis 1997, des majorations de points de
retraite ont été attribuées aux intéressés
justifiant de 37,5 années, tous régimes confondus et 17,5
années de chef ou assimilé.
La loi de finances pour 1998 a complété les dispositifs
précédents en relevant la retraite des conjoints, aides familiaux
et chefs d'exploitation ayant une carrière courte, à condition
d'avoir liquidé leur retraite avant 1998 et de justifier d'un minimum de
32,5 années de non-salarié agricole (décret d'application
n° 98-125 du 3 mars 1998). La majoration des conjoints et aides familiaux
est fixée à 5.100 francs par an.
La loi de finances pour 1999 a introduit une mesure significative de
relèvement des retraites les plus faibles. Cette mesure concerne 607.000
retraités et entraîne un coût de 1,2 milliard de francs en
1999 (1,6 milliard de francs en année pleine). Elle permettra, pour les
agriculteurs ayant cotisé 150 trimestres dans le régime,
d'augmenter de manière importante le montant minimum mensuel
perçu, le portant à 3.000,00 francs pour les chefs
d'exploitation, 2.800,00 francs pour les veufs et veuves, 2.500,00 francs pour
les aides familiaux et/ou carrière mixtes seuls, 2.200,00 francs pour
les aides familiaux et/ou carrières mixtes mariés.
•
Le statut fiscal et social relatif aux exploitations agricoles
Le deuxième reproche adressé au projet de loi initial est
l'absence de redéfinition du statut fiscal et social des exploitations
agricoles. Pourtant, la fiscalité et le régime social des
exploitations devraient prendre en compte la nouvelle définition de
l'activité agricole proposée par le projet. L'exposé des
motifs se borne à reconnaître que
" d'autres dispositions
législatives "
devraient être élaborées
" pour tirer toutes les conséquences des évolutions qui
seront engagées à partir de cette nouvelle orientation, dans le
respect d'une concurrence loyale avec les autres secteurs
d'activité. "
Il apparaît pourtant urgent de rapprocher la fiscalité agricole
d'une véritable fiscalité d'entreprise, afin qu'elle facilite la
transmission des exploitations. Cette redéfinition d'une
fiscalité agricole doit inclure l'étude des charges sociales
pesant sur les exploitants.
b) Un enrichissement insuffisant du projet de loi à l'Assemblée nationale
Le
Gouvernement a répondu à ces critiques en expliquant qu'il
n'appartenait pas à un projet de loi d'orientation de définir des
engagements, mais que les différentes mesures seraient
présentées en lois de finances.
L'Assemblée nationale a souhaité néanmoins deux
rapports : l'un prévu à l'article 1er ter (nouveau), relatif
aux retraites agricoles, et l'autre à l'article 65 (nouveau) sur
" l'adaptation de la fiscalité agricole, des charges sociales et
de la transmission des exploitations "
.
En ce qui concerne les dispositions relatives aux salariés agricoles,
l'Assemblée nationale a complété le projet de loi initial
en adoptant trois articles additionnels visant à développer les
possibilités de formation professionnelle continue et cherchant à
lutter -mais de manière sans doute inappropriée- contre le risque
de précarisation de l'emploi salarié.
Enfin, le Gouvernement a jugé bon de proposer cinq amendements relatifs
à la mutualité sociale agricole, déposés une
semaine avant le passage en séance publique, sans que la Caisse centrale
ait été réellement consultée. Ces amendements, qui
prétendent remédier aux errements constatés en juillet
1997, retracés dans le rapport de la Cour des comptes de septembre 1997,
apparaissent bien tardifs ; la nécessité des dispositions
proposées apparaîtrait beaucoup plus évidente s'ils avaient
été inclus dans le texte du projet adopté par le Conseil
des ministres du 10 juin 1998.
2. Les propositions de la commission des Affaires sociales
Votre
commission est consciente de la complexité des domaines en cause. Elle
ne méconnaît pas l'utilité de demander des rapports au
Gouvernement, qui pourront ainsi faire l'objet d'un diagnostic
" concerté " -pour ne pas dire " partagé "-
avec l'ensemble des acteurs du monde rural. Il lui semble néanmoins que
le Parlement ne saurait renoncer à un certain pouvoir d'initiative,
à partir du moment où le Gouvernement propose un projet de loi
" d'orientation ".
C'est pourquoi votre commission vous proposera un dispositif d'amendements
visant à développer le volet social du projet de loi et à
en renforcer la cohérence dans le sens d'un plus grand pragmatisme.
En ce qui concerne les retraites agricoles, elle estime qu'il est
désormais important d'inscrire dans la loi l'objectif du minimum
vieillesse pour tous. Votre commission vous propose l'adoption d'un article
additionnel avant l'article premier ter.
Le rapport demandé par l'Assemblée nationale est par ailleurs
utile. Son contenu doit être complété (
article premier
ter
).
En ce qui concerne les charges sociales, elle propose une mesure unique et
simple, portant sur l'exonération dont bénéficient les
jeunes agriculteurs. Votre commission vous propose de la majorer par l'adoption
d'un article additionnel après l'article 24, afin qu'ils retrouvent
l'avantage relatif par rapport aux autres catégories d'exploitants dont
ils bénéficiaient avant la substitution CSG/cotisations
d'assurance maladie opérée par la loi de financement pour 1998.
Votre commission vous propose d'adopter deux dispositions représentant
un réel progrès social dans le monde agricole :
- l'une visant à déterminer un montant minimum pour les pensions
de réversion ;
- l'autre étendant au régime agricole les règles
d'insaisissabilité et d'incessibilité applicables aux pensions et
rentes des régimes d'assurance vieillesse et d'assurance
invalidité.
S'agissant des dispositions relatives aux salariés agricoles, elle juge
nécessaire d'étendre le champ d'application du titre emploi
simplifié agricole afin d'accompagner le développement de
l'emploi. Elle estime également nécessaire de redéfinir
les dispositions supposées limiter la précarisation de l'emploi
salarié agricole, mais qui risquent au contraire de freiner son
développement.
Enfin, concernant les dispositions relatives à la mutualité
sociale agricole, elle souhaite favoriser l'adoption de dispositions permettant
un meilleur fonctionnement de la tutelle (
articles 29 quater à 29
octies
). Elle n'entend pas pour autant accroître de manière
trop disproportionnée les outils de cette tutelle par l'institution d'un
commissaire du Gouvernement ; votre commission ne souhaite pas la
fragilisation du deuxième régime de protection sociale
français.