IV. UNE POLITIQUE QU'IL CONVIENT D'AMPLIFIER
A. UNE PROPOSITION DE LOI QUI MÉRITE UN VÉRITABLE DÉBAT
1. Une proposition déjà évoquée à l'Assemblée nationale
•
La présente proposition de loi reprend les termes de la
proposition n° 628 tendant à alléger les charges sur
les bas salaires déposée à l'Assemblée nationale
par MM. François Bayrou, Jean-Louis Debré, Jacques Barrot,
Franck Borotra, Robert Galley, Yves Nicolin et les membres des groupes UDF et
RPR.
Dans l'exposé des motifs, les signataires considéraient à
juste titre que "
seules les entreprises du secteur marchand
(pouvaient) créer les emplois durables et porteurs de valeur
ajoutée qui permettront un redémarrage de la croissance, de
l'investissement et de l'emploi
". Ils rappelaient l'efficacité
de l'outil des réductions de charges "
pour protéger et
créer des emplois en ciblant la mesure sur les bas salaires et les
emplois peu qualifiés qui sont les plus exposés aux risques de
chômage
".
Ils observaient, enfin, que l'expérience du plan textile avait
été finalement peu coûteuse pour les finances publiques
car, "
si les charges qui pèsent sur chaque emploi ont bien
été allégées, il y a plus d'emplois à
l'arrivée et, par voie de conséquence, de nombreux demandeurs
d'emploi, à la charge des organismes d'indemnisation du chômage,
sortent de ces dispositifs et allègent donc leurs
dépenses
".
Ces arguments conservent bien évidemment toute leur pertinence. Le
débat a d'ailleurs montré l'existence d'un certain consensus
quant à la capacité créatrice d'emplois des
allégements de charges sociales. Les différends ont porté
essentiellement sur le nombre d'emplois créés rapporté au
coût, donc sur l'efficacité du dispositif.
• La proposition de loi n° 628 a été
rapportée devant la commission des Affaires culturelles, familiales et
sociales de l'Assemblée nationale le 28 janvier 1998 par
M. Yves Nicolin.
A cette occasion, Mme Roselyne Bachelot-Narquin a
déclaré
13(
*
)
que
la condamnation du plan textile par la commission européenne au motif
qu'il ne concernait qu'un seul secteur économique militait pour la
généralisation de ce type d'aide
. Elle a observé que
les gisements d'emplois se trouvaient notamment dans le secteur tertiaire
où le coût trop élevé du travail, par exemple pour
les entreprises de restauration ou d'hôtellerie et les services d'aide
à la personne représentait un obstacle à l'embauche.
Par ailleurs, M. Yves Nicolin a considéré
14(
*
)
que "
le dispositif
proposé avait été envisagé par le
précédent ministre des Affaires sociales à la suite de la
condamnation du plan textile par la Commission européenne en mai
1997
".
M. René Couanau a souligné
15(
*
)
que la question de l'emploi supposait
que l'on procède à une réflexion d'ensemble sur les
différents éléments susceptibles de réduire le
chômage : la stimulation de la croissance, la baisse des charges sociales
-que le projet de loi sur la réduction du temps de travail introduit
d'ailleurs de manière opportune et contractuelle-,
l'aménagement et la réduction du temps de travail
déjà entreprise avec la loi de Robien
et enfin l'activation
des dépenses passives d'assurance-chômage.
Concernant spécifiquement l'allégement des charges, il a
rappelé que le groupe de travail constitué sous la
précédente législature avait conclu à un
effet
positif sur l'emploi à moyen terme
, à condition que la baisse
soit importante, durable et ciblée sur les bas salaires des industries
de main-d'oeuvre. Il a estimé qu'il conviendrait d'y ajouter un
engagement ferme des entreprises à créer des emplois, de
manière contractuelle.
Il a jugé très regrettable que la majorité adopte une
attitude de blocage à l'égard de cette proposition de loi
au nom du mythe inspiré de l'histoire sociale de ce pays que sont les
trente-cinq heures et refuse le débat en déposant des amendements
de suppression des articles.
M. Jean Le Garrec a ensuite annoncé qu'il retirait les amendements de
suppression. A l'issue du débat, la commission des affaires culturelles,
familiales et sociales a décidé de suspendre l'examen de la
proposition de loi et de ne pas présenter de conclusions.
Comme l'a montré le débat devant la commission des Affaires
culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale,
l'argumentation en faveur de l'abaissement des charges sur les bas salaires
tient en cinq points :
1) il a des effets positifs sur l'emploi ;
2) la généralisation des allégements est une
réponse à la condamnation du plan textile ;
3) ce mécanisme avait été envisagé par le
précédent gouvernement en liaison avec les instances
européennes, il est donc conforme aux règles de la concurrence ;
4) il est complémentaire d'autres dispositifs comme la
réduction du temps de travail librement négociée ;
5) l'actuelle majorité lui oppose un refus de principe qui n'est
pas sérieusement motivé.
• La proposition de loi n° 628 a été
examinée en séance publique par l'Assemblée nationale le
30 janvier 1998, lors de la séance mensuelle réservée
par priorité à un ordre du jour fixé par
l'Assemblée, en application de l'article 48, alinéa 3
de la Constitution et conformément à l'article 48,
alinéa 6 du Règlement de l'Assemblée nationale. Le
débat a donc eu lieu au moment même où l'Assemblée
nationale examinait, en première lecture, le projet de loi d'orientation
et d'incitation à la réduction du temps de travail.
Cette coïncidence a été l'occasion, pour le rapporteur,
M. Yves Nicolin, de déclarer
16(
*
)
que "
la solution de
l'opposition au problème du chômage passait par la baisse des
charges qui pèsent sur l'emploi et la généralisation du
plan textile
".
Le rapporteur a bien insisté sur la complémentarité des
allégements de charges avec les autres politiques de l'emploi ; il a
notamment déclaré que "
la réduction du temps de
travail, sous réserve qu'elle soit menée dans certaines
conditions, pouvait être un outil
". Si cette proposition de loi
a pu être considérée comme une "
alternative aux
trente-cinq heures
", c'est en tant qu'alternative à la baisse
de la durée légale du temps de travail. Plutôt que de
contraindre les entreprises à entrer dans le même moule des
trente-cinq heures, il est loisible de penser qu'il serait
préférable de faire coexister plusieurs formules
complémentaires, souples et facultatives, aptes à couvrir
l'ensemble des besoins des entreprises en matière d'organisation du
travail.
Il convient en effet de rappeler que la présente proposition de loi
comporte des garanties en termes d'emploi comparables à celles inscrites
dans les différents textes sur la réduction du temps de travail.
Comme le précisait le rapporteur de la commission des affaires
culturelles, familiales et sociales : "
l'allégement des charges
sociales (...) serait subordonné à la conclusion de
conventions-cadres entre l'Etat et les branches professionnelles, (lesquelles)
comporteraient des garanties négociées concernant le maintien et
le développement de l'emploi
".
17(
*
)
Toujours lors du débat en séance publique, Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité, a déclaré que
"
le Gouvernement était convaincu que la réduction du
temps de travail et l'abaissement des charges sociales n'étaient pas
incompatibles
18(
*
)
" ;
elle a notamment estimé que le Gouvernement avait maintenu le
système de la ristourne dégressive parce qu'il pensait que,
compte tenu de l'accélération de la croissance, il pourrait
avoir, à terme, des effets plus importants que les 50.000 emplois
créés par an jusqu'à présent.
Malgré ces déclarations qui auraient pu laisser penser que le
Gouvernement souscrirait à une extension des allégements de
charges, ce dernier s'est prononcé contre la proposition de loi et
celle-ci a été rejetée par l'Assemblée nationale.