2. La diminution du plafond du quotient familial constitue un recul important de la politique familiale menée depuis la Libération
a) Une augmentation d'impôt pour 500.000 familles
La
diminution du plafond du quotient familial est présentée par le
Gouvernement comme la contrepartie indispensable du rétablissement des
allocations familiales pour toutes les familles.
L'exposé des motifs de l'article 13 du projet de loi, qui supprime
la mise sous condition de ressources, fait valoir que "
le Gouvernement
souhaite poursuivre un objectif de justice dans la politique familiale en
faisant jouer pleinement à l'impôt sur le revenu son rôle
redistributif ; c'est pourquoi le projet de loi de finances pour 1999
prévoit l'abaissement du plafond du quotient familial
".
L'exposé des motifs précise en outre que "
ces mesures
permettront aux familles concernées de percevoir à nouveau les
allocations familiales tout en ne payant pas plus d'impôt jusqu'à
des niveaux de revenus bien supérieurs au seuil de ressources retenu
pour le versement des allocations familiales en 1998. Ces mesures
représentent une dépense nette en faveur des familles de
780 millions de francs (l'économie résultant de
l'abaissement du plafond du quotient familial -3,9 milliards de francs-
doit être comparée à la dépense
supplémentaire engendrée par la suppression de la condition de
ressources -4,68 milliards de francs pour 1999-)
".
Votre rapporteur se trouve dès lors conduit à commenter une
mesure figurant à l'article 2 du projet de loi de finances pour 1999.
Le système du quotient familial, prévu aux articles 194 et
suivants du code général des impôts, vise à adapter
le montant de l'impôt aux facultés contributives de chaque foyer
fiscal en prenant en compte le nombre de personnes vivant des ressources du
foyer fiscal
11(
*
)
.
D'un point de vue technique, il consiste à diviser le revenu imposable
en un certain nombre de parts déterminé, d'une part, en fonction
de la situation de la famille et, d'autre part, du nombre de personnes
fiscalement considérées comme à la charge du contribuable.
La prise en considération de la situation de la famille conduit à
distinguer les catégories suivantes : célibataire, marié,
veuf, divorcé, séparé.
La notion de personnes à charge concerne principalement les enfants et
certains invalides. Ainsi, à une part pour les contribuables
célibataires, divorcés, veufs ou séparés et
à deux parts pour les contribuables mariés, s'ajoute un nombre de
demi-parts additionnelles variables selon le nombre de personnes à la
charge du contribuable.
Le mode de calcul du quotient familial est donné par le tableau suivant
figurant à l'article 194 du code général des
impôts.
Situation de famille |
Nombre de parts |
Célibataire, divorcé ou veuf sans enfant à charge |
1 |
Marié sans enfant à charge |
2 |
Célibataire ou divorcé ayant un enfant à charge |
1,5 |
Marié ou veuf ayant un enfant à charge |
2,5 |
Célibataire ou divorcé ayant deux enfants à charge |
2 |
Marié ou veuf ayant deux enfants à charge |
3 |
Célibataire ou divorcé ayant trois enfants à charge |
3 |
Marié ou veuf ayant trois enfants à charge |
4 |
Célibataire ou divorcé ayant quatre enfants à charge |
4 |
Marié ou veuf ayant quatre enfants à charge |
5 |
Célibataire ou divorcé ayant cinq enfants à charge |
5 |
Marié ou veuf ayant cinq enfants à charge |
6 |
Célibataire ou divorcé ayant six enfants à charge |
6 |
En
application de l'article 195 du code général des impôts,
certains contribuables bénéficient en outre d'une demi-part ou de
plusieurs demi-parts additionnelles. Il s'agit, pour l'essentiel, des
célibataires, veufs ou divorcés ayant eu un ou plusieurs enfants
à charge, des pensionnés de guerre et assimilés, de
pensionnés pour accident du travail, des invalides civils ainsi que des
titulaires de la carte du combattant ou d'une pension militaire
d'invalidité âgés de plus de 75 ans et certaines de
leurs veuves. Chaque enfant titulaire de la carte d'invalidité ouvre
également droit à une demi-part supplémentaire.
Le quotient familial reposant sur la division du revenu imposable par le nombre
de parts du foyer fiscal, il tend à atténuer la
progressivité de l'impôt en fonction du revenu. C'est pourquoi la
législation a choisi, depuis 1992, de plafonner les effets du quotient
familial : la réduction d'impôt résultant d'une demi-part
additionnelle de quotient familial ne peut ainsi excéder un certain
montant actualisé chaque année en fonction de l'évolution
des tranches du barème de l'impôt sur le revenu. Ce plafond a
été fixé par la loi de finances pour 1998 à
16.380 francs.
Le législateur a prévu en outre deux autres plafonds
spécifiques répondant à des situations
particulières.
Il existe ainsi un plafond de 6.100 francs pour les célibataires, veufs
ou divorcés ayant eu par le passé des enfants à charge,
pour les impositions postérieures au 26ème anniversaire de la
naissance du dernier enfant et un plafond de 20.270 francs pour les
célibataires, veufs, divorcés ou séparés qui
élèvent seuls un ou plusieurs enfants, au titre de la part du
premier enfant.
L'article 2 du projet de loi de finances pour 1999 abaisse de
16.380 francs à 11.000 francs le plafond de la demi-part de droit
commun. Les plafonds spécifiques évoqués plus haut ne
sont, eux, pas modifiés.
Comme le souligne M. Didier Migaud, dans son rapport général sur
le projet de loi de finances pour 1999,
la réduction de 16.380 francs
à 11.000 francs par an de l'avantage maximum en impôt
résultant d'une demi-part additionnelle de quotient familial
entraîne une augmentation de l'impôt sur le revenu qui sera
acquitté par deux catégories de contribuables ayant un ou
plusieurs enfants :
- d'une part, ceux qui relèvent de l'actuel plafond de
16.380 francs ;
- d'autre part, ceux qui entrent dans le champ de plafonnement, puisque le
plafond diminuant, le niveau de revenu à partir duquel il est mis en jeu
a également diminué.
Selon M. Migaud, on estime que 500.000 foyers seront affectés par cette
mesure, pour une recette de l'ordre de 3,2 milliards de francs, soit un
supplément d'imposition d'environ 6.400 francs par foyer et par an.
Les simulations effectuées par les services du ministère de
l'économie, des finances et de l'industrie révèlent qu'une
augmentation d'impôt sur le revenu intervient à partir d'un revenu
mensuel de 36.290 francs pour un couple ayant un enfant, 38.276 francs pour un
couple ayant deux enfants, 43.582 francs pour un couple ayant trois enfants,
50.266 francs pour un couple ayant quatre enfants.
En fonction du revenu, l'imposition supplémentaire est la suivante :
Couple avec un enfant
(en francs)
Revenu mensuel net déclaré |
Supplément d'impôt mensuel (1) |
Supplément d'impôt annuel |
35.000 |
0 |
0 |
40.000 |
267 |
3.204 |
45.000 |
435 |
5.220 |
50.000 |
435 |
5.220 |
55.000 |
435 |
5.220 |
60.000 et au-delà |
448 |
5.380 |
(1)
calculé sur la base du barème proposé à l'article 2
du projet de loi de finances pour 1999 (revenus 1998).
Source : Ministère de l'économie, des finances et de
l'industrie
Couple avec deux enfants
(en francs)
Revenu mensuel net déclaré |
Supplément d'impôt mensuel (1) |
Supplément d'impôt annuel |
38.500 |
0 |
0 |
40.000 |
92 |
1.104 |
45.000 |
452 |
5.424 |
48.200 |
682 |
8.184 |
50.000 |
812 |
9.744 |
55.000 |
870 |
10.440 |
60.000 et au-delà |
897 |
10.760 |
(1)
calculé sur la base du barème proposé à l'article 2
du projet de loi de finances pour 1999 (revenus 1998).
Source : Ministère de l'économie, des finances et de
l'industrie
Couple avec trois enfants
(en francs)
Revenu mensuel net déclaré |
Supplément d'impôt mensuel (1) |
Supplément d'impôt annuel |
43.500 |
0 |
0 |
45.000 |
102 |
1.224 |
50.000 |
462 |
5.544 |
55.000 |
822 |
9.864 |
60.000 |
1.358 |
16.296 |
61.820 |
1.555 |
18.660 |
65.000 et au-delà |
1.793 |
21.520 |
(1)
calculé sur la base du barème proposé à l'article 2
du projet de loi de finances pour 1999 (revenus 1998).
Source : Ministère de l'économie, des finances et de
l'industrie
Couple avec quatre enfants
(en francs)
Revenu mensuel net déclaré |
Supplément d'impôt mensuel (1) |
Supplément d'impôt annuel |
50.000 |
0 |
0 |
55.000 |
473 |
5.676 |
60.000 |
1.009 |
12.108 |
65.000 |
1.554 |
18.648 |
69.850 |
2.431 |
29.172 |
70.000 |
2.462 |
29.544 |
75.000 et au-delà |
2.690 |
32.280 |
(1)
calculé sur la base du barème proposé à l'article 2
du projet de loi de finances pour 1999 (revenus 1998).
Source : Ministère de l'économie, des finances et de
l'industrie
En contrepartie, seules certaines de ces familles retrouveront le
bénéfice des allocations familiales : les allocations familiales
ne sont en effet accordées qu'aux familles ayant au moins deux enfants
à charge âgés de moins de 20 ans.
Les tableaux suivants permettent de déterminer quels sont les
" gagnants " et les " perdants " du remplacement de la mise
sous condition de ressources des allocations familiales par l'abaissement du
plafond du quotient familial.
Il est bien entendu que si l'on prend comme base de référence
l'année 1997, lorsque les allocations familiales étaient
versées sans condition de ressources, il n'y a plus de familles
gagnantes.
Compte tenu de ce que l'on a appelé " la réforme de la
réforme ", les familles sont en 1999, par rapport à 1997,
soit dans une position plus défavorable en raison de l'augmentation
d'impôt provoquée par la diminution du plafond du quotient
familial, soit dans une situation identique si elles ne sont pas
concernées par cette mesure.
Sont particulièrement frappées par cette substitution les
familles qui ne percevaient pas d'allocations et ne bénéficient
donc pas de leur rétablissement : les familles avec un enfant et les
familles avec un ou des enfants âgés de plus de 20 ans.
Impact
financier de l'abaissement du plafond et
rétablissement des
allocations familiales
Couples avec un enfant
Revenu annuel net perçu |
Revenu mensuel net perçu |
Impôt annuel |
Impôt mensuel |
Allocations familiales |
Gain mensuel ou perte mensuelle net |
||||||
420.000 |
35.000 |
0 |
0 |
0 |
0 |
||||||
480.000 |
40.000 |
3.359 |
280 |
0 |
- 280 |
||||||
540.000 |
45.000 |
5.089 |
425 |
0 |
- 425 |
||||||
600.000 |
50.000 |
5.089 |
425 |
0 |
- 425 |
||||||
660.000 et au-delà |
55.000 |
5.230 |
440 |
0 |
- 440 |
Couple avec deux enfants
(en francs)
Revenu mensuel net déclaré |
Supplément d'impôt mensuel (1) |
Allocations familiales |
Gain mensuel ou perte mensuelle net |
38.500 |
0 |
682 |
+ 682 |
40.000 |
92 |
682 |
+ 590 |
45.000 |
452 |
682 |
+ 230 |
48.200 |
682 |
682 |
0 |
50.000 |
812 |
682 |
- 130 |
55.000 |
870 |
682 |
- 188 |
60.000 et au-delà |
897 |
682 |
- 215 |
(1)
calculé sur la base du barème proposé à l'article 2
du projet de loi de finances pour 1999 (revenus 1998).
Source : Ministère de l'économie, des finances et de
l'industrie
Couple avec trois enfants
(en francs)
Revenu mensuel net déclaré |
Supplément d'impôt mensuel (1) |
Allocations familiales |
Gain mensuel ou perte mensuelle net |
43.500 |
0 |
1.556 |
+ 1.556 |
45.000 |
102 |
1.556 |
+ 1.454 |
50.000 |
462 |
1.556 |
+ 1.094 |
55.000 |
822 |
1.556 |
+ 734 |
60.000 |
1.358 |
1.556 |
+ 198 |
61.820 |
1.555 |
1.556 |
+ 1 |
65.000 et au-delà |
1.793 |
1.556 |
- 237 |
(1)
calculé sur la base du barème proposé à l'article 2
du projet de loi de finances pour 1999 (revenus 1998).
Source : Ministère de l'économie, des finances et de
l'industrie
Couple avec quatre enfants
(en francs)
Revenu mensuel net déclaré |
Supplément d'impôt mensuel (1) |
Allocations familiales |
Gain mensuel ou perte mensuelle net |
50.000 |
0 |
2.430 |
+ 2.430 |
55.000 |
473 |
2.430 |
+ 1.957 |
60.000 |
1.009 |
2.430 |
+ 1.421 |
65.000 |
1.554 |
2.430 |
+ 876 |
69.850 |
2.431 |
2.430 |
- 1 |
70.000 |
2.462 |
2.430 |
- 32 |
75.000 et au-delà |
2.690 |
2.430 |
- 260 |
(1)
calculé sur la base du barème proposé à l'article 2
du projet de loi de finances pour 1999 (revenus 1998).
Source : Ministère de l'économie, des finances et de
l'industrie
Pour des couples avec deux enfants, le point d'équilibre
s'établit à 48.200 francs de revenu mensuel. Au-dessous de ce
chiffre, les familles gagnent à la substitution allocations
familiales/quotient familial. Au-dessus, elles sont perdantes.
Pour les couples avec trois enfants, le point d'équilibre est
situé à 61.820 francs de revenu mensuel. Pour les couples avec
quatre enfants, il s'établit à 69.850 francs par mois.
Ces niveaux de revenus peuvent paraître élevés. Pourtant,
selon les estimations faites par le rapporteur général de
l'Assemblée nationale, la réforme
devrait
bénéficier à 225.000 ménages et se traduira par une
perte pour 425.000 ménages
.
Il est donc assez difficile d'affirmer, comme le fait le Gouvernement, que
le remplacement de la mise sous condition de ressources des allocations
familiales par la diminution du plafond du quotient familial sera globalement
favorable à la famille.
b) Un coup sévère porté au principe d'équité horizontale et à la politique fiscale en faveur des familles menée depuis 1945
Pour
tenir compte de la taille et de la composition des ménages lors du
calcul de l'impôt sur le revenu, la France a choisi en 1946 un
système -le quotient familial- qui vise à assurer
l'équité horizontale : deux familles qui auraient le même
niveau de vie avant impôt gardent, après impôt, des niveaux
de vie identiques
12(
*
)
.
L'impôt sur le revenu est un impôt progressif : le taux moyen
d'imposition croît avec le niveau du revenu. Cette progressivité a
deux rôles : d'une part, les dépenses publiques sont ainsi
financées selon les " capacités contributives " de
chaque contribuable (celles-ci sont supposées croître plus vite
que le revenu). D'autre part, cette imposition permet d'aboutir à une
redistribution des revenus selon le principe d'équité verticale
qui stipule que l'impôt doit dépendre des capacités
contributives du contribuable.
Mais l'impôt sur le revenu porte obligatoirement sur des ménages
de composition et de taille différentes. Il faut donc comparer les
capacités contributives, donc le niveau de vie, de familles de taille
différente.
Le quotient familial, adopté en France, repose sur un principe
simple : la morale communément admise comme les pratiques
habituelles veut que les différents membres d'une famille se partagent
son revenu global de façon à jouir chacun du même niveau de
vie.
Avec le quotient familial, le taux d'imposition moyen est le même pour
deux familles de même niveau de vie, quelle que soit leur taille.
Le
choix de la société quant au degré de redistribution
assuré par le système fiscal, selon le principe
d'équité verticale, se fait par le choix de la
progressivité du système fiscal ; celle-ci est la même pour
toutes les catégories de ménages.
Le système du quotient familial ne fournit en soi aucune aide, aucun
avantage aux familles ; il garantit seulement que le poids de l'impôt est
équitablement réparti entre des familles de taille
différente, mais de niveau de vie équivalent, selon un principe
d'équité horizontale familiale.
Les critiques du quotient familial partent souvent d'une assimilation
contestable : le quotient familial serait une forme d'aide aux familles,
comparable aux prestations familiales.
Le dossier de presse du projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour 1999 tout comme le rapport de M. Migaud
présentent des tableaux évaluant le montant de l'aide publique en
faveur de la famille. Ces tableaux additionnent, en fonction du revenu net, les
allocations familiales et le quotient familial, afin de déterminer le
montant total de l'aide publique accordée aux familles.
De même, l'état retraçant l'effort social de la Nation,
document obligatoire annexé au projet de loi de finances en application
de la loi n° 74-1094 du 24 décembre 1974, qualifie
le mécanisme du quotient familial de " prestation fiscale ",
calculée en faisant la différence entre le montant de
l'impôt payé par les ménages ayant des enfants et celui
qu'ils auraient acquitté en n'ayant pas d'enfant.
Une telle présentation du système du quotient familial
apparaît extrêmement pernicieuse. Elle accrédite
l'idée que le quotient familial est un mécanisme d'aide aux
familles alors qu'il ne s'agit que d'un moyen de mettre en oeuvre le principe
de contributivité posé par l'article XIII de la
Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen de 1789 :
" pour
l'entretien de la force publique et pour les dépenses d'administration,
une contribution commune est indispensable.
Elle doit être
également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs
facultés.
"
Présenter le quotient familial comme une aide publique aux familles
n'est naturellement pas neutre. Cela conduit le Gouvernement à
additionner le montant des différentes prestations familiales avec celui
de l'avantage procuré par le quotient familial pour démontrer que
" l'aide à la famille "
croît en fonction du
revenu.
En réalité, ce raisonnement n'est pas fondé puisque le
système du quotient familial n'est pas une aide aux familles, mais
simplement une application normale dans leur cas spécifique du principe
général de l'équité horizontale.
On sait que le système du quotient familial fut adopté à
l'unanimité par l'Assemblée nationale en décembre 1945 ;
mais il n'est pas inutile de rappeler l'exposé des motifs du projet de
loi portant fixation des recettes du budget général de l'exercice
1946, présenté par M. René Pleven, ministre des finances,
au nom du Gouvernement.
S'agissant de
" l'application de la règle du quotient familial
à l'impôt général sur le revenu ",
il est
ainsi précisé
13(
*
)
:
" Le Gouvernement a nettement marqué sa volonté de porter
toute son attention au problème fondamental de la population et en
particulier au problème de la famille. Son action dans ce domaine fera
l'objet d'autres dispositions ; mais il veut dès à présent
amender celles des dispositions fiscales qui donnent des résultats
injustes pour la famille. Au premier rang de celles-ci est l'impôt
général sur le revenu. Tel qu'il est, notre impôt conduit
à certaines conséquences dont le caractère immoral ou
injuste a été maintes fois dénoncé.
" Il est immoral de frapper d'une taxe progressive les revenus du
ménage réunis sur la tête du chef de famille, avantageant
ainsi le concubinage qui permet l'imposition sous deux cotes avec deux
abattements et limite la progressivité.
" Il est injuste que, malgré les abattements consentis pour charges
de famille, un ménage avec des enfants paye, compte tenu des
dépenses auxquelles il est obligé, un impôt
général sur le revenu plus lourd qu'un ménage sans enfant.
" A niveau de vie égal, la famille nombreuse est plus lourdement
frappée que le ménage sans enfant. La hausse des revenus
apparents n'a fait qu'accentuer ce caractère, si bien qu'aujourd'hui,
au-delà de certains chiffres, on peut dire que le poids de l'impôt
est presque proportionnel au nombre des membres de la famille.
" C'est pour mettre fin à cette situation que le Gouvernement
propose, d'une part, d'ajuster les minima exonérés des
impôts au niveau actuel des valeurs, d'autre part, d'instituer le
quotient familial, ce qui revient à diviser le revenu global en
plusieurs fractions, dont le nombre sera en rapport avec l'importance de la
famille, avant d'appliquer le tarif progressif. La réforme comporte
d'ailleurs une réelle simplification de la législation et de la
pratique. ".
La diminution du plafond du quotient familial est une réforme injuste. A
revenu primaire identique, les familles ont toujours un niveau de vie
inférieur à celui des couples sans enfant et des
célibataires. Fallait-il, par conséquent, choisir de faire porter
sur les seules familles une augmentation de la pression fiscale ? Pourquoi
augmenter l'impôt des familles avec enfants en épargnant les
couples et célibataires sans enfant, de même niveau de vie ?
En outre, rien ne justifie d'avoir fixé le nouveau plafond du
quotient familial à 11.000 francs si ce n'est le souci d'engranger une
recette fiscale à peu près équivalente à la
dépense que représentera pour l'Etat la prise en charge de
l'allocation parent isolé. Ce plafond pourra d'ailleurs être
abaissé par la suite en fonction des besoins des finances publiques.
Il apparaît en outre particulièrement choquant d'abaisser le
quotient familial alors même que le plafond conjugal n'est, lui, pas
plafonné. Comme le souligne Henri Sterdyniak
14(
*
)
, un homme de 50 ans de 50.000 francs
de revenu mensuel qui épouse une jeune femme de 20 ans sans
ressources voit son impôt diminué de 14.318 francs par mois
à 10.117 francs. Par contre, une femme célibataire de 50 ans et
son fils étudiant de 20 ans dans la même situation de revenu
paient 12.629 francs d'impôt par mois, soit 2.500 francs de plus. Comment
justifier une telle disparité ?
Parallèlement, le Gouvernement envisage de faire voter par le Parlement
la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité (PACS) qui
permettrait à tout couple de concubins, déclarant partager leur
revenu, de bénéficier du quotient conjugal.
Il serait
particulièrement malvenu qu'une telle mesure soit financée par
une augmentation des impôts prélevés sur les familles.
Il serait également très regrettable que, du fait du plafonnement
du quotient familial (et non du quotient conjugal), les personnes seules avec
enfant à charge paient plus que les couples de concubins.
Depuis 1945, le principe du quotient familial n'a jamais été
remis en cause, bien que l'avantage fiscal en résultant ait
été plafonné. Il ne faudrait pas que, par l'abaissement du
plafond, il devienne progressivement une coquille vide.
La suppression de la mise sous condition de ressources des allocations
familiales apparaissait comme la correction d'une erreur. Il est regrettable
que la correction de cette erreur se fasse au prix d'une nouvelle erreur au
détriment des familles.
Le bilan de ces allers et retours est accablant pour les familles : leur
situation en 1999 restera plus défavorable qu'elle ne l'était en
1997, avant la mise sous condition de ressources des allocations
familiales ; beaucoup de familles auront perdu les allocations familiales
en 1998 et verront leur impôt sur le revenu augmenter en 1999 ;
enfin, dans un contexte de prétendue stabilisation des
prélèvements obligatoires, seules les familles subiront une
augmentation de leur charge fiscale.