CONCLUSIONS GÉNÉRALES

Sur la voie d'eau :

Dans la réflexion intermodale, nous n'avons pas, en France, de véritable alternative " voie d'eau ".

L'observation d'une carte interdit de comparer la France aux Pays-Bas ou à l'Allemagne, pays de géographie et de culture fluviales. Dans ces deux pays, la navigation fluviale est une donnée naturelle dans la chaîne de transport dont la part modale reste au demeurant stable depuis de nombreuses années ; la rupture d'équilibre au profit de la route ayant eu le rail pour seule victime.

Une politique volontariste en France pourrait se heurter à " l'inertie " de nos opérateurs qui, professionnellement et culturellement, sont plutôt adaptés au statu quo et souhaitent avant tout l'amélioration de l'entretien du réseau existant. L'adaptation de la profession semble, en conséquence, la condition sine qua non d'une relance du transport par voie fluviale.

A contrario, les professionnels allemands et surtout néerlandais verraient d'une bon oeil la connexion des réseaux français avec les grands bassins européens (Saône-Rhin, Seine Nord, Seine Est). Ils encourageraient donc plutôt la France à se lancer dans ces coûteux investissements (relayés, dans une large mesure, par la commission de Bruxelles) même si ces réalisations n'auraient pour eux qu'un impact somme toute secondaire.

Les considérations environnementales, la lenteur et la complexité des procédures de consultation et de réalisation des grandes infrastructures constituent désormais une donnée incontournable favorisant, à certains égards, l'attentisme voire l'immobilisme (exemple du projet de canal Saône-Rhin). Cette considération vaut, au demeurant, désormais pour l'ensemble des grands investissements publics.

Les considérations écologiques sont invoquées par certains groupes de pression allemands qui observent que l'on ne referait sans doute pas le canal Main-Danube aujourd'hui, même si les paramètres financiers pèseraient également d'un poids lourd dans un débat de cette nature, compte tenu de la situation actuelle de la République fédérale, encore que le projet de Mittellandkanal ne semble pas faire l'objet d'oppositions de fond.

Paradoxalement, les grands projets fluviaux sont perçus sans enthousiasme par les professionnels français : le milieu portuaire de Marseille semble se résigner sans trop de difficultés à l'abandon du canal Saône-Rhin, tandis que le milieu portuaire du Havre redoute, non sans malthusianisme, la concurrence des puissants voisins belges et néerlandais que pourrait générer la réalisation du canal Seine-Nord.

Le trafic relativement faible sur le canal Main-Danube n'enlève rien au fait que cette réalisation a constitué, pour les Allemands, un formidable pari sur le décollage de l'Europe centrale et le boom des échange qui devrait en résulter dans les vingt prochaines années.

Le raccordement, par le canal Seine-Nord, du Havre et du Bassin parisien aux grands bassins fluviaux de l'Europe du Nord constituerait aussi un pari dont les retombées économiques sont au demeurant probables à moyen terme.

Ne convient-il pas d'ailleurs de privilégier les investissements qui misent sur l'avenir (en faisant peser l'effort financier sur l'actuelle génération) par rapport aux choix d'infrastructures qui reportent au contraire le coût financier des opérations sur les générations futures. De ce point de vue et sans préjudice des considérations présentées plus haut, on doit encourager la réalisation du canal Seine Nord.

Sur la voie ferrée :

La France bénéficie, à la différence de certains pays européens, d'un réseau ferré existant dense, bien entretenu et relativement moderne qui devrait lui permettre de valoriser les atouts du fer dans la perspective de la réalisation du marché unique et de l'insertion de la France dans le courant des échanges entre l'Europe du Nord et le Sud.

La logique de libéralisation adoptée par la Commission européenne, et soutenue par nos grands voisins européens, condamne, à terme, l'illusion du monopole perpétuel à laquelle semble s'accrocher encore la SNCF et, dans une certaine mesure, ses autorités de tutelle. Cette logique imposera nécessairement, à terme, un considérable effort d'adaptation aux entreprises ferroviaires européennes et notamment à la SNCF. Seule cette logique permettra en réalité d'améliorer l'efficacité et l'attractivité du transport ferroviaire.

Même si elle exige des étapes, l'instauration progressive de la concurrence intra-modale demeure une nécessité. Une politique qui ne miserait que sur le développement de la concurrence inter-modale (telle que semble la concevoir l'actuel Gouvernement) condamnerait inéluctablement le transport ferroviaire de marchandises en France.

Il importe de poursuivre le développement des lignes TGV dans une perspective européenne. Le schéma national de lignes à grande vitesse est désormais caduc, en raison de son coût exorbitant (sa réalisation aurait nécessité 200 milliards de francs, soit au rythme actuel de l'investissement, un achèvement en 2200 !). Seul un phasage des investissements privilégiant les projets les plus rentables devrait être retenu.

A cet égard, de grandes approximations affectent la crédibilité du programme de financement du TGV Est Européen, tel qu'il a été présenté par le Gouvernement.

En Allemagne, aux Pays-Bas et en Belgique, sont planifiés des projets d'investissement considérables concernant le fret ferroviaire. Des corridors de fret -ouverts à la concurrence- ont été mis en place entre le port de Rotterdam et le sud de l'Italie, contournant le territoire français.

En France, dans son état actuel d'exploitation du réseau, le trafic-fret ne peut croître, à moyen terme, que de 7 à 14 %, la SNCF persistant à accorder une priorité absolue au transport de voyageurs, y compris sur des liaisons peu fréquentées.

En certains points du territoire, des modifications des conditions d'exploitation du réseau ne pourront suffire à rendre possible une augmentation du fret. Le trafic voyageurs y induit une saturation des sillons . Il importe de réaliser des investissements sur les noeuds ferroviaires : grande ceinture de Paris, accès à Bordeaux, contournement de Lyon, passage de Nîmes-Montpellier et traversée des Alpes via Modane. Ces investissements, d'un coût relativement modeste, présentent un caractère stratégique.

Des liaisons ferroviaires dédiées au fret devront être nécessairement établies :

- sur l'axe Nord-Sud (Marseille-Lyon-Mulhouse-Bâle) afin de créer un grand axe structurant entre l'Europe du Nord et l'Europe du Sud, voire les nouveaux marchés d'outre-Méditerranée, afin d'empêcher la marginalisation déjà en marche de la France qui pourrait, si l'on n'y prenait garde, devenir rapidement le " Finistère " de l'Europe ;

- sur l'axe Est-Ouest (Le Havre-Allemagne via Metz)

La croissance à deux chiffres du trafic combiné se heurte à la saturation de nos capacités actuelles, interdisant de satisfaire une demande en pleine expansion. Le chantier de transport combiné de Lhomme dans le Nord fonctionne, par exemple, à 120 % de sa capacité. Des investissements de capacité d'un montant au demeurant modeste (entre 30 et 40 millions de francs par chantier) pourraient remédier au phénomène de saturation et affirmer une logique nationale de développement.

Sur la route :

Le développement du trafic routier en France est apparu comme une donnée incontournable, dont le rythme est lié, au demeurant, à la situation économique générale du pays et à la vigueur de ses échanges avec ses partenaires. Vouloir enrayer cette progression est une bataille largement illusoire, voire une bataille contre la croissance économique et le développement. Il importe en revanche de rechercher des solutions pour réguler raisonnablement ce trafic.

Dans le domaine routier, la comparaison de la France avec ses voisins du Nord ou avec l'Allemagne fait apparaître, chez ces derniers, un équipement nettement supérieur. Ils connaissent sur l'ensemble de leurs axes autoroutiers un phénomène de saturation expliquant la politique volontariste de rééquilibrage vers le rail engagée par leurs gouvernements successifs, notamment en ce qui concerne le fret.

En France, seul l'axe Lille-Paris-Lyon-Marseille connaît une saturation " à l'allemande ". Le territoire français, surtout à l'ouest d'une ligne Le Havre-Montpellier, comprend nombre de régions encore mal desservies, qui souffrent d'un déficit d'infrastructures routières et le maillage du territoire, en ce qui concerne ces dernières, ne butte que sur des considérations financières.

A cet égard, il est apparu que le postulat " désenclavement égal développement économique " n'avait rien perdu de sa validité en dépit des principes qui semblent inspirer l'actuel Gouvernement sur ce sujet.

L'actuel système de financement du système autoroutier est globalement équilibré. Il a permis à la France, dans des délais remarquables, de rattraper son retard par rapport à ses partenaires et de se doter d'un réseau autoroutier de qualité exceptionnelle. Ce système de financement des autoroutes concédées, reposant sur le mécanisme de l'adossement, présente le double avantage d'être à la fois capable de fournir des ressources abondantes, tout en étant neutre pour les finances publiques, et en reposant sur le libre consentement de l'usager au péage.

La commission d'enquête a établi que le principe de l'adossement, du financement de la construction de sections non rentables par une société grâce aux excédents dégagés par des sections rentables exploitées par la même société, n'était pas contraire au droit communautaire. Il faut être conscient que toute remise en cause de ce système aurait un coût élevé pour les finances publiques.

A contrario, tout système administratif de péréquation financière entre le réseau autoroutier et le réseau routier classique ne pourrait qu'assécher les ressources des sociétés d'autoroutes tout en augmentant, au passage, le coût d'entretien de la voirie nationale non concédée. Une entropie de l'ensemble du système serait inévitable.

La commission d'enquête a toutefois émis des critiques sur certains aspects de ce système de financement. Le morcellement des sociétés autoroutières conduit certaines d'entre elles à demeurer dans de graves difficultés alors que d'autres, beaucoup plus rentables, ne peuvent pas les aider.

Les prélèvements opérés sur le système par l'Etat sont trop élevés et trop aveugles (ils ne tiennent pas compte de la situation financière des sociétés). La plupart de ces prélèvements sont contraires à la directive européenne sur les péages, qui n'admet qu'une logique de réseau : la ressource tirée du péage doit exclusivement revenir à l'exploitant d'un réseau pour le construire, l'entretenir et le faire fonctionner.

La tarification d'usage des infrastructures (le péage) n'obéit pas à une logique économique. Cette tarification a été longtemps trop faible, lorsque le trafic était très dynamique : les concessionnaires ont eu un manque à gagner de recettes important. Inversement, les tarifs augmentent aujourd'hui trop vite, en vue de financer des prélèvements nouveaux : le trafic ne suit pas et les recettes non plus.

La durée des financements n'est pas adaptée à la durée de vie des infrastructures : les concessions sont trop courtes, occasionnant des charges différées nuisibles à une comptabilité sincère des sociétés.

La construction d'autoroutes gratuites conduit à une impasse financière, car l'Etat, déjà incapable d'entretenir son réseau actuel, le sera plus encore à l'avenir lorsque ce réseau sera plus vaste. Or le prélèvement opéré sur les autoroutes payantes pour financer le FITTVN nuira à la fréquentation de ces dernières tandis que les besoins de financement des autoroutes gratuites seront grandissants. Il est donc nécessaire que le FITTVN soit alimenté par une ressource non prélevée sur le réseau lui-même.

Le principe du péage doit être affirmé, tant pour des raisons pragmatiques liées à la nécessité de financer l'entretien et l'exploitation dans un contexte de maîtrise des dépenses publiques, que pour les vertus du péage en matière de régulation du trafic (et donc de multimodalité).

Les impératifs de l'aménagement du territoire et la nécessité de satisfaire les besoins en infrastructures routières de nos régions les moins développées conduisent à encourager une réflexion active sur un nouvel " objet autoroutier allégé " avec pour objectif une économie de 10 % à 15 % (deux fois deux voies allégées) voire de 30 % (deux fois une voie). Il est souhaitable que ces nouvelles liaisons d'aménagement du territoire soient des voies à péage, ce dernier étant d'un niveau éventuellement plus faible que les coûts sous-jacents, mais devant permettre à terme d'assurer la viabilité de l'autoroute.

La planification routière de nos voisins est établie à échéance de 2015 ou 2020. Nous devons nous inspirer de modes de planification efficaces, comprenant non seulement un schéma directeur, mais aussi un échéancier prévisionnel et des modalités de financement. En ce qui nous concerne, il convient donc d'ores et déjà de programmer l'après schéma-directeur routier (dont l'achèvement est prévu pour 2004/2005), afin de renforcer la liaison Est-Ouest, mais aussi de créer un véritable axe structurant en direction de la péninsule ibérique qui aurait aussi pour effet, à travers deux liaisons routières traversant les Pyrénées, de raccorder le grand Sud-Ouest au centre de l'Espagne.

Réunie le mercredi 3 juin 1998, sous la présidence de M. Jean François-Poncet, président, la commission d'enquête a adopté le rapport présenté par M. Gérard Larcher, rapporteur.

Les opinions divergentes des commissaires appartenant au groupe socialiste ainsi qu'au groupe communiste, républicain et citoyen, qui se sont prononcés contre les conclusions du rapporteur, sont reproduites ci-après.

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