2. Les conséquences de la construction européenne
La
construction européenne constitue, par ailleurs, une des raisons
justifiant la poursuite d'une politique d'investissement ferroviaire.
L'existence d'un marché unique et ses perspectives d'extension à
de nouveaux Etats-membres offrent de nouvelles possibilités de
développement au transport ferroviaire.
Par ailleurs, la construction européenne, en imposant un effort
d'adaptation des entreprises ferroviaires, est susceptible de favoriser une
amélioration de l'efficacité de ce mode de transport.
a) De nouvelles possibilités de développement
-
• Le renforcement du marché unique et les perspectives de
son élargissement aux pays de l'Europe centrale et orientale
entraîneront une
augmentation du volume des échanges
et un
accroissement de la mobilité individuelle.
L'accroissement des flux constitue une incitation à réaliser des investissements de capacité. Occulter cet impératif, alors que les autres États membres s'y préparent, reviendrait pour la France à refuser cette possibilité de croissance fondée sur le dynamisme de la demande européenne .
Le transport ferroviaire est susceptible de bénéficier de cette augmentation de la demande . Cela vaut à l'évidence pour le transport de voyageurs qui pourra profiter d'un effacement de l'effet frontière mais concerne également le transport de marchandises.
L'allongement des distances à parcourir suscitera un intérêt nouveau pour le transport ferroviaire, et plus particulièrement pour le transport combiné qui s'avère compétitif pour les distances supérieures à 500 kilomètres et qui offre de vastes possibilités de livraison et de chargement des marchandises. Par ailleurs, le fer peut être une solution adaptée pour répondre aux problèmes -notamment- environnementaux résultant d'un accroissement des trafics. Ainsi, il est prévisible que l'augmentation des échanges européens se traduira par un accroissement des trafics transalpins dont les conséquences sur l'environnement extrêmement sensible de cette région sont désormais soulignées et pour lesquels s'impose une stratégie plurimodale susceptible de donner au chemin de fer un plus grand rôle.
• Par ailleurs, le développement des réseaux européens de transports apparaît comme un facteur d'intégration européenne dans la mesure où il est une des conditions de la mise en oeuvre du principe de libre circulation.
Ce constat a justifié que l'Union européenne se préoccupe de la constitution d'un réseau transeuropéen de transport .
Si l'Acte unique avait, en 1986, omis d'évoquer la place des réseaux de transport et de communication comme condition essentielle de l'achèvement du marché unique, le traité de Maastricht, en 1992, a reconnu dans son titre XII l'importance du développement des réseaux transeuropéens de transports, de télécommunications et d'énergie.
La grande majorité des projets d'Essen, soit 10 sur 14, intéressent le transport ferroviaire et traduisent l'importance accordée au fer dans la construction d'une Europe des transports.
Projets ferroviaires retenus par le Conseil européen d'Essen les 9 et 10 décembre 1994
1. Train
à grande vitesse / transport combiné Nord-Sud :
Nüremberg-Erfurt-Halle/Leipzig-Berlin
Axe du Brenner : Vérone-Munich
2. Train à grande vitesse Paris-Bruxelles-Cologne-Amsterdam-Londres
3. Train à grande vitesse Sud
Madrid-Barcelone-Perpignan-Montpellier
Madrid-Vitoria-Dax
4. Train à grande vitesse Est :
Paris-Metz-Strasbourg-Appenweir-Karlsruhe-Saarbrücken-Mannheim et
Metz-Luxembourg
5. Chemin de fer classique / transport combiné : ligne de la Betuwe
6. Train à grande vitesse / transport combiné France-Italie
Lyon-Turin
Turin-Milan-Venise-Trieste
7. Liaison ferroviaire classique Cork-Stranraer
8. Liaison fixe rail / route Danemark-Suède (liaison fixe de l'resund)
9. Triangle nordique (rail / route)
10 Liaison ferrée côte occidentale
Outre ces 14 projets, le Parlement européen et le Conseil ont
défini les critères permettant d'identifier les projets
d'intérêt commun dans le cadre de la décision
n° 1692/96/CEE du 23 juillet 1996. Reconnaissant leur
intérêt pour le bon fonctionnement du marché
intérieur et le renforcement de la cohésion économique et
sociale, cette dernière témoigne de la volonté d'adopter
une approche multimodale destinée à assurer la meilleure
complémentarité possible entre les différents modes de
transport.
Il importe de souligner qu'elle décline les objectifs
à atteindre en cinq réseaux : routes, fer, voies
navigables, ports maritimes, aéroports, transport combiné, ce qui
peut laisser songeur sur le réalisme des planifications intermodales.
Le rôle assigné au réseau ferroviaire est de :
- " (jouer)
un rôle important dans le trafic ferroviaire à
grande distance de marchandises et de passagers,
- (jouer) un
rôle important dans le transport combiné à
grande distance,
-
permettre l'interconnexion avec les réseaux des autres modes de
transport et l'accès aux réseaux ferroviaires régionaux et
locaux ".
Ces objectifs très ambitieux sont cependant à opposer à la
modestie des réalisations conduites dans ce cadre.
Pour réaliser les 14 projets d'Essen, sans parler d'autres projets et
des programmes d'action horizontaux, la Communauté Européenne
dispose de 1 800 millions d'écus pour la période
1995-1999. Le règlement financier de septembre 1995 a
précisé les modalités de participation du budget
communautaire au financement de ces opérations, en fixant à
10 % le montant maximal de la contribution communautaire. Cependant, dans
les faits, les crédits actuellement disponibles ne permettent d'octroyer
qu'une subvention moyenne par projet de 3 %, réalité
décevante qui explique la déconvenue française concernant
le TGV-Est.
Si les crédits des réseaux transeuropéens de transport
bénéficient à 60 % des projets ferroviaires, il faut
souligner qu'ils n'ont pas vocation à financer des projets mais
plutôt à jouer un rôle de catalyseur en assurant les
études de faisabilité, les garanties d'emprunt et des
bonifications d'intérêts.
Dans les pays bénéficiant des fonds de cohésion pour
lesquels peuvent se cumuler les fonds structurels et les crédits
d'infrastructures de transport, le financement communautaire revêt un
caractère nettement plus incitatif. En effet, en ce qui concerne les
projets relevant du domaine des transports, le fonds européen de
développement régional et le fonds de cohésion assurent
respectivement 15,3 % et 22 % du financement.
En vertu de cette logique, les projets d'intérêt national ou
régional ont plus de chances de se réaliser que les grands
projets stratégiques pour la construction européenne comme ceux
proposés par les pays dotés d'un réseau d'ores et
déjà développé et dont la préoccupation est
d'améliorer le franchissement des frontières. Ces projets
très coûteux du fait de leurs caractéristiques techniques,
à l'image de la liaison Lyon-Turin, ne voient donc pas leur chance de
réalisation augmenter du fait de l'intervention communautaire.
La possibilité du recours au financement privé, retenu au conseil
de Milan, ne permettra pas, à l'évidence, de mener à bien
ces réalisations très lourdes et peu rentables.
Il semble que là encore des objectifs trop ambitieux condamnent des
politiques dont la légitimité est incontestable: seulement trois
ou quatre des projets d'Essen devraient être achevés d'ici l'an
2000. Des projets moins coûteux et plus réalistes -qui auraient
pu, au demeurant, résulter de phasages de réalisations
importantes- auraient, en effet, eu l'avantage de rendre plus crédible
la notion de réseaux transeuropéens.
Les propositions faites dans le cadre d'Agenda 2000, soulignant
l'intérêt des réseaux transeuropéens, peuvent sur
certains points apporter des réponses à ces critiques.
L'augmentation des crédits conjuguée à la mise en place
d'une programmation pluriannuelle des dépenses et à une
augmentation du plafond d'aide financière à 20 % du
coût total des investissements apparaît à ce titre comme une
perspective intéressante. Néanmoins, si ces crédits
continuent à être employés pour financer des études
ou des projets dont l'intérêt communautaire n'est pas
évident, on peut s'interroger sur la pertinence de telles
propositions.
b) Un nouveau cadre réglementaire : la remise en cause de l'illusion du " monopole perpétuel "
Une
logique d'harmonisation d'inspiration libérale
Si l'apport des financements communautaires ne peut que contribuer de
manière modeste à la politique d'investissement ferroviaire,
l'harmonisation réglementaire initiée par la Commission
européenne à partir de 1991 est, en revanche, susceptible
d'exercer une influence déterminante sur les conditions de
développement du chemin de fer en Europe dans les années à
venir
.
Cette harmonisation repose sur le constat exprimé en ces termes par la
Commission dans le livre blanc publiée en 1996 :
" Il est paradoxal de constater que la part du rail dans le
marché des transports continue à décliner alors que bon
nombre des problèmes qui pourraient être résolus par le
chemin de fer s'aggravent ".
Afin de remédier à cette inadéquation entre la demande
sociale et l'offre de transports ferroviaires, la commission propose
une
logique d'harmonisation d'inspiration libérale.
Si elle reconnaît la légitimité des services publics
définis contractuellement entre les États et les
opérateurs, elle considère, en effet, que la
compétitivité et l'efficacité du transport ferroviaire
sont conditionnées par la normalisation de la situation
financière des entreprises et par une ouverture à la concurrence
des réseaux nationaux.
La directive n° 91-440 du 29 juillet 1991 a induit des changements
profonds dans l'organisation des transports ferroviaires en Europe.
Au-delà des dispositions définissant les règles de gestion
des entreprises ferroviaires
25(
*
)
qui aboutirent en, France, à la loi du 13 février 1997,
elle comportait dans son article 10 des dispositions novatrices qui
prévoyaient l'octroi à certaines entités de droit
d'accès aux réseaux ferroviaires nationaux.
Un tel dispositif avait pour objectif de faciliter la réalisation du
marché unique, en contraignant des entreprises monopolistiques à
rendre leurs réseaux accessibles à d'autres opérateurs.
Prenant en compte les risques de désorganisation causés par une
déréglementation trop large, l'ouverture restait prudente.
L'article 10 de la directive prévoit, en effet,
que : "
les
regroupements internationaux
se voient reconnaître des droits
d'accès
et de
transit
dans les
États membres où sont établies les entreprises
ferroviaires qui les instituent, ainsi que des droits de transit dans les
autres États membres pour les prestations des services de
transport internationaux
entre les États membres
où sont établies les entreprises constituant lesdits
regroupements "
" et que les entreprises ferroviaires se voient accorder un droit
d'accès
, à des conditions équitables, à
l'infrastructure des autres États membres aux fins de
l'exploitation
de services de transport combiné internationaux
de
marchandises ".
Pour pouvoir accéder au réseau d'un État membre autre que
celui auquel il appartient, un opérateur doit donc constituer un
groupement international
ou exercer une activité de transport
combiné
. En outre, en cas de regroupement international, les droits
d'accès sont limités aux États dans lesquels sont
établies les entreprises participant au regroupement, ce dernier ne
bénéficiant que de droits de transit dans les autres États.
En 1995, le Conseil de l'Union européenne adopta deux directives
d'application de la directive de 1991 afin de faciliter la mise en oeuvre des
dispositions relatives aux droits d'accès :
- une directive n° 95/18/CE du Conseil du 19 juin 1995 concernant les
licences des entreprises ferroviaires ;
- et une directive n° 95/19/CE du Conseil du 19 juin 1995 concernant la
répartition des capacités d'infrastructures ferroviaires et la
perception des redevances d'utilisation de l'infrastructure (dite
" directive sillons ").
Ces deux directives ne sont pas encore transposées en France. Un des
problèmes principaux soulevés par leur application réside
dans les conditions de fixation des péages versés par les
exploitants des services ferroviaires aux gestionnaires de l'infrastructure.
La " directive sillons " prévoit, dans son article 6, que
" les comptes du gestionnaire d'une infrastructure doivent, dans des
conditions normales d'activité, présenter au moins un
équilibre considéré sur une période de temps
raisonnable entre, d'une part, les recettes tirées des redevances
d'utilisation de l'infrastructure et des contributions de l'Etat et, d'autre
part, les dépenses d'infrastructure ".
Par ailleurs, elle contient des dispositions relatives à la fixation des
redevances d'infrastructure, ces dernières doivent être
fixées de manière non discriminatoire et prendre en compte
notamment la nature du service, la situation du marché ainsi que la
nature et l'usure de l'infrastructure.
Pour l'heure, les modalités de tarification des infrastructures
ferroviaires diffèrent d'un État membre à l'autre et leur
importance dans les recettes de l'établissement chargé de
l'infrastructure sont très variables. A terme,
ces redevances
détermineront pour une large part, la compétitivité des
réseaux nationaux
.
En France, les redevances sont fixées à un niveau forfaitaire de
6 milliards de francs jusqu'à la fin de l'année 1998.
Au-delà de cette date, de nouvelles règles devront être
déterminées. En Allemagne, les redevances s'élèvent
à environ 35 milliards de francs.
Ces redevances sont utilisées aujourd'hui par les entreprises
gestionnaires de réseau à des fins stratégiques. Les
Pays-Bas ont ainsi instauré une redevance zéro jusqu'en 2000,
sauf sur les freeways et, en Allemagne, des ristournes sont accordées en
fonction du kilométrage et de la durée des commandes, ce qui
favorise les entreprises ferroviaires établies de longue date au
détriment de nouveaux arrivants. A terme, se posera, à
l'évidence, la question de la compatibilité des principes de
fixation des redevances avec les règles communautaires de la concurrence.
Au-delà de cette approche, l'harmonisation européenne concerne
également les qualifications des matériels et des
infrastructures. En effet, l'intégration des réseaux ferroviaires
des États membres, comme nous l'avons souligné plus haut, est
retardée par leur cloisonnement, leur interopérabilité
restant encore extrêmement limitée. Cette préoccupation a
justifié l'adoption de la directive n° 96/48/CEE relative
à l'interopérabilité du système ferroviaire
transeuropéen à grande vitesse.
c) Une volonté réaffirmée de libéralisation
-
•
Le livre blanc de 1996
La publication au cours de l'été 1996 du livre blanc de la Commission européenne 26( * ) a marqué la volonté de la Commission européenne de poursuivre le mouvement de libéralisation du secteur ferroviaire engagé en 1991.LE LIVRE BLANC
" UNE STRATÉGIE POUR REVITALISER LES
CHEMINS DE FER COMMUNAUTAIRES "
Après avoir rappelé le déclin du transport ferroviaire depuis la fin de la seconde guerre mondiale et tenté d'en discerner les causes, le " Livre blanc " émet des propositions pour l'avenir :
- clarification des rapports financiers entre les États membres et les entreprises ferroviaires ;
- subordination éventuelle des aides publiques dans les États à un programme de restructuration destiné à améliorer la viabilité de l'entreprise concernée ;
- renforcement de la concurrence : la Commission Européenne renouvelle sa proposition d'ouvrir l'accès aux réseaux ferroviaires à toute entreprise offrant des services de fret ou des services de transport international de voyageurs ;
- mise en place de quelques " corridors " ferroviaires transeuropéens pour le fret, dans lequel des sillons pourraient être attribués aux entreprises ;
- attribution par appel d'offre de concessions exclusives pour les transports intérieurs de voyageurs ;
- séparation renforcée des services de transport et de la gestion de l'infrastructure;- contractualisation du service public, où le contrat indiquerait le service à fournir, sur la base éventuelle d'un cahier des charges, et où l'aide serait fixée en proportion ;
-amélioration de l'interopérabilité des réseaux et des matériels ;
- évocation des aspects sociaux : amalgame entre les gains d'efficacité indispensables et la défense à terme de l'emploi
Votre commission observe que si, lors de la publication du livre blanc, ses conclusions ont pu être jugées prématurées compte tenu notamment du rythme d'adaptation des entreprises ferroviaires aux exigences posées par la directive de 1991, la volonté d'ouverture à la concurrence des réseaux ferroviaires s'est concrétisée -et ce plus vite qu'on ne le prévoyait mais selon des modalités qui n'étaient pas prévues par la directive de 1991.
• La création des corridors de fret
La Commission, constatant l'absence de telles réalisations, a formulé en juillet 1995 une proposition, qui fut reprise dans le livre blanc, consistant à étendre les droits d'accès sous forme de couloirs de circulation à tous les services de fret aussi bien nationaux qu'internationaux et aux services de transport internationaux de voyageurs, sans la condition préalable de constituer un groupe. Une communication de la Commission a précisé le cadre réglementaire et les spécifications techniques que devraient respecter les entreprises ferroviaires sur de tels itinéraires 27( * ) . Le principe de ces corridors repose sur le mécanisme du " guichet unique " " (one stop-shop )", la gestion du trafic étant assurée non par les gestionnaires des infrastructures participant au projet mais par le biais d'une seule structure qui identifie et distribue les capacités de transport et applique la tarification pour le compte des gestionnaires d'infrastructures. Les avantages de tels itinéraires consistent principalement dans les réductions de temps d'attente aux frontières et les possibilités d'augmentation de la vitesse commerciale, évaluées respectivement à 80 % et à 20 %. D'après les estimations de la Commission, ils devraient permettre un trafic supplémentaire de 2 à 3 millions de tonnes.
Depuis le 1er janvier 1998, deux corridors ont été ouverts :
- le premier, le 12 janvier, par un accord de coopération entre la Belgique, le Luxembourg et la France. Il relie Muizen près d'Anvers (Belgique) à Sibelin près de Lyon et a été prolongé vers l'Italie, d'une part, et vers Marseille, puis vers l'Espagne, d'autre part ;
- le deuxième ouvert à la concurrence le 1er février entre l'Allemagne, la Hollande, l'Autriche, la Suisse et l'Italie relie Rotterdam et Anvers au Sud de l'Italie par l'Est.
Par ailleurs, un corridor auquel la SNCF ne participe pas, reliant les ports de Rotterdam et de Gioia Tauro dans le sud de l'Italie, sera accessible à partir du 1er juillet 1998.
Votre commission relève que, pour l'heure, les itinéraires mis en place marginalisent le territoire français matérialisant les risques d'une desserte du Sud et de l'Est de l'Europe par les Pays-Bas et l'Allemagne, évolution qui aurait notamment pour effet de menacer l'activité de nos ports.
Par ailleurs, elle souligne que le corridor auquel participe la SNCF repose plus sur une logique de coopération que de concurrence et n'est pas totalement un " freeway " à la différence de celui ouvert à l'Est qui prétend au statut d'autoroute du rail. Ce choix semble difficilement tenable compte tenu de l'accélération de l'ouverture à la concurrence dont témoigne la mise en place des corridors eux-mêmes. Il risque d'une part de retarder encore l'adaptation de l'entreprise ferroviaire française aux exigences du marché et d'autre part de se traduire par une marginalisation du territoire français.
Cette logique ne correspond pas à l'évolution de la concurrence. Rappelons que déjà, l'accord d'extension de la concession d'Eurotunnel signé en décembre 1997 a prévu une forme de libéralisation du trafic ferroviaire de fret sur les principales voies menant au tunnel. Un protocole d'intention prévoit que la SNCF et EWS (le nouvel opérateur privé de fret britannique) opéreront à parité commerciale sur ces voies.
Ce développement de la concurrence hors du cadre fixé par la directive de 1991 révèle l'inadaptation, sur ce point, de ses dispositions à la réalité du secteur ferroviaire. Ce constat est partagé par la Commission elle-même comme en témoigne sa communication au Conseil du 31 mars 1998 qui formule diverses propositions afin d'accélérer la libéralisation du secteur ferroviaire.
Soulignant que les droits d'accès prévus par la directive n° 91-440 CEE sont limités en particulier par l'obligation de trouver une entreprise partenaire dans un autre État membre, la Commission relève dans ce texte que " les sociétés nationales de chemins de fer n'ont pratiquement pas de concurrents " et qu'elles peuvent, en dépit des dispositions de la directive, " se comporter comme des monopoles " . Afin de remédier à cette situation contraire à la logique défendue depuis 1991, la Commission propose une ouverture du marché graduelle centrée sur le secteur du transport des marchandises. A ce titre, elle estime que " les activités principales des sociétés de chemins de fer en place ne seraient pas perturbées si la Communauté ouvrait dès à présent 5 % du marché du transport de marchandises dans chaque État membre et si elle poursuivait cette politique de libéralisation par étapes pour atteindre 25 % dans dix ans ".
Pour l'heure, cette proposition débattue lors du sommet informel de Chester (Grande-Bretagne) a été repoussée, notamment sous l'effet de l'opposition catégorique de la France, nos partenaires anglais et allemands approuvant cette suggestion. On peut se demander en ce domaine s'il faut lutter contre le sens de l'histoire ou bien s'adapter le plus rapidement à une nouvelle donne.
L'harmonisation européenne a donc comme première conséquence le développement de la concurrence dans un secteur jusqu'ici monopolistique. Il s'agit sans doute là d'une donnée nouvelle et déterminante à prendre en compte dans la définition de la politique ferroviaire. Il serait sans doute suicidaire pour les acteurs du secteur ferroviaire de ne pas intégrer cette dimension nouvelle de leur action, qui semble pour une part du moins déjà admise par nos partenaires européens. Il faut, en ce domaine, renoncer à l'illusion du " monopole perpétuel "
L'Allemagne s'est engagée, quant à elle, dès 1993 dans une réforme structurelle des chemins de fer fédéraux. Celle-ci, imposée au demeurant par la nécessité d'intégrer en une seule entreprise la Bundesban et la Reichsbahn, a permis un apurement de la situation financière du secteur ferroviaire et son adaptation aux exigences du marché. Cette révolution a été rendue possible par la prise en charge par l'Etat fédéral des charges qui constituaient un obstacle à un redressement significatif de la rentabilité de la nouvelle Deutsche Bahn AG : obligations d'intérêt public, endettement, surplus de coûts induits par les personnels relevant de la fonction publique, financement de l'extention du réseau grâce à un système de financement fondé sur des prêts sans intérêt.
Ce redressement a, par ailleurs, été soutenu par un important effort d'investissement qui s'élèvera entre 1998 et 2002 à près de 270 milliards de francs.
Il s'est traduit par des gains en productivité de 83,5% et une augmentation des trafics de 12 %
Sur la même période, la SNCF enregistrait une progression des trafics voyageurs et de 12 % des trafics de fret, la productivité diminuant quant à elle de 12,5 %.