C. L'INSUFFISANCE DU CADRE LÉGISLATIF ACTUEL
La mise
en oeuvre de ces mesures de solidarité se présentait comme une
alternative à la retraite anticipée et visait à apporter
un soutien tangible aux anciens combattants les plus en difficulté.
Or, force est de constater que les dispositifs actuels se
révèlent largement insuffisants.
1. Une prise en compte insuffisante des difficultés spécifiques aux anciens combattants d'Afrique du Nord
Les
anciens combattants d'Afrique du Nord rencontrent très souvent des
difficultés spécifiques d'insertion professionnelle et sociale.
Ces difficultés ont une double origine.
D'une part, les anciens combattants d'Afrique du Nord ont subi des traumatismes
dont les effets sont irréversibles. Certains d'entre eux, victimes de
blessures ou de maladies clairement identifiées, ont obtenu le
bénéfice d'une pension militaire d'invalidité. D'autres
non. C'est le cas notamment des victimes de troubles psychiques de guerre dont
la reconnaissance reste imparfaite. Ces personnes éprouvent alors de
grandes difficultés à se maintenir dans la vie active, sans pour
autant bénéficier d'une aide adaptée.
D'autre part, la crise actuelle de l'emploi a aggravé les
difficultés professionnelles des anciens combattants. Ceux-ci,
désormais âgés de plus de 55 ans, sont
particulièrement exposés au risque du chômage. Le rapport
Chadelat estimait ainsi que
25,2 % des anciens combattants d'âge
actif sont au chômage ou en préretraite
.
Or, il ne semble pas que les dispositifs de solidarité existants
puissent répondre avec efficacité à ces difficultés
spécifiques.
2. Les lacunes des dispositifs existants
Les
dispositifs de solidarité mis en place depuis le début des
années 1990 ne répondent qu'imparfaitement aux difficultés
spécifiques des anciens combattants d'Afrique du Nord.
•
La loi du 3 janvier 1995
Si cette loi permet une réduction du nombre de trimestres de cotisations
pour une retraite à taux plein, elle ne concerne que les anciens
combattants ayant déjà atteint 60 ans. Elle laisse donc
entière la revendication d'une retraite anticipée avant 60 ans.
En outre, cette mesure reste d'ampleur très limitée. Elle
n'accorde une réduction qu'à partir de 18 mois de séjour
en Afrique du Nord. Or, la durée moyenne de séjour est de 16 mois
et 22 jours. Le critère d'application est donc très restrictif.
Cela explique que
cette mesure n'a concerné que 1.300 personnes en
1995 et 1996 pour un montant total de 12 millions de francs
, alors que le
nombre de bénéficiaires prévu était de 80.000.
•
Le fonds de solidarité
La mise en place du fonds de solidarité a incontestablement permis une
meilleure prise en charge des anciens combattants dans les situations les plus
difficiles.
Toutefois, l'adaptation continue de ce dispositif par chaque loi de finances
depuis 1995 témoigne de la difficulté d'aboutir à un
dispositif satisfaisant.
En réalité, il ne semble pas que le fonds de solidarité
soit, aujourd'hui, en mesure de répondre à ses objectifs. Le
fonds de solidarité souffre en effet de trois lacunes importantes :
- un plafonnement des aides restrictif et déconnecté des
revenus d'activité
Les aides versées par le fonds de solidarité sont
plafonnées : 4.614 francs pour l'allocation différentielle,
5.600 francs pour l'allocation différentielle spécifique aux
chômeurs ayant cotisé 40 ans, 7.177 francs pour l'allocation
de préparation à la retraite.
Or, ces montants maximum sont le plus souvent inférieurs à la
pension de retraite que pourrait toucher le bénéficiaire si sa
pension était liquidée.
En ce sens, l'AD apparaît finalement comme un minimum social tandis
que l'AD majorée et l'APR ne sont que de maigres substituts à une
réelle retraite anticipée pour les anciens combattants dans les
situations les plus difficiles.
- un nombre de bénéficiaires insuffisant par rapport aux
publics potentiels
Le fonds de solidarité venait en aide à 37.700 personnes au 31
avril 1998.
Or, on peut estimer, à cette date, à 560.000 le nombre d'anciens
combattants d'Afrique du Nord n'ayant pas atteint l'âge de la retraite
(483.000 appelés, 73.000 engagés et 4.000 supplétifs). Sur
cette population, le quart -soit 140.000 personnes- connaissent des situations
difficiles, selon les estimations du rapport Chadelat.
Ainsi, moins du tiers
des bénéficiaires potentiels toucheraient une aide du fonds de
solidarité.
Ce constat se vérifie tout particulièrement pour l'AD
majorée à 5.600 francs pour les chômeurs ayant
cotisé 40 ans, qui ne compte que 5.700 bénéficiaires.
- Une logique fondée sur l'assistanat
Alors que les associations représentatives des anciens combattants
revendiquaient un droit à la retraite anticipée pour ceux qui
connaissent les situations les plus difficiles, les aides versées par le
fonds de solidarité (et notamment l'aide différentielle) ne sont
qu'un "
RMI ancien combattant
" selon les termes du rapport de
l'ONAC pour 1996.
Là où les anciens combattants revendiquaient un droit, une
retraite, on leur accorde une aide sociale.
En instituant une logique d'assistanat, le fonds de solidarité ne
fait donc qu'accroître la stigmatisation des anciens combattants.
Et ce ne sont pas les circonvolutions sémantiques employées par
l'article 109 de la loi de finances pour 1998 (qui évoque un
" revenu équivalent à une retraite
anticipée "
) qui modifient la réalité de cet
assistanat, très mal perçu par les anciens combattants.
La reconnaissance de la Nation, le droit à réparation ne peut
prendre la forme d'une aumône.