Proposition de résolution, visant à créer une commission d'enquête sur la situation et la gestion des personnels enseignants et non enseignants de l'Education nationale
BERNADAUX (Jean)
RAPPORT 46 (98-99) - COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES
Table des matières
-
INTRODUCTION
- 1. Les moyens dévolus à l'enseignement scolaire
- 2. Une programmation des recrutements peu satisfaisante
- 3. Des modalités de remplacements imparfaites notamment dans l'enseignement secondaire
- 4. Un recours à des variables d'ajustement qui entraînent des effets pervers
- 5. Des mises à disposition dont le nombre est difficile à évaluer
- 6. La réforme du mouvement des enseignants du second degré
- 7. La diversité statutaire des personnels
- 8. La nécessité du contrôle du Parlement sur la situation et la gestion des personnels de l'enseignement scolaire
- TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION
N° 46
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 3 novembre 1998
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires culturelles sur la proposition de résolution de MM. Jean ARTHUIS, Guy CABANEL, Henri de RAINCOURT, Josselin de ROHAN et Adrien GOUTEYRON visant à créer une commission d'enquête sur la situation et la gestion des personnels enseignants et non enseignants de l' Education nationale ,
Par M.
Jean BERNADAUX,
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Adrien Gouteyron,
président
; Jean Bernadaux, James Bordas, Jean-Louis
Carrère, Jean-Paul Hugot, Pierre Laffitte, Ivan Renar,
vice-présidents
; Alain Dufaut, Ambroise Dupont, André
Maman, Mme Danièle Pourtaud,
secrétaires
;
MM. François Abadie, Jean Arthuis, Jean-Paul Bataille, Jean
Bernard, André Bohl, Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Michel
Charzat, Xavier Darcos, Fernand Demilly, André Diligent, Michel
Dreyfus-Schmidt, Jean-Léonce Dupont, Daniel Eckenspieller, Jean-Pierre
Fourcade, Bernard Fournier, Jean-Noël Guérini, Marcel Henry, Roger
Hesling, Pierre Jeambrun, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Jacques Legendre,
Serge Lepeltier, Louis Le Pensec, Mme Hélène Luc,
MM. Pierre Martin
,
Jean-Luc Miraux, Philippe Nachbar,
Jean-François Picheral, Guy Poirieux, Jack Ralite, Victor Reux,
Philippe Richert, Michel Rufin, Claude Saunier, Franck Sérusclat,
René-Pierre Signé, Jacques Valade, Albert Vecten, Marcel Vidal.
Voir le numéro :
Sénat
:
30
(1998-1999).
Enseignement. |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
La proposition de résolution qui vous est transmise tend à la
création d'une commission d'enquête sur la situation et la gestion
des personnels enseignants et non enseignants de l'éducation nationale.
Les auteurs de cette proposition lui assignent la mission "
de tenter
de faire la lumière sur une gestion opaque, de savoir avec
précision quels sont les effectifs enseignants et non enseignants de
l'éducation nationale, quels sont les effectifs payés et
éventuellement inemployés... et de savoir s'il y a
réellement adéquation entre les moyens humains mis en oeuvre et
les objectifs pédagogiques de l'éducation nationale ".
La commission des lois, saisie pour avis, a estimé que cette proposition
était conforme à l'article 6 de l'ordonnance n° 58-110
du 17 novembre 1958 modifiée, relative au fonctionnement des
assemblées parlementaires.
Il appartient à votre commission des affaires culturelles, saisie au
fond, de juger de l'opportunité de la création d'une telle
commission d'enquête.
1. Les moyens dévolus à l'enseignement scolaire
En 1998,
l'Etat et les collectivités locales ont consacré
436 milliards de francs à l'enseignement scolaire et 93 % des
297 milliards de francs des crédits du budget de l'enseignement
scolaire sont consacrées aux dépenses de personnel.
A la rentrée 1998 12 304 000 élèves
étaient accueillis dans l'enseignement scolaire et se ventilaient ainsi
qu'il suit :
- 6 610 000 écoliers, soit une diminution de 40 000
élèves par rapport à la rentrée 1997 ;
- 3 350 000 collégiens, soit une diminution de 15 000
élèves ;
- 1 529 000 lycéens, soit une diminution de 10 000
élèves ;
- 815 000 lycéens professionnels, soit une stabilité du
nombre d'élèves.
Il convient d'ajouter à ces effectifs 323 000 étudiants de
classes supérieures (STS-CPGE).
L'éducation nationale employait à cette même
rentrée, 1,3 million de personnes dans les écoles, les
collèges et les lycées publics ou privés :
- 1,07 million relèvent de l'Etat et 225 000 des communes ou des
établissements privés ;
- 514 000 exercent dans les écoles maternelles ou
élémentaires, dont 324 000 enseignants et 190 000
personnels communaux ou personnels de service des écoles
privées ;
- 786 000 dans les établissements du second degré, dont
509 000 enseignants.
Les élèves relevant de l'enseignement scolaire sont accueillis
dans 71 200 écoles, collèges et lycées, soit :
- 59 800 écoles maternelles ou
élémentaires ;
- 6 950 collèges ;
- 1 800 lycées professionnels ;
- 2 650 lycées d'enseignement général et
technologique ou polyvalents.
Le budget de l'éducation nationale a augmenté de
150 milliards de francs en dix ans et pendant la même
période, l'enseignement secondaire a bénéficié de
40 000 enseignants supplémentaires. On constate par ailleurs une
baisse continue des effectifs d'élèves depuis plusieurs
d'années.
Même dotée de crédits en constante augmentation,
l'éducation nationale ne parvient pas à satisfaire les besoins et
chaque rentrée scolaire enregistre des difficultés d'ajustement
qui ont été particulièrement aiguës en 1998 et
largement à l'origine du récent mouvement lycéen.
En dépit de procédures de régulation et d'une large
utilisation de variables d'ajustement, l'éducation nationale
éprouve les plus grandes difficultés pour programmer le
recrutement de ses personnels en les adaptant aux besoins à moyen terme
et pour améliorer ses dispositifs de remplacement.
Il reste cependant difficile d'évaluer le nombre des personnels qui ne
sont pas affectés sur un poste. On a parlé de plusieurs dizaines
de milliers d'enseignants titulaires ou maîtres auxiliaires qui seraient
ainsi " en surnombre ".
Enfin, force est de constater qu'il n'existe pas de sources fiables pour
mesurer le nombre d'enseignants qui sont mis à la disposition d'autres
administrations ou d'organismes les plus divers et dont l'activité est
souvent dépourvue de tout lien avec leur vocation
pédagogique.
2. Une programmation des recrutements peu satisfaisante
D'après les indications fournies au rapporteur pour
avis des
crédits de l'enseignement scolaire, le second degré devrait
pourtant être en mesure de répondre aux besoins d'enseignement par
l'emploi de titulaires en nombre suffisant.
L'enseignement général, y compris dans les disciplines
scientifiques qui ont longtemps connu des besoins, ne présenterait plus
de déficit en personnels. Il en serait de même pour l'enseignement
technologique alors que l'enseignement professionnel présenterait encore
des besoins en personnels titulaires dans certaines disciplines. Les services
du ministère estiment cependant qu'il sera nécessaire de recruter
en moyenne chaque année environ 12 400 enseignants titulaires pour
assurer chacune des rentrées scolaires jusqu'en 2003.
Ces indications apparaissent quelque peu surprenantes alors que l'on sait que
de nombreuses disciplines connaissent un déficit quasi structurel
d'enseignants et que les concours de la session 1998 ne comportaient à
l'origine aucune liste complémentaire.
Les principales disciplines déficitaires sont les langues
étrangères, et notamment l'espagnol qui reste la seconde langue
la plus demandée par les élèves, la physique, les
mathématiques, les sciences de la vie et de la terre, les lettres
classiques, l'éducation musicale, l'éducation physique et
sportive, le génie mécanique...
On constate qu'il est difficile d'adapter le nombre de places mises au concours
aux besoins réels des élèves et de remédier au
déficit ou à l'excédent d'enseignants dans certaines
disciplines.
Enfin, il convient de remarquer que les perspectives de départ massif en
retraite des enseignants nés dans les années
d'après-guerre ont été anticipées par des
recrutements " de précaution " qui n'ont pas été
ciblés, semble-t-il, sur les disciplines qui se libéreront en
2005 : un grand nombre de titulaires académiques affectés
actuellement à des tâches de remplacement risquent donc
d'éprouver des difficultés dans l'avenir pour obtenir un poste
correspondant à leur formation disciplinaire initiale.
3. Des modalités de remplacements imparfaites notamment dans l'enseignement secondaire
La
réforme de 1985 a opéré une distinction entre les
titulaires académiques, qui sont chargés des remplacements
à l'année, et les titulaires remplaçants qui sont
chargés principalement des remplacements de courte et moyenne
durée.
On dénombrait en 1997 environ 35 000 titulaires académiques
mais seulement 3 714 titulaires remplaçants, soit 1,7 % des
postes implantés en établissements.
En raison d'un nombre insuffisant des titulaires remplaçants, qui
résulte largement de la crise de recrutement des années
1986-1993, les recteurs ne sont plus en mesure d'assurer les remplacements de
moins de 2,3 semaines ou sont obligés de recourir à des
auxiliaires.
Dans ces conditions, si en moyenne un enseignant est remplacé au bout
d'une demi-journée dans le primaire, il l'est entre quinze jours et un
mois dans le second degré.
Il reste qu'un grand nombre de titulaires académiques n'obtiennent pas
de poste à l'année et sont affectés fictivement dans un
établissement dans l'attente d'un hypothétique remplacement
correspondant à leur formation disciplinaire ; de nombreux
professeurs de philosophie sont ainsi rattachés fictivement sur des
lycées parisiens.
Enfin, il convient de noter que les titulaires académiques qui
refuseraient un remplacement ne font le plus souvent l'objet que de sanctions
symboliques.
Estimé il y a un an à 12 % par le ministre de
l'éducation nationale, le niveau d'absentéisme des enseignants
pour cause de maladie, maternité ou formation, se situerait en fait
à un peu plus de 5 % et s'explique pour une large part par la
féminisation des corps enseignants en particulier dans le premier
degré. Cet absentéisme est donc moins en cause que le
fonctionnement même du système de remplacement qui ne remplit que
très imparfaitement sa fonction.
A tout le moins, une réforme de la gestion du remplacement des
enseignants du second degré s'impose : les travaux de la table ronde
présidée par le recteur Bloch " pas de classe sans
enseignant " suggèrent plusieurs mesures destinées à
assurer la présence des enseignants dans les classes et à
organiser leur remplacement : les plus importantes consisteraient à
éviter, à l'instar du premier degré, les départs
à la retraite en cours d'année scolaire et à renforcer les
pouvoirs du chef d'établissement pour les absences de courte
durée (recours à un enseignant volontaire de
l'établissement rétribué en heures supplémentaires,
recrutement de vacataires...)
4. Un recours à des variables d'ajustement qui entraînent des effets pervers
Afin de
remédier aux vacances de postes constatées dans certaines
disciplines, l'éducation nationale a recours depuis longtemps à
des variables d'ajustement : les maîtres auxiliaires en constituent
l'essentiel.
Les maîtres auxiliaires ont d'abord été utilisés par
les recteurs pour occuper des postes de titulaires non pourvus ou pour
remplacer des enseignants absents pour cause de maladie et de formation lorsque
les effectifs de titulaires remplaçants sont insuffisants.
Le réemploi massif de 27 000 maîtres auxiliaires, toutes
disciplines confondues à la rentrée 1997, s'il a satisfait les
revendications des intéressés, n'a cependant pas contribué
à répondre aux besoins d'enseignants constatés dans
certaines disciplines et a même provoqué des effets pervers. De
nombreux maîtres auxiliaires réemployés se trouvent ainsi
en surnombre dans certaines matières comme l'histoire et les lettres,
alors que des postes vacants dans d'autres disciplines ne sont pas pourvus.
Afin de remédier aux vacances constatées notamment en
mathématiques, en sciences et en espagnol, qui résultent aussi de
la fuite des professeurs agrégés vers l'enseignement
supérieur (+ 40 % depuis 1990), les recteurs ont
été contraints d'embaucher de nouveaux maîtres
auxiliaires dans ces disciplines : 309 ont été ainsi
recrutés à la rentrée 1997 et 600 au cours de la
dernière année scolaire.
5. Des mises à disposition dont le nombre est difficile à évaluer
Aucune
statistique officielle ne permet de mesurer avec précision le nombre
d'enseignants du premier et du second degré qui n'enseignent pas et qui
sont mis à la disposition des administrations ou de divers organismes
souvent rattachés à la nébuleuse de l'éducation
nationale.
Dans une réponse à une question écrite posée sur ce
thème, le ministère indiquait qu'environ 1 000 enseignants
avaient été mis en 1993 à la disposition d'administrations
de l'Etat, établissements publics de l'Etat, organismes
d'intérêt général publics et privés,
collectivités territoriales, mutuelles, associations, fondations,
organisations internationales intergouvernementales... en application des
dispositions des articles 41 et 42 du statut général de la
fonction publique.
Ces chiffres apparaissent très sous-évalués. D'autres
estimations publiées dans la presse font état de 15 000
enseignants du second degré.
6. La réforme du mouvement des enseignants du second degré
L'éducation nationale est confrontée à une
situation complexe qui consiste à affecter les effectifs disponibles en
fonction des disciplines à enseigner et de la situation personnelle des
enseignants.
Afin de remédier à un système trop centralisé des
mutations, une réforme du mouvement, c'est-à-dire des
affectations et des mutations des enseignants du second degré, devrait
être mise en oeuvre dès la rentrée 1999.
Cette réforme consisterait à définir un mouvement national
à gestion déconcentrée ordonnée autour d'une phase
inter-académique administrée au plan national et une phase
intra-académique gérée au niveau rectoral.
Si le principe d'une déconcentration du mouvement est souhaitable afin
d'assurer une gestion des personnels au plus près des
réalités, l'expérience dira si les dysfonctionnements
observés à chaque rentrée scolaire dans plusieurs
disciplines, souvent les mêmes, pourront être réduits.
Pour être efficace, cette déconcentration devra sans doute
être complétée par une programmation disciplinaire des
recrutements.
7. La diversité statutaire des personnels
Outre
les personnels enseignants titulaires, l'enseignement scolaire utilise des
personnels à statuts variés dont les tâches ne sont pas
toujours clairement identifiées.
Les maîtres-auxiliaires, les emplois-jeunes, les surveillants d'externat
et maîtres d'internat, les appelés du contingent, les personnels
ATOS, les médecins, infirmières ou assistantes sociales, les CES
constituent autant de catégories aux obligations de service mal connues
et dont la gestion n'est sans doute pas facilitée par la
diversité de leur statut.
8. La nécessité du contrôle du Parlement sur la situation et la gestion des personnels de l'enseignement scolaire
Le
Parlement n'a aujourd'hui connaissance que de lignes d'emplois
budgétaires non ventilés, ne dispose pas des moyens de
contrôler les affectations réelles en postes ainsi que leur
répartition et n'est ainsi pas en mesure d'apprécier la gestion
des centaines de milliers d'enseignants et de non enseignants de l'enseignement
secondaire relevant de l'Etat.
La commission d'enquête devra donc notamment examiner dans quelles
conditions les enseignants des collèges et des lycées seront
dès l'année 1999 répartis, en fonction du nouveau
mouvement, entre les académies et les établissements et comment
s'effectueront concrètement les nominations, les mutations et les
affectations.
Elle sera également chargée d'apprécier l'importance des
mises à disposition de personnels de l'enseignement scolaire
auprès d'administrations ou de tout organisme qui ont pour
conséquence d'écarter de leur vocation pédagogique de trop
nombreux enseignants.
Elle devra aussi examiner l'importance et les causes de l'absentéisme
des personnels enseignants ainsi que le fonctionnement du système de
remplacement.
Il lui reviendra enfin de mesurer comment les représentants des
personnels, via les commissions techniques paritaires, seront associés
à la procédure d'affectation et de mutation des enseignants du
second degré, aussi bien au plan national qu'au niveau des
académies.
Dans cette perspective, suivant les conclusions de son rapporteur et compte
tenu de l'avis émis par la commission des lois sur la conformité
de cette proposition de résolution avec l'ordonnance de 1958
précitée, votre commission des affaires culturelles vous propose
la mise en place de cette commission d'enquête, conformément aux
dispositions de l'article 6 de cette ordonnance et de l'article 11 du
Règlement du Sénat.
En conséquence, elle propose au Sénat
d'adopter la proposition
ci-après
en modifiant toutefois son intitulé afin de limiter
ses investigations aux seuls personnels de l'enseignement scolaire, enseignants
et non enseignants et en excluant les personnels relevant de l'enseignement
supérieur.
TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION
Proposition de résolution visant à
créer une
commission d'enquête
sur la situation et la gestion des personnels
des écoles et des établissements d'enseignement du second
degré
Article unique
Conformément à l'article 11 du Règlement
du
Sénat et à l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17
novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires,
il est créé une commission d'enquête de vingt et un membres
chargée d'examiner la situation et la gestion des personnels enseignants
et non enseignants des écoles, des collèges et des lycées
et notamment les conditions dans lesquelles, quel que soit leur statut, ceux-ci
sont recrutés, affectés dans les écoles, les
académies et les établissements, remplacés en cas
d'absence de toute nature, mis à disposition d'administrations ou
d'organismes relevant ou non de l'éducation nationale, ou restent
inemployés tout en percevant leur traitement.
Elle sera également chargée de formuler des propositions
destinées à améliorer la gestion de ces personnels et de
mieux adapter les moyens en personnels de l'enseignement du premier et du
second degré aux besoins des écoles, des collèges et des
lycées.