N°
103
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 9 décembre 1998
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l'approbation du cinquième protocole (services financiers) annexé à l' accord général sur le commerce des services ,
Par M.
André BOYER,
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Xavier de Villepin,
président
; Serge Vinçon, Guy Penne, André Dulait,
Charles-Henri de Cossé-Brissac, André Boyer, Mme Danielle
Bidard-Reydet,
vice-présidents
; MM. Michel Caldaguès,
Daniel Goulet, Bertrand Delanoë, Pierre Biarnès,
secrétaires
; Bertrand Auban, Michel Barnier, Jean-Michel Baylet,
Jean-Luc Bécart, Daniel Bernardet, Didier Borotra, Jean-Guy
Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique
Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Robert Del Picchia, Hubert
Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean
Faure, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Emmanuel Hamel,
Roger Husson, Christian de La Malène, Philippe Madrelle,
René Marquès, Paul Masson, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Jean-Luc
Mélenchon, René Monory, Aymeri de Montesquiou, Paul d'Ornano,
Charles Pasqua, Michel Pelchat, Alain Peyrefitte, Xavier Pintat, Bernard
Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Gérard Roujas,
André Rouvière.
Voir le numéro
:
Sénat
:
22
(1998-1999).
Commerce.
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Nous sommes invités à examiner un projet de loi autorisant
l'approbation du cinquième protocole relatif aux services financiers et
annexé à l'accord général sur le commerce des
services. L'accord général sur les services -AGCS-, constitue
l'un des nombreux textes inclus dans le Traité portant institution de
l'Organisation mondiale du commerce (OMC), conclu à Marrakech le
15 avril 1994, adopté par le Parlement en décembre 1994 et
entré en vigueur le 1er janvier 1995.
Ce cinquième protocole, qui concerne la libéralisation des
services financiers -banques, assurances, services boursiers-, est en fait
l'ultime épisode d'une longue négociation sur ce sujet qui avait
déjà conduit à l'adoption, le 21 juillet 1995 d'un
accord intérimaire et donc provisoire, sur les services financiers.
En effet, à Marrakech, en avril 1994, un accord n'avait pu être
obtenu sur les services financiers dans le cadre de l'Accord
général sur les services. De nouvelles négociations furent
alors engagées, avec pour objectif d'aboutir avant le 30 juin 1995,
en obtenant de meilleures propositions de la part des différents pays.
Cette nouvelle négociation s'est cependant heurtée à la
réticence des Etats-Unis qui, au moment de la clôture des
négociations, arguant d'un niveau insuffisant d'offres de
libéralisation de la part de certains pays, décidèrent de
déposer une dérogation générale à la "clause
de la Nation la plus favorisée". Cette dérogation
équivalait à réduire à peu de choses l'offre
américaine.
Plutôt que d'en rester sur ce relatif échec, il fut
décidé, grâce notamment à l'impulsion de l'Union
européenne, de proroger les négociations. Elles aboutirent le
21 juillet 1995 et un accord
intérimaire
, préservant
les acquis déjà obtenus, et dénommé deuxième
protocole sur les services financiers, fut alors conclu entre 43 pays.
Cet accord provisoire devant arriver à échéance le
31 décembre 1997, un troisième cycle de négociations
fut engagé le 10 avril 1997, il a abouti le 12 décembre 1997
sous la forme d'un
cinquième protocole
, présentement
soumis à notre examen.
A. LE CADRE DU CINQUIÈME PROTOCOLE : L'ACCORD GÉNÉRAL SUR LE COMMERCE DES SERVICES (AGCS)
1. L'objectif de l'Accord général
Cet
accord général, conclu dans le cadre du texte constitutif de
l'OMC en avril 1994 a trois objectifs :
- soustraire les services, grâce à l'application de la clause de
la nation la plus favorisée, à la logique discriminante des seuls
accords bilatéraux qui limitent les avantages consentis à un seul
pays, et qui fut notamment la démarche longtemps
privilégiée par les États-Unis ;
- éviter que les entreprises de services exerçant dans des pays
tiers soient soumises à de nouvelles mesures discriminatoires,
grâce à la stabilisation -dite "consolidation" dans la
terminologie de l'AGCS-, obtenue lorsque les Etats s'engagent à ne pas
"aggraver" leurs législations, à l'égard d'entreprises
étrangères en particulier pour ce qui a trait à la
"présence commerciale" ;
- favoriser, enfin, l'adoption de règles conformes au principe du
traitement national
et la réduction progressive des obstacles
à "
l'accès au marché
" des services ;
Il n'est en effet pas inutile de rappeler que dans une négociation OMC,
les ouvertures que chaque Etat consent dans la libéralisation des
échanges -qu'il s'agisse d'ailleurs des biens ou de services- sont
opérées sous deux aspects
1(
*
)
: celui de "l'
accès au
marché
" tout d'abord, c'est-à-dire la plus ou moins grande
facilité accordée par un Etat à un opérateur
étranger pour exercer son activité -ou exporter son bien- sur son
territoire ; celui du
traitement national
ensuite, à savoir la
possibilité, pour l'opérateur étranger d'exercer
de
facto
dans un Etat tiers son activité
dans les mêmes
conditions que celles offertes aux opérateurs nationaux de cet
Etat.
2. Les modalités de libéralisation dans le secteur des services
L'accord
cadre définit par ailleurs quatre modes de fourniture de service :
- la
fourniture transfrontières
, comparable à
l'échange de marchandises ;
- la
consommation à l'étranger
, qui permet aux nationaux
d'un Etat d'acheter des services sur le territoire d'un autre, c'est le cas par
exemple du tourisme ;
- la
présence commerciale
, permettant aux fournisseurs
étrangers de services d'installer une filiale, une succursale ou une
agence sur le territoire d'un autre Etat ;
- la
présence de personnes physiques
enfin, où le
producteur de service se rapproche du consommateur -cas du cabinet d'audit
envoyant à l'étranger des experts auprès de son client.
Ces divers modes de fourniture de services et les deux aspects de la
libéralisation (traitement national et accès au marché),
constituent la trame des "listes d'engagements"
2(
*
)
déposées par les pays
signataires et partie intégrante du cinquième protocole soumis
à notre appréciation.
Au demeurant, s'agissant des services financiers deux domaines
particulièrement importants sont couverts par l'AGCS :
-
les échanges transfrontaliers des services financiers
permettant par exemple de souscrire un contrat d'assurance auprès
d'une compagnie étrangère ;
-
les conditions d'établissement des entreprises
étrangères
(présence commerciale), plus ou moins
contraignantes et souples selon les législations relatives à
l'investissement étranger ou selon les restrictions posées
à l'activité d'entreprises bancaires ou d'assurances par rapport
aux entreprises nationales.
B. LE CONTEXTE DU CINQUIÈME PROTOCOLE : UN ENJEU ÉCONOMIQUE CONSIDÉRABLE
1. Le marché des services financiers : un secteur-clé pour la France et l'Union européenne
Le
marché mondial de l'assurance
a atteint 15 000 milliards de
francs en 1997. En croissance forte, son chiffre d'affaires a quadruplé
en dix ans. Il se structure autour de trois régions principales qui
représentent 95 % du total :
- L'
Asie
-Japon et Asie du Sud Est-, est la première
région avec 35 % des cotisations mondiales (17 % en 1985). La
fermeture des marchés locaux a empêché les entreprises
occidentales de profiter de cette croissance soutenue. De fait, l'objectif
essentiel et la priorité de la négociation a été la
libéralisation des marchés asiatiques.
- L'
Amérique du Nord
, qui représentait en 1985 54 %
des cotisations mondiales, ne le fait plus, en 1996, qu'à hauteur de
33 %. Le marché est désormais à maturité, sa
croissance est limitée et les positions déjà
établies rendent sa pénétration difficile.
- L'
Union européenne
représente 28 % du total des
cotisations (23 % en 1985). Le développement de ce secteur a
largement bénéficié de l'harmonisation et de la
déréglementation du marché dans le cadre communautaire.
La France occupe le cinquième rang mondial
(6,5 %), avec un
chiffre d'affaires de 1 000 milliards de francs, derrière les
Etats-Unis (31 %), le Japon (25 %), l'Allemagne (7 %), et
à égalité avec le Royaume-Uni (6,5 %). Les
cotisations collectées par les sociétés françaises
représentent désormais 25 % de leur chiffre d'affaires
global, en croissance rapide (+ 11 % en 1997, contre 5 % sur le
marché national).
S'agissant du
secteur des services bancaires et boursiers
, les banques
françaises, malgré les récentes restructurations
poursuivent leur mouvement d'internationalisation.
Le stock d'investissement
français à l'étranger s'élève à
93 milliards de francs et les flux ont atteint 12 milliards en
1997.
Les banques françaises investissent surtout dans l'Union
européenne (55 %), mais les Etats-Unis restent un pays
privilégié pour leurs implantations. Les flux d'investissement
vers les Etats-Unis ont atteint 6 milliards de francs en 1997 contre
5 milliards de francs pour les flux à destination de pays de
l'Union. L'implantation bancaire française aux Etats-Unis prend surtout
la forme de rachats de sociétés locales, compte tenu des
obstacles juridiques à l'établissement direct. Quant à la
zone asiatique, elle est une cible majeure : les banques françaises
retirent aujourd'hui de cette zone 20 à 25 % du résultat de
leurs activités internationales. Pour la France comme pour d'autres
pays, la libéralisation du secteur bancaire en Asie constituait un enjeu
majeur. En effet, dans ces pays, les banques étrangères sont
soumises à un
numerus clausus
et ne peuvent dépasser un
plafond de participation -le plus souvent minoritaire- dans le capital des
banques locales.
2. Les acquis contrastés du cinquième protocole
La
France et l'Union européenne avaient davantage d'intérêts
offensifs dans la négociation que de positions à défendre
compte tenu des législations européenne et française dans
ce domaine, déjà largement conformes aux obligations de l'accord.
Par delà même les entreprises comunautaires puisqu'au demeurant,
la libéralisation de l'accès au marché pour les
entreprises communautaires a été étendue à toutes
les entreprises étrangères. Ainsi les marchés
français et européen, dans le secteur des services financiers,
présentent un degré d'ouverture élevé, sans
équivalent dans le monde.
Cela étant, l'offre de l'Union européenne préserve des
dispositions protectrices. Ainsi la France a-t-elle introduit des
réserves destinées à protéger les
réglementations nationales qui limitent l'accès au marché
des entreprises non-communautaires : ces réglementations concernent
l'assurance contre les risques du transport terrestre, qui ne peut être
effectué que par des compagnies établies dans la
Communauté. Par ailleurs, l'établissement de succursales dans le
secteur des assurances est subordonné à une autorisation
spéciale. L'engagement de la France dans le cadre de l'accord se fait
donc à législation constante.
Enfin, deux autres réserves ont été maintenues par la
France : une banque étrangère ne peut intervenir comme chef de
file sur les émissions de titres libellés en francs, que par
l'intermédiaire d'une filiale de droit français
agréée. Par ailleurs, les principaux responsables des
sociétés d'investissement à capital fixe (SICAF) doivent
être de nationalité française.
Ces réserves figuraient au demeurant déjà dans l'accord
intérimaire de 1995.
Les acquis positifs de la négociation, inclus dans le cinquième
protocole, proviennent essentiellement des offres présentées par
les pays émergents. Ainsi le principe du maintien du régime
d'investissement existant (dénommé "grand fathering" par les
anglo-saxons), a-t-il été intégralement confirmé
par l'Indonésie, les Philippines et la Thaïlande, et partiellement
par la Malaisie. Les Philippines, la Corée du Sud, le Brésil,
l'Argentine et le Mexique ont par ailleurs autorisé les participations
étrangères majoritaires. De nouvelles licences d'implantation ont
été octroyées par l'Indonésie et la Malaisie.
Faisant l'objet d'une "consolidation" dans l'accord, ces concessions
revêtent donc un caractère irréversible.
Par delà ces motifs de satisfaction, des dispositions restrictives
demeurent : le degré d'ouverture de ces marchés demeure
limité pour les entreprises européennes et quelques pays
émergents -Corée du Sud, Mexique, Egypte-, ont maintenu
d'importantes réserves de précaution.
De surcroît, les offres de pays importants ont été
décevantes. Ainsi de l'Inde et du Pakistan dont les marchés
demeurent très fermés aux étrangers. Le marché
japonais reste hermétique même si ce pays a accepté de
consolider -de garantir et d'étendre- les accords conclus
bilatéralement avec les Etats-Unis dans les secteurs de la banque et de
l'assurance.
Enfin le Canada et les Etats-Unis ont eu une attitude très prudente. Si
le Canada a consolidé dans l'accord sa réforme bancaire qui
prévoit d'autoriser, au plus tard le 1er juillet 1999,
l'établissement de sucursales de banques étrangères, son
marché, fortement discriminatoire reste très fermé pour un
pays de l'OCDE.
Plus décevante encore est l'offre des Etats-Unis, assortie d'exceptions
nombreuses, liées à des législations
fédérées discriminatoires et à l'absence
d'harmonisation fédérale du cadre réglementaire. Enfin,
l'imprécision des formulations juridiques rend très incertaine la
portée des consolidations promises.
3. La crise financière et le cinquième protocole
On
pouvait légitimement s'interroger sur les conséquences de la
crise financière asiatique dont les prémices ont
précédé la conclusion du cinquième protocole. Les
gouvernements concernés ne seraient-ils pas tentés par un
repliement national et, par voie de conséquence, désireux de
revenir sur les libéralisations consenties ?
Cette inquiétude ne s'est pas concrétisée. Les pays
émergents d'Asie du Sud-Est ou d'Amérique Latine, touchés
par cette crise, ont pu percevoir l'intérêt que
représenterait, pour eux, une ouverture de leurs marchés aux
opérateurs occidentaux du secteur financier. La concurrence
étrangère sur leur territoire, en contraignant leurs propres
établissements financiers à une rigueur accrue, est finalement de
nature à prémunir ces pays à l'avenir contre des
stratégies financières hasardeuses dont la crise qui les frappe a
été la sévère sanction.
De fait, le contenu de l'accord est, en lui-même, de nature à
minimiser l'impact négatif de la crise sur sa mise en oeuvre. La
libéralisation est consentie essentiellement sur le droit
d'établissement (présence commerciale), et ne porte pas sur les
mouvements de capitaux contre lesquels, d'ailleurs, l'annexe sur les services
financiers annexée à l'AGCS et l'AGCS lui-même
prévoient des dispositifs prudentiels destinés à
préserver l'équilibre des balances des paiements.
Les politiques d'ouverture se sont d'ailleurs poursuivies en Asie,
postérieurement au déclenchement de la crise financière,
conduisant d'ailleurs certains pays à élargir les
libéralisations consenties (Philippines, Indonésie,
Thaïlande).
De même, en Amérique Latine, les besoins de financement
extérieur conduisent les gouvernements à persévérer
dans l'assouplissement de l'accès à leurs marchés
financiers pour les opérateurs étrangers, notamment au
Brésil, au Mexique et au Chili.