3. Quelles possibilités de développement pour le fret ferroviaire ?
Votre
commission d'enquête ne prétend pas affirmer que le fret
ferroviaire peut se développer au point d'inverser les parts modales
respectives de la route et du fer. Une telle ambition serait hautement utopique.
En effet, la route dispose d'incontestables atouts et est appelée
à demeurer maîtresse sur une part importante du marché. En
effet, il faut savoir
que 80 % du trafic de marchandises concernent des
distances inférieures à 200 kilomètres et que le
transport ferroviaire n'est véritablement pertinent qu'à partir
de 500 kilomètres
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*
)
.
Néanmoins, il semble exister de réelles possibilités de
développement du trafic ferroviaire de fret comme en témoignent
les chiffres de croissance de ce secteur.
Il se dégage incontestablement une
demande sociale
en faveur
de
solutions alternatives
au transport routier dont les
inconvénients en terme de congestion et de pollution, s'il apparaissent
plus ou moins fondés, sont de plus en plus soulignés.
Il constituerait une solution adaptée pour permettre sur certains axes
ou points du territoire d'absorber un surplus de trafic ou de développer
des courants d'échange.
Dans les prochaines années, les grandes évolutions
économiques prévisibles conduisent à anticiper
l'arrivée à maturité des marchés de la
péninsule ibérique et l'émergence des marchés des
pays d'Europe centrale et orientale. Ceci entraînera une
augmentation
des trafics sur longue distance qui pourrait bénéficier au
transport ferroviaire
.
Les investissements réalisés ou programmés chez nos
partenaires commerciaux du Nord
(ligne de la Betuwe aux Pays-Bas, Netz 21
en Allemagne, Rhin d'acier à Anvers)
confirment la pertinence de la
voie ferrée pour le transport de marchandises
et nous incitent
à développer une véritable ambition nationale en ce
domaine. Il importe que la France valorise sa place stratégique au sein
du territoire européen et écarte grâce à des
investissements adaptés la menace d'une marginalisation.
Cette analyse apparaît particulièrement applicable à la
question de la desserte des ports français
. En effet, les ports du
Nord de l'Europe, notamment le port de Rotterdam, bénéficieront
dans les années à venir d'investissements ferroviaires
considérables et de la mise en place de corridors internationaux de fret
leur permettant d'améliorer leurs dessertes vers l'Est et le Sud de
l'Europe. Les flux de trafics ainsi mis en place ne transiteraient que dans une
très faible mesure par la France, l'axe rhénan étant
appelé à se développer considérablement.
L'affaiblissement qui en résulterait pour la position de la France
serait d'autant plus regrettable qu'elle dispose avec les ports de Marseille,
du Havre et de Dunkerque de sites exceptionnels aux potentialités
considérables.
Pour l'heure, la prise de conscience ne s'est pas encore opérée.
En effet, en ce qui concerne le trafic de conteneurs, à partir de
Rotterdam sont organisées plus de 25 connexions ferroviaires vers
l'Europe, à partir d'Anvers plus de 20 tandis qu'il n'y en a que 4
à partir du Havre et 2 à partir de Marseille. Par ailleurs, les
quantités unitaires paraissent insuffisantes en France pour promouvoir
à grande échelle la technique de la " navette " qui
consisteraient en la mise en circulation régulière de trains
entiers, la SNCF préférant, pour l'heure, développer la
technique du " hub " qui repose sur l'éclatement des trafics
à partir d'un point nodal. Cette technique répond mieux à
des dessertes peu massifiées et permet de desservir l'ensemble du
territoire français et quelques villes européennes mais se heurte
à la priorité accordée aux transports de voyageurs, soit
au niveau des grandes lignes dans leurs approches terminales soit au niveau des
lignes régionales de dessertes d'agglomération. Nos partenaires
étrangers sont au demeurant avertis de cette faiblesse de nos ports, le
responsable du port de Rotterdam ayant confié à votre commission
qu'en France,
" on privilégierait toujours un TER transportant
trois ou quatre voyageurs sur un train de fret ".
S'il est évident, aujourd'hui, que les ports français, selon une
expression utilisée M. du Mesnil, directeur des transports terrestres au
ministère de l'Équipement, du logement et des transports,
" ne jouent pas dans la même cour que les ports du
Nord ",
l'exemple de ces derniers souligne le rôle que jouent
l'hinterland et les dessertes terrestres comme facteur du développement
portuaire. Partageant cette conviction, les responsables auditionnés ont
admis devant votre commission l'intérêt d'une amélioration
des dessertes ferroviaires, qu'il s'agisse du Havre ou de Marseille, et
exprimé leurs attentes en ce domaine.
Actuellement, l'essentiel du trafic (75 à 80 %) est acheminé par
la route, mais au-delà d'une certaine distance de l'ordre de 600
à 800 kilomètres, le moyen privilégié de
transport de marchandises devient la voie ferrée dont un des atouts
essentiels, le transport combiné, est particulièrement
adapté aux trafics de conteneurs.
Si certaines solutions radicalement nouvelles ont pu être
évoquées, comme la mise en oeuvre de liaisons exploitées
directement par les autorités portuaires sans l'entremise de la SNCF,
elles demeurent encore largement hypothétiques, et la mise en place de
sillons compétitifs en nombre suffisant, voire de lignes
dédiées au transport de marchandises, semble pour l'heure
privilégiée.
En ce qui concerne le port de Marseille, l'exploitation de la rive droite du
Rhône pour le transport de marchandises a été
évoquée devant votre commission comme une solution qui
permettrait d'établir des liaisons pour le transport combiné
entre le nord et l'est de l'Europe et la Méditerranée. Ces
dernières seraient susceptibles de compenser, au bénéfice
de la France, les corridors développés par les opérateurs
nord-européens qui se mettent en place entre Rotterdam et le Sud de
l'Italie. Par ailleurs, elles constitueraient une solution alternative à
la desserte autoroutière du Rhône dont les possibilités du
développement sont limitées pour des raisons géographiques.
Le port du Havre a également élaboré des projets
d'amélioration de sa desserte ferroviaire afin de répliquer
notamment à l'offensive des ports néerlandais et d'élargir
son hinterland vers l'est et le nord. Afin de concurrencer les
opérateurs néerlandais qui envisageaient la création d'une
navette entre Rotterdam et Lyon, le port a mis en place avec CNC (compagnie
national de conteneurs) une navette ferroviaire entre le port et Lyon. Mais
l'objectif principal consiste dans la création d'un axe lourd
ferroviaire vers l'est entre le Havre et Metz, ce qui ouvrirait la voie vers
l'Allemagne du sud, la Suisse et l'Italie.
L'analyse faite pour les ports vaut également pour les
aéroports.
En effet, les conditions d'accès et de desserte des aéroports
jouent un rôle fondamental dans le choix des entreprises de transport de
marchandises recourant au mode aérien. A ce titre, le choix de
l'aéroport de Roissy par l'entreprise américaine Federal Express
est significatif, l'importance et la qualité des dessertes notamment
autoroutières étant très probablement entrées en
ligne de compte dans la décision de l'entreprise américaine. Si
les dessertes routières des aéroports français peuvent
être considérées comme plus ou moins satisfaisantes, la
commission a pu prendre conscience de l'insuffisance des dessertes ferroviaires
pour le fret à destination ou en provenance des plates-formes
aéroportuaires. Les propos convergents du général
Jean Fleury, président d'Aéroports de Paris, et de M.
Jacques Douffiagues, auteur d'un rapport sur le troisième
aéroport en région parisienne, ont souligné la
nécessité pour permettre un développement du fret
aérien de disposer d'un accès par chemin de fer fiable et rapide.
En ce domaine, ces exigences revêtent, en effet, une importance
particulière, les marchandises concernées étant pour la
plupart des produits à haute valeur ajoutée ou des denrées
périssables. Elles imposent que soient mises en place des liaisons
rapides et si possible dédiées afin de garantir la
sécurité de l'acheminement. Ces infrastructures -ou du moins
cette affectation du réseau- correspond à un véritable
besoin mais permettrait également à une activité qui est
en voie d'affirmation de disposer de capacités de développement.