M. JEAN-PIERRE CHEVÈNEMENT,
MINISTRE DE L'INTÉRIEUR
MARDI
12 MAI 1998
M. LE
PRÉSIDENT
. - Nous tenons ce soir la dernière audition de la
Commission d'enquête selon le calendrier que nous nous étions
fixé. A cette occasion, il était normal que nous entendions
Monsieur le Ministre de l'Intérieur pour la deuxième fois afin de
conclure et de nous forger non pas des impressions, mais une opinion.
Par conséquent, Monsieur le Ministre, soyez le bienvenu ici et je peux
vous assurer que nous allons apporter à vos réponses la plus
grande attention. Je dis à vos réponses parce que le rapporteur
est arrivé à un certain nombre de synthèses et il va, sur
des points très concrets, poser des questions qui permettront d'asseoir
notre conviction.
Monsieur le Ministre, je vais vous demander de prêter serment. Je ne le
demande pas à vos collaborateurs.
M. LE MINISTRE
. - Je peux m'adresser à eux cependant.
(M. le Président donne lecture des dispositions de l'article 6
de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; M. Jean-Pierre
Chèvènement prête serment).
M. LE MINISTRE
. - Je souhaiterais pouvoir faire une déclaration
liminaire et après je répondrai à vos questions. Je suis
disponible jusqu'à 19 heures.
M. LE PRÉSIDENT
. - Nous vous remercions de cette
disponibilité.
Chers collègues, vous êtes nombreux ce soir. C'est un
témoignage de l'intérêt que vos déclarations
suscitent, Monsieur le Ministre. Je pense qu'il faut réserver une heure
aux échanges et déclarations des collègues.
Vous pouvez faire une déclaration liminaire.
M. LE MINISTRE
. - Oui, Monsieur le Président. D'abord, je pense
qu'il est utile que vous connaissiez les derniers résultats de cette
opération qui, comme vous le savez, est encore en cours. Les
statistiques dont je dispose à la fin du mois d'avril font
apparaître que 144.707 demandes ont en fait été
formulées. Ce chiffre n'est pas définitif, mais le traitement des
dossiers a fait apparaître un nombre important de doubles comptes ou de
personnes n'habitant pas à l'adresse indiquée, qui ont
été relancées sans succès. Il est apparu même
que dans certains cas, certaines de ces personnes habitaient encore dans leur
pays d'origine.
Nous sommes donc à 144.707 demandes sur lesquelles les autorisations de
séjour, en dehors des récépissés dont je vous
expliquerai tout à l'heure ce qu'ils sont, se montent à 48.901.
Les rejets à 45.913. S'ajoutent
13.701 récépissés qui correspondent à des
dossiers incomplets auxquels généralement il ne manque qu'une
pièce et qui, dans la très grande majorité des cas,
préfigurent une régularisation. Au total, le taux de rejet au 30
avril 1998 est donc de 42,31 %. Cette opération de
régularisation n'est pas terminée. J'ai demandé que chacun
puisse être reçu personnellement. Actuellement, 75 % des dossiers
ont été traités. La totalité devrait l'être
à la fin du mois de mai. Disons que certains retards s'expliquaient dans
des départements où le nombre de demandeurs était
très élevé. Trois d'entre eux concentrent la moitié
des demandes, et la loi Réséda vient seulement d'être
publiée au Journal Officiel. Je signe tout à l'heure la
circulaire d'application qui a d'ailleurs 48 pages.
Voilà pour les chiffres qu'il était bon que vous connaissiez
d'emblée.
Je rappelle que cette opération a toujours été une
opération sur critères. Jamais le gouvernement n'a annoncé
une régularisation générale. Il ne l'a pas fait pour ne
pas donner un signal qui aurait pu être compris d'une manière
telle que tout étranger venant en France aurait ainsi un droit acquis et
imprescriptible à s'y installer. Vous n'ignorez pas que 85 millions
d'étrangers viennent en France chaque année pour des raisons
touristiques et 1,7 million y viennent avec un visa de trois mois. La plupart
de ceux qui demeurent sur le territoire en situation irrégulière
sont des gens qui sont venus sur le territoire avec un visa et qui ont
prolongé leur séjour au-delà de trois mois. Environ
66 %.
Donc, le gouvernement s'est inspiré de l'avis portant sur la
régularisation de séjour d'étrangers dits " sans
papiers ", du 12 septembre 1996, avis donné par la Commission
nationale consultative des droits de l'homme. Je crois utile de vous rappeler
ce qu'étaient les catégories pour la Commission nationale
consultative des droits de l'homme, notamment à l'instigation des
médiateurs de Saint-Bernard, mais je crois utile de vous rappeler
quelles étaient les personnes qui devaient faire partie des
catégories régularisées pour cette Commission. C'est utile
parce qu'on verra la continuité, contrairement à tout ce qui est
dit dans des conditions non seulement d'approximation, de déformation
constante de la réalité et même du mépris de la
réalité, contre lesquelles je n'ai cessé de protester
depuis longtemps.
Il s'agit des personnes ayant vocation à devenir Français, des
personnes aspirant à une vie familiale normale, droits garantis par
l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme. Il a
été reconnu par le Conseil constitutionnel : conjoint d'un
étranger en situation régulière en France, parents
d'enfants nés en France, personnes ayant un proche parent
résidant régulièrement en France, ascendant ou enfant,
personnes dépourvues de titre de séjour qui, en l'absence de
trouble à l'ordre public, ont une bonne insertion dans la
société française, notamment en raison de
l'ancienneté du séjour, de la justification d'un travail, pouvant
justifier d'un domicile, de l'acquittement des impôts et des charges
sociales, de la scolarisation des enfants.
Vous reconnaissez là la fameuse catégorie 1-6 dite des
étrangers sans charge de famille, régularisables.
Enfin, personnes déboutées du droit d'asile dont le retour dans
le pays d'origine les exposeraient à des risques sérieux, ou
personnes malades justifiant d'un certificat médical établi dans
des conditions sérieuses et les étudiants en cours
d'études universitaires reconnues.
La Commission, en septembre 1996, demandait que ces personnes soient
accueillies dans de bonnes conditions sur tout le territoire, et que la carte
de séjour porte la mention de salarié.
Nous n'avons rien fait d'autre. Le gouvernement s'est scrupuleusement
acquitté de la tâche qu'il s'était fixée et
notamment à la suite des déclarations du Premier Ministre lors du
débat de politique générale du 19 juin 1997. Je rappelle
ses propos.
M. Jospin a déclaré " la France doit définir une
politique d'immigration ferme et digne, sans renier ses valeurs, sans
compromettre son équilibre social. L'immigration est une
réalité économique, sociale et humaine, qu'il faut
organiser, contrôler et maîtriser au mieux, en affirmant les
intérêts de la nation et en respectant les droits de la personne.
La République accueille ses hôtes selon ses lois qui doivent
être claires et précises. L'immigration irrégulière
et le travail clandestin qui, je le sais, ne sont pas le seul fait des
étrangers, seront combattus sans défaillance parce que l'un et
l'autre compromettent l'intégration et parce qu'ils sont contraires
à la dignité même des immigrés. La politique de
coopération avec les Etats d'émigration prendra en compte
l'objectif de la maîtrise des flux migratoires. "
Et il ajoutait : sans attendre, le gouvernement a décidé de
mettre fin à certaines situations intolérables et inextricables
qui résultent des contradictions de la législation en vigueur.
Des instructions seront données aux préfets dans les prochains
jours pour qu'ils procèdent, sur le fondement de critères
précis, à un examen attentif et personnel de ces
situations. "
Rien n'est plus injuste que de prétendre que le gouvernement aurait
manqué à ses promesses. Le gouvernement a scrupuleusement tenu
ses engagements. Quant à ceux qui évoquent l'abrogation des lois
Pasqua, Debré, ils ne trouveront jamais ce mot dans ma bouche, à
aucun moment, et si le Premier ministre les a prononcés en une seule
occasion, il suffit de se reporter à toutes ses déclarations, en
toute autre circonstance, pour savoir que dans son esprit il s'agissait de
réformer la législation existante non pas de l'abroger. Pour y
substituer quoi ? Encore faudrait-il qu'on se pose le problème. Car ceux
qui prétendent qu'ils sont pour le droit à la circulation et pas
pour le droit à l'installation méconnaissent le fait que le droit
à la circulation débouche forcément sur l'installation
dans un certain nombre de cas.
Je ne veux pas faire litière de tout ce qui ne tient pas la route,
encore que j'aimerais quand même évoquer quelques points au
passage.
D'abord, je lis un article dans un grand journal du soir : le délai
expire le 30 mai prochain, comme s'il s'agissait d'un délai couperet.
Non, il y a des recours possibles, gracieux et hiérarchiques.
80.000 personnes sont sur le point d'être chassées du sol
français sans ménagement aucun. L'actualité l'a
démontré maintes fois. C'est faire litière de toutes les
allégations mensongères qu'on trouve répandues à
profusion sur des étrangers soi-disant bâillonnés ou
drogués. Cela n'a jamais existé. Cela relève de la
fantasmagorie. Dois-je préciser que les droits de l'homme, encore une
fois, qu'on invoque sont aussi ceux du citoyen et qu'on ne peut pas poser les
droits de l'homme indépendamment de l'organisation politique qui permet
de les garantir, c'est-à-dire de la citoyenneté ?
Faut-il que j'aille beaucoup plus loin ?
Le problème de l'immigration est rarement vu dans sa
réalité. On ne voit que la pointe émergée d'un
iceberg qui est l'ensemble des relations internationales et notamment des
relations nord sud, et on ne peut pas poser justement ce problème de
l'immigration si on n'a pas présent à l'esprit ce qui est la base
de tout. Je pense qu'il faut créer dans les pays du sud, et
peut-être dans certains pays de l'est, les conditions du
développement et de l'avènement d'un Etat de droit. Si on n'est
pas capable de penser à l'échelle mondiale, il ne faut pas se
revendiquer du beau nom d'intellectuel. Il faut penser le problème dans
sa dimension réelle.
Jaurès nous l'a appris. Il faut avoir un idéal, mais il faut
garder le contact avec le réel.
J'ajoute que tout Etat, il faut le rappeler, se donne le droit d'accueillir ou
non des étrangers sur son sol. La législation sur le
séjour n'est pas propre à la France, elle existe dans tous les
pays du monde entier.
On évoque le fait que les non régularisés seraient des
célibataires. Je voudrais simplement dire que l'esprit de la circulaire
étant de faire pleinement sa place au droit de vivre en famille, il
n'est pas anormal que ce soient surtout des célibataires qui soient les
déboutés de cette circulaire. Il n'en reste pas moins que
près du quart des régularisés sont quand même des
célibataires qui témoignaient d'une bonne insertion. Je vous
rappelle les recommandations de la Commission nationale consultative des droits
de l'homme.
Tout est à l'avenant. Je ne vais pas évoquer l'Algérie.
Personnellement, je suis partisan d'assouplir fortement notre politique
vis-à-vis de l'Algérie, mais je suis tout à fait hostile
à considérer que l'Algérie est un pays qu'on pourrait en
quelque sorte abandonner et sur lequel on pourrait tirer un trait comme s'il
était devenu aujourd'hui et pour toujours un Etat de non-droit. Je
n'ignore pas et je souffre à l'idée de ce qui se passe en
Algérie, mais je pense que la meilleure aide qu'on peut apporter
à l'Algérie ne consiste pas à donner en quelque sorte un
signal de détresse et de fuite qui priverait, encore une fois, ce pays
de la majorité de ses élites dont il a besoin pour construire son
avenir et trouver une identité conforme aux exigences des temps
contemporains. D'ailleurs, ce n'est pas ce que les autorités
algériennes nous demandent.
Je vois que la France n'accorde aujourd'hui quasiment plus le droit d'asile. Je
donnerai des chiffres tout à l'heure. Vous verrez que tout cela n'est
pas vrai même si la politique est très restrictive.
Je pourrais encore répondre à quelques
contre-vérités.
Les flux migratoires ont toujours été stables.
Malheureusement, je regarde, moi, le chiffre des reconduites aux
frontières et il va sans cesse croissant. Et dans les pays
étrangers, j'étais hier en Suisse et dans d'autres encore,
j'observe que la réalité du monde n'est pas celle qu'on nous
décrit. Il y a malheureusement, et pour des raisons aisément
compréhensibles de la misère, des guerres civiles,
étrangères, des flux de population toujours croissants. Enfin,
j'observe que l'égalité des droits est acquise sur le plan
social. Il y a eu un débat au Sénat, dont vous avez gardé
le souvenir, et cette égalité des droits vaut entre
Français et étrangers en situation régulière.
Sinon, tout le monde pourrait avoir le droit au travail, le RMI, le
bénéfice de la sécurité sociale, mais aussi le
bénéfice des prestations non contributives, c'est-à-dire
prestations aux adultes handicapés et les prestations du fonds national
de solidarité.
Je pense qu'on pourrait encore épiloguer longtemps sur un certain nombre
de contre-vérités, d'associations d'idées qui courent les
rues et auxquelles on devrait plus souvent tordre le cou, si tant est qu'un peu
d'esprit critique voulait bien s'exercer. Je crois que le problème peut
être résolu humainement, dans une perspective politique, parce
qu'on ne peut pas et on ne doit pas faire litière de la politique quand
on est affronté à un problème comme celui-là.
Je vais, si vous le voulez bien, vous dire que la logique de l'opération
était simple. Il existait plusieurs dizaines de milliers
d'étrangers qui étaient à la fois privées du droit
au séjour et inexpulsables, notamment des parents d'enfants
français ou nés en France, mais aussi des conjoints, et je crois
que c'est à cette situation que nous voulions mettre un terme. Il y a
été mis un terme définitif grâce au vote de la loi
Réséda, qui n'est pas l'objet de votre Commission, mais la loi
Réséda, en instituant la carte de séjour vie privée
et familiale, tire définitivement un trait sur cette situation que le
Premier ministre qualifiait d'intolérable et d'inextricable. C'est un
des acquis de la loi.
Par ailleurs, nous avons voulu préserver la nécessaire ouverture
de la France sur le monde. Notre pays est un grand pays, quatrième
puissance commerciale, premier pays de destination touristique accueillant
125.000 étrangers par an. Il y a un certain nombre de cartes
scientifiques notamment qui ont été créées, mais
tout cela est dans le prolongement de la circulaire. Et nous avons toujours
pensé que notre politique ne pouvait prendre naissance que dans le
contexte d'une politique de co-développement qui a un contenu
très riche, économique mais aussi politique. J'ai eu l'occasion
de m'en entretenir avec Madame l'ambassadeur du Mali et d'autres responsables
politiques africains.
L'opération de régularisation s'est déroulée dans
des délais beaucoup plus rapides qu'en 1981/82, elle va s'achever au
niveau des préfectures à la fin mai, avec le mécanisme de
recours dans le courant de l'été. Mais on peut considérer
que cette opération a été remarquablement menée et
je tiens à rendre hommage aux services des préfectures, aux
préfets qui se sont engagés, aux chefs de service des
étrangers et à l'ensemble des personnels. Ils ont excellemment
fait leur travail. Je voudrais aussi rendre hommage à M. Galabert et
à tous ceux qui nous ont aidés, au fur et à mesure que
l'opération progressait, à faire en sorte qu'un certain nombre de
directives puissent être données à temps pour que partout
prévale la même interprétation des critères
fixés par la circulaire.
Nous sommes donc dans la phase où cette opération va se terminer.
Elle est encore en cours, mais je pense qu'au mois de juin on y verra plus
clair et, dans le courant de l'été, les recours
hiérarchiques, notamment ceux qui touchent les personnes dont le retour
dans leur pays d'origine pourrait menacer leur vie car les préfectures
n'ont pas toujours les éléments nécessaires pour
l'apprécier, ou bien les malades car là aussi, bien qu'on fasse
appel à des médecins hospitaliers, ce n'est pas toujours facile
à interpréter. Et puis, il y a les déboutés du
droit d'asile, mais certains l'ont été en d'autres temps qui
peuvent mériter un réexamen particulier. Donc, cette
opération ne pourra être définitivement
considérée comme terminée que dans le courant de
l'été.
Comme vous le savez, les demandes se sont portées plus
précisément sur certaines préfectures, notamment dans la
région parisienne, les Bouches-du-Rhône, le Midi de la France, la
région lyonnaise, la région parisienne. D'autres ont
été très peu sollicitées.
Je veux maintenant m'acheminer vers la conclusion de cet exposé
liminaire. Nous avons voulu sortir d'une situation malsaine, rassembler les
Français sur une politique raisonnable, soustrayant l'immigré
à son rôle de pushing ball dans un débat politique souvent
malsain.
Je dirai que dans un régime démocratique, la contestation est
naturelle et ne peut cependant pas s'affranchir des devoirs de l'information et
d'une information aussi objective que possible. D'une bonne
compréhension de ce qu'a voulu faire le gouvernement et de qu'il a
déclaré vouloir faire. Je n'aimerais pas qu'un certain nombre de
gens qui aujourd'hui crient au loup alors que le loup n'y est pas et que
demain, à force de s'être mobilisés, ne trouvent plus
personne quand le loup y serait. Et quand un certain nombre de dispositions,
comme par exemple la carte de séjour vie privée et familiale, ou
la carte de séjour scientifique ou encore profession artistique et
culturelle, ou l'obligation de motiver des refus de visa pour des personnes
ayant de la famille en France ou ayant droit au séjour, ou encore des
dispositions relatives au droit d'asile, ou encore l'égalité des
droits sociaux, si tout cela venait à être remis en cause,
j'aimerais que tous ceux qui se mobilisent aujourd'hui au nom des droits de
l'homme puissent trouver autour d'eux un renfort crédible. Donc, il me
semblerait souhaitable qu'un peu plus d'objectivité puisse
prévaloir.
Je remercie la DLPAJ, direction des libertés publiques et des affaires
juridiques, son directeur et les équipes qui ont beaucoup
travaillé autour de lui, pour leur inlassable activité afin de
préciser les conditions dans lesquelles cette opération pouvait
être menée. Il reste quelques milliers de recours à
examiner, ce n'est pas un petit travail, mais il sera mené dans les
délais que j'ai fixés.
Quels que puissent être les reproches qui nous sont faits, nous avons
toujours voulu agir dans le souci de la dignité humaine. Je rappelle que
des délais ont été donnés, notamment à
partir de la parution de la circulaire de l'OMI, trois mois avant que soient
pris les arrêtés de reconduite à la frontière, que
celle-ci s'effectue sous contrôle du juge.
Dans l'ensemble, beaucoup quittent le territoire national d'eux-mêmes. 75
% de ceux qui font l'objet d'arrêtés de reconduite regagnent leur
pays sans aucune escorte policière. Seuls ceux qui font obstacle
à leur reconduite sont reconduits sous escorte. Ensuite, il faut quand
même prendre la mesure des choses. Etre reconduit dans son pays n'est pas
terrible si ce pays est une démocratie et c'est souvent le cas.
Et j'ajoute qu'aucun pays de renvoi n'est aujourd'hui un pays dans lequel nous
considérons qu'il n'y a aucune possibilité de réinsertion
dans l'immédiat.
Par conséquent, je crois qu'il faut garder la mesure des choses.
Bien sûr, il n'y a pas eu de pièges tendus par l'administration.
Nous avons toujours tenu le même langage et nous continuerons à le
tenir, en examinant avec beaucoup de soin tous les cas particuliers qui
pourraient nous être signalés.
Je pense que c'est là notamment le rôle non seulement des
parlementaires, mais aussi de tous ceux que la situation d'un certain nombre
d'étrangers, même en situation irrégulière,
préoccupe légitimement.
Voilà ce que je voulais vous déclarer avant l'audition proprement
dite.
M. LE PRÉSIDENT
. - Monsieur le Ministre, merci de cet
exposé liminaire fort complet et fort intéressant. Vous avez
cité non seulement des chiffres, mais une vision assez approfondie d'un
problème dont nous comprenons l'importance, et sa dimension
réelle.
M. LE RAPPORTEUR
. - Je vous remercie Monsieur le Ministre. Notre
Commission d'enquête est sur le point de terminer ses travaux puisque
nous avons visité neuf préfectures et nous avons eu une vingtaine
d'auditions. Nous tenions à ce que ce soit vous qui terminiez le cycle
de ces auditions.
Alors, vous avez déjà répondu dans votre exposé
à pas mal de nos questions, notamment la première qui concernait
vos impressions à la fin de cette opération et quels
enseignements vous en tirez. Vous y avez longuement répondu.
La deuxième question concernait l'écart entre les demandes,
à l'origine c'étaient 178.757 et le chiffre de 144.707 que vous
indiquez aujourd'hui, mais vous nous avez donné quelques explications.
M. LE MINISTRE
. - Chiffre qui n'est pas définitif.
M. LE RAPPORTEUR
. - C'est à peu près le chiffre auquel
nous arriverons.
M. LE MINISTRE
. - Le chiffre ne saurait désormais que baisser.
Les 25 % de dossiers non traités peuvent correspondre aussi à des
dossiers qui ont été déposés dans plusieurs
préfectures, ou à des personnes qui ne répondent pas aux
convocations, malgré le rappel qui est toujours fait.
M. LE RAPPORTEUR
. - J'ai entendu ce que vous nous avez dit
là-dessus. D'ailleurs, vous avez dit lors de votre première
audition qu'il y a des doubles comptes et des personnes qui n'habitent pas
à l'adresse indiquée. Ne pensez-vous pas également qu'il y
a un certain nombre de personnes qui ont déposé des dossiers et
qui tout de même, devant les difficultés, ont reculé en
sentant qu'elles ne pouvaient pas être admises et sont retournées
alors dans la clandestinité ? Ou bien des associations ou des avocats
leur ont dit qu'elles n'avaient aucune chance et elles ont
préféré retourner dans la clandestinité.
M. LE MINISTRE
. - Les avocats ou associations ont plutôt
poussé, dans les dernières semaines, un certain nombre
d'étrangers à se déclarer. Et j'ai observé un
nombre important d'étrangers n'habitant pas en France, mais dont les
noms avaient été fournis à telle ou telle
préfecture. Je ne veux pas exclure qu'un certain nombre
d'étrangers qui ne correspondaient visiblement pas aux critères
de la circulaire ont préféré s'abstenir. Je crois peu
à la thèse de la peur de la préfecture. Plus de la
moitié, 70.000 étrangers qui se sont déclarés,
figurait déjà à l'AGDREF, application
généralisée de la gestion des dossiers des
étrangers en France.
Je ne crois pas que ce soit une raison déterminante. Je pense qu'il y a
eu, dans les dernières semaines, un gonflement brutal de la statistique
des demandes.
M. LE RAPPORTEUR
. - Vous aviez indiqué le 24 février, et
ce n'est pas un reproche, je m'empresse de vous le dire, que le 30 avril,
à l'exception de deux départements, Paris et les
Bouches-du-Rhône, l'opération serait terminée. Or, à
l'heure actuelle il n'en est rien. Et vous nous avez indiqué que
l'opération serait terminée dans tous les départements fin
mai. Donc, les raisons de ce retard sont des raisons administratives.
M. LE MINISTRE
. - C'est surtout la volonté de faire en sorte que
là où dans certaines préfectures on n'avait pas pris le
soin d'entendre chaque étranger concerné, cette règle que
j'avais fixée à l'origine, soit suivie. On m'a prévenu
que, dans certains cas, un certain nombre de préfectures avaient cru
pouvoir s'affranchir de la nécessité de convoquer telle ou telle
personne. Le délai d'un mois a permis de traiter tous ces cas, et puis
naturellement il n'y a pas un couperet. Encore une fois, il y a des recours
gracieux, mais ils doivent faire apparaître, en principe, des
éléments nouveaux, et il y a également des recours
hiérarchiques. Je réfléchis aux conditions dans lesquelles
certains recours hiérarchiques pourraient être satisfaits.
Par exemple, Madame l'ambassadeur du Mali m'a demandé qu'on tienne
compte des déboutés du droit d'asile avant 1991. Vous savez que
le Mali a connu un certain nombre de changements. En 1991, on peut
considérer qu'un régime démocratique s'est établi
au Mali. On peut regarder si une autorisation provisoire de séjour,
donnée avant 1991, ne pourrait pas dans certains cas être
considérée comme un titre de séjour régulier. Le
critère de la circulaire du 1-6, c'était la bonne insertion, mais
là le mot venait directement de la Commission des droits de l'homme,
septembre 96. A partir de là, s'il y avait une bonne intégration
d'un étranger, même n'ayant pas de charge de famille en France,
à condition qu'il y soit demeuré au moins sept ans, et si un
faisceau d'indices permettait de l'apprécier positivement, la
possibilité était donnée de régulariser.
En pourcentage du total, cela n'est pas rien, nous avons
10.200 régularisations d'étrangers sans charge de famille,
régularisables. C'est donc un chiffre qui n'est pas négligeable.
Par catégorie, je vais vous donner le nombre de régularisations
effectuées.
- Pour les conjoints de Français : 3700.
- Pour les conjoints étrangers en situation régulière :
8500.
- Pour les conjoints de réfugiés statutaires : 600.
- Pour les familles étrangères de longue date en France : 8500.
- Pour les parents d'enfants de moins de 16 ans nés en France : 15.700.
Je crois que ce sont des inexpulsables.
- Les enfants d'étrangers en situation irrégulière,
entrés hors regroupement familial : 3600.
- Mineurs de moins de 16 ans : 5200.
- Etrangers sans charge de famille, régularisables : 10.200.
- Etrangers malades : 2100.
- Etudiants en cours d'études supérieures : 1100.
- Personnes encourant des risques vitaux en cas de retour dans leur pays
d'origine : 900.
C'est à la date du 30 avril.
Il nous manque peut-être l'Essonne là-dedans et il faut tenir
compte de ce qui a été enregistré sur l'AGDREF, mais c'est
sur un échantillon voisin.
M. LE RAPPORTEUR
. - Les pourcentages seront donc constants à la
fin de l'opération.
M. LE MINISTRE
. - Pour les catégories, je le crois.
Les cas les plus difficiles sont ceux d'étrangers sans charge de
famille. Mais c'est normal puisque tout l'esprit de la circulaire de
régularisation consistait à faire très largement part,
dans un souci d'intégration, au droit des familles et de
régulariser les personnes qui étaient privées du droit au
séjour bien qu'inexpulsables.
M. LE RAPPORTEUR
. - Les dossiers suivent donc trois phases :
l'instruction, la décision, et ensuite la notification.
Concernant l'instruction, elle sera terminée dans tous les
départements à quelle date ?
M. LE MINISTRE
. - 30 mai.
M. LE RAPPORTEUR
. - Sauf recours hiérarchiques.
M. LE MINISTRE
. - Sauf recours hiérarchiques, auquel cas nous
donnons le temps d'examiner ces recours. Il y en a à peu près
7000. Il faut donc que nous puissions d'abord les étudier et
définir des critères. J'en évoquais un tout à
l'heure pour les déboutés du droit d'asile. Peut-être y
a-t-il une réflexion à conduire sur certains pays pour lesquels
les préfectures n'ont pas forcément les informations. Nous ferons
aussi en sorte de corriger certaines inégalités qui auraient pu
apparaître.
M. LE RAPPORTEUR
. - A quelle date la totalité des dossiers
auront-ils fait l'objet d'une décision ?
M. LE MINISTRE
. - Dans le courant de l'été ; et
l'été c'est du 21 juin au 21 septembre. Mais pour 90 % des cas,
les choses seront réglées dans quelques semaines, même dans
quinze jours.
M. LE RAPPORTEUR
. - La totalité des refus de
régularisation auront été notifiés à la fin
de l'été ?
M. LE MINISTRE
. - Ils peuvent l'être dès lors que le
délai de trois mois, depuis la parution de la circulaire OMI, s'est
écoulé. La circulaire OMI date du 24 janvier.
M. LE RAPPORTEUR
. - Je parlais de la notification du rejet de la demande.
M. LE MINISTRE
. - Tous les jours il y a des notifications.
M. LE RAPPORTEUR
. - Ce sera terminé à quelle date ?
M. LE MINISTRE
. - La notification de rejet comporte aussi la
possibilité de former un recours hiérarchique. Le recours peut
être fait dès aujourd'hui si la notification est faite.
M. LE RAPPORTEUR
. - Les dernières notifications de rejet seront
faites vers quelle date ?
M. LE MINISTRE
. - Je crains qu'il y ait un malentendu. Il y a la
décision prise par la préfecture et, dans mon esprit, cette
notification doit intervenir dans les prochaines semaines. Ensuite, il y a la
possibilité d'un recours hiérarchique et je pense qu'il est quand
même sage de se donner, compte tenu de l'approche des vacances, un
délai un peu plus long pour l'examen de ces recours hiérarchiques.
M. LE PRÉSIDENT
. - Monsieur le Ministre, je clarifie le
débat : d'après les informations que nous avons recueillies,
notamment auprès de vos services, nous avons décelé trois
étapes.
L'étape de l'instruction des dossiers. La préfecture rassemble
toutes les pièces nécessaires à une bonne instruction et
vous nous avez dit que cette instruction des dossiers sera terminée fin
mai.
Deuxième étape : le dossier instruit fait l'objet d'une
décision. Entre l'instruction et la décision, il y a un certain
délai. La question est : à quelle époque estimez-vous que
toutes les décisions seront prises ?
Troisième étape : entre la décision et la notification, il
s'écoule également un certain délai, et la notification de
la décision est le point de départ du recours.
C'est pour chacune de ces étapes que nous souhaiterions avoir une
appréciation sur les délais.
30 mai, c'est clair pour la première étape.
La décision, en principe, ne devrait pas tarder tellement par rapport
à l'instruction, encore que quelquefois la situation de
l'intéressé puisse amener l'autorité préfectorale
à réfléchir et à consulter.
Puis, il y a la notification. Et quelquefois il peut s'écouler des
semaines entre la décision de rejet et la notification.
M. LE MINISTRE
. - Dans mon esprit, il ne doit pas se passer plusieurs
semaines. Mais dans deux départements, il risque d'y avoir un certain
retard et je ne peux pas exclure que dans ces deux départements, Paris
et les Bouches-du-Rhône, interviennent quelques semaines après ce
qui pourrait être considéré comme le délai normal.
En tout état de cause, si je vous ai dit que tout serait tranché
dans le courant de l'été, c'est que je ne suis pas prêt
à accepter qu'un certain nombre de départements puissent se
donner encore du temps. Je crois qu'il faut aussi qu'il y ait un minimum de
règles dans la République et que par conséquent, si les
départements, pour des raisons compréhensibles, ont beaucoup de
retard, ils ne considèrent pas qu'ils ont tout le temps devant eux.
M. LE PRÉSIDENT
. - Tout ceci sera dans le rapport. Nous avons
intérêt à avoir tous une notion très claire et sans
ambiguïté. Nous comprenons que vous souhaitez que les
notifications, c'est-à-dire la fin de la procédure, hors les
recours, soient terminées au milieu de l'été.
M. LE MINISTRE
. - Avant. Au début de l'été. Et je
considère que les recours hiérarchiques qui peuvent être
faits devront être traités avant la fin de l'année.
J'espère être clair. Je n'ai aucune information à vous
cacher. Je considère que cette opération a été
exemplaire. Je l'ai conduite en y mettant un souci scrupuleux. Je peux donc
répondre à toutes vos questions. Je veux simplement éviter
de dire par avance des choses qui pourraient ne pas correspondre tout à
fait à la réalité.
M. LE PRÉSIDENT
. - Nous avons bien compris cette position de
clarification que vous avez prise dès le début, et la Commission
est attentive à vos propos et ne souhaite pas du tout vous gêner
ou vous brocarder. Nous apprécions la clarification et la netteté
des propos que vous tenez.
Pour les deux départements en question, vous considérez que le
délai du début de l'été est peut-être un peu
élastique.
M. LE MINISTRE
. - Non. J'ai fait aux deux préfets
concernés les observations qui sont nécessaires.
M. LE RAPPORTEUR
. - Des questions concernant le traitement des non
régularisés.
Depuis le 24 avril 1998, date à laquelle, selon vos instructions, les
préfets sont autorisés à prendre des arrêtés
de reconduite à la frontière à l'encontre des
étrangers non régularisés, combien d'arrêtés
ont été pris et combien de personnes ont été
à ce jour effectivement éloignées ?
M. LE MINISTRE
. - Je n'ai pas les chiffres.
M. LE PRÉSIDENT
. - Vous pourrez nous les faire parvenir.
M. LE MINISTRE
. - Je ne peux pas vous les faire parvenir car je ne les
ai réellement pas. Je ne peux pas vous dire combien de reconduites ont
été effectuées à l'heure qu'il est. Un certain
fléchissement a été observé au cours des derniers
mois, qui correspond aux instructions que j'ai données par ailleurs.
Mais ce fléchissement a des raisons tout à fait faciles à
expliquer. Il correspond à la volonté des pouvoirs publics de
permettre aux étrangers qui sont en situation irrégulière
sur le territoire national de prendre des dispositions et de
bénéficier de la circulaire du 19 janvier, de l'aide au retour,
et certaines dispositions complémentaires seront prises dans le cadre
des travaux entamés par la mission interministérielle
confiée à Monsieur Samir Naïr.
Toute une réflexion est engagée pour créer les conditions
de la meilleure réinsertion dans certains pays. Je dis bien dans
certains pays, car cela doit se faire dans le cadre d'accords de
coopération avec les autorités gouvernementales de certains pays.
M. LE PRÉSIDENT
. - Nous comprenons bien que vous ne pouvez pas
nous donner au chiffre près le nombre d'arrêtés pris. Mais
vos services ont-ils une information nous permettant de dire que c'est une
centaine, une dizaine, un millier ? Quel ordre de grandeur ?
M. LE MINISTRE
. - Des milliers d'arrêtés ont
été exécutés.
M. LE PRÉSIDENT
. - C'est-à-dire que les
arrêtés ont été notifiés et les
intéressés mis dans les avions ?
M. LE MINISTRE
. - Bien sûr.
M. LE RAPPORTEUR
. - Dans le cadre de votre circulaire ?
M. LE MINISTRE
. - Je ne peux pas distinguer les deux. Il y a des
étrangers dont on s'aperçoit, à l'occasion d'une
interpellation, qu'ils n'ont pas de papiers établissant leur
séjour régulier en France. Ceux qu'on appelle improprement les
sans-papiers ont des papiers, mais ce sont les papiers de leur pays. Ils n'ont
pas de papiers français.
M. LE PRÉSIDENT
. - Il n'y a pas un circuit particulier des
déboutés de la circulaire du 24 juin ?
M. LE MINISTRE
. - Absolument pas. Comment serait-ce possible ?
Les étrangers interpellés qui sont en situation
irrégulière et qui font l'objet d'un arrêté de
reconduite, soit partent d'eux-mêmes, soit sont placés en centre
de rétention et le plus souvent ne sont même pas escortés
parce qu'ils prennent l'avion tout seuls, dans 75 % des cas. Cette
procédure qui existe dans tous les pays se passe en France comme dans
les autres pays. Et d'autres pays nous demandent quelquefois comment nous
procédons.
Il y a un certain fléchissement du nombre global de reconduites, mais
les reconduites s'effectuent toujours et c'est normal, c'est la loi.
M. LE RAPPORTEUR
. - D'ailleurs, Monsieur le directeur des
Libertés Publiques que nous avons entendu il y a quelques jours nous a
dit ce que vous venez de nous préciser.
M. LE MINISTRE
. - Je suis heureux qu'il n'y ait pas de contradiction
entre M. Delarue et moi-même.
M. LE RAPPORTEUR
. - Même si cela étonne un peu le
rapporteur, parce que je pense quand même que lorsqu'il y a des
déboutés de la demande de régularisation de la circulaire,
il doit y avoir des états et on peut quand même les suivre et
savoir s'ils partent ou s'ils sont reconduits à la frontière.
M. LE MINISTRE
. - Il n'y a pas d'états. Comment voulez-vous que
nous puissions les suivre puisque par définition la police n'est pas
habilitée à se rendre à leur domicile ? Il faudrait
pour cela un mandat d'un juge, et ce qui constitue le flux régulier de
reconduites, ce sont les gens interpellés sur la voie publique. Je mets
à part les interdits du territoire par décision judiciaire, qui
sont un nombre non négligeable, et les expulsés par
décision administrative qui sont un très petit nombre, environ
quelques dizaines. Mais là encore, c'est un abus de mot que de parler
d'expulsés à propos des reconduits. Les reconduits ne sont pas
des expulsés. Les expulsés le sont par mesure judiciaire ou
administrative quand ils portent une menace grave à l'ordre public. Les
reconduits sont mis dans un avion et quand ils sont rentrés dans leur
pays, rien ne leur interdit de faire une demande de visa pour la France ou un
autre pays.
M. LE PRÉSIDENT
. - Nous avons bien noté qu'il vous est
impossible de faire le tri entre les arrêtés de reconduite
relevant de la procédure générale et les
arrêtés de reconduite relevant de la circulaire. Une petite
expérience préfectorale me conduit à penser que les
préfets doivent bien avoir dans un coin de leur bureau une statistique
à part avec les arrêtés relevant de la procédure de
la circulaire. Je ne sais pas s'ils ne les communiquent pas à votre
ministère ou si votre direction ne fait pas des calculs à part.
Mais je note que le ministre ne peut pas faire le partage entre les deux.
M. LE MINISTRE
. - J'ai indiqué que jusqu'au 24 avril j'avais
demandé aux préfets de ne pas prendre d'arrêtés
avant que les déboutés de la circulaire ne puissent prendre
connaissance de la circulaire OMI.
Donc, à supposer même que votre intuition ne vous trompe pas, cela
ne serait pas possible pour des raisons objectives. Mais j'ajoute que je n'ai
pas donné d'instructions dans ce sens.
Ceux qui ont vu leur demande rejetée sont invités à
quitter le territoire et les préfets prendront les arrêtés
de reconduite en conséquence, après recours hiérarchique.
M. LE RAPPORTEUR
. - Au cours de nos travaux d'enquête, il nous est
apparu un certain nombre de faits qui paraissent susceptibles de contrarier
votre volonté affichée d'éloigner tous les non
régularisés, à savoir la publication tardive de la
circulaire sur l'aide au retour et le relatif échec de celle-ci.
D'après Mme AUBRY que nous avons entendue, moins de 200 départs
effectifs à la date du 30 avril 1998. D'autre part, l'absence à
ce jour d'un dispositif spécifique pour éloigner les non
régularisés. Nous nous sommes posé la question de savoir
comment on pourrait éloigner 70.000 personnes en quelques mois quand
10.000 à 12.000 le sont au plus chaque année, d'après les
indications que nous ont données vos directeurs. Les difficultés
pratiques actuellement rencontrées pour l'éloignement, notamment
l'éloignement aérien pour lequel la situation est
véritablement inquiétante sont à prendre en
considération.
Nous aimerions avoir votre sentiment sur toutes ces difficultés que vous
rencontrez et dont la Commission s'est rendu compte, après avoir entendu
le président directeur général d'Air France, les
commandants de bord, la DICCILEC, les difficultés que vous
éprouvez pour reconduire à la frontière les gens qui n'ont
pas été régularisés. Que pensez-vous de ce
problème ?
M. LE MINISTRE
. - Je n'ai jamais dit qu'on allait reconduire en quelques
mois 70.000 personnes ou 150.000. Pourquoi pas 300.000 ? Et si on suivait les
conclusions du rapport Philibert/Sauvaigo, 800.000, puisque ce rapport
chiffrait à 800.000 le nombre des étrangers en situation
irrégulière en France. Je n'ai jamais cru à ce chiffre et
j'ai toujours eu une estimation plus basse. Disons que le minimum est celui des
demandes enregistrées, 150.000. Il est vraisemblable qu'il y a des gens
qui ne se sont pas fait connaître. Nous sommes dans une fourchette que je
ne veux pas chiffrer parce que, par définition, ce qui est clandestin ne
se compte pas, mais j'ai tendance à penser que cela représente un
pourcentage de l'ordre de 0,3 à 0,4 % de la population française.
Peut-on assurer la reconduite de l'ensemble de ces étrangers en
situation irrégulière, comme cela, d'un coup ? Evidemment non.
Cela ne s'est jamais fait.
On l'a rappelé avant vous. Monsieur Debré et Monsieur Pasqua ont
pu assurer 10.000 à 12.000 reconduites par an et jamais plus. Je dirai
que malgré un léger fléchissement enregistré, je
pense que nous resterons dans des ordres de grandeur qui ne seront pas
substantiellement différents.
M. LE PRÉSIDENT
. - 10.000 ou 12.000.
M. LE MINISTRE
. - Oui, mais ce qui est important c'est la règle
selon laquelle tout étranger n'a pas un droit acquis quasi
imprescriptible à s'installer sur le territoire national. Je dirai que
tout étranger doit respecter les lois de notre pays. Et l'affirmation de
cette règle doit être suffisamment ferme pour être comprise.
Je pense que compte tenu de l'agitation qui est créée, ce message
ne manquera pas d'être compris, mais je n'y aurais été pour
rien. Je n'aurais pas eu besoin, moi, de gesticuler. Je ne fais rien, je ne dis
rien, je ne réponds pas, j'observe, je suis stoïque. Mais je
considère que l'affirmation de la loi est ce qui compte dans la
République.
M. LE PRÉSIDENT
. - Ce matin nous avons auditionné deux
commandants de bord d'Air France, d'Airbus, sur des lignes sensibles, des
lignes africaines francophones, essentiellement Bamako et Conakry, et nous
avons été assez inquiets des déclarations qu'ils ont
faites ici, avec l'aval de leurs collègues responsables d'avions sur
cette ligne.
Les difficultés pratiques actuellement nous paraissent un des facteurs
susceptibles de contrarier votre volonté d'éloigner les non
régularisés.
Certes, nous comprenons bien que vous ne puissiez pas reconduire 70.000
à 80.000 personnes supplémentaires par rapport au flux des 10.000
à 12.000 précédemment relevé. Mais comment ne pas
tenir compte de ce que l'on nous dit quand on est pilote d'un appareil sur des
lignes comme celles-là, et qu'on nous dit qu'il y a des
dificultés accrues dues à un certain échauffement des
esprits, et ici et sur place, et ils nous ont tendu des coupures de presse des
journaux francophones du Mali. Comment ne pas tenir compte de cette
montée d'une procédure tumultueuse, en tout cas périlleuse
?
Il nous paraît, disent-ils, " incompatible de faire circuler des
passagers payants sur une ligne civile, publique ou non, avec des gens qui sont
reconduits et escortés ".
N'est-ce pas un problème nouveau qui est posé au gouvernement et
notamment au ministre de l'Intérieur chargé de faire respecter la
loi ?
Nous comprenons très bien votre position, mais il y a là une
inquiétude toute nouvelle pour nous et qui est l'expression même
de ce que nous avons entendu ce matin de la part de responsables de la vie de
nombreux passagers sur des lignes d'usage quotidien.
M. LE MINISTRE
. - Monsieur le Président, je vais vous
répondre avec franchise. Je ne conteste nullement au Sénat le
droit d'instituer une Commission, d'avoir des séances publiques et de
procéder à l'audition du président de telle ou telle
compagnie aérienne, de pilotes. Mais il faut bien vous rendre compte, je
vous le dis encore une fois sans aucun esprit malveillant, que la
publicité donnée à ces déclarations ne facilite pas
la tâche du ministre de l'Intérieur, car vous n'ignorez pas qu'un
certain nombre de gens recherchent des postures morales avantageuses qui ne
leur font pas courir personnellement beaucoup de risques. Ce comportement est
encouragé par la démonstration, involontairement donnée,
que leur agitation pourrait effectivement empêcher les reconduites
normales.
M. LE PRÉSIDENT
. - Ce n'est pas le Sénat qui fait cela.
M. LE MINISTRE
. - C'est la médiatisation d'un certain nombre
d'auditions auxquelles vous procédez. C'est gênant parce que
l'écho donné à quelques incidents, somme toute
limités, encourage, par un effet boule de neige que les
spécialistes des médias connaissent bien, un certain nombre de
comportements inciviques. Bien évidemment, cela peut poser quelquefois
des problèmes.
Entre nous soit dit, si les étrangers reconduits étaient
traités dans des conditions aussi inhumaines que le décrit une
certaine littérature, cela se passerait au vu et au su de tous les
passagers de la ligne régulière en question. Et on voit bien que
cela est invraisemblable. La réalité est que cela ne se passe pas
ainsi. Il peut arriver que certains étrangers faisant obstacle à
leur reconduite soient entravés, mais cela s'arrête là.
D'une manière générale, ces incidents sont
provoqués par des petits groupes que j'ai voulu un jour décrire,
mal m'en a pris car on ne peut pas les décrire sans encourir le
soupçon.
M. LE PRÉSIDENT
. - C'est la presse libre dans un monde libre, sur
un sujet authentique.
M. LE MINISTRE
. - On me prête l'expression trotskiste anglo-saxon.
Dans l'article signé Patrice Chéreau, je n'ai pas plus
parlé de trotskistes anglo-saxons que George Marchais avait parlé
de juifs allemands en mai 1968. Tout cela fait partie d'une certaine invention.
En fait, c'est une déformation de mes propos.
Je ne vais pas vous dire que ces petits groupes nous facilitent les choses,
mais dans l'ensemble ils ne perturbent pas sensiblement un déroulement
normal des reconduites. Et celles-ci s'effectuent non seulement par la
compagnie nationale, mais aussi par d'autres moyens.
Mon sentiment est que si on veut traiter avec dignité les
étrangers qui certes sont en situation irrégulière, mais
sont des hommes qui ont le droit à la dignité, il suffit qu'ils
fassent savoir qu'ils sont prêts à emprunter une ligne
régulière et cela se passe très bien.
M. LE RAPPORTEUR
. - La Commission d'enquête sénatoriale ne
vous dessert pas, mais vous rend service. Nous avons posé la question
à la fois à la DICCILEC, mais aussi à Air France et aux
commandants de bord, de savoir comment se passait le transport. Et nous avons
bien précisé qu'il n'a jamais été question de
bâillonner les gens, comme on peut le lire dans une certaine presse. Et
quand nous avons reçu la ligue des droits de l'homme, j'ai bien
précisé au responsable qu'il n'en était rien et que
c'était une erreur d'avoir indiqué que les gens étaient
bâillonnés, c'était totalement inexact, ou étaient
soumis à des tranquillisants.
M. LE MINISTRE
. - Nous sommes dans une démocratie. Les gens
peuvent dire n'importe quoi sans s'exposer à courir des risques
extraordinaires. Moi j'en tiens compte. Que voulez-vous que je fasse ? Je ne
peux pas passer mon temps à rectifier.
M. LE PRÉSIDENT
. - Le Sénat est aussi dans son rôle
quand il auditionne les gens et quand il va au fond d'un problème. Vous
aviez l'air de penser tout à l'heure qu'il serait tout à fait
judicieux d'éviter qu'il y ait à cet égard une
publicité. Nous l'avons faite de façon ausi responsable que
possible et en tenant compte des prérogatives et des
responsabilités gouvernementales. Mais accordez-nous le droit de pousser
notre propre investigation sur un problème particulièrement
épineux. On s'aperçoit en définitive que le système
est en cause si on n'arrive pas à exprimer dans l'opinion la
vérité.
M. LE MINISTRE
. - Je peux vous garantir que cela ne fait pas obstacle,
dans l'état actuel des choses, à ce que les reconduites
s'effectuent somme toute normalement, malgré des incidents qui sont
regrettables car ils donnent une image tout à fait désastreuse de
notre pays compte tenu de la médiatisation qui entoure ces incidents
qui, encore une fois, sont limités. Je pense que ceux qui les
médiatisent à l'excès méconnaissent
profondément ce qu'est l'intention du gouvernement. Le gouvernement veut
stabiliser et intégrer les 4 millions d'étrangers qui vivent en
France dans des conditions régulières. Il tient fermement
à la conception d'une nation citoyenne, d'une communauté de
citoyens. Et ceux qui nous attaquent confondent systématiquement la
nation et la race. Je dénonce une conception ethnique de la nation qui
est celle de forces politiques que je ne veux pas davantage qualifier. Le
Français c'est le citoyen français, point final, quelle que soit
la couleur de sa peau et quelle que soit sa religion. C'est ce que le
gouvernement entend manifester. Mais nous ne pouvons pas naturellement ne pas
déplorer une incompréhension qui tient très largement au
fait que les contestataires que nous avons évoqués se situent
dans un horizon qui est celui, selon eux, sans doute, du " post
national ", ou ont totalement déconnecté la
citoyenneté de la réalité politique que constitue
aujourd'hui la nation et sans doute encore pour longtemps, et parlant de
citoyenneté du monde ils ne sont pas avisés que la seule
organisation mondiale s'appelle l'ONU.
C'est une différence radicale des conceptions. Nous ne parlons pas le
même langage. On ne peut pas rectifier à chaque phrase. Je dirai
que nous sommes dans une autre dimension. Mais pour le moment, moi je
défends les intérêts de la République
française. C'est ma tâche et j'essaie de faire en sorte que les
lois républicaines puissent s'appliquer normalement.
M. MAMAN
. - Ce n'est pas la question.
M. LE PRÉSIDENT
. - Nous avons bien enregistré cette
déclaration de principe, tout à fait justifiée d'ailleurs.
M. LE RAPPORTEUR
. - Il y a à l'heure actuelle 45.913
décisions de rejet. Là-dessus, il y aura certainement des recours
et un certain nombre de décisions vont être rapportées
suite à des recours hiérarchiques, gracieux, ou devant les
tribunaux administratifs. Il restera quand même un nombre important de
personnes puisque l'examen n'est pas fini. Et nous avons perçu les
difficultés énormes qu'il y a à procéder à
l'éloignement. Pensez-vous que le nombre de personnes
éloignées, suite à des décisions, ne
dépassera pas 10.000 à 12.000 par an ?
Ai-je bien compris ?
Nous mesurons vos difficultés, Monsieur le Ministre.
M. LE MINISTRE
. - Tout à l'heure, on a dit qu'on était
à 6000 ou 7000 recours contre les décisions de rejet qui ont
été prononcées. Ces recours seront examinés. Les
tribunaux administratifs ne pourront que statuer sur l'exactitude
matérielle des faits ou l'erreur manifeste d'appréciation, car
nous sommes là dans le cadre d'une circulaire sans valeur
réglementaire.
S'agissant du nombre de reconduites, je ne me suis pas livré à
cet exercice. Le nombre de reconduites peut excéder 10.000 à
12.000.
M. LE PRÉSIDENT
. - On nous a dit qu'on pouvait multiplier ce
chiffre par trois.
M. LE MINISTRE
. - Trois fois, je n'en sais rien. Objectivement, cela a
un coût. Mais rien n'empêche d'augmenter le taux de reconduite.
D'ailleurs, nous avons pris des dispositions pour que, dans les prisons, des
cellules de coordination entre la justice et la police soient installées
pour assurer la reconduite des condamnés à une peine
d'interdiction du territoire, quand il s'agit de criminels ou de
délinquants graves n'ayant pas d'attaches personnelles suffisantes avec
la France. Et la loi Réséda prévoit qu'il doit être
tenu compte du préjudice qui pourrait être causé à
leur vie personnelle ou familiale s'ils étaient reconduits.
En tout cas, je considère que s'il y a un effort à faire, c'est
sur ce point.
M. LE PRÉSIDENT
. - Sauf, Monsieur le Ministre, que la DICCILEC
nous dit que la potentialité est de trois fois ce que l'on fait à
l'heure actuelle.
M. LE MINISTRE
. - Non, pas avec le même potentiel de
fonctionnaires dont elle dispose. La DICCILEC a 6000 fonctionnaires dont
beaucoup, heureusement, sont employés à autre chose qu'à
des reconduites. La DICCILEC procède à plus de 40.000
réadmissions chaque année à nos frontières. Etant
face à des étrangers qui cherchent à
pénétrer dans notre pays, n'ayant pas de papiers
réguliers, elle les reconduit dans leur pays d'origine.
M. LE PRÉSIDENT
. - Elle peut faire mieux.
M. LE MINISTRE
. - En effet, le nombre de reconduites pourrait être
doublé.
M. LE PRÉSIDENT
. - Sauf le problème des vols sur les
lignes régulières.
M. LE MINISTRE
. - Il suffit de ne pas vouloir opérer un renvoi
groupé dans des conditions telles que celles qui ont pu entraîner
il y a quelques années des incidents graves où une cinquantaine
de personnes avaient été reconduites ensemble. Il faut travailler
sur d'autres bases.
M. LE PRÉSIDENT
. - Les réticences des pilotes et des
compagnies ne vous conduisent pas à envisager un autre mode de transport
groupé que la cohabitation de passagers réguliers et de passagers
exceptionnels ?
M. LE MINISTRE
. - Je sais que certains voudraient absolument nous
ramener aux charters. Cela réjouirait à la fois l'extrême
droite et l'extrême gauche.
Alors, je tiens à dire que le gouvernement entend faire appliquer la loi
et dans des conditions qui soient, autant que possible, conciliables avec la
dignité des étrangers, même en situation
irrégulière. Ceux-ci pourront être interrogés sur le
fait de savoir s'ils veulent prendre un vol régulier. S'ils ne le
veulent pas, nous emploierons peut-être d'autres moyens.
M. LE PRÉSIDENT
. - Nos interlocuteurs avaient été
tout à fait clairs. Un charter est régi par une procédure
commerciale comme un avion de ligne. Pour eux, c'était l'aviation
militaire qui devait assumer les reconduites.
M. LE MINISTRE
. - Nous sommes dans un pays où chacun peut avoir
son idée.
M. LE PRÉSIDENT
. - Ce sont des pilotes confirmés, de
lignes régulières, avec des responsabilités de vies
humaines importantes. Voilà ce qu'ils nous disent. Je ne porte pas de
jugement là-dessus, mais je dois vous dire que la position des civils
serait de conduire les militaires à intervenir.
M. LE MINISTRE
. - Je pense que cela ne peut pas se décider dans
ces conditions. Bien entendu, un pilote d'avion est responsables de la
sécurité à son bord, mais en même temps il y a des
lois dont nul ne doit pouvoir s'affranchir. Il y a des lois françaises
qui s'appliquent aux nationaux français et, tant qu'ils sont sur le
territoire français, également aux étrangers, quelle que
soit leur situation.
M. LE RAPPORTEUR
. - Les non régularisés peuvent-ils
espérer, en restant sur le territoire français,
bénéficier ultérieurement d'une régularisation ?
M. LE MINISTRE
. - Le gouvernement a voulu faire une opération qui
tienne pleinement compte d'un certain nombre d'exigences qui ont
été posées par des gens qui trouvaient la situation d'un
certain nombre d'étrangers en situation d'irrégularisables et
inexpulsables, insupportable.
Nous avons défini des règles qui sont appliquées avec
souplesse, dans le souci de la dignité des intéressés.
Maintenant, c'est la loi qui s'applique. La loi vient d'être
votée. Elle vient d'être publiée aujourd'hui même au
Journal Officiel. Les décrets d'application vont paraître. Tout ce
travail a été fait en un temps record. Je voudrais rappeler que
l'Assemblée nationale a été saisie en première
lecture début décembre. Nous avons voulu faire en sorte qu'il y
ait des règles incontestables et je pense qu'elles ne seront pas
contestées parce qu'elles sont justes.
M. LE RAPPORTEUR
. - Quel sort sera réservé aux dossiers
des non régularisés dans les préfectures ?
M. LE MINISTRE
. - J'ai souhaité qu'une mission soit
chargée, au niveau de l'Institut des hautes études de la
sécurité intérieure, en collaboration avec le CNRS, d'une
étude sur ce qu'est l'immigration clandestine dans notre pays. C'est un
sujet totalement inconnu et cela peut être un objet de recherche tout
à fait intéressant.
J'ai demandé à l'IHSI de faire en sorte que ces dossiers puissent
être centralisés et qu'une étude sérieuse puisse
être engagée par des chercheurs afin que nous puissions
nous-mêmes mieux connaître la réalité de cette
immigration clandestine. Je pense d'ailleurs que nous aurions
intérêt à mieux connaître les différentes
communautés qui existent sur notre sol, dont chacune a des
caractéristiques spécifiques.
Je ne vous ai pas donné les régularisations par
nationalité et je vais le faire.
Cela porte sur seulement 39.007 cartes de séjour, et 14.004
récépissés, total de 53.011 admissions.
Vient en premier la nationalité algérienne avec 5177.
Ensuite les Chinois : 5044.
Les Marocains : 4143.
Les Zaïrois : 2867.
Les Maliens : 2138.
Les Tunisiens : 1971.
Les Turcs : 1559.
Je parle des cartes de séjour temporaires.
Je peux vous donner les refus aussi : 2301 Marocains,
1208 Algériens, 966 Turcs, 881 Tunisiens, 650
Sénégalais, 570 Maliens.
Mme DUSSEAU
. - Combien de Chinois ?
M. LE MINISTRE
. - 226. En proportion, cela donne 22,39 % de Marocains,
11,71 % d'Algériens, et 2,20 % de Chinois. Mais c'est une
statistique incomplète.
M. LE RAPPORTEUR
. - J'en ai terminé avec les questions. J'aurai
une demande à faire à Monsieur le Ministre, mais après que
nos collègues aient pu s'exprimer.
M. CALDAGUES
. - Monsieur le Ministre, votre dispositif a une vertu,
c'est que nous allons connaître le nombre minimum officiel
d'étrangers en situation irrégulière sur le territoire
français. Certes, ce n'est pas le nombre réel, le nombre maximum
est difficile à évaluer. Vous avez récusé tout
à l'heure certaines évaluations et vous avez raison de ne pas
vouloir en donner une, mais en tout cas nous aurons le chiffre minimum. Et je
pense que l'effectif des étrangers en situation
irrégulière sur le territoire français pourrait être
un grave motif de préoccupation pour le ministre de l'Intérieur.
Il y a lieu de se demander comment ces étrangers vont subsister
puisqu'ils ne peuvent pas le faire de façon régulière, et
alors là on rejoint les problèmes de l'ordre public et on est de
plus en plus dans le domaine des préoccupations du ministre de
l'Intérieur.
On pourrait donc penser que le ministre et ses services sont très
préoccupés, autant que notre rapporteur qui a posé des
questions à ce sujet, du rythme et des conditions dans lesquelles vont
être exécutées les nécessaires décisions de
reconduite à la frontière. Or, je dois vous dire que, tant en ce
qui vous concerne qu'en ce qui concerne le directeur de la DICCILEC, nous ne
recueillons à ce sujet que des réponses évasives. Notre
Commission d'enquête a pour mission d'examiner les conditions dans
lesquelles vont s'effectuer les régularisations. Elle pourra donner
à ce sujet une tonne d'informations au Sénat, mais le seul sujet
sur lequel elle ne pourra donner aucune information sérieuse et
précise au Sénat, quel que soit le caractère dominant de
cette question pour l'ordre public, le seul sujet pour lequel notre Commission
sera incapable de donner des indications précises au Sénat et
donc à l'opinion publique, ce sont les conditions et les délais
dans lesquels pourront être exécutées les décisions
de reconduite à la frontière, c'est-à-dire l'aspect non
régularisation. J'ai l'impression que notre rapport va être
bancal, et je me tourne aussi bien vers notre Président en lui posant
cette question que vers le Ministre qui est détenteur de l'issue de
l'interrogation que je viens de formuler.
Est-il concevable que notre Commission soit dans l'incapacité de donner
des informations précises sur une partie importante du sujet que nous
avons été chargés d'étudier, à savoir le
sort des non régularisés ?
Cette réponse dépend beaucoup du Ministre et elle est très
préoccupante pour l'autorité de nos travaux.
M. LE MINISTRE
. - Mais c'est parfaitement concevable. Je vous l'ai fait
remarquer d'emblée lors de ma première comparution devant votre
Commission, j'ai considéré qu'elle intervenait trop tôt. Et
encore aujourd'hui, nous sommes dans une opération qui n'est pas
terminée. Nous sommes en cours de régularisation. Je vous ai
expliqué qu'il y aurait quelques délais inévitables. Vous
saurez quand même à peu près tout sur les conditions de la
régularisation puisque nous arrivons au terme. Vous saurez tout sur ce
sujet et j'ai cherché à ne rien vous cacher. Je travaille,
croyez-le bien, avec une parfaite transparence et je dirai avec la
volonté de faire mon travail au vu et au su de tous, en faisant
confiance à l'esprit critique des Français pour savoir si j'ai
bien fait ou non.
Je pense que cette opération, encore une fois, a été
conduite dans des conditions tout à fait exemplaires par
l'administration que je dirige.
Donc, vous saurez tout ou presque tout sur la régularisation, mais
inversement je ne peux pas, dans l'état actuel des choses, vous apporter
des éléments décisifs sur les conditions de la reconduite
dont vous voulez faire un deuxième sujet.
Par contre, il est prévu par la loi Réséda qu'un rapport
annuel sera publié sur notamment les flux, les cartes de séjour.
Par conséquent, cette information sera donnée
régulièrement au Parlement, en temps utile, et on pourra
apprécier, au-delà des péripéties de la conjoncture
que nous vivons aujourd'hui, les conditions dans lesquelles la loi
s'exécute. Mais j'ai toujours affirmé qu'une loi, dès lors
qu'elle était la loi de la République, devait s'appliquer.
M. CALDAGUES
. - Je n'ai pas demandé au ministre de nous donner
des informations sur un processus qui n'est pas encore engagé. J'ai
demandé de nous faire savoir s'il a des prévisions à ce
sujet. Je ne peux pas croire que le ministre de l'Intérieur n'ait pas de
prévisions sur le rythme de résorption d'un ensemble
d'étrangers en situation irrégulière sur le territoire
français.
M. LE PRÉSIDENT
. - Monsieur le Ministre a répondu. J'ai
compris que le flux des reconduites à la frontière tournera entre
10.000 et 12.000 par an, ni plus ni moins. C'est-à-dire que les
nouveaux, décelés par l'instruction de 150.000 dossiers en gros
et non régularisés, s'insèreront dans le flux
régulier de ceux qui sont reconduits à la frontière. Il
n'y aura pas un flux supplémentaire. C'est ce que j'ai compris.
M. LE MINISTRE
. - Je voudrais rappeler que 95.000 étrangers en
situation irrégulière étaient parfaitement connus des
services du ministère de l'Intérieur à l'époque
où Messieurs Pasqua et Debré les dirigeaient. Nous les avons
d'ailleurs retrouvés dans les demandeurs de régularisation.
Simplement, il y en a quelques-uns qui se sont manifestés en plus. Mais
les 95.000 n'étaient pas reconduits.
M. LE PRÉSIDENT
. - Ils n'étaient pas connus officiellement.
M. LE MINISTRE
. - Si, ils étaient dans l'AGDREF, mais ils
n'étaient pas reconduits. Nous ne sommes pas dans une situation
différente de celle dans laquelle se trouvaient mes
prédécesseurs.
M. LE PRÉSIDENT
. - Là, ils font l'objet d'un
arrêté de reconduite. C'est différent.
M. LE MINISTRE
. - Il y avait 40.000 APRF notifiés par voie
postale, dont le taux d'exécution était de 0,28 % par an.
M. LE PRÉSIDENT
. - C'est une confirmation de ce que nous savions
plus ou moins. Il ne se passera rien de plus, nous l'avons compris.
M. ALLOUCHE
. - Monsieur le Ministre, il ne vous étonnera pas et
n'étonnera pas les collègues que je vous dise que dans la mesure
où je soutiens le gouvernement auquel vous appartenez, j'exprime une
satisfaction à la suite des informations que vous venez d'apporter
à la Commission d'enquête. Nous avons commencé par vous,
nous terminons par vous. Je crois qu'en l'espace de cinq mois, nous avons
appris beaucoup de choses sur cette opération sans
précédent.
Je voudrais exprimer un souhait très fort. Vous nous avez dit il y a un
instant que les dossiers déposés allaient faire l'objet d'une
recherche afin de mieux connaître l'immigration. Il est vrai que ce sera
très utile. Mais cette recherche terminée, je souhaiterais que
ces dossiers soient détruits. Les dossiers, nous savons ce que c'est. Et
dans la mesure où il ne sera plus nécessaire de les compulser,
afin de couper court à toute interprétation et pour
préserver l'avenir, que ni vous ni moi ne maîtrisons, je souhaite
ardemment qu'ils soient détruits et de manière transparente.
La remarque : notre collègue, M. Caldagues, a parlé d'une vertu
de l'opération. Effectivement, c'est sans précédent. Nous
n'avons, à ma connaissance, jamais connu une opération de ce
genre. Celle de 81 et celle de 92 se sont déroulées dans des
conditions tout à fait différentes. La transparence qui a
présidé au déroulement de cette opération fera, je
l'espère, mieux appréhender la question de l'immigration en
France et qu'un certain nombre d'idées fausses, de clichés, de
fantasmes, pourront disparaître quand nous connaîtrons mieux ce
qu'est la réalité de cette immigration. Nous sommes tous
favorables à un strict contrôle des flux migratoires, et on ne
peut pas ouvrir le territoire comme certains le souhaitent. Cette
opération aura eu au moins ce mérite.
Enfin, une question : si on vous demandait de résumer à votre
tour cette opération, comment le feriez-vous ?
M. LE MINISTRE. -
Je remercie Monsieur le sénateur Allouche de la
satisfaction qu'il a exprimée. Elle me touche d'autant plus que je sais
qu'il a eu à certains moments des doutes et des interrogations. Il a pu
penser que je dévierais de la ligne que le gouvernement s'était
tracée.
Je pense avoir montré un souci scrupuleux d'appliquer ce qui avait
été annoncé.
Il a exprimé le souhait que ces dossiers soient détruits. Je ne
sais pas s'il y a des règles relatives aux archives. On indique la loi
du 3 janvier 1979.
Personnellement, je ne vois pas d'inconvénient à ce qu'ils soient
détruits parce qu'ils ne sont pas utilisables, et ils ne seront pas
utilisés. S'il ne tient qu'à moi, je ne vois aucun
inconvénient à ce qu'ils soient détruits.
Faut-il qu'un certain pourcentage soit conservé au titre de la loi sur
les archives ? Je l'ignore. De toute façon, tout finit un jour par
être détruit. On peut détruire ces dossiers dès lors
que la mémoire de ce qu'ils contiennent aura été instruite
par des chercheurs qualifiés, et conservée. Car il est
intéressant de connaître cet objet totalement non identifié
que constitue l'immigration clandestine. Mais cela donnera lieu à une
publication. J'y veillerai personnellement.
M. ALLOUCHE
. - Si j'insiste, c'est qu'à la différence des
décennies précédentes, nous avions jusqu'alors à
faire à un support papier. Aujourd'hui, tout est informatisé et
cette mémoire est quasi éternelle. Je ne souhaite pas qu'en 2010
ou plus tard on puisse ressortir un document pour une exploitation peu
honorable.
Alors, qu'il faille les étudier encore, très bien, mais à
partir du moment où nous n'en aurons plus besoin et malgré la loi
sur les archives, en la circonstance je m'interroge sur le fait de savoir s'il
n'y a pas lieu de faire exception compte tenu de ce qu'est ce type de fichier.
Il ne s'agit pas d'un fichier de prestataire de service d'allocations
familiales. Il y a des éléments précis sur les origines,
la nationalité. Mieux vaut éviter de conserver ce genre de
fichier.
M. LE MINISTRE
. - Je veux préciser que même la connaissance
de telle personne qui aurait fait une demande de régularisation, qui
aurait été rejetée, ne donnera lieu à aucune
démarche policière. Il n'est pas possible de perquisitionner,
sauf mandat d'un juge.
M. ALLOUCHE
. - Pas maintenant, mais plus tard.
M. MAMAN
. - On ne sait jamais entre les mains de qui cela peut tomber.
M. LE MINISTRE. -
J'enregistre ce que dit M. Allouche.
Vous m'avez demandé de résumer cette opération. Elle
répondait à des critères. Il est très facile de
prendre une liste et de mettre un tampon sur le papier. C'est ce qui a
été fait en d'autres temps. Une opération plus
limitée a été conduite en 1991 dont l'opportunité
était essentiellement politique. Là, nous avons essayé de
travailler en fonction de critères tenant compte des situations
personnelles des demandeurs. C'était très difficile à
conduire, d'autant plus qu'on se heurtait à des critiques.
C'était très difficile, j'ai dû prendre sur moi, je l'ai
fait en conscience parce que je ne reconnais qu'un maître, c'est le
peuple français et il jugera demain, plus tard, dans 10 ou 15 ans, si
j'ai bien ou mal fait. C'est la règle que je me suis toujours
fixée en toutes circonstances.
M. DUFFOUR
. - Je voudrais d'abord vous remercier, Monsieur le Ministre,
pour votre exposé clair et précis, et dire que je
considère que le travail qui a été mené par vos
services a été tout à fait colossal et que c'est dans la
clarté et avec efficacité que les instructions émanant de
la circulaire ont été appliquées par les
préfectures. Mais vous m'avez déjà entendu dans
l'hémicycle. Ce qui me fait problème, ce sont quelques aspects de
la circulaire elle-même et non pas le travail qui a été
mené depuis sur la base de celle-ci.
Dès le début du mois de juillet, quand vous êtes venu la
présenter à la Commission des lois du Sénat, j'avais
émis quelques doutes. A l'époque, vous m'aviez dit que
j'étais quelque peu angélique.
Je résume : je constate qu'à partir de la fin de
l'été nous aurons donc quelques dizaines de milliers de personnes
qui vont se retrouver sans papiers et qui en même temps, à partir
de tous les éléments qui nous ont été
donnés, ne seront pas reconduites dans leur pays d'origine.
A ce moment-là, nous serons, j'espère, amenés à
réfléchir au problème nouveau qui sera posé et,
dans ce cadre-là, j'essaierai de faire en sorte d'amener quelques
propositions.
Je voudrais simplement dire à court terme, pour les semaines qui
viennent, que nous constatons que si pendant plusieurs mois les coordinations
d'étrangers sans papiers, les associations qui les secondent, ont
présenté les dossiers en bloc et ne voulaient pas dissocier
différents cas, actuellement, parce que le 30 mai approche, il y a une
tendance forte à présenter les cas les plus criants, à
demander aux élus qui depuis le début les soutiennent à
parrainer quelques cas exemplaires.
Pour apaiser les esprits et pour vous permettre de mener à bien vos
travaux futurs, ne pensez-vous pas qu'il serait utile d'avoir certains
comités de suivi auprès des préfets auxquels les
parlementaires pourraient participer pour que les cas les plus criants soient
quand même réglés et que nous ayons un certain nombre de
dossiers qui à l'heure actuelle ne trouvent pas de solution, qui
puissent d'ici l'été puissent franchir la barre et être en
situation d'être réglés ?
M. LE MINISTRE
. - Je remercie M. Duffour qui a bien voulu
reconnaître le travail colossal effectué par les services. Je
pense qu'ils y ont mis beaucoup d'eux-mêmes pour mettre de la
clarté et de l'humanité dans l'application de cette circulaire.
M'étant pleinement investi dans ce dossier, essayant de comprendre ce
qui se passait et de voir quelles étaient les filières
d'immigration clandestine, voir comment des gens pouvaient être
introduits en France et exploités, comprendre ce qu'était le
ressort de ces flux, je fais la part des choses. Je suis capable de compassion,
mais la compassion est une vertu privée. La loi doit se faire sur la
base des droits qu'on reconnaît à chacun. A partir de là,
je dois quand même tenir compte d'un certain nombre d'aspects,
c'est-à-dire la crise sociale dans laquelle notre pays se débat,
la ghettoïsation de certains de nos quartiers, la violence qui se
répand. Vous connaissez tout cela. Et naturellement, je suis aussi
capable de penser les problèmes du sud dans leur dimension historique.
Il faut les aider à construire leurs Etats, c'est ce que j'ai appris et
c'est que je pense fondamental. On peut les aider autant qu'on le peut, moins
par l'octroi de cartes de séjour que par une attitude politique
conséquente en toutes circonstances.
Mais vous m'avez posé la question des gens qui seraient sans papiers.
Encore une fois, ils ont des papiers de leur pays, en général,
quand ils ne s'en sont pas débarrassés, ce qui arrive
fréquemment. Il faut trouver des accords de coopération et de
développement avec certains pays. J'ai évoqué tout
à l'heure certaines possibilités. J'ai demandé qu'elles
soient étudiées. Je n'exclus pas qu'il puisse y avoir, pour des
gens qui travaillent, des contrats de réinsertion, mais dans le cadre
d'un accord avec le pays d'origine ; de réinsertion dans le pays
d'origine afin que les choses soient traitées aussi humainement que
possible.
Beaucoup de ceux qui sont en situation irrégulière sentent bien
qu'ils ne peuvent pas rester et ils repartent. Souvent, ils repartent
d'eux-mêmes et on peut les amener à repartir d'eux-mêmes
dans des conditions de dignité. Si on peut le faire, on le fera. Cela
suppose aussi un dialogue franc avec les autorités des pays d'origine
qui doivent coopérer avec nous pour que certaines situations ne se
prolongent pas abusivement.
Je serai plus réservé sur le cas des parrainages. Je vieux bien
accorder toute la mansuétude possible à un certain nombre de
gens. Mais quand on est un élu, un responsable politique, on doit quand
même savoir ce que l'on fait. Les cas qu'on me présente, c'est
souvent X et Y, et on est dans une situation qui tombe sous le coup de la
circulaire de régularisation, et ils sont régularisés. On
dit qu'ils ne le sont pas, mais ils le sont.
Si vous connaissez des cas qui normalement auraient dû être
régularisés et qui sont des cas limites, signalez-les, et je
demande aux parlementaires et aux élus de signaler à mes services
les cas qui méritent de l'être.
Permettez-moi une incidente politique : la gestion du conflit de Saint-Bernard
en 1996 pendant six mois n'a pas été des plus brillantes, mais
elle obéissait à une logique politique. Le projet de loi de mon
prédécesseur, M. Debré, avec son article premier, a
provoqué une mobilisation d'un certain nombre de gens qui sont
montés sur les planches. Ils pensent qu'on peut donner
perpétuellement la même représentation des choses, mais la
réalité a changé.
Les 53.000 personnes qui ont été régularisées
l'auraient-elles été s'il n'y avait pas eu un changement de
gouvernement ? Evidemment non.
Alors, il faut quand même tenir compte de la réalité,
éviter de faire des amalgames grossiers et essayer de faire en sorte que
des solutions puissent être trouvées sans qu'on substitue
l'immigré en situation irrégulière, et surtout le
délinquant, à la figure historique du prolétaire
rédempteur.
Il y a quand même une vision qui n'est pas juste. Je crois qu'on doit
aider les pays du tiers-monde ou de l'est de l'Europe à construire des
Etats qui tiennent la route, on doit les aider à se développer.
Cela pose beaucoup de problèmes politiques qu'on ne veut pas voir en
face. Il est très facile de dévier de route, mais il faut poser
politiquement les problèmes nord/sud et les problèmes du
développement. C'est très difficile. Ce sont des problèmes
qui méritent vraiment une mobilisation. Il ne faut pas s'égarer
par des chemins de traverse. Je vous le dis très amicalement car je
pense que vous connaissez mes sentiments et je pense que ces problèmes
méritent d'être compris, analysés, et peuvent l'être.
Il faut les penser dans toute leur épaisseur historique. Cela demande de
sincèrement y travailler.
Mme POURTAUD
. - Monsieur le Ministre, je voudrais à mon tour vous
féliciter et féliciter votre administration de la manière
dont a été menée cette opération. Vous avez
employé en substance les termes d'humanité et fermeté. En
effet, c'est ce qui a présidé. Je pense qu'on a veillé
à respecter les droits des étrangers et la transparence maximale
des critères appliqués, ce qui n'est pas très simple.
Je pense que les deux entretiens individuels qui ont été presque
généralement la règle et le délai donné pour
l'information sur la circulaire concernant l'aide au retour ont
été des dispositions qui allaient dans le sens de respecter au
maximum les intérêts des étrangers concernés.
Je me permets néanmoins de souhaiter qu'un maximum des recours
fondés qui ont été déposés ou qui le seront
puissent trouver une issue favorable.
Je souscris à la suggestion d'associer les parlementaires. J'ai entendu
par ailleurs votre proposition de nous entendre, mais peut-être qu'une
procédure d'association serait plus simple.
J'ai maintenant deux questions à vous poser. Une concerne la
procédure : les étrangers qui ont fait l'objet d'un refus de
régularisation pourront-ils éventuellement, dans le cadre de la
loi qui a été publiée ce matin, déposer des
dossiers d'asile territorial ?
Autre question : je partage comme vous l'idée que les problèmes
du sud doivent être recherchés au sud et donc qu'il faut au
maximum développer les processus d'aide à la réinsertion,
et de ce point de vue, je ne vous cache pas que j'ai été
très déçue quand nous avons entendu les chiffres. Je ne
sais pas s'il y en a de plus récents qui auraient fait monter le niveau.
M. LE PRÉSIDENT
. - 200, d'après Madame Aubry.
Mme POURTAUD
. - 200 demandes d'aide au retour, cela nous interpelle.
Quelle est votre interprétation sur ce phénomène et
avez-vous des solutions à y apporter ?
M. LE MINISTRE. -
Je remercie Mme Pourtaud. Je transmettrai d'ailleurs
à tous les services concernés l'appréciation
élogieuse que vous avez bien voulu faire sur leur travail. La
fermeté ne va pas en effet sans humanité, mais l'inverse est vrai
aussi. La loi doit être ferme car ce qui est en jeu, c'est l'avenir de la
République française dans les années à venir. Nous
sommes dans un monde très troublé, très difficile, avec un
déséquilibre énorme dont peu de gens ont pris conscience
parce qu'ils n'ont pas étudié les projections
démographiques, et quand on n'a pas fait ce travail on ne se rend pas
compte du monde dans lequel nous allons devoir naviguer.
Donc, nous devons avoir une appréciation sérieuse,
appliquée avec humanité, et en fait il n'y a presque que des cas
d'espèce. Les cas humains sont aussi nombreux qu'il y a de personnes.
Nous allons essayer de trouver des solutions, d'associer les parlementaires et
les associations. Ils seront tous reçus à la préfecture
à intervalles réguliers.
Concernant l'asile territorial, je pense que s'ils ont des craintes de
persécution fondées et si ces craintes peuvent être
reconnues dans les termes posés par la loi, oui. Mais je pense qu'il va
de soi que tous les recours fondés demandent un petit travail.
J'évoquais le cas du Mali pour la prise en compte des autorisations
provisoires de séjour avant changement de régime de 1991, c'est
une piste. Je dois voir Monsieur Samir Naïr dans quelques jours pour
regarder avec lui comment on peut donner des cadres pour orienter ces flux.
D'après Madame l'ambassadeur du Mali, il y aurait seulement 7500 Maliens
en situation irrégulière en France. Je n'en sais rien.
S'agissant de l'OMI, 200 départs ont eu lieu mais, d'après mes
informations, 2000 contacts ont été pris en vue de l'ouverture
d'un dossier. Et les procédures qui seront mises sur pied par la
délégation interministérielle aux migrations et au
développement déborderont les procédures OMI au sens
strict et se placeront dans le cadre de négociations d'Etat à
Etat.
Voilà ce qui à mon avis devra permettre de traiter avec finesse,
et autant que possible du bout des doigts, des cas difficiles.
Pour le reste, il y a une règle et il faut qu'elle s'applique.
Mme DUSSEAU
. - Ma première question concerne les immigrés
en situation irrégulière qui se sont vu opposer un refus et qui
sont essentiellement des célibataires. J'aurais voulu que vous
précisiez quel est leur profil.
S'agit-il d'un célibataire au sens strict du terme, est-ce non
marié, ou le concubinage a-t-il été pris en compte ?
Dans les préfectures, a-t-il été envisagé une
durée de séjour minimale ? Tout à l'heure vous avez
cité sept ans. Mais est-ce général ?
Enfin, puisqu'un quart des célibataires a été
régularisé, en matière d'insertion, je pense que le
travail a été considéré. S'il n'y avait pas
travail, mais chômage, est-ce que des durées de chômage ont
été envisagées ?
La deuxième série de questions concerne les conditions de
départ. J'avoue avoir été très marquée et
intéressée par ce que nous ont dit les pilotes ce matin. D'abord,
il s'agit de témoignages vécus puisqu'un pilote interrogé
par nous a eu une série d'incidents dans son avion et il nous a
décrit ces personnes expulsées, encadrées d'autant de
policiers que d'expulsés, scotchées sur les sièges, avec
des personnes qui dans l'avion ont pris les policiers et l'équipage
à partie. Visiblement, il y a dans le corps des pilotes un certain
nombre de réserves importantes et sur une dégradation des
conditions de retour au décollage de l'avion. Mais ils nous ont aussi
signalé des dégradations à l'arrivée.
Que pensez-vous de cela ? D'autant plus qu'ils nous ont nettement
signifié qu'il leur paraîtrait de plus en plus difficile dans
l'avenir d'assurer ce type de transport.
Ils ont été amenés à nous dire qu'à leur
connaissance, mais visiblement leur connaissance était précaire
et ne relevait que de conversations, les conditions de retour, d'expulsion, des
étrangers en situation irrégulière dans d'autres pays
apparemment se passaient mieux au décollage et à l'arrivée.
M. LE MINISTRE
. - Dans d'autres pays ?
Mme DUSSEAU
. - Danemark, Angleterre, Pays-Bas, où les conditions
de départ et d'arrivée se passaient mieux.
Enfin, et c'est plutôt un souhait, nous avons eu pendant des
années des immigrés en France qui n'étaient ni
régularisables ni expulsables. Ne risquons-nous pas aujourd'hui
d'être dans une situation avec des gens ni régularisables ni
expulsés ? Est-ce que la meilleure des solutions dans un avenir
proche ne serait pas en fait de les régulariser ?
M. LE PRÉSIDENT
. - Une partie de ce qu'ont dit les pilotes
relevait de la confidentialité. Je le précise.
M. LE MINISTRE
. - Je voudrais rappeler que s'agissant des
étrangers sans charge de famille, pour les statistiques dont je dispose,
s'agissant des cartes de séjour temporaires qui leur ont
été accordées, 6757, elles représentent 15,59 % du
total. Les récépissés : 3417, 24,9 % du total. C'est dire
que cette catégorie, que j'ai d'ailleurs tenu à maintenir dans la
rédaction de la circulaire, elle n'aura pas servi à rien. Les
étrangers sans charge de famille, présentant toutes les
conditions d'une bonne insertion, auront pu obtenir la régularisation de
leur situation. Le critère c'est la bonne insertion.
Mme DUSSEAU
. - Qu'y a-t-il derrière ?
M. LE MINISTRE
. - C'est expliqué dans l'avis de la Commission
nationale consultative des droits de l'homme, que j'ai quasiment repris
intégralement.
Le concubinage : la réponse est oui.
La durée de séjour : la rédaction de la circulaire dit
qu'elle ne peut qu'exceptionnellement être inférieure à 7
ans. Dans la loi c'était 15 ans et dans la nouvelle loi c'est 10 ans.
S'agissant du travail ou du chômage : c'est un indice parmi d'autres dans
le faisceau d'indices, qui permet d'apprécier la bonne ou mauvaise
insertion de l'étranger. Au total, cela représente quand
même près de 10.000 personnes.
Une autre question concerne les reconduites. Les pilotes sont des hommes comme
nous tous. A leur place, je pourrais comprendre aussi leur état
d'esprit. Très peu de gens se sont immergés dans un dossier aussi
complexe pour en comprendre toute la charge historique, économique,
politique et sociale.
Le fait de voir arriver des gens accompagnés de policiers, je vous
rappelle qu'il s'agit toujours de gens qui font obstruction à leur
reconduite et qui, le cas échéant, présentent des signes
d'agitation. Il peut arriver, en effet, qu'ils soient non pas tant
scotchés, mais entravés par des bandes plastiques. Il peut y
avoir des dégradations à l'arrivée. Les pilotes sont
responsables de la sécurité de leur vol et ils ont leur
état d'esprit. Peut-être que dans d'autres pays cela se passe
mieux. Je vais peut-être envoyer une mission dans des pays voisins, mais
en fait l'écho que je recueille de la plupart de mes collègues
c'est qu'ils ont beaucoup de problèmes. Mon collègue allemand m'a
fait une description que je ne vous répéterai pas.
J'ai tendance à penser qu'il y a quelque chose qui a trait à la
culture française. Comme le disait Montaigne au 16ème
siècle : " nous sommes hommes en général et
Français par accident ". C'était une vue qui pouvait se
défendre à l'époque de Montaigne où la France
faisait le tiers de la population de l'Europe et voyageait peu, à part
Montaigne qui a fait des voyages lointains en Suisse et en Italie du nord. Mais
aujourd'hui, la France n'est qu'une toute petite partie de la population
mondiale et il y a des flux migratoires très importants. A vouloir
raisonner aujourd'hui comme au 16ème siècle, on se trompe. Les
hommes politiquement se reconnaissent à travers leur appartenance
nationale. On est obligé de construire une société
politique à partir de là. Et par conséquent, cela va
presque de soi en Allemagne où prévaut la conception du
" Wolk ".
Il n'y a pas un pays d'Europe qui accorde sa nationalité à
100.000 étrangers par an comme la France. Je vous mets au défi de
me citer un pays qui a une pratique aussi libérale.
Je pense que cela tient aussi à la psychologie des peuples. Cela a ses
bons côtés, mais en même temps ceux qui ont la charge
d'assurer le schéma économique doivent être capables de
compenser les caractéristiques curieuses du génie français
et quelquefois aller à contre-courant d'un sentiment sympathique au
premier abord, mais nourri de facilité. C'est ce que j'ai essayé
de faire.
Un mot encore : Mme Dusseau me suggère de régulariser tout le
monde. Si nous faisions cela, nous donnerions un signal qui serait
désastreux à terme, car quiconque aurait envie de s'installer
dans notre pays pourrait le faire. Cela ne serait pas la logique de cette
opération.
M. LE RAPPORTEUR
. - Il y a une demande d'une note de synthèse
évaluant le coût des éloignements, notamment par voie
aérienne.
M. LE MINISTRE
. - Je n'en sais rien moi-même. Il faudrait faire un
rapport très complexe entre le nombre de reconduits et le nombre de
policiers qui les raccompagnent. Nous travaillons aujourd'hui en très
petite quantité, un ou deux reconduits, rarement plus. Et un nombre de
policiers en nombre au moins égal, sinon supérieur. Le coût
a un peu augmenté, mais en même temps le risque était
considérable de reconduire un trop grand nombre d'étrangers par
vol.
M. LE PRÉSIDENT
. - C'est une question qui nous sera posée
à nous. Elle est déjà dans les esprits et nous serons
obligés de le mettre dans le rapport.
M. LE MINISTRE
. - Je vais essayer d'y répondre.
M. LE PRÉSIDENT
. - Cela ne doit pas être tellement
difficile. On nous a dit qu'il y avait une moyenne de 15 reconduites par avion
et par jour, dimanche compris, en moyenne annuelle. On nous a dit qu'il fallait
un minimum de deux fonctionnaires pour un rapatrié, sauf pour Air Mali
où il faut sept fonctionnaires pour un rapatrié. C'est ce que
nous a dit le Président d'Air France et c'est le protocole qui a
été passé entre le ministère et le
Président. Donc, vous pouvez peut-être arriver à une
évaluation. Mais si vous ne voulez pas nous fournir la note...
M. LE MINISTRE
. - Ce n'est pas que je ne veuille pas, mais je n'ai pas
fait cette étude parce que je pense que le résultat en serait
très aléatoire. C'est un coût variable. Il y a 6300
fonctionnaires à la police des frontières, nouveau nom de la
DICCILEC, c'est à mon avis un effectif de quelques centaines
affectées à ces tâches. Je vais faire une recherche.
M. LE RAPPORTEUR
. - C'est le coût des transports.
M. LE MINISTRE
. - C'est le billet d'avion.
M. LE PRÉSIDENT
. - Et le déplacement des fonctionnaires.
M. LE MINISTRE
. - Les compagnies aériennes nous accordent quand
même des prix plus avantageux.
M. LE RAPPORTEUR
. - La charge financière supportée par les
compagnies aériennes : nous pourrons le demander directement
à Air France, mais peut-être le savez-vous.
On peut le demander à Air France et à Air Afrique.
Quel est leur manque à gagner ?
M. LE MINISTRE
. - Il y a d'autres compagnies. Ma position est
très claire : je suis soucieux de ne refuser aucun moyen.
Je ne veux pas prendre de position de principe sur telle ou telle compagnie. Il
y a une certaine concurrence, je suis prêt à l'utiliser aussi pour
minorer le coût des retours.
M. LE RAPPORTEUR
. - Pourriez-vous communiquer à la commission les
deux rapports élaborés par l'Inspection Générale de
l'Administration sur l'opération de régularisation ainsi que
celui de M. Galabert chargé d'une mission sur le suivi ?
M. LE MINISTRE
. - Il s'agit de documents destinés à
éclairer l'action du gouvernement dans une opération qui n'est
pas encore terminée. Ce sont des observations qui portent sur le
comportement de telle ou telle préfecture. Ce sont quand même des
documents qui ont un caractère qui intéresse la
sécurité de l'Etat. On ne va pas mettre en cause le comportement
de tel ou tel préfet. Je suis prêt à vous dire ce qu'est le
contenu de ces rapports, mais très franchement je considère que
pour la conduite d'une opération il y a un minimum de
confidentialité à préserver. Je n'ai aucune information
à vous cacher. Ces rapports peuvent mettre en cause un certain nombre de
comportements et je ne suis pas soucieux de livrer à l'opinion publique,
pour être franc, le fait que certaines préfectures ont pris du
retard ou ont oublié de satisfaire un certain nombre de recommandations
que je leur avais faites. Vous le comprendrez. Mais je peux vous faire un
résumé détaillé de ces rapports qui n'ont
d'ailleurs pas un intérêt énorme au point où nous en
sommes. Les choses ont avancé et on a tenu compte des recommandations.
Je ne parle pas du rapport de Monsieur Galabert qui est un rapport
d'étape et qui doit être complété quand
l'opération sera arrivée à son terme. D'ailleurs, je n'ai
pas eu l'occasion de m'entretenir avec lui. C'est un rapport de grande
qualité, mais il faudrait qu'il puisse l'achever pour qu'on le publie.
Mais c'était plus un rapport tendu à l'exécution de
l'opération elle-même attirant l'attention du ministre sur le fait
que certaines préfectures avaient pris du retard, faisaient
prévaloir ici ou là des interprétations un peu
différentes, ce qui a toujours permis des redressements utiles.
M. LE RAPPORTEUR
. - Je pense que vous pouvez nous adresser le rapport de
Monsieur Galabert parce que c'est vraiment en exécution de l'application
de la circulaire.
M. LE MINISTRE
. - Je vous adresserai le rapport de Monsieur Galabert
quand il m'aura remis le complément.
M. LE PRÉSIDENT
. - Nous, nous avons des délais. Nous
sommes obligés de déposer le rapport.
M. LE MINISTRE
. - Je n'ai qu'un rapport d'étape et des
statistiques, et je n'ai pas vu Monsieur Galabert.
M. LE RAPPORTEUR
. - Je suis à peu près certain que
M. Galabert nous a dit lors de son audition qu'il avait fait un rapport
d'étape et que son rapport définitif ne changerait rien au
rapport d'étape.
M. LE MINISTRE
. - Permettez que je reçoive Monsieur Galabert
quand même. Comprenez que la marche d'un grand Etat demande parfois que
l'exécutif se réserve la primeur de quelques informations qui lui
permettent de conduire son action de manière conséquente. Nous ne
sommes pas dans une situation qui... D'ailleurs, je vous ferai remarquer, je
serai prudent quant au Secrétariat Général au
Gouvernement. Mais je n'ai rien à vous cacher sur le fond. Je peux vous
donner des informations qui ne feraient pas apparaître telle ou telle
déviation dont au fond personne n'a à connaître en dehors
de moi.
M. LE PRÉSIDENT
. - Monsieur le Ministre, ce n'est pas à
vous que je rappellerai les vertus de la loi. A cet égard, une
commission d'enquête est un des instruments précieux que le
Parlement a pour contrôler les activités du gouvernement. Je vous
l'ai entendu dire et d'autres l'ont également affirmé.
Par conséquent, lorsque Monsieur le Rapporteur demande la communication
des rapports de mission, je pense qu'il le fait sans malice mais par
nécessité. Et donc, en se référant à la loi,
il est tout à fait normal que nous demandions un rapport qui n'est pas
couvert par le secret défense, qui n'est pas un rapport qui a trait
à la sûreté de l'Etat, et qui n'est pas un rapport qui est
induit ou inclus dans une procédure judiciaire.
Les deux rapports d'inspection aussi bien que le rapport de M. Galabert me
paraissent devoir être communiqués à la commission. Et une
réticence ou une restriction à cet égard du Ministre ne
pourrait pas ne pas entraîner un commentaire.
Ceci dit, nous avons prouvé que ni le président, ni le
rapporteur, et personne dans la commission n'a l'intention de se comporter en
boutefeu. Ce n'est pas pour le plaisir que nous publierions un commentaire de
l'inspection sur le comportement de tel ou tel préfet. Cela
n'apporterait rien à la vérité et ce serait s'immiscer
dans une appréciation hiérarchique qui ne nous regarde pas. Ce
n'est pas à nous de muter les préfets et de les proposer à
l'appréciation du gouvernement.
Si donc ces rapports d'inspection sont de nature à porter atteinte
à un dispositif hiérarchique interne sans ajouter à la
vérité, nous ne les publierons pas. Et je dirai même que le
rapport fera mention de ce qui paraît nécessaire à la
manifestation de la vérité, mais pas un exposé des erreurs
hiérarchiques ou des erreurs de procédure conduite par tel ou tel
fonctionnaire.
En conclusion, Monsieur le Ministre, je vous suggère que ces rapports
soient confiés au rapporteur sous le sceau de la confidentialité,
et il appartiendra ensuite au rapporteur, sous la responsabilité de la
commission, de sélectionner là-dedans ce qui doit être
inclus dans le rapport pour que nous puissions dire que nous avons fait un
tout, que rien ne nous a été caché. Ce qui serait un bon
point pour le gouvernement, et pour vous en particulier, sans que nous
puissions nuire à la hiérarchie et au pouvoir qu'il vous
appartient d'assumer vis-à-vis de fonctionnaires qui sont sous vos
ordres.
M. LE MINISTRE
. - Monsieur le Sénateur, me demandez-vous de vous
donner une réponse immédiate ?
Je voudrais vous dire qu'eu égard aux documents de travail du
gouvernement, visés par une ordonnance de 1958, il est
précisé qu'ils sont d'abord et avant tout des documents de
travail du gouvernement. Je crois savoir qu'il existe sur ce sujet une
jurisprudence du Secrétariat général du gouvernement, une
doctrine du Secrétariat général du gouvernement, que
j'applique. Je vous jure que vous n'apprendriez rien.
M. LE PRÉSIDENT
. - Vous avez déjà juré.
M. LE MINISTRE
. - Je réitère mon serment. Je veux
éviter que des documents de travail qui peuvent mettre en cause telle ou
telle pratique se trouvent divulgués et je veux me donner le temps de
regarder cela. Honnêtement, je n'ai rien à vous cacher. Vous avez
eu tous les éléments et j'ai quand même pris le temps de
vous répondre de manière détaillée en citant tous
les chiffres dont je disposais, en vous disant comment nous avons
travaillé. Ces documents avaient une valeur à l'époque
où je les ai demandés.
M. LE PRÉSIDENT
. - Permettez-nous de les voir.
M. LE MINISTRE
. - Est-ce que la visite de 8 préfectures en
septembre dernier, alors que vous en avez visité 9, vous apprendra
quelque chose ? A mon avis, non.
M. LE PRÉSIDENT
. - Ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Je ne veux
pas être insistant à l'heure où vous allez partir et
où j'allais, au nom de la commission, vous féliciter, vous et vos
collaborateurs. Vous n'allez pas gâcher cet instant suprême
où le Président s'acquitte d'un devoir qui est fort
agréable. Je ne voudrais pas qu'il soit dit qu'un rapport d'inspection,
dont je connais la multiplicité dans l'année, ne puisse pas
être communiqué parce qu'il pourrait nuire à la
crédibilité d'un fonctionnaire ou à sa dignité.
Nous sommes assez grands pour savoir ce qui, dans un rapport d'inspection, fait
partie de questions hiérarchiques et ce qui peut nourrir une
réflexion. Si vous nous demandez d'agir en rapporteurs responsables.
M. LE RAPPORTEUR
. - Nous pouvons le faire en accord avec votre cabinet.
M. LE PRÉSIDENT
. - C'est banal un rapport d'inspection, c'est
banal, il y en a des centaines.
M. LE MINISTRE
. - Je me conforme à une doctrine. J'appartiens
à un gouvernement, permettez-moi de vérifier que la doctrine
autorise cela. C'est la moindre des choses.
M. LE PRÉSIDENT
. - C'est une doctrine qui a été
élaborée il y a quelques mois à propos d'une commission
d'enquête sénatoriale et dans laquelle on a exclu de la
procédure d'inventaire les papiers internes d'une réflexion d'un
cabinet de ministre.
M. LE MINISTRE
. - Ce n'est pas totalement anormal que l'exécutif
ait des documents qui lui permettent de... Encore une fois, vous n'apprendriez
rien Monsieur le Président.
M. LE PRÉSIDENT
. - Alors pourquoi une telle opposition ?
M. LE MINISTRE
. - C'est un point de doctrine. On ne sait jamais. Si le
gouvernement vous communiquait un document de travail, à juste titre
vous pourriez vous autoriser de ce précédent pour...
M. LE PRÉSIDENT
. - Je ferai référence à un
de vos éminents prédécesseurs par rapport au modeste
rapporteur que j'étais d'une commission d'enquête parlementaire
à l'époque du terrorisme flamboyant. C'était
M. Defferre, votre prédécesseur, et j'étais
rapporteur d'une commission d'enquête sur le terrorisme qui traitait de
ce problème. C'était la rue des Rosiers, les brigades rouges et
l'assassinat de Monsieur Besse.
M. Defferre m'a donné des documents qui étaient autrement
plus importants qu'une inspection. J'en ai fait un usage modéré
et le rapport a été communiqué, j'ai
interprété et j'ai intégré les
éléments, à la satisfaction du Ministre. Pourquoi
voulez-vous que notre rapporteur fasse autrement ?
M. LE RAPPORTEUR
. - Je sais ce qu'est le secret professionnel.
M. LE MINISTRE
. - Là nous sommes en train de définir une
jurisprudence qui vaut pour d'autres gouvernements, d'autres rapporteurs,
d'autres présidents. Laissez-moi le temps de le regarder.
M. LE PRÉSIDENT
. - Nous sommes contraints par la limite
légale de l'analyse du rapport et de sa communication à la
commission. Quel délai avez-vous ?
M. LE RAPPORTEUR
. - Le délai pour le déposer est le
2 juin.
M. LE PRÉSIDENT
. - Quels sont les délais utiles qui vous
sont nécessaires pour avoir ce rapport ?
M. LE RAPPORTEUR
. - Lundi prochain.
M. LE MINISTRE
. - Il faut que je me fasse communiquer des
échanges de courrier entre le Président du Sénat et le
Premier Ministre. Je voudrais vérifier cela. Encore une fois, il n'y a
rien dedans que vous ne connaissiez déjà.
M. LE PRÉSIDENT
. - Eh bien, nous aurons la satisfaction de le
lire.
Nous avons noté que lundi prochain vous préciserez la doctrine
après consultation du Secrétaire Général du
gouvernement. Merci. Nous prenons acte de cela. Et nous en arrivons à la
conclusion générale.
Je crois être ici l'interprète de Monsieur le Rapporteur et de
tous les collègues qui ont suivi cette Commission avec attention, et
notamment votre audition, pour vous dire la totale satisfaction de la
façon dont le gouvernement et notamment votre ministère et
vous-même vous êtes comportés vis-à-vis de cette
Commission.
C'est une tâche que Monsieur le Rapporteur a menée avec
délicatesse. Nous avons trouvé auprès de votre
administration beaucoup de compréhension et de patience, et je voulais
que vous le sachiez Monsieur le Ministre.
Je voudrais me permettre une mention particulière pour la Direction des
Libertés Publiques.
Nous avons été un peu effrayés de l'énorme charge
de travail qui pèse sur cette direction et des effectifs réduits
dont elle dispose. Je ne sais pas quel sera votre budget en 99, mais si quelque
chose était souhaitable, cela serait que vous puissiez avoir pour cette
direction des attentions particulières et notamment quelques effectifs
supplémentaires.
Non seulement elle va avoir maintenant l'instruction des procédures
contentieuses, mais encore vous avez le nouveau droit d'asile territorial
qu'elle devra instruire. Je crois qu'ils sont sept ou huit agents. Ne
pensez-vous pas que c'est un peu incroyable de savoir qu'une question aussi
importante repose sur l'activité de sept ou dix personnes ?
Je crois qu'il y a là un peu un vertige qui s'installe.
Voilà ce que je voulais me permettre d'indiquer ce soir en conclusion de
cette longue démarche.
A certains égards, nous avons aussi le sentiment d'avoir appris et de
vous avoir en même temps un peu accompagné dans le chemin.
Nous n'avons pas fait une opposition systématique, nous avons
tenté de faire preuve de quelques vertus, ne serait-ce que celles de
vous entendre, de vous écouter, et de vous permettre en tout cas de dire
ce que vous avez à dire en vidant quelques querelles accessoires, mais
actuelles sur quelques éléments qui parfois vous chatouillent un
peu. Voilà les vertus sénatoriales.
Alors, en fin de journée, avec tous les remerciements de notre
Commission, je voudrais me permettre de vous dire que vous avez de bons
collaborateurs qui vous ont fidèlement servi.
M. LE MINISTRE
. - Merci Monsieur le Président. Je partage votre
avis à l'égard de mes collaborateurs et je les remercie à
mon tour.